Ven 15 Jan - 13:05
A sa mémoire, la France lui avait été décrite comme étant le lieu de toutes les luxures, de tous les vices, de tous les péchés. La couronne de France, celle portée par l’Auguste du même nom était un bijou d’une richesse discutée. Un monarque juste est souvent celui que l’on critique de la faute d’oisiveté. Tous les maux sont ceux de la France, et Paris dans son immensité, dans ses lueurs nocturnes et son sentiment prometteur d’un peuple prospère, irradie d’une aura de réussite que les noms exotiques ne pouvaient qu’admirer.
June n’était pas étranger à ce ravissement des sens. Pourtant, penser qu’il n’était qu’un enfant découvrant les trouvailles de l’ancien monde serait une piteuse erreur. Pour un jeune duc aux armes rapportées par monts et vallées, la France n’est que le nid d’un secret qu’il protège depuis plus d’une décennie, piètre créature qu’il était. Jouer de son nom ne l’a jamais effrayé, et faire sa place dans les baraques militaires d’une contrée hospitalière, il l’aura fait en prouvant son seul talent. June n’est pas un exploit militaire, non. Mais il est plus qu’assurément une démonstration de force d’une brutalité qui dépasse de loin la moyenne. Et s’il trouve encore à se faire remettre à sa place par ses supérieurs hiérarchiques, il est un homme dans la garde qui fascine le jeune soldat en des termes bien plus honorifiques que le seul titre de Capitaine des armées de France ne le sera jamais.
Aimable de Bayard. Un nom qui fait frissonner le jeune homme alors encore à peine âgé de vingt ans. Une maîtrise d’un corps puissant jusqu’à ses derniers retranchements. June s’en était fasciné, admiratif d’une fortitude qui l’avait laissé pantelant. Quand les ducs rêvent à la monarchie, lui n’aurait jamais pu trouver plus belle étoile qu’un combattant de cet acabit. Était-ce réellement une erreur, de trouver dans la douleur d’un homme une poésie si attirante ? Oh, June n’aime pas Aimable comme il aime les yeux de ce portrait qu’il chérit tant. Il l’aime comme un enfant regarde un père dans sa plus belle forme d’autorité. Comme on contemple un maître en espérant secrètement un jour le rendre fier.
Peut-être était-ce sa ferveur qui l’avait distingué. Ou l’assiduité avec laquelle il parvenait à effacer le reste du monde pour ne faire exister que l’impact percutant de ses coups, pieds et poings, fer d’une lame, fer du sang versé. Ne craindre nul diable autre que celui qui le ferait s’arrêter. June garde au fond de lui le doux souvenir d’une après-midi d’été, alors jeune cadet ne relâchait pas sa peine, poursuivant l’effort quand tous les autres avaient rendu les armes. Peut-être était-ce cette erreur subtile dans un mouvement d’arme, une manœuvre complexe et délicate qu’il n’aurait cessé de reproduire jusqu’à l’avoir maîtrisée, jusqu’à la connaître dans la vibration pénible de ses os percutant le sol. Mais Aimable n’avait rien laissé échapper. Avait repris les devants pour une raison qui avait échappé au jeune soldat. Et d’une simple curiosité, June s’est épris d’être celui qui apprendrait à ses côtés. Chien fidèle, partenaire loyal, gagner la confiance d’Aimable n’a pas été mise facile.
Mais aujourd’hui, planté dans la zone d’entraînement vide des baraques militaires, il pratique des mouvements qui n’ont aucune familiarité à l’Europe jusqu’à ce qu’une ombre se dessine derrière les piliers, le faisant se figer de son corps tout entier, maîtrisé, encore en train de se former, une chrysalide qui n’attend qu’à libérer son séduisant captif. Et dans des yeux de jade d’ordinaire glaçants, le bonheur si simple de voir celui qu’on porte aux lauriers embrase d’un sourire chérubin le visage d’un adolescent déjà devenu homme.
« Aimable ! »
Serez-vous ici longtemps ? Pouvons-nous nous entraîner ensemble ? Racontez-moi vos exploits, encore une fois.
S’il vous plaît, ne partez pas.
June n’était pas étranger à ce ravissement des sens. Pourtant, penser qu’il n’était qu’un enfant découvrant les trouvailles de l’ancien monde serait une piteuse erreur. Pour un jeune duc aux armes rapportées par monts et vallées, la France n’est que le nid d’un secret qu’il protège depuis plus d’une décennie, piètre créature qu’il était. Jouer de son nom ne l’a jamais effrayé, et faire sa place dans les baraques militaires d’une contrée hospitalière, il l’aura fait en prouvant son seul talent. June n’est pas un exploit militaire, non. Mais il est plus qu’assurément une démonstration de force d’une brutalité qui dépasse de loin la moyenne. Et s’il trouve encore à se faire remettre à sa place par ses supérieurs hiérarchiques, il est un homme dans la garde qui fascine le jeune soldat en des termes bien plus honorifiques que le seul titre de Capitaine des armées de France ne le sera jamais.
Aimable de Bayard. Un nom qui fait frissonner le jeune homme alors encore à peine âgé de vingt ans. Une maîtrise d’un corps puissant jusqu’à ses derniers retranchements. June s’en était fasciné, admiratif d’une fortitude qui l’avait laissé pantelant. Quand les ducs rêvent à la monarchie, lui n’aurait jamais pu trouver plus belle étoile qu’un combattant de cet acabit. Était-ce réellement une erreur, de trouver dans la douleur d’un homme une poésie si attirante ? Oh, June n’aime pas Aimable comme il aime les yeux de ce portrait qu’il chérit tant. Il l’aime comme un enfant regarde un père dans sa plus belle forme d’autorité. Comme on contemple un maître en espérant secrètement un jour le rendre fier.
Peut-être était-ce sa ferveur qui l’avait distingué. Ou l’assiduité avec laquelle il parvenait à effacer le reste du monde pour ne faire exister que l’impact percutant de ses coups, pieds et poings, fer d’une lame, fer du sang versé. Ne craindre nul diable autre que celui qui le ferait s’arrêter. June garde au fond de lui le doux souvenir d’une après-midi d’été, alors jeune cadet ne relâchait pas sa peine, poursuivant l’effort quand tous les autres avaient rendu les armes. Peut-être était-ce cette erreur subtile dans un mouvement d’arme, une manœuvre complexe et délicate qu’il n’aurait cessé de reproduire jusqu’à l’avoir maîtrisée, jusqu’à la connaître dans la vibration pénible de ses os percutant le sol. Mais Aimable n’avait rien laissé échapper. Avait repris les devants pour une raison qui avait échappé au jeune soldat. Et d’une simple curiosité, June s’est épris d’être celui qui apprendrait à ses côtés. Chien fidèle, partenaire loyal, gagner la confiance d’Aimable n’a pas été mise facile.
Mais aujourd’hui, planté dans la zone d’entraînement vide des baraques militaires, il pratique des mouvements qui n’ont aucune familiarité à l’Europe jusqu’à ce qu’une ombre se dessine derrière les piliers, le faisant se figer de son corps tout entier, maîtrisé, encore en train de se former, une chrysalide qui n’attend qu’à libérer son séduisant captif. Et dans des yeux de jade d’ordinaire glaçants, le bonheur si simple de voir celui qu’on porte aux lauriers embrase d’un sourire chérubin le visage d’un adolescent déjà devenu homme.
« Aimable ! »
Serez-vous ici longtemps ? Pouvons-nous nous entraîner ensemble ? Racontez-moi vos exploits, encore une fois.
S’il vous plaît, ne partez pas.
Lun 18 Jan - 9:36
Dans les ombres.
C’est là où est sa place.
Aimable patiente, les mains croisées dans le dos, alors qu’Ulric attire toute la lumière. L’Ours Gris s’avance, d’un pas lent et maîtrisé, devant les jeunes recrues qu’il est censé former. Le Capitaine de la Garde est d’une corpulence massive, dépassant les plus grands d’une bonne tête ; ses cheveux bruns clairsemés de gris sont bien taillés, au contraire de sa barbe de quelques jours, de son grand nez, ses sourcils broussailleux, la sauvagerie indomptée. D’ailleurs, l’homme n’est pas réputé pour être un bon pédagogue ; il montre, et les autres se contentent d’apprendre.
_ Aimable. Montrons de quel acier sont faits les De Bayard.
Aimable cligne des paupières ; c’est vers lui que se braquent tous les regards. Alors, il s’avance. Il s’extirpe de l’étreinte protectrice et étouffante de la pénombre. Sa main se saisit de son épée et il se positionne alors face à lui, la pointe dressée à hauteur de taille. Son souffle est lent, maîtrisé. Les jeunes recrues discernent, probablement, la contraction des muscles alors que ses mains resserrent leur étreinte sur la poignée de l’arme, on entend jusqu’au craquement du cuir sous ses doigts usés. Ulric dégaine alors sa propre épée et c’est son frère qu’il défie du regard.
Aimable est plus frêle, d’une corpulence différente et pourtant, l’on reconnaît son frère dans sa charpente. Les cuisses bien développées, permettant un appui solide, sur lequel s’établit un torse au dos souple et des épaules élégamment dessinées. Noblesse et rudesse s’unissent en ces traits taillés à la serpe, les pommettes saillantes derrière lesquelles se tapissent ses yeux glacés, ces mâchoires carrées enfouies sous une barbe mal taillée. Le nez est légèrement tordu, bossu, traversé d’une ancienne cicatrice, une forme si contradictoire aux narines à peine visibles, rétractées. Son front porte déjà les marques du temps et de préoccupations, quelques ridules en écho aux celles s’étirant au coin de ses yeux ; l’expérience a déjà tant écrit sur sa peau que les anciennes blessures ne sont plus aussi visibles, il ne reste que celles infligées par les années et les soucis.
D’ailleurs, les premiers échanges entre les deux hommes sont raides ; leurs épées se rencontrent en quelques claquements métalliques. Et au fur et à mesure que les corps s’échauffent, les muscles gagnent en souplesse. Les deux combattants gagnent en assurance, alors qu’Ulric saisit soudain son épée énorme à deux mains, l’abat dans un râle de bûcheron sur la tête de son frère. Aimable élève sa lame, le plat de la main soutient l’acier lorsque l’arme percute la sienne, c’est, cette fois, le crissement du métal que l’on entend. Tel un chien montre les dents, Ulric gronde et Aimable se dégage d’un bond en arrière, se jette en avant, la pointe s’élance vers la taille de son adversaire. Démontrant d’une surprenante agilité au vu de son gabarit, Ulric l’esquive d’un pas sur le côté, son épaule rencontre brutalement le torse d’Aimable pour le faire reculer. Son frère serre les dents, le souffle un instant coupé, mais s’appuie sur ses pieds ; son épée tranche l’air, part du sol pour fondre vers la jambe d’Ulric et le géant, par pur réflexe, repose son pied sur la lame pour l’immobiliser. Aimable la relâche et se recule, évitant à temps la main de son frère ; se saisissant de son poignet, il le tire en avant et Ulric manque de perdre l’équilibre… Mais l’Ours connaît sa force. Il s’appuie de tout son poids sur ses jambes et c’est à lui de tirer son frère vers lui.
Seuls les plus attentifs discernent alors l’instant fatidique.
Celui où Aimable s’arme d’un couteau à sa hanche et alors que son frère le tire vers lui, la lame entre ses doigts reflète l’éclat du soleil. Profitant de l’élan donné par son frère, Aimable dissimule sa lame dans son poing – va-t-il la planter dans sa cuisse pour l’affaiblir, dans son ventre ou… Oh ses yeux bleus sont fixés directement sur la gorge mise à nu de son frère, ses yeux, ses yeux, ses yeux ont leurs pupilles rondes comme la lune, c’est un instinct purement sauvage, ses lèvres se rétractent et dévoilent ses dents dans un grondement, son faciès si figé abandonne son austérité. L’espace de quelques secondes, c’est un Chasseur que l’on devine. Et tout se fige.
De sa main libre, Ulric a relâché son épée, son poing s’est fermé sur le poignet d’Aimable. Il relâche le couteau. Les deux hommes se font face, leurs regards unis l’un à l’autre, la tension à son paroxysme alors qu’ils s’immobilisent. Le calme, pourtant, revient sur leurs traits. En un clignement de paupières, ils se ressaisissent et finalement, Ulric relâche Aimable, les deux hommes s’écartent. Certains diront qu’ils se sont échangés un regard complice, d’autres, qu’ils s’observent en chien de faïence, avant qu’Ulric n’ait un signe de main pour mettre ses troupes en rang. C’est ce jour où June a probablement vu Aimable pour la première fois.
Durant quelques semaines, Aimable assiste aux entraînements. L’on s’étonne de son attitude. Rejetant les approches, fuyant les compagnies, répondant par un silence aux questions qui lui sont posées, il arrive que le grand Chevalier passe outre son dédain – ou sa timidité -, préférant approcher les jeunes isolés pour leur offrir sa guidance. Il est ainsi arrivé qu’il aille jusqu’à June et, d’une simple pression de sa main sur son poignet, corrige une posture. Parfois, c’est de sa propre épée qu’il lui a montré un geste et plus rare encore, il est arrivé à ce qu’il lui laisse entendre sa voix grave. Si grave qu’elle en fait vrombir son torse, révélant une étrange bestialité que son éloquence a tôt fait d’étouffer. C’est avec une surprenante noblesse et pudeur qu’il s’exprime, son regard est une caresse qu’il cesse d’un battement de paupières, ses yeux se détournent, conservent précieusement leur argent loin des prunelles avides.
Et ce jour, lorsque June l’appelle, son corps se fige. Lové dans les ombres, il est difficile de l’oublier et pourtant, rares sont ceux qui parviennent à l’en distinguer. Son visage toujours prisonnier d’une obscurité causée par les imperfections de ses traits, l’ossature de ses tempes, de ses pommettes, qui ressortent. Ses yeux bleus, prudemment dissimulés dans les ombres de ses orbites, s’éclairent lorsqu’il s’avance d’un pas, son corps s'immobilise. Tel un animal farouche, il hésite entre rester ou prendre la fuite, si peu accoutumé à tant d’affection sincère qu’il en paraît ébloui.
Finalement, il incline la tête pour saluer le jeune garçon, un salut empli de respect et toujours, toujours, de ces règles de bonne conduite qui l’inhibent sans cesse. Le contrôlent.
Maîtrisent cette Voix.
Incertain, décidément maladroit dans les relations sociales, Aimable hésite sur l’attitude à avoir, il se recule d’un demi-pas, s’apprêtant probablement à se fondre dans l’obscurité pour disparaître. Il est comme ces biches craintives, toujours aux aguets, et dont le moindre craquement de branche… non, ne le ferait pas détaler. Non. Il resterait là. Prêt à affronter la menace, malgré la peur instinctive toujours réfugiée dans ses veines.
Pour autant, opposée à ces réactions les plus viscérales, s’oppose la Raison, l’Homme et son éducation. Il reste présent, attentif et ses yeux prennent le temps d’observer le jeune homme. Malgré les rumeurs qui les entourent, June n’a probablement aucune difficulté à percevoir la voix de son aîné.
_ Que faîtes-vous, June ?
La curiosité éclot dans son regard et finalement, toutes les tentatives du jeune homme ont réussi à suffisamment apaiser sa sauvagerie pour qu’il accepte de s’avancer.
Qu’il s’arrache de cette pénible pénombre.
C’est là où est sa place.
Aimable patiente, les mains croisées dans le dos, alors qu’Ulric attire toute la lumière. L’Ours Gris s’avance, d’un pas lent et maîtrisé, devant les jeunes recrues qu’il est censé former. Le Capitaine de la Garde est d’une corpulence massive, dépassant les plus grands d’une bonne tête ; ses cheveux bruns clairsemés de gris sont bien taillés, au contraire de sa barbe de quelques jours, de son grand nez, ses sourcils broussailleux, la sauvagerie indomptée. D’ailleurs, l’homme n’est pas réputé pour être un bon pédagogue ; il montre, et les autres se contentent d’apprendre.
_ Aimable. Montrons de quel acier sont faits les De Bayard.
Aimable cligne des paupières ; c’est vers lui que se braquent tous les regards. Alors, il s’avance. Il s’extirpe de l’étreinte protectrice et étouffante de la pénombre. Sa main se saisit de son épée et il se positionne alors face à lui, la pointe dressée à hauteur de taille. Son souffle est lent, maîtrisé. Les jeunes recrues discernent, probablement, la contraction des muscles alors que ses mains resserrent leur étreinte sur la poignée de l’arme, on entend jusqu’au craquement du cuir sous ses doigts usés. Ulric dégaine alors sa propre épée et c’est son frère qu’il défie du regard.
Aimable est plus frêle, d’une corpulence différente et pourtant, l’on reconnaît son frère dans sa charpente. Les cuisses bien développées, permettant un appui solide, sur lequel s’établit un torse au dos souple et des épaules élégamment dessinées. Noblesse et rudesse s’unissent en ces traits taillés à la serpe, les pommettes saillantes derrière lesquelles se tapissent ses yeux glacés, ces mâchoires carrées enfouies sous une barbe mal taillée. Le nez est légèrement tordu, bossu, traversé d’une ancienne cicatrice, une forme si contradictoire aux narines à peine visibles, rétractées. Son front porte déjà les marques du temps et de préoccupations, quelques ridules en écho aux celles s’étirant au coin de ses yeux ; l’expérience a déjà tant écrit sur sa peau que les anciennes blessures ne sont plus aussi visibles, il ne reste que celles infligées par les années et les soucis.
D’ailleurs, les premiers échanges entre les deux hommes sont raides ; leurs épées se rencontrent en quelques claquements métalliques. Et au fur et à mesure que les corps s’échauffent, les muscles gagnent en souplesse. Les deux combattants gagnent en assurance, alors qu’Ulric saisit soudain son épée énorme à deux mains, l’abat dans un râle de bûcheron sur la tête de son frère. Aimable élève sa lame, le plat de la main soutient l’acier lorsque l’arme percute la sienne, c’est, cette fois, le crissement du métal que l’on entend. Tel un chien montre les dents, Ulric gronde et Aimable se dégage d’un bond en arrière, se jette en avant, la pointe s’élance vers la taille de son adversaire. Démontrant d’une surprenante agilité au vu de son gabarit, Ulric l’esquive d’un pas sur le côté, son épaule rencontre brutalement le torse d’Aimable pour le faire reculer. Son frère serre les dents, le souffle un instant coupé, mais s’appuie sur ses pieds ; son épée tranche l’air, part du sol pour fondre vers la jambe d’Ulric et le géant, par pur réflexe, repose son pied sur la lame pour l’immobiliser. Aimable la relâche et se recule, évitant à temps la main de son frère ; se saisissant de son poignet, il le tire en avant et Ulric manque de perdre l’équilibre… Mais l’Ours connaît sa force. Il s’appuie de tout son poids sur ses jambes et c’est à lui de tirer son frère vers lui.
Seuls les plus attentifs discernent alors l’instant fatidique.
Celui où Aimable s’arme d’un couteau à sa hanche et alors que son frère le tire vers lui, la lame entre ses doigts reflète l’éclat du soleil. Profitant de l’élan donné par son frère, Aimable dissimule sa lame dans son poing – va-t-il la planter dans sa cuisse pour l’affaiblir, dans son ventre ou… Oh ses yeux bleus sont fixés directement sur la gorge mise à nu de son frère, ses yeux, ses yeux, ses yeux ont leurs pupilles rondes comme la lune, c’est un instinct purement sauvage, ses lèvres se rétractent et dévoilent ses dents dans un grondement, son faciès si figé abandonne son austérité. L’espace de quelques secondes, c’est un Chasseur que l’on devine. Et tout se fige.
De sa main libre, Ulric a relâché son épée, son poing s’est fermé sur le poignet d’Aimable. Il relâche le couteau. Les deux hommes se font face, leurs regards unis l’un à l’autre, la tension à son paroxysme alors qu’ils s’immobilisent. Le calme, pourtant, revient sur leurs traits. En un clignement de paupières, ils se ressaisissent et finalement, Ulric relâche Aimable, les deux hommes s’écartent. Certains diront qu’ils se sont échangés un regard complice, d’autres, qu’ils s’observent en chien de faïence, avant qu’Ulric n’ait un signe de main pour mettre ses troupes en rang. C’est ce jour où June a probablement vu Aimable pour la première fois.
Durant quelques semaines, Aimable assiste aux entraînements. L’on s’étonne de son attitude. Rejetant les approches, fuyant les compagnies, répondant par un silence aux questions qui lui sont posées, il arrive que le grand Chevalier passe outre son dédain – ou sa timidité -, préférant approcher les jeunes isolés pour leur offrir sa guidance. Il est ainsi arrivé qu’il aille jusqu’à June et, d’une simple pression de sa main sur son poignet, corrige une posture. Parfois, c’est de sa propre épée qu’il lui a montré un geste et plus rare encore, il est arrivé à ce qu’il lui laisse entendre sa voix grave. Si grave qu’elle en fait vrombir son torse, révélant une étrange bestialité que son éloquence a tôt fait d’étouffer. C’est avec une surprenante noblesse et pudeur qu’il s’exprime, son regard est une caresse qu’il cesse d’un battement de paupières, ses yeux se détournent, conservent précieusement leur argent loin des prunelles avides.
Et ce jour, lorsque June l’appelle, son corps se fige. Lové dans les ombres, il est difficile de l’oublier et pourtant, rares sont ceux qui parviennent à l’en distinguer. Son visage toujours prisonnier d’une obscurité causée par les imperfections de ses traits, l’ossature de ses tempes, de ses pommettes, qui ressortent. Ses yeux bleus, prudemment dissimulés dans les ombres de ses orbites, s’éclairent lorsqu’il s’avance d’un pas, son corps s'immobilise. Tel un animal farouche, il hésite entre rester ou prendre la fuite, si peu accoutumé à tant d’affection sincère qu’il en paraît ébloui.
Finalement, il incline la tête pour saluer le jeune garçon, un salut empli de respect et toujours, toujours, de ces règles de bonne conduite qui l’inhibent sans cesse. Le contrôlent.
Maîtrisent cette Voix.
Incertain, décidément maladroit dans les relations sociales, Aimable hésite sur l’attitude à avoir, il se recule d’un demi-pas, s’apprêtant probablement à se fondre dans l’obscurité pour disparaître. Il est comme ces biches craintives, toujours aux aguets, et dont le moindre craquement de branche… non, ne le ferait pas détaler. Non. Il resterait là. Prêt à affronter la menace, malgré la peur instinctive toujours réfugiée dans ses veines.
Pour autant, opposée à ces réactions les plus viscérales, s’oppose la Raison, l’Homme et son éducation. Il reste présent, attentif et ses yeux prennent le temps d’observer le jeune homme. Malgré les rumeurs qui les entourent, June n’a probablement aucune difficulté à percevoir la voix de son aîné.
_ Que faîtes-vous, June ?
La curiosité éclot dans son regard et finalement, toutes les tentatives du jeune homme ont réussi à suffisamment apaiser sa sauvagerie pour qu’il accepte de s’avancer.
Qu’il s’arrache de cette pénible pénombre.
Jeu 21 Jan - 4:14
L’attrait du combat est un apanage d’hommes. C’est ce qui se murmure dans la noblesse française, comme le feu prenant aux poudres. Le maniement des armes est une chose qui peut apporter la fierté à une nation, à un père, à toute une lignée. June n’aura simplement jamais compris pourquoi ce pays se contentait de ne faire que des hommes leurs combattants. S’il avait appris le maniement de l’épée aux côtés de son père, sa Nanna avait également été une figure emblématique dans sa formation au cours de ses premières années. June n’a jamais été un prodige, mais ce qu’il n’avait pas en génie, il le compensait en résilience et en force de caractère. Sa vitesse est peut-être légèrement supérieure à la moyenne, et sa force celle de n’importe quel homme de son âge prenant au sérieux ses fonctions militaire. Mais tout ceci était subjugué par sa soif d’apprendre. Voyager de pays en pays, de culture en culture pour absorber tout ce que les grands maîtres accepteront de lui inculquer. Un élève studieux, trop, diraient même certains. Ne jamais baisser les bras, ni fléchir face à la hardiesse que constitue une séance de combat rondement menée.
A son sens, si le monde croit que la force se fait par le genre et le titre, alors peut-être n’était-il tout simplement pas né à la bonne époque. Lui né d’une union rejetée par l’Eglise avait pourtant su trouver sa place dans ce monde. Et plus que tout, sa place avait été taillée pour être celle qui le ferait manier l’épée. Trop curieux, June n’aura eu de cesses d’apprendre, encore et encore. Et si la France n’avait pas été une destination choisie sous l’égide d’un maître d’arme dans les traces duquel il voulait engendrer ses pas, ce fut par la force des choses que le seigneur lui donna tout ce dont il n’avait jamais rêvé dans cette courte carrière militaire.
Ulric de Bayard est cet homme que l’on regarde avec fascination lorsque jeune cadet l’on apprend les bases de l’école militaire à la française. Un homme adroit tant par son talent, sa force que sa morale. Pourtant, quelque chose manquait. Cette flamme qui faisait brûler le jeune suédois n’existait pas chez Ulric. Tout fervent combattant était-il, il manquait quelque chose…
Chose qu’il découvrit un jour d’été dans les mouvements d’Aimable de Bayard. Dire que le jour de ce duel, tous les membres de l’assistance étaient restés bouche bée serait un euphémisme dérisoire. June pourrait en dire bien plus. Lui, c’est des étoiles dans les yeux et le cœur lourd du désir d’apprendre d’un homme qui lui avait paru tout bonnement invincible qu’il avait compris qu’il n’y aurait que cet homme pour parfaire son savoir-faire.
Aimable était un homme discret. Difficile à cerner, et de peu de mots. Qu’aurait-il pensé d’un jeune homme le suivant, tentant de mimer ses mouvements au combat. June était ce que l’on pourrait sans la moindre erreur qualifier d’une groupie. Mais il ne voulait pas percer les secrets de l’intimité d’Aimable, comme d’autres pouvaient s’amuser à le faire – remarquant une alliance, des traits tirés, une absence ou des mots prononcés à propos de ses enfants –. Non, June n’est pas cette personne. Tout ce que ce grand enfant veut, c’est nourrir cette admiration sans borne. Tout apprendre et surtout, tout apprendre de lui.
Le bonheur peint sur son visage dès que la voix rauque de l’homme se fait entendre. Pouvait-il seulement signifier en d’autres termes qu’un sourire éblouissant combien entendre son prénom à la bouche de celui qu’il considérait aujourd’hui son mentor pouvait compter à ses yeux ? Le dos droit, June essuie du revers de sa main la transpiration perlant contre sa tempe avant de relâcher sa position et d’approcher de quelques enjambées rapides. Lui est encore bercé de lumière dans la grande cour, juvénile et plein d’énergie. Comment ne pas vouloir parler à une montagne de savoir ? June ne saurait faire autrement.
« J’essayais de reprendre les bases d’équilibre que Maître Mehter m’avait enseigné en Turquie. Vous souvenez-vous de cet enchaînement. » Maître Mehter, son maître d'arme lors de son premier voyage de lame itinérante, il ne tarissait jamais d'éloge à son égard. Mais pas maintenant, non. Maintenant, June prend place, la main levée en position d’attaque comme s’il tenait un fleuret à la main, léger sur ses appuis alors qu’il reproduit, indiquant les mouvements à mesure qu’il les fait. « Fente, coupé, dégagement et flèche. »
Des gestes visant à ouvrir la garde de son adversaire invisible. Le dernier représentant un élan pour s’élancer vers l’avant, lame tendue pour transpercer l’adversaire en ligne droite dans une propulsion franche et périlleuse. Mais ladite flèche, même à ses pieds agiles au ras du sol, est un tel saut dans le vide qu’il manque encore bien souvent sa cible, aussi bien que de perdre son équilibre. Et pour ne pas mentir à son actuelle habitude, June rencontre le sol dans un souffle maladroit, écorchant ses paumes contre le sol. Il relève pourtant immédiatement la tête et sourit, l’air désolé, mais n’ayant rien perdu de sa bonne humeur.
« Ah, encore raté. »
Agenouillé au sol, il tapote ses mains pour en ôter la crasse avant de se relever, ne perdant pas son objectif de vue. Un soldat loyal. Un chiot heureux.
« Il m’a toujours été enseigné qu’il fallait d’abord maîtriser ses acquis avant d’apprendre de nouvelles techniques. Alors je dois me presser de m’entraîner pour apprendre tous vos secrets, Aimable ! »
A son sens, si le monde croit que la force se fait par le genre et le titre, alors peut-être n’était-il tout simplement pas né à la bonne époque. Lui né d’une union rejetée par l’Eglise avait pourtant su trouver sa place dans ce monde. Et plus que tout, sa place avait été taillée pour être celle qui le ferait manier l’épée. Trop curieux, June n’aura eu de cesses d’apprendre, encore et encore. Et si la France n’avait pas été une destination choisie sous l’égide d’un maître d’arme dans les traces duquel il voulait engendrer ses pas, ce fut par la force des choses que le seigneur lui donna tout ce dont il n’avait jamais rêvé dans cette courte carrière militaire.
Ulric de Bayard est cet homme que l’on regarde avec fascination lorsque jeune cadet l’on apprend les bases de l’école militaire à la française. Un homme adroit tant par son talent, sa force que sa morale. Pourtant, quelque chose manquait. Cette flamme qui faisait brûler le jeune suédois n’existait pas chez Ulric. Tout fervent combattant était-il, il manquait quelque chose…
Chose qu’il découvrit un jour d’été dans les mouvements d’Aimable de Bayard. Dire que le jour de ce duel, tous les membres de l’assistance étaient restés bouche bée serait un euphémisme dérisoire. June pourrait en dire bien plus. Lui, c’est des étoiles dans les yeux et le cœur lourd du désir d’apprendre d’un homme qui lui avait paru tout bonnement invincible qu’il avait compris qu’il n’y aurait que cet homme pour parfaire son savoir-faire.
Aimable était un homme discret. Difficile à cerner, et de peu de mots. Qu’aurait-il pensé d’un jeune homme le suivant, tentant de mimer ses mouvements au combat. June était ce que l’on pourrait sans la moindre erreur qualifier d’une groupie. Mais il ne voulait pas percer les secrets de l’intimité d’Aimable, comme d’autres pouvaient s’amuser à le faire – remarquant une alliance, des traits tirés, une absence ou des mots prononcés à propos de ses enfants –. Non, June n’est pas cette personne. Tout ce que ce grand enfant veut, c’est nourrir cette admiration sans borne. Tout apprendre et surtout, tout apprendre de lui.
Le bonheur peint sur son visage dès que la voix rauque de l’homme se fait entendre. Pouvait-il seulement signifier en d’autres termes qu’un sourire éblouissant combien entendre son prénom à la bouche de celui qu’il considérait aujourd’hui son mentor pouvait compter à ses yeux ? Le dos droit, June essuie du revers de sa main la transpiration perlant contre sa tempe avant de relâcher sa position et d’approcher de quelques enjambées rapides. Lui est encore bercé de lumière dans la grande cour, juvénile et plein d’énergie. Comment ne pas vouloir parler à une montagne de savoir ? June ne saurait faire autrement.
« J’essayais de reprendre les bases d’équilibre que Maître Mehter m’avait enseigné en Turquie. Vous souvenez-vous de cet enchaînement. » Maître Mehter, son maître d'arme lors de son premier voyage de lame itinérante, il ne tarissait jamais d'éloge à son égard. Mais pas maintenant, non. Maintenant, June prend place, la main levée en position d’attaque comme s’il tenait un fleuret à la main, léger sur ses appuis alors qu’il reproduit, indiquant les mouvements à mesure qu’il les fait. « Fente, coupé, dégagement et flèche. »
Des gestes visant à ouvrir la garde de son adversaire invisible. Le dernier représentant un élan pour s’élancer vers l’avant, lame tendue pour transpercer l’adversaire en ligne droite dans une propulsion franche et périlleuse. Mais ladite flèche, même à ses pieds agiles au ras du sol, est un tel saut dans le vide qu’il manque encore bien souvent sa cible, aussi bien que de perdre son équilibre. Et pour ne pas mentir à son actuelle habitude, June rencontre le sol dans un souffle maladroit, écorchant ses paumes contre le sol. Il relève pourtant immédiatement la tête et sourit, l’air désolé, mais n’ayant rien perdu de sa bonne humeur.
« Ah, encore raté. »
Agenouillé au sol, il tapote ses mains pour en ôter la crasse avant de se relever, ne perdant pas son objectif de vue. Un soldat loyal. Un chiot heureux.
« Il m’a toujours été enseigné qu’il fallait d’abord maîtriser ses acquis avant d’apprendre de nouvelles techniques. Alors je dois me presser de m’entraîner pour apprendre tous vos secrets, Aimable ! »
Ven 22 Jan - 11:18
L’admiration et l’affection qu’on lui dédie sont incompréhensibles ; face à une sincérité si éclatante, les zones d’ombres qu’elle abandonne sont si nombreuses qu’Aimable se sent perdre pieds.
Tant de doutes soulevés, tant de remises en question ravivées : que lui trouve-t-il ? Qu’a-t-il fait pour susciter tant d’émotions ? Ne le confond-t-il pas avec Ulric ? Ce grand frère, cette montagne dont l’ombre l’a toujours dissimulé. Ce guerrier à la lame effilée, au corps et à l’âme forgés par Dieu, faisant de lui une force de la nature. Non pas sauvage, mais contenue par son éducation, son sens de la morale, par un honneur dont il veillait à suivre tous les diktats. Lui, qu’était-il, en face de lui ? Plus fluet, plus fragile, plus lâche, plus instable. Aimable fait tant pour suivre les règles qu’il s’impose, et pourtant, il y a toujours un écart, une excuse pour s’en détourner. Au combat, il est un homme qui se bat sur plusieurs fronts, l’attention constamment obnubilée par la Voix, par son contrôle, qu’il en oublie son adversaire.
June est un garçon plus prometteur que lui. Son esprit totalement dévié au combat. Son corps, à cette image. Solide, emprunt d’une fougue totalement maîtrisée. Et parfois, tel un torrent débordant de son lit, elle éclate en coups soudains, vifs, rapides ! Aimable retient son souffle lorsque le jeune homme s’élance, se rétracte, bondit ! L’image est celle d’un faucon se projetant sur sa proie. Mais le manque d’expériences le trahit, il trébuche, ses mains rencontrent le sol et si June y voit un échec, Aimable, lui, voit l’esquisse d’un coup fatal. Aujourd’hui, seul le manque d’expérience offre aux adversaires de June la possibilité de remporter leur combat.
Aimable s’approche, naturellement protecteur, mais déjà, le jeune homme se redresse et lui sourit. Ce sourire. Plus éblouissant encore que ne l’est le soleil. Pudiquement, Aimable détourne les yeux et s’agenouille à son tour. Il ignore la résistance naturelle de ses tendons, les articulations ne sont plus aussi souples qu’elles l’ont été autrefois. Ses mains récupèrent celles de June et finalement, extirpent de sa poche un de ses mouchoirs de soie. Son épouse a pris le soin de broder ses initiales sur le tissu, ainsi que leurs armoiries. Quelques secondes, il profite de ce contact familier contre sa peau. Puis avec la maladresse bourrue d’un père, Aimable prend soin de nettoyer les mains de June. Il s’assure à ce qu’aucune blessure ne traverse sa peau, avant que ses propos ne le fassent redresser les yeux.
Ses yeux bleus plantés dans ceux verts de June.
Le ciel gris recouvre la forêt de jade, les lourdes nuages s’accumulent. Aimable raffermit sa prise sur l’une des mains de June. Prière inavouée.
_ Je n’ai aucun secret.
M̸̨̺̪̘͉̠̱͎̹͂̓͐̇͋͘͝E̶͎̼͛͛͑̒̂̔͋͐̆͝Ñ̵̩̰͚̹̍͌͆͑͋̏̊̽͌̕͝Ş̵̞̥͔̘̙̲͕̱͒́̐̄̍̋̚͠Ô̶̢̫̮̩̠̩̭̭̈Ņ̴̧̡̺̖͕͈̺̬̙͍̈͌ͅG̸̢̻͆̾̍E̷͍͈̱̽S̶̩̹̥̖̙̱̘̜͙̽͆͛̒̾͠
Le trouble ne se laisse pas même percevoir. Pourtant, l’espace de quelques secondes, la Voix a retenti comme l’orage ; l’éclat de sa foudre le saisit d’effroi, il sent ses vibrations s’étendre dans ses chairs. Le temps d’une expiration, le grondement n’est plus qu’un soupir, une rumeur qui s’éteint dans ses veines.
Les secrets qu’il renferme ne feront la fortune de personne – et n’apporteront rien à June. Ces secrets, c’est cette Voix dans sa tête, c’est tout ces rêves qu’il s’efforce d’oublier. Ces secrets, ce sont ces bruits constants dans son esprit, ce sont ces grondements qu’il étouffe, ce sont des pulsions inavouables. Face cachée de la Lune, c’est dans l’obscurité que se tapissent les plus grands vices, des actes si inacceptables que sa raison les pousse à l’oubli. Cette malédiction, c’est un fardeau qu’il doit porter seul, un fardeau qui s’alourdit au fur et à mesure des jours alors que son esprit, son corps, faiblissent. Ses espoirs de rejoindre le Ciel et le Repos éternel tendent à disparaître et ça, ça, il ne veut pas l’infliger à June.
Pas à cet enfant qui a toute la vie devant lui. Pas à ce garçon, à l’esprit empli de rêves et d’envies, pas à cet homme qui, il le sait, fera bouger le monde. Comme nombreux, il a des défauts, mais Aimable croit en la bonté de son âme – comment pourrait-il faire autrement, lorsqu’il voit toute son admiration dans son regard ? Comment peut-il penser différemment, alors que ce garçon lui offre avec une sincérité déconcertante toute cette affection ? Comment ce garçon peut aimer quelqu’un comme lui – et s’il en est capable, Dieu seul sait qu’il serait probablement capable d’aimer de nombreux autres. Malgré leurs défauts.
Mais ceux d’Aimable sont différents de ceux des autres.
Il n’est pas seulement menteur, il n’est pas seulement secret. Il n’est pas le Chevalier qu’il veut tant être. Il ne l’aura jamais été et ne le sera jamais, malgré toutes ces valeurs auxquelles il s’est dédié, malgré tous ces entraînements qu’il a réalisés.
_ Ne te presse pas. Le temps est une ressource très précieuse : chaque seconde est une pièce d’or que tu offres à ce qu’il te semble important. La foi, le combat, le repos…Rien n’est jamais gaspillé et Dieu fait bien les choses ; s’il faut quelques semaines pour qu’une pomme soit goûteuse, peut-être te faudra-t-il quelques mois pour exceller en un art que certains ont mis des années à maîtriser.
Par ces mots, il espère encourager June à la patience ainsi que lui avouer à demi mots le réel talent dont il semble doté. D’ailleurs, sa propre main se repose sur l’épaule de June et y exerce une pression très légère, semblable à celle qu’Ulric lui offrait autrefois.
Aimable se place alors près de June et sa main usée se referme sur la poignée de cuir de sa propre épée. Le pommeau est en métal, de forme circulaire bien que terminé d’une discrète pointe ; la simple forme témoigne de son utilité. Il sert de balancier, afin de soulager le travail des bras, mais aussi, à frapper. La poignée est longue d’une main, protégée de cuir ; contrairement à l’épée d’Ulric, Aimable ne manie la sienne qu’à une main et s’appuie souvent d’un bouclier. Le cuir empêche à la main de glisser lors des mouvements. La garde, en croix, protège ses doigts des coups.
Le fourreau est sombre, mais un cerf d’argent l’orne, témoignant du surnom que l’on offre à Aimable : le cerf d’argent.
Dans un claquement familière, bientôt suivi d’un chuintement, Aimable dégaine sa lame ; l’épée possède une lame longue d’un demi bras, particulièrement épaisse et aux bords affutés. Une arme faite pour trancher plus que pour l’estoc, la pointe est plus épaisse, l’épée est solide. L’arme paraît bien rustre face aux épées fines que la Noblesse apprécie, l’on vante les charmes de la rapière et de l’escrime… Mais ne serait-ce que par le dessein de son arme, l’on devine l’histoire des De Bayard.
Une famille de Chevaliers, habituée aux combats, ayant participé aux Croisades et à tant de guerres, encore accoutumé à chasser du bandit. Les affrontements contre un homme sont rares ; la multitude d’adversaires contraint à une posture mêlant défense et agressivité, préférant porter des coups assommants, des coups qui fragilisent, blessent, usent les hommes et l’esprit. La précision est mise de côté, comme le potentiel mortel : l’objectif est, avant tout, d’handicaper l’adversaire. L’assommer, enfoncer une pièce d’armure, perforer les moins épaisses, briser plutôt que trancher, déchirer et éclater plutôt que transpercer. Ainsi, Aimable manie d’habitude le bouclier ; d’un regard, il relève un écu oublié et vient s’en armer, protégeant son poitrail.
Alors, toute son attitude change. Il oublie la rigueur militaire. Ses épaules se voûtent, il s’appuie fermement sur ses jambes, écarte l’une pour assurer sa stabilité. Derrière le bouclier, seuls ses yeux bleus se font apercevoir, son corps entièrement tapi sous cette protection de bois. Son bras armé se place légèrement en arrière, prêt à prendre son élan pour asséner un coup brutal. Violent. Les combats ne sont jamais à prendre à la légère.
_ Essaye de nouveau, June. Tiens-toi droit, mets-toi en garde.
Aimable observe avec attention la posture du jeune homme.
_ Dans cette position, l’écart entre tes jambes doit être déjà suffisant pour t’offrir mobilité mais aussi, stabilité et équilibre. Equilibre. C’est une notion très importante. C’est ce qui t’a manqué lorsque tu as projeté ton coup, notamment car la distance entre tes jambes change drastiquement. Entraîner-toi à la flèche, avec l’élan, à trouver la distance la plus adéquate. Tu es jeune. Tu es souple. Plie davantage tes jambes. Tu dois comprendre et travailler la balance de ton corps. Tes jambes doivent suffisamment s’écarter pour parvenir à m’approcher, frapper le bouclier, trouver aussi l’angle qui te permet de ne pas te basculer. Pense au héron qui se dresse sur sa jambe et laisse son bec fendre l’eau… Tu dois trouver cet équilibre. La bonne distance, le bon angle. La bonne distance, le bon angle. Peut être faut-il que tu écartes moins les jambes mais tende davantage ton bras… ? Ou que tu les étires tous deux davantage en pliant davantage les jambes ?
Aimable ne connaît pas ses techniques. Cependant, ses connaissances en combat sont suffisantes pour qu’il perçoive les difficultés que peut rencontrer le jeune homme. Sa perte d’équilibre est vraiment discrète, à ses yeux, il s’agit du seul point à travailler.
June aurait-il grandi ? Parfois, les corps des jeunes hommes peinent à s’habituer à leur morphologie changeante. Lui-même y a été tant de fois confronté et à cette pensée, il manque d’en sourire.
Tant de doutes soulevés, tant de remises en question ravivées : que lui trouve-t-il ? Qu’a-t-il fait pour susciter tant d’émotions ? Ne le confond-t-il pas avec Ulric ? Ce grand frère, cette montagne dont l’ombre l’a toujours dissimulé. Ce guerrier à la lame effilée, au corps et à l’âme forgés par Dieu, faisant de lui une force de la nature. Non pas sauvage, mais contenue par son éducation, son sens de la morale, par un honneur dont il veillait à suivre tous les diktats. Lui, qu’était-il, en face de lui ? Plus fluet, plus fragile, plus lâche, plus instable. Aimable fait tant pour suivre les règles qu’il s’impose, et pourtant, il y a toujours un écart, une excuse pour s’en détourner. Au combat, il est un homme qui se bat sur plusieurs fronts, l’attention constamment obnubilée par la Voix, par son contrôle, qu’il en oublie son adversaire.
June est un garçon plus prometteur que lui. Son esprit totalement dévié au combat. Son corps, à cette image. Solide, emprunt d’une fougue totalement maîtrisée. Et parfois, tel un torrent débordant de son lit, elle éclate en coups soudains, vifs, rapides ! Aimable retient son souffle lorsque le jeune homme s’élance, se rétracte, bondit ! L’image est celle d’un faucon se projetant sur sa proie. Mais le manque d’expériences le trahit, il trébuche, ses mains rencontrent le sol et si June y voit un échec, Aimable, lui, voit l’esquisse d’un coup fatal. Aujourd’hui, seul le manque d’expérience offre aux adversaires de June la possibilité de remporter leur combat.
Aimable s’approche, naturellement protecteur, mais déjà, le jeune homme se redresse et lui sourit. Ce sourire. Plus éblouissant encore que ne l’est le soleil. Pudiquement, Aimable détourne les yeux et s’agenouille à son tour. Il ignore la résistance naturelle de ses tendons, les articulations ne sont plus aussi souples qu’elles l’ont été autrefois. Ses mains récupèrent celles de June et finalement, extirpent de sa poche un de ses mouchoirs de soie. Son épouse a pris le soin de broder ses initiales sur le tissu, ainsi que leurs armoiries. Quelques secondes, il profite de ce contact familier contre sa peau. Puis avec la maladresse bourrue d’un père, Aimable prend soin de nettoyer les mains de June. Il s’assure à ce qu’aucune blessure ne traverse sa peau, avant que ses propos ne le fassent redresser les yeux.
Ses yeux bleus plantés dans ceux verts de June.
Le ciel gris recouvre la forêt de jade, les lourdes nuages s’accumulent. Aimable raffermit sa prise sur l’une des mains de June. Prière inavouée.
_ Je n’ai aucun secret.
M̸̨̺̪̘͉̠̱͎̹͂̓͐̇͋͘͝E̶͎̼͛͛͑̒̂̔͋͐̆͝Ñ̵̩̰͚̹̍͌͆͑͋̏̊̽͌̕͝Ş̵̞̥͔̘̙̲͕̱͒́̐̄̍̋̚͠Ô̶̢̫̮̩̠̩̭̭̈Ņ̴̧̡̺̖͕͈̺̬̙͍̈͌ͅG̸̢̻͆̾̍E̷͍͈̱̽S̶̩̹̥̖̙̱̘̜͙̽͆͛̒̾͠
Le trouble ne se laisse pas même percevoir. Pourtant, l’espace de quelques secondes, la Voix a retenti comme l’orage ; l’éclat de sa foudre le saisit d’effroi, il sent ses vibrations s’étendre dans ses chairs. Le temps d’une expiration, le grondement n’est plus qu’un soupir, une rumeur qui s’éteint dans ses veines.
Les secrets qu’il renferme ne feront la fortune de personne – et n’apporteront rien à June. Ces secrets, c’est cette Voix dans sa tête, c’est tout ces rêves qu’il s’efforce d’oublier. Ces secrets, ce sont ces bruits constants dans son esprit, ce sont ces grondements qu’il étouffe, ce sont des pulsions inavouables. Face cachée de la Lune, c’est dans l’obscurité que se tapissent les plus grands vices, des actes si inacceptables que sa raison les pousse à l’oubli. Cette malédiction, c’est un fardeau qu’il doit porter seul, un fardeau qui s’alourdit au fur et à mesure des jours alors que son esprit, son corps, faiblissent. Ses espoirs de rejoindre le Ciel et le Repos éternel tendent à disparaître et ça, ça, il ne veut pas l’infliger à June.
Pas à cet enfant qui a toute la vie devant lui. Pas à ce garçon, à l’esprit empli de rêves et d’envies, pas à cet homme qui, il le sait, fera bouger le monde. Comme nombreux, il a des défauts, mais Aimable croit en la bonté de son âme – comment pourrait-il faire autrement, lorsqu’il voit toute son admiration dans son regard ? Comment peut-il penser différemment, alors que ce garçon lui offre avec une sincérité déconcertante toute cette affection ? Comment ce garçon peut aimer quelqu’un comme lui – et s’il en est capable, Dieu seul sait qu’il serait probablement capable d’aimer de nombreux autres. Malgré leurs défauts.
Mais ceux d’Aimable sont différents de ceux des autres.
Il n’est pas seulement menteur, il n’est pas seulement secret. Il n’est pas le Chevalier qu’il veut tant être. Il ne l’aura jamais été et ne le sera jamais, malgré toutes ces valeurs auxquelles il s’est dédié, malgré tous ces entraînements qu’il a réalisés.
_ Ne te presse pas. Le temps est une ressource très précieuse : chaque seconde est une pièce d’or que tu offres à ce qu’il te semble important. La foi, le combat, le repos…Rien n’est jamais gaspillé et Dieu fait bien les choses ; s’il faut quelques semaines pour qu’une pomme soit goûteuse, peut-être te faudra-t-il quelques mois pour exceller en un art que certains ont mis des années à maîtriser.
Par ces mots, il espère encourager June à la patience ainsi que lui avouer à demi mots le réel talent dont il semble doté. D’ailleurs, sa propre main se repose sur l’épaule de June et y exerce une pression très légère, semblable à celle qu’Ulric lui offrait autrefois.
Aimable se place alors près de June et sa main usée se referme sur la poignée de cuir de sa propre épée. Le pommeau est en métal, de forme circulaire bien que terminé d’une discrète pointe ; la simple forme témoigne de son utilité. Il sert de balancier, afin de soulager le travail des bras, mais aussi, à frapper. La poignée est longue d’une main, protégée de cuir ; contrairement à l’épée d’Ulric, Aimable ne manie la sienne qu’à une main et s’appuie souvent d’un bouclier. Le cuir empêche à la main de glisser lors des mouvements. La garde, en croix, protège ses doigts des coups.
Le fourreau est sombre, mais un cerf d’argent l’orne, témoignant du surnom que l’on offre à Aimable : le cerf d’argent.
Dans un claquement familière, bientôt suivi d’un chuintement, Aimable dégaine sa lame ; l’épée possède une lame longue d’un demi bras, particulièrement épaisse et aux bords affutés. Une arme faite pour trancher plus que pour l’estoc, la pointe est plus épaisse, l’épée est solide. L’arme paraît bien rustre face aux épées fines que la Noblesse apprécie, l’on vante les charmes de la rapière et de l’escrime… Mais ne serait-ce que par le dessein de son arme, l’on devine l’histoire des De Bayard.
Une famille de Chevaliers, habituée aux combats, ayant participé aux Croisades et à tant de guerres, encore accoutumé à chasser du bandit. Les affrontements contre un homme sont rares ; la multitude d’adversaires contraint à une posture mêlant défense et agressivité, préférant porter des coups assommants, des coups qui fragilisent, blessent, usent les hommes et l’esprit. La précision est mise de côté, comme le potentiel mortel : l’objectif est, avant tout, d’handicaper l’adversaire. L’assommer, enfoncer une pièce d’armure, perforer les moins épaisses, briser plutôt que trancher, déchirer et éclater plutôt que transpercer. Ainsi, Aimable manie d’habitude le bouclier ; d’un regard, il relève un écu oublié et vient s’en armer, protégeant son poitrail.
Alors, toute son attitude change. Il oublie la rigueur militaire. Ses épaules se voûtent, il s’appuie fermement sur ses jambes, écarte l’une pour assurer sa stabilité. Derrière le bouclier, seuls ses yeux bleus se font apercevoir, son corps entièrement tapi sous cette protection de bois. Son bras armé se place légèrement en arrière, prêt à prendre son élan pour asséner un coup brutal. Violent. Les combats ne sont jamais à prendre à la légère.
_ Essaye de nouveau, June. Tiens-toi droit, mets-toi en garde.
Aimable observe avec attention la posture du jeune homme.
_ Dans cette position, l’écart entre tes jambes doit être déjà suffisant pour t’offrir mobilité mais aussi, stabilité et équilibre. Equilibre. C’est une notion très importante. C’est ce qui t’a manqué lorsque tu as projeté ton coup, notamment car la distance entre tes jambes change drastiquement. Entraîner-toi à la flèche, avec l’élan, à trouver la distance la plus adéquate. Tu es jeune. Tu es souple. Plie davantage tes jambes. Tu dois comprendre et travailler la balance de ton corps. Tes jambes doivent suffisamment s’écarter pour parvenir à m’approcher, frapper le bouclier, trouver aussi l’angle qui te permet de ne pas te basculer. Pense au héron qui se dresse sur sa jambe et laisse son bec fendre l’eau… Tu dois trouver cet équilibre. La bonne distance, le bon angle. La bonne distance, le bon angle. Peut être faut-il que tu écartes moins les jambes mais tende davantage ton bras… ? Ou que tu les étires tous deux davantage en pliant davantage les jambes ?
Aimable ne connaît pas ses techniques. Cependant, ses connaissances en combat sont suffisantes pour qu’il perçoive les difficultés que peut rencontrer le jeune homme. Sa perte d’équilibre est vraiment discrète, à ses yeux, il s’agit du seul point à travailler.
June aurait-il grandi ? Parfois, les corps des jeunes hommes peinent à s’habituer à leur morphologie changeante. Lui-même y a été tant de fois confronté et à cette pensée, il manque d’en sourire.
Jeu 28 Jan - 15:27
June a déjà un père. Un homme droit et plein de fierté. Un homme qui n’a pas abandonné son fils bâtard à la rue pour des questions de noblesse discutable. Un homme qui s’est repenti de son adultère – non sans y avoir encore goûté pour donner naissance à une fille –. Le genre d’homme qui inspire le respect. Un Duc droit dans ses positions, juste, et qui n’aura à aucun moment appris à ses enfants, peu importe leur ascendance, à faire le mal. June est de ces enfants nés sous une bonne étoile. Rien n’a jamais brisé la candeur de son monde si ce n’était la guerre. Mais la guerre est un devoir qu’il n’avait pas une seule fois remis en question. Peut-être était-ce pour cette raison que June admirait la droiture d’esprit. Peut-être était-ce pour ça que lorsqu’Aimable s’est agenouillé devant lui, un sentiment de sécurité qu’il n’aurait su décrire.
« Vous n’avez pas besoin de… » Une pause, lèvres pincées, joues rougies d’une façon très enfantine. Il est heureux, ça se devine. « Merci Aimable… »
D’autres auraient pu ressentir de la honte à l’idée d’avoir été aperçu commettre pareille erreur. Ou peut-être même simplement à l’idée d’être assisté comme un enfant. Mais pour lui, ça n’évoque qu’un sentiment de complicité, et peut-être même d’admiration. Aimable était le genre d’homme qui ne jugeait pas aux erreurs. Qui ne prétendait pas être meilleur que tous les autres. En était la preuve cet aveu. Il n’y a pas de secret à une fine lame. Seule la résilience au combat fait la différence. Oui, c’est tout ce dont June a besoin. Il devait seulement apprendre à être plus fort. Entraîner son corps encore et encore, plus rapide, plus percutant. Il en était capable.
Le jeune garçon ne fait rien pour repousser le geste paternel, et s’abreuve des paroles offertes avec attention. Plein de sagesse, Aimable lui souffle des mots qu’il gardera gravé contre son cœur toute sa vie. Il devait être patient. La patience, il en est capable, alors il hoche la tête, sûr de lui. Un jour, il deviendra meilleur.
Enorgueilli de l’attention offerte par celui qu’il considère comme un mentor, June se redresse et observe chaque mouvement. Dans la mécanique envoûtante de ce geste simple et efficace de dégainer son épée, où dans la forme d’apparence bourrue d’un homme qui de guerre en bataille, n’a jamais été défait.
La créature devant lui en est une qui se nourrit du sang de ses victimes, des hommes qui tentent par tous les moyens de détruire les intérêts et les valeurs que son âme voudrait protéger. June observe, fasciné, les mouvements sveltes d’un corps pourtant usé par le temps. Et dans un élan d’intérêt infini, il se saisit à son tour de son épée posée au sol. Celle-là même contre laquelle tant d’autres cadets ont transpiré. Cette lame dont le fil est abîmé d’avoir été trop utilisé. Mais June n’a pas besoin de plus pour reprendre ses appuis, rabaissant son centre de gravité, écoutant chaque conseil avec une attention toute particulière. Écarter davantage les jambes, fléchir les genoux. Naturellement, sa garde se meut, et c’est avec le corps un peu plus sur le côté qu’il diminue la zone d’attaque accessible. Pourtant il ne peut pas se permettre de manier sa lame à la façon d’un fleuret, non.
Alors jouant de ses appuis, son poids accentué sur la pointe de ses pieds pour parvenir à se mouvoir avec plus d’aisance, June ne lance pas le mouvement de la flèche, mais tente ses appuis, un bond en avant, deux en arrière. Si au départ le mouvement est encore hésitant, il est évident qu’à la façon qu’il a de rééquilibrer la distance entre ses deux pieds, où la hauteur de son bras tenant sa lame, qu’il essaye chaque option sous le regard aiguisé de l’autre homme. Oh, il n’est pas inquiet, pas honteux, pas gêné. June a même rapidement ce sourire carnassier d’un guerrier trouvant le plaisir le plus évident à pratiquer un art qui le passionne.
Après quelques minutes à tâter le terrain, et sous le regard d’Aimable qui ne tarit pas de petits conseils pris avec le plus grand des sérieux, June inspire longuement et souffle, tout bas.
« Très bien… »
June n’estime pas nécessaire d’informer davantage Aimable, non. Ils sont tous les deux des combattants, rien de plus qu’un simple mot ne devrait être nécessaire. Reculant d’un pas, recréant la distance qu’il jauge idéale, le plus jeune vérifie un instant ses appuis avant de s’élancer, visant attentivement l’écu que tient l’autre homme. L’élan est correct, le saut est plus équilibré, par l’angle bas de l’attaque fait danser sa lame d’un mouvement désobligeant à l’impact. Si cette fois-ci il ne tombe pas, c’est un froncement de sourcil évident sur le visage de June qui signifie que quelque chose n’était pas advenu selon ses calculs. Il se recule et siffle entre ses dents, une légère douleur dans le poignet, rien de suffisant pour le faire cesser, et cette fois, au coup suivant, c’est d’une main plus ferme qu’il lance sa nouvelle estocade… avant de reculer à nouveau.
Il est de ces âmes qui ne reculent pas jusqu’à atteindre la perfection, et dans la détermination qui embrase son regard, nul doute qu’Aimable sera encore là un moment pour l’aider à s’entraîner.
« Vous n’avez pas besoin de… » Une pause, lèvres pincées, joues rougies d’une façon très enfantine. Il est heureux, ça se devine. « Merci Aimable… »
D’autres auraient pu ressentir de la honte à l’idée d’avoir été aperçu commettre pareille erreur. Ou peut-être même simplement à l’idée d’être assisté comme un enfant. Mais pour lui, ça n’évoque qu’un sentiment de complicité, et peut-être même d’admiration. Aimable était le genre d’homme qui ne jugeait pas aux erreurs. Qui ne prétendait pas être meilleur que tous les autres. En était la preuve cet aveu. Il n’y a pas de secret à une fine lame. Seule la résilience au combat fait la différence. Oui, c’est tout ce dont June a besoin. Il devait seulement apprendre à être plus fort. Entraîner son corps encore et encore, plus rapide, plus percutant. Il en était capable.
Le jeune garçon ne fait rien pour repousser le geste paternel, et s’abreuve des paroles offertes avec attention. Plein de sagesse, Aimable lui souffle des mots qu’il gardera gravé contre son cœur toute sa vie. Il devait être patient. La patience, il en est capable, alors il hoche la tête, sûr de lui. Un jour, il deviendra meilleur.
Enorgueilli de l’attention offerte par celui qu’il considère comme un mentor, June se redresse et observe chaque mouvement. Dans la mécanique envoûtante de ce geste simple et efficace de dégainer son épée, où dans la forme d’apparence bourrue d’un homme qui de guerre en bataille, n’a jamais été défait.
La créature devant lui en est une qui se nourrit du sang de ses victimes, des hommes qui tentent par tous les moyens de détruire les intérêts et les valeurs que son âme voudrait protéger. June observe, fasciné, les mouvements sveltes d’un corps pourtant usé par le temps. Et dans un élan d’intérêt infini, il se saisit à son tour de son épée posée au sol. Celle-là même contre laquelle tant d’autres cadets ont transpiré. Cette lame dont le fil est abîmé d’avoir été trop utilisé. Mais June n’a pas besoin de plus pour reprendre ses appuis, rabaissant son centre de gravité, écoutant chaque conseil avec une attention toute particulière. Écarter davantage les jambes, fléchir les genoux. Naturellement, sa garde se meut, et c’est avec le corps un peu plus sur le côté qu’il diminue la zone d’attaque accessible. Pourtant il ne peut pas se permettre de manier sa lame à la façon d’un fleuret, non.
Alors jouant de ses appuis, son poids accentué sur la pointe de ses pieds pour parvenir à se mouvoir avec plus d’aisance, June ne lance pas le mouvement de la flèche, mais tente ses appuis, un bond en avant, deux en arrière. Si au départ le mouvement est encore hésitant, il est évident qu’à la façon qu’il a de rééquilibrer la distance entre ses deux pieds, où la hauteur de son bras tenant sa lame, qu’il essaye chaque option sous le regard aiguisé de l’autre homme. Oh, il n’est pas inquiet, pas honteux, pas gêné. June a même rapidement ce sourire carnassier d’un guerrier trouvant le plaisir le plus évident à pratiquer un art qui le passionne.
Après quelques minutes à tâter le terrain, et sous le regard d’Aimable qui ne tarit pas de petits conseils pris avec le plus grand des sérieux, June inspire longuement et souffle, tout bas.
« Très bien… »
June n’estime pas nécessaire d’informer davantage Aimable, non. Ils sont tous les deux des combattants, rien de plus qu’un simple mot ne devrait être nécessaire. Reculant d’un pas, recréant la distance qu’il jauge idéale, le plus jeune vérifie un instant ses appuis avant de s’élancer, visant attentivement l’écu que tient l’autre homme. L’élan est correct, le saut est plus équilibré, par l’angle bas de l’attaque fait danser sa lame d’un mouvement désobligeant à l’impact. Si cette fois-ci il ne tombe pas, c’est un froncement de sourcil évident sur le visage de June qui signifie que quelque chose n’était pas advenu selon ses calculs. Il se recule et siffle entre ses dents, une légère douleur dans le poignet, rien de suffisant pour le faire cesser, et cette fois, au coup suivant, c’est d’une main plus ferme qu’il lance sa nouvelle estocade… avant de reculer à nouveau.
Il est de ces âmes qui ne reculent pas jusqu’à atteindre la perfection, et dans la détermination qui embrase son regard, nul doute qu’Aimable sera encore là un moment pour l’aider à s’entraîner.
Dim 31 Jan - 11:23
Le rouge à ses joues l’attendrit.
L’innocence dans ses prunelles éveille en lui une étrange mélancolie… A-t-il déjà eu ce regard, un jour ? Les rares fois où il a eu le courage d’affronter son reflet, c’eut été la vision d’un garçon terrorisé qu’il fût contraint d’observer. Les yeux éternellement cernés, prisonniers de ses tensions, cette cage de char derrière laquelle se tapie la Bête. L’innocence a été sa première victime ; la Voix l’a déchiquetée bien avant qu’il ne puisse tenir sa première épée. Lorsqu’il s’endormait, il L’entendait, elle venait jusqu’à lui, murmurait à son oreille, ses griffes labouraient son poitrail, sa gueule se plongeait dans la plaie béante. Y penser lui arrache un frisson.
Devenu homme, il l’affronte toutes les nuits. Se voit parfois guerrier, armé de son bouclier face au Monstre qui rôde dans les ombres de son esprit. D’autres fois, il se voit chez lui, à remonter les couloirs, sans savoir si elle le suit ou s’il la traque. Une poursuite continuelle… Quand ses nuits ne sont pas hantées par des massacres, l’odeur du sang dans les narines, les mains prisonnières de griffes, les cris, les gémissements, les supplications ou son souffle rauque qui accompagne sa propre respiration. Le râle, parfois, il croit l’entendre et se fige, il tend l’oreille, mais le son disparaît. Jusqu’à revenir lorsqu’il s’en détourne. Sans cesse aux aguets, la Voix est toujours là, drapée de sang et d’ombres. L’épée de Damoclès toujours au dessus de sa tête, le bouclier qu’il tient en cet instant est une bien maigre protection – sert il à lui redonner ce rôle d’homme qu’il a si peur de perdre ? De protecteur, qu’il a tant désiré avoir ? D’ailleurs, n’est-ce donc pas pour protéger June qu’il privilégie sans cesse cette posture défensive ? Malgré les encouragements du jeune homme, Aimable ne se laisse jamais tenter. Qu’il s’améliore, lui !
June est prometteur. Cet enfant ira très loin.
Il a cette détermination hors du commun. Celle de toujours se relever, d’essayer, sans cesse. Il sait où cela mène. Il sait quels sont les risques. La frustration, la colère, la déception, parfois, pire, bien pire, l’abandon. Alors il tâche de lui enseigner la patience. La patience, pour maîtriser sa fougue, canaliser ses efforts, pour laisser le temps faire son œuvre. Sa résilience est une arme redoutable, il manque seulement l’expérience pour améliorer son tranchant et aiguiser sa pointe. La patience est l’une des vertus nécessaires pour s’avancer sur le chemin de la perfection. Bien qu’aucun homme ne puisse même penser à l’atteindre, Dieu sait reconnaître les âmes vaillantes qui s’engagent sur cette voie. Les obstacles, les blessures, qu’ils auront à affronter seront nombreux. Aimable sait que le sang, les larmes de ce garçon couleront. Qu’un jour, après une énième chute, il hésitera.
A genoux.
Pourquoi continuer ? Pourquoi ? Car à force d’avancer, à force de sans cesse progresser, les efforts sont de plus en plus importants, et ne sont pas toujours récompensés. Parfois, pendant des années, on ne parvient plus à avancer – on ne fait plus mieux, on ne réussit plus à progresser.
Alors pourquoi ne pas abandonner ?
Aimable connaît ce cheminement. Ce chemin de croix, c’est depuis sa naissance qu’il le remonte. Mais chaque pas qu’il fait est accompagné d’une autre présence, lorsqu’il se retourne, il s’inquiète de voir sa route parcourue d’ombres. Par quoi est-il passé pour arriver jusqu’ici ? Qu’a-t-il fait ? Parfois, les empreintes qu’il laisse sont ensanglantées.
Pourquoi avancer ? Lui ne sait même plus sur quelle route il progresse. Est-ce vraiment la voie de la rédemption ? Au bout du chemin, son âme sera-t-elle sauvée ? Il a beau ne plus y croire, une part en lui entretient cet espoir fou. Celui d’être lavé de ses pêchés, de toutes ces morts qu’il a causées.
June est différent. June devra trouver les raisons qui le poussent à continuer – mais Aimable sait qu’il sera capable de faire de grandes choses. Par pitié, de belles et grandes choses. C’est ce qu’il veut entretenir. Son innocence. Sa joie de vivre. Son humanité. L’aider à aller plus loin que lui, à emprunter un chemin où son âme s’épanouira. Il faudra être patient. L’endurance, il l’a. La force, il l’a. Mais marcher prend du temps, plus encore lorsque l’objectif qu’on vise est inatteignable.
Il l’encourage, à plusieurs reprises, le conseille. Mais June est un garçon qui apprend par la pratique, de lui-même, il corrige ses gestes, il gagne en assurance. Parfois, sa fougue lui échappe, c’est un coup plus puissant qui heurte le bouclier. Aimable s’appuie davantage sur ses jambes, les plie pour recevoir le choc. Il ne frémit pas, observe minutieusement les changements de son propre corps, la contraction des muscles, le souffle lent. Au dessus d’eux, la lumière poursuit sa course.
C’est lorsque les ombres les rejoignent qu’Aimable abaisse son bouclier, indiquant la fin de l’entraînement. Presque décontenancé, il observe songeusement les couloirs, la cour emplie d’une obscurité naissante. Le crépuscule emplit les lieux. La fatigue pèse sur ses épaules. Son souffle est plus rapide, le cœur cogne contre sa cage thoracique. Il ressent une certaine faiblesse, avant de réaliser la faim qui lui cisaille le ventre. Une esquisse de sourire sur les lèvres, il repose le bouclier, sa main rencontre bourrument l’épaule de June pour la lui serrer.
_ C’était très bien.
Il se détache prudemment, masse sa nuque de sa main libre avant de prendre le temps de ranger son épée. Ses mains se glissent ensuite dans son dos, alors qu’il se tient droit, observant longuement June jusqu’à avoir un signe de tête.
_ Si tu as un peu de temps, je peux t’offrir un verre. Nous devrions en profiter pour nous nourrir. Je dois reconnaître que cet entraînement m’a affamé.
Il rougit d’ailleurs lorsque son ventre émet un gargouillis plaintif ; pudique, Aimable toussote dans son poing en essayant de couvrir le bruit. Ses yeux reviennent s’unir à ceux de June, quelques secondes, avant qu’il ne détourne le regard vers la lune. Sa silhouette s’esquisse dans le ciel nocturne ; ses rayons éclairent l’obscurité, semblent se refléter sur la peau du jeune homme face à lui. Peau encore immaculée, le temps et la souffrance n’ont pas encore sévèrement marqués ses traits. Contrairement à lui.
Oh June ira bien plus loin que lui sur le chemin de la vie. Et Aimable fera de son mieux pour que cette voie qu’il se trace s’élève vers le ciel, qu’elle s’éloigne de tout ce sang, cette boue, dans lesquels ils pataugent. La guerre est un devoir, mais tuer… tuer n’est pas une nécessité.
M̷̨̢̲̩̹͔̹̠̝̝̖̠̝͍͚̏́̋́̐̈́̇́̉̀͠ḛ̷̥͙̞͙̺̦̯̼͑͂̑̑̈́͆͛̋̆ņ̶̯̤̯͈͖̐t̵̢͍̬͕̯̺̗̦̩̜̼̦̂̓́͊͌̉͊͛̈́́̚͠ͅę̴̨͍̭̮̣͓̬̦͎͙̠͂͜ư̶̦͚̞͙͎̺̟̩̽̅̈́̑̐̀̉͊͝r̵̨̲͔̄́̽̃
L’innocence dans ses prunelles éveille en lui une étrange mélancolie… A-t-il déjà eu ce regard, un jour ? Les rares fois où il a eu le courage d’affronter son reflet, c’eut été la vision d’un garçon terrorisé qu’il fût contraint d’observer. Les yeux éternellement cernés, prisonniers de ses tensions, cette cage de char derrière laquelle se tapie la Bête. L’innocence a été sa première victime ; la Voix l’a déchiquetée bien avant qu’il ne puisse tenir sa première épée. Lorsqu’il s’endormait, il L’entendait, elle venait jusqu’à lui, murmurait à son oreille, ses griffes labouraient son poitrail, sa gueule se plongeait dans la plaie béante. Y penser lui arrache un frisson.
Devenu homme, il l’affronte toutes les nuits. Se voit parfois guerrier, armé de son bouclier face au Monstre qui rôde dans les ombres de son esprit. D’autres fois, il se voit chez lui, à remonter les couloirs, sans savoir si elle le suit ou s’il la traque. Une poursuite continuelle… Quand ses nuits ne sont pas hantées par des massacres, l’odeur du sang dans les narines, les mains prisonnières de griffes, les cris, les gémissements, les supplications ou son souffle rauque qui accompagne sa propre respiration. Le râle, parfois, il croit l’entendre et se fige, il tend l’oreille, mais le son disparaît. Jusqu’à revenir lorsqu’il s’en détourne. Sans cesse aux aguets, la Voix est toujours là, drapée de sang et d’ombres. L’épée de Damoclès toujours au dessus de sa tête, le bouclier qu’il tient en cet instant est une bien maigre protection – sert il à lui redonner ce rôle d’homme qu’il a si peur de perdre ? De protecteur, qu’il a tant désiré avoir ? D’ailleurs, n’est-ce donc pas pour protéger June qu’il privilégie sans cesse cette posture défensive ? Malgré les encouragements du jeune homme, Aimable ne se laisse jamais tenter. Qu’il s’améliore, lui !
June est prometteur. Cet enfant ira très loin.
Il a cette détermination hors du commun. Celle de toujours se relever, d’essayer, sans cesse. Il sait où cela mène. Il sait quels sont les risques. La frustration, la colère, la déception, parfois, pire, bien pire, l’abandon. Alors il tâche de lui enseigner la patience. La patience, pour maîtriser sa fougue, canaliser ses efforts, pour laisser le temps faire son œuvre. Sa résilience est une arme redoutable, il manque seulement l’expérience pour améliorer son tranchant et aiguiser sa pointe. La patience est l’une des vertus nécessaires pour s’avancer sur le chemin de la perfection. Bien qu’aucun homme ne puisse même penser à l’atteindre, Dieu sait reconnaître les âmes vaillantes qui s’engagent sur cette voie. Les obstacles, les blessures, qu’ils auront à affronter seront nombreux. Aimable sait que le sang, les larmes de ce garçon couleront. Qu’un jour, après une énième chute, il hésitera.
A genoux.
Pourquoi continuer ? Pourquoi ? Car à force d’avancer, à force de sans cesse progresser, les efforts sont de plus en plus importants, et ne sont pas toujours récompensés. Parfois, pendant des années, on ne parvient plus à avancer – on ne fait plus mieux, on ne réussit plus à progresser.
Alors pourquoi ne pas abandonner ?
Aimable connaît ce cheminement. Ce chemin de croix, c’est depuis sa naissance qu’il le remonte. Mais chaque pas qu’il fait est accompagné d’une autre présence, lorsqu’il se retourne, il s’inquiète de voir sa route parcourue d’ombres. Par quoi est-il passé pour arriver jusqu’ici ? Qu’a-t-il fait ? Parfois, les empreintes qu’il laisse sont ensanglantées.
Pourquoi avancer ? Lui ne sait même plus sur quelle route il progresse. Est-ce vraiment la voie de la rédemption ? Au bout du chemin, son âme sera-t-elle sauvée ? Il a beau ne plus y croire, une part en lui entretient cet espoir fou. Celui d’être lavé de ses pêchés, de toutes ces morts qu’il a causées.
June est différent. June devra trouver les raisons qui le poussent à continuer – mais Aimable sait qu’il sera capable de faire de grandes choses. Par pitié, de belles et grandes choses. C’est ce qu’il veut entretenir. Son innocence. Sa joie de vivre. Son humanité. L’aider à aller plus loin que lui, à emprunter un chemin où son âme s’épanouira. Il faudra être patient. L’endurance, il l’a. La force, il l’a. Mais marcher prend du temps, plus encore lorsque l’objectif qu’on vise est inatteignable.
Il l’encourage, à plusieurs reprises, le conseille. Mais June est un garçon qui apprend par la pratique, de lui-même, il corrige ses gestes, il gagne en assurance. Parfois, sa fougue lui échappe, c’est un coup plus puissant qui heurte le bouclier. Aimable s’appuie davantage sur ses jambes, les plie pour recevoir le choc. Il ne frémit pas, observe minutieusement les changements de son propre corps, la contraction des muscles, le souffle lent. Au dessus d’eux, la lumière poursuit sa course.
C’est lorsque les ombres les rejoignent qu’Aimable abaisse son bouclier, indiquant la fin de l’entraînement. Presque décontenancé, il observe songeusement les couloirs, la cour emplie d’une obscurité naissante. Le crépuscule emplit les lieux. La fatigue pèse sur ses épaules. Son souffle est plus rapide, le cœur cogne contre sa cage thoracique. Il ressent une certaine faiblesse, avant de réaliser la faim qui lui cisaille le ventre. Une esquisse de sourire sur les lèvres, il repose le bouclier, sa main rencontre bourrument l’épaule de June pour la lui serrer.
_ C’était très bien.
Il se détache prudemment, masse sa nuque de sa main libre avant de prendre le temps de ranger son épée. Ses mains se glissent ensuite dans son dos, alors qu’il se tient droit, observant longuement June jusqu’à avoir un signe de tête.
_ Si tu as un peu de temps, je peux t’offrir un verre. Nous devrions en profiter pour nous nourrir. Je dois reconnaître que cet entraînement m’a affamé.
Il rougit d’ailleurs lorsque son ventre émet un gargouillis plaintif ; pudique, Aimable toussote dans son poing en essayant de couvrir le bruit. Ses yeux reviennent s’unir à ceux de June, quelques secondes, avant qu’il ne détourne le regard vers la lune. Sa silhouette s’esquisse dans le ciel nocturne ; ses rayons éclairent l’obscurité, semblent se refléter sur la peau du jeune homme face à lui. Peau encore immaculée, le temps et la souffrance n’ont pas encore sévèrement marqués ses traits. Contrairement à lui.
Oh June ira bien plus loin que lui sur le chemin de la vie. Et Aimable fera de son mieux pour que cette voie qu’il se trace s’élève vers le ciel, qu’elle s’éloigne de tout ce sang, cette boue, dans lesquels ils pataugent. La guerre est un devoir, mais tuer… tuer n’est pas une nécessité.
M̷̨̢̲̩̹͔̹̠̝̝̖̠̝͍͚̏́̋́̐̈́̇́̉̀͠ḛ̷̥͙̞͙̺̦̯̼͑͂̑̑̈́͆͛̋̆ņ̶̯̤̯͈͖̐t̵̢͍̬͕̯̺̗̦̩̜̼̦̂̓́͊͌̉͊͛̈́́̚͠ͅę̴̨͍̭̮̣͓̬̦͎͙̠͂͜ư̶̦͚̞͙͎̺̟̩̽̅̈́̑̐̀̉͊͝r̵̨̲͔̄́̽̃
Jeu 4 Fév - 16:08
Le cœur tambourinant furieusement contre sa cage thoracique, le souffle haché par l’effort, l’adrénaline qui pulse tout au fond de lui. Rien n’est plus exaltant qu’un entraînement. Depuis toujours, c’était dans l’effort que June avait trouvé son plus grand plaisir. La sueur perle contre sa peau, la brûlure provoquée par la déshydratation et les dernières chaleurs du soleil ont laissé sa gorge et sa bouche sèche, mais tout ça fait partie de l’expérience. Il ne changerait rien à tout ça. Pas les chutes, pas le vrombissement contre les os de son poignet à chaque impact contre l’écu. Pas la légère douleur contre ses genoux d’être tombé à plusieurs reprises pour toujours mieux se relever. June est un battant, le genre d’homme qui ne recule pas devant l’effort ou même l’échec. Non. Là où d’autres hésiteraient et tiendraient à simplement changer d’angle d’approche, lui recommence, encore et encore, fort des recommandations d’Aimable. Fier de briller sous le regard protecteur et perçant de l’un des plus vaillants combattants qu’il lui ait été donné de rencontrer.
Peut-être un jour Aimable l’estimera-t-il suffisamment preux pour lui apprendre ses propres techniques. Mais June ne sautera pas les étapes et montera les marches une par une, gravira les échelons jusqu’à un jour parvenir à atteindre le modèle qui lui est si cher. Un jour peut-être, même, sera-t-il celui qu’une jeune recrue regardera avec l’œil idéaliste d’un fervent combattant. Mais avant tout cela, il lui faudrait peaufiner son art, ses valeurs, et surtout la fortitude de son cœur. Tout n’était pas une question de force, et il en était profondément conscient.
Mais tout ceci importe peu. June aura toute sa vie pour grandir et devenir meilleur. Toute sa vie pour parvenir à atteindre ce sommet dans son art. Peut-être même, temps aidant, arrivera-t-il même à créer ses propres techniques. L’idée réveille l’excitation au fond de son cœur d’enfant, mais il ne doit pas se dissiper. Pas se perdre en milles idées, non. Maintenant tout ce qui compte, c’était d’être concentré, de ne pas perdre son objectif des yeux. Et même lorsque le soleil continue sa course, ce n’est que lorsqu’Aimable sonne enfin le glas de leur entraînement que June réalise, tardivement, son degré d’épuisement.
Laissant enfin tomber sa garde, la pointe de son épée touchant le sol, ses épaules sont affaissées, ses vêtements trempés de sueur, mais la chaleur du jour l’empêche d’avoir froid. De toute façon, il suffit de voir ses joues rougies par l’effort pour deviner qu’il aura encore chaud un moment. Essuyant sa frimousse dans le coude de sa manche pour faire disparaître la perspiration contre sa peau, il sourit de toutes ses dents en sentant la main d’Aimable se refermer sur lui, se gaussant en silence d’avoir reçu des mots d’encouragement.
Comme un chiot flatté par son maître, ses yeux verts s'illuminent en entendant la proposition offerte. Comment pourrait-il refuser de passer davantage de temps avec Aimable. Le gamin s'apprête à répondre qu'un gargouillement plaintif se fait entendre chez l'autre homme. Très prestement suivi par le ventre de June répondant aussi à l'appel. Sourire goguenard sur le minois, il pose sa main libre sur son abdomen et décroche son plus joli sourire à son mentor.
« Je pourrais avaler un cerf. »
Il n’est pas pudique, ce petit là, et c’est après avoir couru – oui, il a encore de l’énergie – pour déposer son épée dans les racks prévus à cet effet qu’il revient près d’Aimable et le prend par le bras, subitement bien guilleret à l’idée de se remplir la panse.
« Les gardes parlaient d’une nouvelle auberge qui aurait ouvert près de la Seine, ils y serviraient un ragoût avec beaucoup de viande. »
S’il salive d’avance en mentionnant le mot viande, il rigole joyeusement et continue de tirer Aimable dans les couloirs. La lumière joue sur leurs deux silhouettes, d’ombre à lumière et ombre encore. Le duo n’est pas l’un que l’on croise tous les jours, mais à l’engouement dans la voix de June, on pourrait croire que l’homme à son bras n’est nul autre que son propre père.
Peut-être un jour Aimable l’estimera-t-il suffisamment preux pour lui apprendre ses propres techniques. Mais June ne sautera pas les étapes et montera les marches une par une, gravira les échelons jusqu’à un jour parvenir à atteindre le modèle qui lui est si cher. Un jour peut-être, même, sera-t-il celui qu’une jeune recrue regardera avec l’œil idéaliste d’un fervent combattant. Mais avant tout cela, il lui faudrait peaufiner son art, ses valeurs, et surtout la fortitude de son cœur. Tout n’était pas une question de force, et il en était profondément conscient.
Mais tout ceci importe peu. June aura toute sa vie pour grandir et devenir meilleur. Toute sa vie pour parvenir à atteindre ce sommet dans son art. Peut-être même, temps aidant, arrivera-t-il même à créer ses propres techniques. L’idée réveille l’excitation au fond de son cœur d’enfant, mais il ne doit pas se dissiper. Pas se perdre en milles idées, non. Maintenant tout ce qui compte, c’était d’être concentré, de ne pas perdre son objectif des yeux. Et même lorsque le soleil continue sa course, ce n’est que lorsqu’Aimable sonne enfin le glas de leur entraînement que June réalise, tardivement, son degré d’épuisement.
Laissant enfin tomber sa garde, la pointe de son épée touchant le sol, ses épaules sont affaissées, ses vêtements trempés de sueur, mais la chaleur du jour l’empêche d’avoir froid. De toute façon, il suffit de voir ses joues rougies par l’effort pour deviner qu’il aura encore chaud un moment. Essuyant sa frimousse dans le coude de sa manche pour faire disparaître la perspiration contre sa peau, il sourit de toutes ses dents en sentant la main d’Aimable se refermer sur lui, se gaussant en silence d’avoir reçu des mots d’encouragement.
Comme un chiot flatté par son maître, ses yeux verts s'illuminent en entendant la proposition offerte. Comment pourrait-il refuser de passer davantage de temps avec Aimable. Le gamin s'apprête à répondre qu'un gargouillement plaintif se fait entendre chez l'autre homme. Très prestement suivi par le ventre de June répondant aussi à l'appel. Sourire goguenard sur le minois, il pose sa main libre sur son abdomen et décroche son plus joli sourire à son mentor.
« Je pourrais avaler un cerf. »
Il n’est pas pudique, ce petit là, et c’est après avoir couru – oui, il a encore de l’énergie – pour déposer son épée dans les racks prévus à cet effet qu’il revient près d’Aimable et le prend par le bras, subitement bien guilleret à l’idée de se remplir la panse.
« Les gardes parlaient d’une nouvelle auberge qui aurait ouvert près de la Seine, ils y serviraient un ragoût avec beaucoup de viande. »
S’il salive d’avance en mentionnant le mot viande, il rigole joyeusement et continue de tirer Aimable dans les couloirs. La lumière joue sur leurs deux silhouettes, d’ombre à lumière et ombre encore. Le duo n’est pas l’un que l’on croise tous les jours, mais à l’engouement dans la voix de June, on pourrait croire que l’homme à son bras n’est nul autre que son propre père.
Sam 6 Fév - 21:04
Avaler un cerf ?
La réponse du jeune homme lui arrache un de ses bien rares sourires. Son visage, ses yeux, s’en éclaircissent. Il oublie sa fatigue, la lassitude de ses membres ou l’épuisement qui tire ses muscles ; à croire qu’elles ont bénéficié de l’huile de coude, ses articulations ne lui paraissent plus si rouillées. L’entraînement l’a-t-il donc suffisamment défoulé pour que l’Ouroboros nourrisse ses veines ? Non. Le sourire de June, son rire, sa simple présence sont des remontants pour son âme usée. Il se gorge de sa lumière et ne tient plus cure de son éblouissement ; il s’immerge dans sa chaleur et se concentre sur toutes ces sensations si douces, si différentes de celles auxquelles il est accoutumé. Oh l’usure lui paraît si loin ; avec lui à ses côtés, il se sent prêt à tout affronter.
Constantin lui procure le même effet. Les côtoyer, c’est boire jusqu’à plus soif d’un alcool entêtant. Le bonheur le noie, la joie est une ivresse qui efface ses peines et ses fardeaux. Oh, qu’elle est loin la tristesse ! Et la Voix elle-même n’est plus qu’un murmure lointain auquel il porte à peine attention. Elle n’est qu’un grognement rauque au fond de son esprit, si discrète qu’elle préfère se taire lorsque June lève les yeux vers les siens. Elle se tapit loin des regards et quelques secondes, Aimable profite de pouvoir contempler les prunelles de son ami. Il prend soin d’en étudier jusqu’au plus discret reflet, le laissant contempler à sa guise l’océan mêlé de ciel qu’abrite ses paupières. Le jeune homme discerne probablement l’affection qui pétille, éclats de bonheur ravivé par le plissement des pattes d’oie au coin de ses yeux.
Le faciès d’habitude si figé d’Aimable est probablement l’un des plus expressifs qu’il soit, lorsqu’on prête attention aux détails de ses traits. Lorsque la Voix se tait, elle laisse place à l’Homme et à son âme sensible. Si tendre qu’elle rougit, lorsque le jeune homme saisit son bras pour le conduire.
La résistance qu’il oppose ne s’éternise guère et finalement, Aimable allonge l’allure. Son pas est long, assuré, l’homme est un marcheur. Habitué à parcourir son domaine et les montagnes ; parfois, deux pieds sont plus sûrs que quatre pattes. Ses yeux s’abaissent vers la tignasse du jeune homme et il se retient difficilement de le recoiffer, préférant observer les chemins qu’ils remontent. A ses côtés, il ressent le cliquetis familier du fourreau qui heurte régulièrement sa ceinture ; sa main s’y dépose pour l’apaiser.
_ Comment vas-tu ? Comment se sont passées ces dernières semaines à Paris ?
Il est toujours inquiet pour lui. Un garçon comme lui… Oh, s’il avait été à sa place, il aurait été un poussin réfugié sous l’aile protectrice d’Ulric. Farouche et timide, Aimable s’est longtemps contenté de sa seule fratrie ; son mariage l’a poussé à s’ouvrir davantage aux autres, Constantin l’y a encouragé. Et à la mort de Baptiste, Aimable avait senti sa chrysalide se déchirer. Bien avant l’heure, c’eut été un papillon aux ailes atrophiées qui s’en était extirpé. Si peu à l’aise dans ce monde, cette haute société, qu’il privilégiait le confort d’un domaine perdu dans les neiges éternelles que la chaleur des palais.
Ironie du sort, Dieu facétieux l’avait doté d’une autorité bien contradictoire à sa pusillanimité. Il y a de cela quelques mois, Aimable était ainsi intervenu lors d’une dispute entre deux gardes ; les hommes s’étaient saisis par le collet. Jusqu’à ce qu’Aimable les sépare. Son corps s’était interposé, mais ce n’eut été pas son corps qui mit fin au conflit. Ce fut son regard. Son regard et sa voix.
Sa voix avait toujours été étrange, alliant douceur, élégance, à une tonalité brutale, faite de grognements, de sons rauques, une articulation cassante. Et les peu de fois où il n’avait d’autres choix que museler sa timidité, c’eut été un véritable loup qui montrait les crocs. Alors, la voix résonnait dans sa cage thoracique et celle des autres, elle tonnait comme l’orage. Il n’avait pas même besoin de crier, c’eut été une force provenant du fin fond de ses entailles, témoignant d’un coffre bien plus profond qu’il ne le laissait voir.
D’ailleurs, June fait partie des seules âmes passant outre sa froideur, l’intimidation dont il fait preuve. Derrière cette apparence se terre un cœur tendre, sensible, d’un homme qui rechigne à tuer. D’un homme qui préfère le pardon et la compassion, au point de s’en interdire l’émotion même de la colère. Il est déjà arrivé qu’on le provoque, à ce qu’on lui manque de respect, et qu’Aimable préfère baisser la tête avec humilité. Faiblesse, diraient certains. Même Ulric a déjà haussé la voix pour protéger l’honneur de son frère.
Les combats rhétoriques sont des batailles qu’il est persuadé de perdre. Il suffit d’une pique pour le désarçonner et qu’il en oublie le maniement des mots. C’est derrière le bouclier du silence qu’il se réfugie, attendant patiemment à ce que son adversaire le délaisse. Subissant les coups en serrant les dents. Les critiques assassines, il les reçoit sans jamais les rendre.
Aimable aimerait avoir le courage de dire la vérité à June. De lui faire part de son plaisir d’être à ses côtés. Mais la bravoure l’abandonne, les mots aussi, s’empressent de fuir ce champ de bataille. L’émotion survit tant bien que mal sans armées pour porter ses couleurs ; et pourtant ! Vaillante, elle vit encore dans ses veines, c’est une chaleur dans le torse, sur les joues, c’est l’envie de sourire, de rire ! De glisser sa main dans ses cheveux, de le ramener contre son torse, le garder sous son aile. Il est si complexe d’être muet, la bouche scellée par l’éducation et le silence qui a tant bercé son enfance. Les longs repas sans qu’un seul mot ne soit échangé. Les seules interventions eurent été celles de Côme, auxquelles Ulric mettait fin d’un coup de pieds.
Chez eux, les mots sont futiles, inutiles. Seuls les actes parlent.
Et son sourire est peut-être, à lui seul, le seul porte-étendard dont son affection ait besoin.
La réponse du jeune homme lui arrache un de ses bien rares sourires. Son visage, ses yeux, s’en éclaircissent. Il oublie sa fatigue, la lassitude de ses membres ou l’épuisement qui tire ses muscles ; à croire qu’elles ont bénéficié de l’huile de coude, ses articulations ne lui paraissent plus si rouillées. L’entraînement l’a-t-il donc suffisamment défoulé pour que l’Ouroboros nourrisse ses veines ? Non. Le sourire de June, son rire, sa simple présence sont des remontants pour son âme usée. Il se gorge de sa lumière et ne tient plus cure de son éblouissement ; il s’immerge dans sa chaleur et se concentre sur toutes ces sensations si douces, si différentes de celles auxquelles il est accoutumé. Oh l’usure lui paraît si loin ; avec lui à ses côtés, il se sent prêt à tout affronter.
Constantin lui procure le même effet. Les côtoyer, c’est boire jusqu’à plus soif d’un alcool entêtant. Le bonheur le noie, la joie est une ivresse qui efface ses peines et ses fardeaux. Oh, qu’elle est loin la tristesse ! Et la Voix elle-même n’est plus qu’un murmure lointain auquel il porte à peine attention. Elle n’est qu’un grognement rauque au fond de son esprit, si discrète qu’elle préfère se taire lorsque June lève les yeux vers les siens. Elle se tapit loin des regards et quelques secondes, Aimable profite de pouvoir contempler les prunelles de son ami. Il prend soin d’en étudier jusqu’au plus discret reflet, le laissant contempler à sa guise l’océan mêlé de ciel qu’abrite ses paupières. Le jeune homme discerne probablement l’affection qui pétille, éclats de bonheur ravivé par le plissement des pattes d’oie au coin de ses yeux.
Le faciès d’habitude si figé d’Aimable est probablement l’un des plus expressifs qu’il soit, lorsqu’on prête attention aux détails de ses traits. Lorsque la Voix se tait, elle laisse place à l’Homme et à son âme sensible. Si tendre qu’elle rougit, lorsque le jeune homme saisit son bras pour le conduire.
La résistance qu’il oppose ne s’éternise guère et finalement, Aimable allonge l’allure. Son pas est long, assuré, l’homme est un marcheur. Habitué à parcourir son domaine et les montagnes ; parfois, deux pieds sont plus sûrs que quatre pattes. Ses yeux s’abaissent vers la tignasse du jeune homme et il se retient difficilement de le recoiffer, préférant observer les chemins qu’ils remontent. A ses côtés, il ressent le cliquetis familier du fourreau qui heurte régulièrement sa ceinture ; sa main s’y dépose pour l’apaiser.
_ Comment vas-tu ? Comment se sont passées ces dernières semaines à Paris ?
Il est toujours inquiet pour lui. Un garçon comme lui… Oh, s’il avait été à sa place, il aurait été un poussin réfugié sous l’aile protectrice d’Ulric. Farouche et timide, Aimable s’est longtemps contenté de sa seule fratrie ; son mariage l’a poussé à s’ouvrir davantage aux autres, Constantin l’y a encouragé. Et à la mort de Baptiste, Aimable avait senti sa chrysalide se déchirer. Bien avant l’heure, c’eut été un papillon aux ailes atrophiées qui s’en était extirpé. Si peu à l’aise dans ce monde, cette haute société, qu’il privilégiait le confort d’un domaine perdu dans les neiges éternelles que la chaleur des palais.
Ironie du sort, Dieu facétieux l’avait doté d’une autorité bien contradictoire à sa pusillanimité. Il y a de cela quelques mois, Aimable était ainsi intervenu lors d’une dispute entre deux gardes ; les hommes s’étaient saisis par le collet. Jusqu’à ce qu’Aimable les sépare. Son corps s’était interposé, mais ce n’eut été pas son corps qui mit fin au conflit. Ce fut son regard. Son regard et sa voix.
Sa voix avait toujours été étrange, alliant douceur, élégance, à une tonalité brutale, faite de grognements, de sons rauques, une articulation cassante. Et les peu de fois où il n’avait d’autres choix que museler sa timidité, c’eut été un véritable loup qui montrait les crocs. Alors, la voix résonnait dans sa cage thoracique et celle des autres, elle tonnait comme l’orage. Il n’avait pas même besoin de crier, c’eut été une force provenant du fin fond de ses entailles, témoignant d’un coffre bien plus profond qu’il ne le laissait voir.
D’ailleurs, June fait partie des seules âmes passant outre sa froideur, l’intimidation dont il fait preuve. Derrière cette apparence se terre un cœur tendre, sensible, d’un homme qui rechigne à tuer. D’un homme qui préfère le pardon et la compassion, au point de s’en interdire l’émotion même de la colère. Il est déjà arrivé qu’on le provoque, à ce qu’on lui manque de respect, et qu’Aimable préfère baisser la tête avec humilité. Faiblesse, diraient certains. Même Ulric a déjà haussé la voix pour protéger l’honneur de son frère.
Les combats rhétoriques sont des batailles qu’il est persuadé de perdre. Il suffit d’une pique pour le désarçonner et qu’il en oublie le maniement des mots. C’est derrière le bouclier du silence qu’il se réfugie, attendant patiemment à ce que son adversaire le délaisse. Subissant les coups en serrant les dents. Les critiques assassines, il les reçoit sans jamais les rendre.
Aimable aimerait avoir le courage de dire la vérité à June. De lui faire part de son plaisir d’être à ses côtés. Mais la bravoure l’abandonne, les mots aussi, s’empressent de fuir ce champ de bataille. L’émotion survit tant bien que mal sans armées pour porter ses couleurs ; et pourtant ! Vaillante, elle vit encore dans ses veines, c’est une chaleur dans le torse, sur les joues, c’est l’envie de sourire, de rire ! De glisser sa main dans ses cheveux, de le ramener contre son torse, le garder sous son aile. Il est si complexe d’être muet, la bouche scellée par l’éducation et le silence qui a tant bercé son enfance. Les longs repas sans qu’un seul mot ne soit échangé. Les seules interventions eurent été celles de Côme, auxquelles Ulric mettait fin d’un coup de pieds.
Chez eux, les mots sont futiles, inutiles. Seuls les actes parlent.
Et son sourire est peut-être, à lui seul, le seul porte-étendard dont son affection ait besoin.
Mer 17 Fév - 1:31
Pourquoi avoir besoin de plus que ça ? June ne comprendrait peut-être jamais la majorité des gens, pas lorsqu’il s’agissait de l’homme à ses côtés. S’il n’est pas en France depuis bien longtemps, son temps passé au sein de la garde aura eu le mérite de lui apprendre que les français ne sont pas bien différents de la majorité des gens. Les racontars sont souvent bien plus vite semés que l’on ne le voudrait, une simple phrase, un seul comportement suffisant pour jeter en désuétude des semaines, voire même des mois d’efforts. Il l’avait vu avec bien des hommes, ceux-là même qui vendent leurs pairs pour le bien d’un grade, d’une promotion, ou d’un simple pécule. On dit que la fraternité est ce qui soude tous les hommes d’une armée entre eux. Mais aujourd’hui plus qu’hier, et demain probablement bien plus encore, il sait que ceux en qui l’on doit avoir confiance sont ceux qui le prouvent de leurs hauts faits.
June n’est pas genre d’homme à juger sur les ouï-dire. Sot aurait-il été de penser que si peu pouvait suffire à justifier des croyances, des actes, ou encore même de la bravoure d’un homme. L’apprentissage de l’art de la guerre est long et fastidieux. Celui de la stratégie demande quant à lui un esprit bien plus cartésien que la majorité n’accepterait de l’entendre. Et pour tout le reste, il ne fallait se fier qu’à l’instinct.
Tout pourrait se limiter à ces simples faits. Tout si seulement il ne pouvait pas juste voir sans nécessiter la moindre preuve. Mais June n’est pas fait que de chair et de sang. L’addiction est si viscérale qu’elle pourrait sûrement le pousser à passer outre bien des affronts. Lui au cœur d’enfant qui n’aura jamais cessé de trouver le prochain coup qui l’éloignera de l’oisiveté et du repos. Ses mains se referment sur un bras puissant, là où sous le tissu la chaleur de l’exercice laisse les peaux poisseuses, repoussantes pour le commun des mortels. Mais c’est dans l’odeur de la sueur et du labeur qu’il trouve ce qui le fait respirer. Aimable à ses côtés est tout ce que l’armée refuse de cautionner. Un homme autoritaire qui n’aura jamais trouvé son envolée. Un homme puissant qui n’aura jamais été reconnu à son juste titre. Était-ce la faute d’un frère trop lumineux ? Ulric avait-il enterré les exploits de son propre frère ? Non. Non, June ne pouvait y croire. Ne pouvait croire que les de Bayard puissent être autre chose que des bêtes de puissance, de savoir et de génie.
Comme une boussole attirée par le magnétisme quasi magique du nord, June lui ne se laisse prendre qu’aux réalités du pouvoir. Et s’il ne sait pas que ce qui l’attire est un démon, il trouve pourtant tout ce dont il n’aurait jamais pu rêver dans la compagnie de cet homme. Une figure paternelle dépassant le simple entendement. Que fallait-il de plus ?
« Je me perds encore dans les quartiers au sud de la Seine. Tu peux croire toi, que si tu ne suis pas la rive du canal Saint-Martin, tu arrives directement au cimetière ? »
Un commentaire sans aucune importance, mais c’était bien là le signe de son aisance en cette grande compagnie. Si parfois June doit accélérer le pas le temps d’un battement pour compenser les enjambées d’Aimable, il ne s’en plaint pas. Un fils heureux de la compagnie de celui qui lui a tout appris.
« Il faut dire que je passe sûrement trop de temps à m’entraîner. Et qu’à côté de ça, j’ai sûrement trop dépensé sur quelques joies un peu éphémères. »
Il rougit, bon enfant, pas par honte, mais par jeu. Parce que l’alcool et les femmes ne sont un mal que personne ne peut lui reprocher. Les langues une fois déliées sont si faciles à comprendre. Il a entendu, ces hommes qui parlent d’Aimable comme d’une bête étrange. Parlent de comportements inexplicables ou inexpliqués. D’une bête féroce. Oui, June peut voir, comment ce grand corps tout de muscle cousu pourrait être comparé à l’instar d’un monstre. Mais dans des sourires discrets, dans la douceur de ce regard marqué par le temps, June ne réalise pas que la sagesse de ses traits n’est que l’usure du mal.
« Mais j’ai entendu que Paris allait devenir puanteur lorsque la chaleur reviendrait. Est-ce vrai que la Seine cache un vice peut-être pire que celui du malin ? Ah, la hâte m’échappe, j’essaierai plutôt de trouver un endroit calme pour échapper à l’odeur… »
Les pavés s’enchaînent, les rues se ressemblent toutes, et si June a fini par relâcher son compagnon, c’est pour faire quelques pas d’avance sur lui, pointer le monde du doigt, rire d’une histoire, d’un chat, relever un enfant ayant trébuché dans la rue. La vie ne cesse jamais d’exister autour de lui. Et lorsqu’enfin ils atteignent leur destination, June pousse la porte de bois comme s’il rentrait chez lui. Il n’est jamais venu, non, mais quel hôte refuserait pareil sourire ? D’un geste de la main, non sans avoir salué le tenancier de l’auberge, June invite Aimable à le suivre, l’odeur alléchante lui mettant l’eau à la bouche. Le monde est fait de choses simples, après tout. Lui n’a pas besoin de plus. Pas besoin d’une preuve quelconque. Si June est un soleil d’été, Aimable est à son cœur un phare au beau milieu de la nuit.
June n’est pas genre d’homme à juger sur les ouï-dire. Sot aurait-il été de penser que si peu pouvait suffire à justifier des croyances, des actes, ou encore même de la bravoure d’un homme. L’apprentissage de l’art de la guerre est long et fastidieux. Celui de la stratégie demande quant à lui un esprit bien plus cartésien que la majorité n’accepterait de l’entendre. Et pour tout le reste, il ne fallait se fier qu’à l’instinct.
Tout pourrait se limiter à ces simples faits. Tout si seulement il ne pouvait pas juste voir sans nécessiter la moindre preuve. Mais June n’est pas fait que de chair et de sang. L’addiction est si viscérale qu’elle pourrait sûrement le pousser à passer outre bien des affronts. Lui au cœur d’enfant qui n’aura jamais cessé de trouver le prochain coup qui l’éloignera de l’oisiveté et du repos. Ses mains se referment sur un bras puissant, là où sous le tissu la chaleur de l’exercice laisse les peaux poisseuses, repoussantes pour le commun des mortels. Mais c’est dans l’odeur de la sueur et du labeur qu’il trouve ce qui le fait respirer. Aimable à ses côtés est tout ce que l’armée refuse de cautionner. Un homme autoritaire qui n’aura jamais trouvé son envolée. Un homme puissant qui n’aura jamais été reconnu à son juste titre. Était-ce la faute d’un frère trop lumineux ? Ulric avait-il enterré les exploits de son propre frère ? Non. Non, June ne pouvait y croire. Ne pouvait croire que les de Bayard puissent être autre chose que des bêtes de puissance, de savoir et de génie.
Comme une boussole attirée par le magnétisme quasi magique du nord, June lui ne se laisse prendre qu’aux réalités du pouvoir. Et s’il ne sait pas que ce qui l’attire est un démon, il trouve pourtant tout ce dont il n’aurait jamais pu rêver dans la compagnie de cet homme. Une figure paternelle dépassant le simple entendement. Que fallait-il de plus ?
« Je me perds encore dans les quartiers au sud de la Seine. Tu peux croire toi, que si tu ne suis pas la rive du canal Saint-Martin, tu arrives directement au cimetière ? »
Un commentaire sans aucune importance, mais c’était bien là le signe de son aisance en cette grande compagnie. Si parfois June doit accélérer le pas le temps d’un battement pour compenser les enjambées d’Aimable, il ne s’en plaint pas. Un fils heureux de la compagnie de celui qui lui a tout appris.
« Il faut dire que je passe sûrement trop de temps à m’entraîner. Et qu’à côté de ça, j’ai sûrement trop dépensé sur quelques joies un peu éphémères. »
Il rougit, bon enfant, pas par honte, mais par jeu. Parce que l’alcool et les femmes ne sont un mal que personne ne peut lui reprocher. Les langues une fois déliées sont si faciles à comprendre. Il a entendu, ces hommes qui parlent d’Aimable comme d’une bête étrange. Parlent de comportements inexplicables ou inexpliqués. D’une bête féroce. Oui, June peut voir, comment ce grand corps tout de muscle cousu pourrait être comparé à l’instar d’un monstre. Mais dans des sourires discrets, dans la douceur de ce regard marqué par le temps, June ne réalise pas que la sagesse de ses traits n’est que l’usure du mal.
« Mais j’ai entendu que Paris allait devenir puanteur lorsque la chaleur reviendrait. Est-ce vrai que la Seine cache un vice peut-être pire que celui du malin ? Ah, la hâte m’échappe, j’essaierai plutôt de trouver un endroit calme pour échapper à l’odeur… »
Les pavés s’enchaînent, les rues se ressemblent toutes, et si June a fini par relâcher son compagnon, c’est pour faire quelques pas d’avance sur lui, pointer le monde du doigt, rire d’une histoire, d’un chat, relever un enfant ayant trébuché dans la rue. La vie ne cesse jamais d’exister autour de lui. Et lorsqu’enfin ils atteignent leur destination, June pousse la porte de bois comme s’il rentrait chez lui. Il n’est jamais venu, non, mais quel hôte refuserait pareil sourire ? D’un geste de la main, non sans avoir salué le tenancier de l’auberge, June invite Aimable à le suivre, l’odeur alléchante lui mettant l’eau à la bouche. Le monde est fait de choses simples, après tout. Lui n’a pas besoin de plus. Pas besoin d’une preuve quelconque. Si June est un soleil d’été, Aimable est à son cœur un phare au beau milieu de la nuit.
Jeu 18 Fév - 9:53
June est bavard.
Pas plus qu’un autre, mais pour un homme accoutumé au silence, c’est la constatation qui s’échappe, accompagnée d’un sourire attendri. Parfois, il lui rappelle Isabeau : l’enfant, du haut de ses 7 ans, qui court jusqu’à lui et clame à grands cris son combat contre un adversaire imaginaire. Ainsi, un simple lézard se transforme en dragon, et le sceau dans lequel il l’a emprisonné n’est autre que le bouclier qui l’a assommé. Richard est bien plus paisible ; dans ses yeux gris, l’innocence côtoie une sagesse surprenante pour son âge et Aimable lui-même se sent bien bête lorsque son fils le regarde.
Silence… Avec une certaine surprise, il remarque que la Voix se tairait presque en présence du jeune soldat. Elle n’est qu’un bruit de fonds, fait de sons sans sens, d’émotions si lointaines qu’il se contente de les observer sans plus se sentir submerger. C’est un océan, dont les vagues effleurent ses pieds. Dont le chant, fait de grognements et de raclements, l’apaise et le rassure par sa familiarité. La Voix est calme et Aimable marche à ses côtés, ne tenant que d’une main distraite son collet. Parfois, il arrive qu’Ils s’entendent, tous deux. Qu’Ils acceptent de vivre, ensemble, le moment qui s’offre à eux. Et Aimable la remercie de rester si tranquille. De le laisser savourer ce moment précieux.
Être comme n’importe qui et pouvoir offrir toute son attention à June, ce qui les entoure. Vivre, vivre et non pas s’emprisonner dans des pensées que personne ne comprend, une réalité intangible, impalpable, réalité quand même, la réalité de cette Voix qui vit dans sa tête et qui blesse. Elle a tant dévoré. Son enfance. Ses rêves, ses espoirs, elle les a déchiquetés et c’est vers sa famille, son entourage qu’elle ne cesse de lorgner. Si seulement il n’avait été que sa victime… ! Non. Non, il ne faut pas se laisser emmener, il sent déjà l’eau qui monte jusqu’à ses chevilles, cette vérité qui ne demande qu’à le noyer. Alors il recule, il retrouve la berge, le bras qui tire le sien, le pas à ses côtés. Le sourire de June est une corde à laquelle il compte bien s’accrocher, malgré l’ancre qui scelle ses pieds.
Un jour, il coulera.
Un jour, il se noiera.
_ Un détour ne peut que te permettre de défouler ta fougue. Et je puis t’affirmer que le jour où ton corps fatiguera, ton esprit y palliera.
N’était-ce pas ainsi qu’il agit chaque jour ? Il se sent usé. Malgré sa trentaine d’années, ses cheveux se grisent sous l’arrivée d’un hiver précoce, d’une vieillesse abrupte. En peu de temps de vie, il a vécu plus que d’autres, l’esprit sans cesse torturé par des visions cauchemardesques, des fantômes dont les griffes acérées tracent leurs histoires sur sa peau. Les rides qui s’étirent sur son front, au coin de ses yeux, ne sont que les tombes où s’enfonce son humanité, tapie au fond de sa chair, c’est la Voix qui la ronge par la racine. Les orbites creusées par les cernes, ses yeux disparaissent sous la pénombre de son ossature, l’âme avalée par le Démon qui l’habite. Ses muscles sont raides, constamment tendus, cherchant sans cesse à contenir les assauts de la Bête emprisonnée dans sa cage thoracique. Le temps passe et comme une corde s’use, il sent ses forces se réduire.
Et lorsque l’Ouroboros prend le dessus, les changements ont lieu. La raideur s’évanouit. Une force indescriptible le saisit, c’est un feu incandescent, du métal en fusion qui se déverse dans ses veines, la chaleur monte et une rage ! Une rage qui gagne son cœur, sa gorge, sa conscience s’embrase, elle part en poussière. Les feux de l’enfer l’éblouissent et pourtant, ses poumons se noient d’eau, la Bête l’enfonce. Ses émotions mais d’autres choses le submergent et au final, la lumière n’est qu’un lointain souvenir, au fond de l’obscurité pesante de son inconscient.
Un enfant trébuche. Déjà, Aimable s’avance d’un pas, sa main s’apprête à se refermer sur la ceinture du petit pour le retenir. Comme avec Isabeau. Oh le petit malicieux grimpe à tout ce qui s’offre à lui – bancs, rochers, murs de l’enceinte ou encore, les épaules du puissant Ulric. Aucun adversaire ne le fait trembler ! Au grand dam de son père. Quelle peur a-t-il eue lorsqu’il l’a trouvé fièrement debout sur la branche du grand pommier, le visage fendu d’un grand sourire – la vision de son petit corps au crâne éclaté. Mais June l’a devancé. Avec douceur et spontanéité, il remet le bambin sur ses pieds. Il ferait un bon père. Sa vie lui fait du bien. Les ombres, les lumières, il n’en prend plus garde. Son regard suit le sien et parfois, son rire résonne si fort dans sa chair qu’il parvient à sourire avec la même innocence. Il a la sensation de découvrir Paris sous un autre œil – le sien. Et c’est si beau ! Le chat au pelage touffu lui donne l’envie d’y plonger sa main, la manière dont le félin les regarde lui procure une délicieuse sensation de familiarité. Et comme si June eut été son frère, il le lui murmure avec complicité.
_ Baptiste me regarde avec le même air quand je passe devant son bureau. En réalité, je pense qu'il faisait la sieste. Mon passage avait dû le réveiller…
Sa famille, June la connaît probablement. Aimable parle beaucoup de ses frères aînés. Quelques fois des autres. Et plus rarement, de son épouse ou ses enfants. Pour autant, il suffit de voir son visage qui s’éclaire pour comprendre à quel point il les aime.
_ Trop de temps ? … Si tu y passais moins de temps, tu ne tiendrais pas en place. Le temps est comme une bourse, libre à toi de décider dans quoi tu l’investis. Ces plaisirs… éphémères comme tu dis apportent aussi l’énergie dont tu as besoin pour t’entraîner. N’en rougis pas. Tu es jeune… Profite.
Naïvement, Aimable pense aux bons repas. Lui-même est un homme gourmand, appréciant la bonne chère. Il fait même preuve de voracité et il n’est pas rare qu’il aide les membres de sa famille à terminer leurs assiettes. Pour amour, il a son épouse et n’en demande pas davantage. Rien ne vaut la tendresse de ses cuisses épaisses, la douceur de ses mains potelées sur son corps abîmé et la délicatesse de ses lèvres sur les siennes usées.
_ Oh oui. La Seine est nauséabonde lorsqu’il fait chaud.
Son nez se fronce comme celui d’un chien. Et pour qu’Aimable prononce ces mots, cela laisse comprendre la gravité de la situation à Paris.
_ Prends garde, d’ailleurs. L’eau est souvent… eh bien… peu digérable à cette période de l’année. Le nombre de malades va en croissant.
Il craint la peste. L’hiver… étouffe, les malades se meurent au fond de leurs chaumières. En été, les miasmes rôdent dans la moindre flaque d’eau.
Lorsqu’ils entrent dans l’auberge, Aimable laisse June passer devant lui. Gardien protecteur, il reste dans son dos et sous ses sourcils broussailleux, son regard vif observe rapidement les environs. Deux hommes bien portants n’ont rien à craindre – si ce n’eut été la fierté gonflée d’alcools de certains ivrognes. Etrangement, ce n’est qu’à la capitale où Aimable a été confronté aux instincts territoriaux de quelques bêtes. A croire que la sauvagerie humaine flamboie sous l’alcool maison ou que la Seine ne distille bien le poison du Malin. La haine se ravive, ils sont là, à chercher la violence, charognards avides de chairs et de sang pour repaître la blessure d’un ego malmené ou d’un ventre vide. Empli de vins, de bière ou pis, ce n’est pas ainsi qu’ils peuvent satisfaire leur appétit.
Et combien même Aimable ne s’inquiète pas tant pour lui, c’est naturellement pour June qu’il s’en préoccupe. Un beau garçon comme lui, belle gueule et corps vif, peut attirer les jalousies, les convoitises ; en lui, l’on peut voir l’image d’un adversaire parfait, d’un symbole à briser. Celui d’une vie réussie, où un garçon à la force de l’âge a su éclore en toute magnificence, sourire éclatant, noblesse des traits, charisme jusqu’au bout des cils. Ses mains témoignent de son labeur, du travail et de l’entêtement, mais les imbéciles ne voient que ce qu’ils exècrent, s’imaginent une chance qu’il n’a pas toujours eu, envient sa position, son assurance ou simplement, le bonheur qu’il affiche.
Quand on approche Aimable, c’est tout autre chose. Non. C’est se débarrasser d’un chien qu’on craint enragé. C’est s’écarter d’une ombre que l’on a appris à craindre ou la chasser avec une torche embrasée. C’est écarter un danger que l’on ne sait pas nommer – celui qui donne la chair de poule lorsqu’on tend à le regarder. Instinct territorial ? Non. C’est l’instinct de survie qui parle. Lorsque les sens s’éteignent sous les embrasées de l’alcool, que la raison se noie, il ne reste que des Animaux guidés par les besoins les plus viscéraux. L’un chasse alors que les autres se battent pour survivre.
Un geste arrache Aimable de son observation. Geste qu’il a lui-même esquissé : sa grande main s’est prudemment déposée entre les omoplates de June. Il ressent sa chaleur, la musculature du jeune poulain encore palpitante sous l’effort, la force qui l’anime. L’énergie qui vit en lui et brille dans ses yeux émeraudes. Ses yeux lui rappellent les forêts qui bordent le monastère de la Chartreuse. Vert… Vert est un mot si court pour décrire toutes les variantes qu’il observe. Les flammes des bougies ravivent le clair des premières feuilles, mais aussi, le sombre des sapins, le vert profond de la mousse, celui plus clair, presque turquoise, du lichen. Tant de jeux de lumières et d’ombre dans ses prunelles et Aimable baisse pudiquement les yeux. Il a l’impression de s’engouffrer dans un endroit qui n’est pas le sien, comme s’il avait égaré dans un bois privé. Alors, sa main s’écarte avec timidité et il préfère s’installer à une table. Il apprécie avoir le mur contre son dos et voir partout autour de lui. A proximité de la porte, en face du tenancier, alors que ses coudes se reposent sur ses cuisses.
_ Outre le dédale des rues de Paris, comment te sens-tu ici ? Parviens-tu à trouver ta place, tes habitudes ? Des amis ? C’est important d’avoir… de bonnes personnes pour s’entourer.
Aimable sait que June vient de loin. Parfois, il aimerait lui demander comment c’était, chez lui, avant. Aimable aime les voyages. La découverte. Comme si changer d’endroits pouvait changer l’esprit ! Parfois, il y croit. Lorsqu’il se réfugie dans un Monastère et que la Voix se tait. Il se demande s’il ne devrait pas changer de pays. Car à Paris, la Voix Hurle. Et dans ses montagnes, la Voix Rit. Parfois, elle est si bruyante qu’il se demande si June l’a déjà entendue. S’il l’a déjà surpris, occupé à se parler à soi-même. A cette pensée, sa main rejoint prudemment son col, effleure la croix qu’il garde dissimulée sous son haut, ses doigts s’en écartent alors qu’un soupir las franchit ses lèvres. Toute la pression de l’entraînement s’appuie sur ses épaules, ses paupières et finalement, il laisse échapper un sourire.
_ Comment tu fais pour avoir autant d’énergie après cette journée ? Je me sens épuisé. Je dormirai bien sur la table, tiens. A croire que je vieillis.
Il laisse échapper un ricanement ; le son est rauque et bref, comme une quinte de toux ou l’aboiement d’un vieux chien. C’est un ronflement qui ébranle sa cage thoracique, ses épaules, avant qu’il ne se reprenne. Son visage reprend son austérité habituelle et pourtant, c’est une malice bien juvénile qui éclaire son regard lorsqu’il le dirige vers June.
_ Et pourtant, quand je suis avec toi, j’ai l’impression de rajeunir de quelques années.
L’aveu est glissé du bout des lèvres. Libéré de quelques années, d’une fatigue et d’une lassitude accumulés. Il n’a jamais été seul, la Voix est toujours là, mais avec June… Avec June, c’est être avec un allié. Finalement, il préfère s’éloigner de ce sujet ; il est bien trop lourd d’émotions pour qu’il prenne le risque de s’y embourber. Il adresse un signe au tenancier.
Lorsqu’il faut passer commande, Aimable s’intéresse quelques secondes à ce qu’on leur propose. Au final, il n’en a retenu que la moitié et prend ce qui lui semble le mieux. Une bonne choppe de bière, amère comme il les aime, du ragoût, il hésite même à en prendre une seconde assiette mais préfère demander une miche de pain. Il a beau essayé de cacher son appétit monstrueux, il finit toujours par se trahir.
_ Prends ce que tu veux. Je te l’offre. Tu l’as mérité après tout ce que tu as fait aujourd’hui.
Le temps est une bourse et Aimable sait où investir ses quelques pièces. Ce n'est pas tant dans l'entraînement, non. C'est dans ce sourire que June lui renvoie. C'est auprès de cette lumière qu'il prend plaisir à se réchauffer. Combien même les ombres dans son dos s'en trouvent renforcées.
Pas plus qu’un autre, mais pour un homme accoutumé au silence, c’est la constatation qui s’échappe, accompagnée d’un sourire attendri. Parfois, il lui rappelle Isabeau : l’enfant, du haut de ses 7 ans, qui court jusqu’à lui et clame à grands cris son combat contre un adversaire imaginaire. Ainsi, un simple lézard se transforme en dragon, et le sceau dans lequel il l’a emprisonné n’est autre que le bouclier qui l’a assommé. Richard est bien plus paisible ; dans ses yeux gris, l’innocence côtoie une sagesse surprenante pour son âge et Aimable lui-même se sent bien bête lorsque son fils le regarde.
Silence… Avec une certaine surprise, il remarque que la Voix se tairait presque en présence du jeune soldat. Elle n’est qu’un bruit de fonds, fait de sons sans sens, d’émotions si lointaines qu’il se contente de les observer sans plus se sentir submerger. C’est un océan, dont les vagues effleurent ses pieds. Dont le chant, fait de grognements et de raclements, l’apaise et le rassure par sa familiarité. La Voix est calme et Aimable marche à ses côtés, ne tenant que d’une main distraite son collet. Parfois, il arrive qu’Ils s’entendent, tous deux. Qu’Ils acceptent de vivre, ensemble, le moment qui s’offre à eux. Et Aimable la remercie de rester si tranquille. De le laisser savourer ce moment précieux.
Être comme n’importe qui et pouvoir offrir toute son attention à June, ce qui les entoure. Vivre, vivre et non pas s’emprisonner dans des pensées que personne ne comprend, une réalité intangible, impalpable, réalité quand même, la réalité de cette Voix qui vit dans sa tête et qui blesse. Elle a tant dévoré. Son enfance. Ses rêves, ses espoirs, elle les a déchiquetés et c’est vers sa famille, son entourage qu’elle ne cesse de lorgner. Si seulement il n’avait été que sa victime… ! Non. Non, il ne faut pas se laisser emmener, il sent déjà l’eau qui monte jusqu’à ses chevilles, cette vérité qui ne demande qu’à le noyer. Alors il recule, il retrouve la berge, le bras qui tire le sien, le pas à ses côtés. Le sourire de June est une corde à laquelle il compte bien s’accrocher, malgré l’ancre qui scelle ses pieds.
Un jour, il coulera.
Un jour, il se noiera.
_ Un détour ne peut que te permettre de défouler ta fougue. Et je puis t’affirmer que le jour où ton corps fatiguera, ton esprit y palliera.
N’était-ce pas ainsi qu’il agit chaque jour ? Il se sent usé. Malgré sa trentaine d’années, ses cheveux se grisent sous l’arrivée d’un hiver précoce, d’une vieillesse abrupte. En peu de temps de vie, il a vécu plus que d’autres, l’esprit sans cesse torturé par des visions cauchemardesques, des fantômes dont les griffes acérées tracent leurs histoires sur sa peau. Les rides qui s’étirent sur son front, au coin de ses yeux, ne sont que les tombes où s’enfonce son humanité, tapie au fond de sa chair, c’est la Voix qui la ronge par la racine. Les orbites creusées par les cernes, ses yeux disparaissent sous la pénombre de son ossature, l’âme avalée par le Démon qui l’habite. Ses muscles sont raides, constamment tendus, cherchant sans cesse à contenir les assauts de la Bête emprisonnée dans sa cage thoracique. Le temps passe et comme une corde s’use, il sent ses forces se réduire.
Et lorsque l’Ouroboros prend le dessus, les changements ont lieu. La raideur s’évanouit. Une force indescriptible le saisit, c’est un feu incandescent, du métal en fusion qui se déverse dans ses veines, la chaleur monte et une rage ! Une rage qui gagne son cœur, sa gorge, sa conscience s’embrase, elle part en poussière. Les feux de l’enfer l’éblouissent et pourtant, ses poumons se noient d’eau, la Bête l’enfonce. Ses émotions mais d’autres choses le submergent et au final, la lumière n’est qu’un lointain souvenir, au fond de l’obscurité pesante de son inconscient.
Un enfant trébuche. Déjà, Aimable s’avance d’un pas, sa main s’apprête à se refermer sur la ceinture du petit pour le retenir. Comme avec Isabeau. Oh le petit malicieux grimpe à tout ce qui s’offre à lui – bancs, rochers, murs de l’enceinte ou encore, les épaules du puissant Ulric. Aucun adversaire ne le fait trembler ! Au grand dam de son père. Quelle peur a-t-il eue lorsqu’il l’a trouvé fièrement debout sur la branche du grand pommier, le visage fendu d’un grand sourire – la vision de son petit corps au crâne éclaté. Mais June l’a devancé. Avec douceur et spontanéité, il remet le bambin sur ses pieds. Il ferait un bon père. Sa vie lui fait du bien. Les ombres, les lumières, il n’en prend plus garde. Son regard suit le sien et parfois, son rire résonne si fort dans sa chair qu’il parvient à sourire avec la même innocence. Il a la sensation de découvrir Paris sous un autre œil – le sien. Et c’est si beau ! Le chat au pelage touffu lui donne l’envie d’y plonger sa main, la manière dont le félin les regarde lui procure une délicieuse sensation de familiarité. Et comme si June eut été son frère, il le lui murmure avec complicité.
_ Baptiste me regarde avec le même air quand je passe devant son bureau. En réalité, je pense qu'il faisait la sieste. Mon passage avait dû le réveiller…
Sa famille, June la connaît probablement. Aimable parle beaucoup de ses frères aînés. Quelques fois des autres. Et plus rarement, de son épouse ou ses enfants. Pour autant, il suffit de voir son visage qui s’éclaire pour comprendre à quel point il les aime.
_ Trop de temps ? … Si tu y passais moins de temps, tu ne tiendrais pas en place. Le temps est comme une bourse, libre à toi de décider dans quoi tu l’investis. Ces plaisirs… éphémères comme tu dis apportent aussi l’énergie dont tu as besoin pour t’entraîner. N’en rougis pas. Tu es jeune… Profite.
Naïvement, Aimable pense aux bons repas. Lui-même est un homme gourmand, appréciant la bonne chère. Il fait même preuve de voracité et il n’est pas rare qu’il aide les membres de sa famille à terminer leurs assiettes. Pour amour, il a son épouse et n’en demande pas davantage. Rien ne vaut la tendresse de ses cuisses épaisses, la douceur de ses mains potelées sur son corps abîmé et la délicatesse de ses lèvres sur les siennes usées.
_ Oh oui. La Seine est nauséabonde lorsqu’il fait chaud.
Son nez se fronce comme celui d’un chien. Et pour qu’Aimable prononce ces mots, cela laisse comprendre la gravité de la situation à Paris.
_ Prends garde, d’ailleurs. L’eau est souvent… eh bien… peu digérable à cette période de l’année. Le nombre de malades va en croissant.
Il craint la peste. L’hiver… étouffe, les malades se meurent au fond de leurs chaumières. En été, les miasmes rôdent dans la moindre flaque d’eau.
Lorsqu’ils entrent dans l’auberge, Aimable laisse June passer devant lui. Gardien protecteur, il reste dans son dos et sous ses sourcils broussailleux, son regard vif observe rapidement les environs. Deux hommes bien portants n’ont rien à craindre – si ce n’eut été la fierté gonflée d’alcools de certains ivrognes. Etrangement, ce n’est qu’à la capitale où Aimable a été confronté aux instincts territoriaux de quelques bêtes. A croire que la sauvagerie humaine flamboie sous l’alcool maison ou que la Seine ne distille bien le poison du Malin. La haine se ravive, ils sont là, à chercher la violence, charognards avides de chairs et de sang pour repaître la blessure d’un ego malmené ou d’un ventre vide. Empli de vins, de bière ou pis, ce n’est pas ainsi qu’ils peuvent satisfaire leur appétit.
Et combien même Aimable ne s’inquiète pas tant pour lui, c’est naturellement pour June qu’il s’en préoccupe. Un beau garçon comme lui, belle gueule et corps vif, peut attirer les jalousies, les convoitises ; en lui, l’on peut voir l’image d’un adversaire parfait, d’un symbole à briser. Celui d’une vie réussie, où un garçon à la force de l’âge a su éclore en toute magnificence, sourire éclatant, noblesse des traits, charisme jusqu’au bout des cils. Ses mains témoignent de son labeur, du travail et de l’entêtement, mais les imbéciles ne voient que ce qu’ils exècrent, s’imaginent une chance qu’il n’a pas toujours eu, envient sa position, son assurance ou simplement, le bonheur qu’il affiche.
Quand on approche Aimable, c’est tout autre chose. Non. C’est se débarrasser d’un chien qu’on craint enragé. C’est s’écarter d’une ombre que l’on a appris à craindre ou la chasser avec une torche embrasée. C’est écarter un danger que l’on ne sait pas nommer – celui qui donne la chair de poule lorsqu’on tend à le regarder. Instinct territorial ? Non. C’est l’instinct de survie qui parle. Lorsque les sens s’éteignent sous les embrasées de l’alcool, que la raison se noie, il ne reste que des Animaux guidés par les besoins les plus viscéraux. L’un chasse alors que les autres se battent pour survivre.
Un geste arrache Aimable de son observation. Geste qu’il a lui-même esquissé : sa grande main s’est prudemment déposée entre les omoplates de June. Il ressent sa chaleur, la musculature du jeune poulain encore palpitante sous l’effort, la force qui l’anime. L’énergie qui vit en lui et brille dans ses yeux émeraudes. Ses yeux lui rappellent les forêts qui bordent le monastère de la Chartreuse. Vert… Vert est un mot si court pour décrire toutes les variantes qu’il observe. Les flammes des bougies ravivent le clair des premières feuilles, mais aussi, le sombre des sapins, le vert profond de la mousse, celui plus clair, presque turquoise, du lichen. Tant de jeux de lumières et d’ombre dans ses prunelles et Aimable baisse pudiquement les yeux. Il a l’impression de s’engouffrer dans un endroit qui n’est pas le sien, comme s’il avait égaré dans un bois privé. Alors, sa main s’écarte avec timidité et il préfère s’installer à une table. Il apprécie avoir le mur contre son dos et voir partout autour de lui. A proximité de la porte, en face du tenancier, alors que ses coudes se reposent sur ses cuisses.
_ Outre le dédale des rues de Paris, comment te sens-tu ici ? Parviens-tu à trouver ta place, tes habitudes ? Des amis ? C’est important d’avoir… de bonnes personnes pour s’entourer.
Aimable sait que June vient de loin. Parfois, il aimerait lui demander comment c’était, chez lui, avant. Aimable aime les voyages. La découverte. Comme si changer d’endroits pouvait changer l’esprit ! Parfois, il y croit. Lorsqu’il se réfugie dans un Monastère et que la Voix se tait. Il se demande s’il ne devrait pas changer de pays. Car à Paris, la Voix Hurle. Et dans ses montagnes, la Voix Rit. Parfois, elle est si bruyante qu’il se demande si June l’a déjà entendue. S’il l’a déjà surpris, occupé à se parler à soi-même. A cette pensée, sa main rejoint prudemment son col, effleure la croix qu’il garde dissimulée sous son haut, ses doigts s’en écartent alors qu’un soupir las franchit ses lèvres. Toute la pression de l’entraînement s’appuie sur ses épaules, ses paupières et finalement, il laisse échapper un sourire.
_ Comment tu fais pour avoir autant d’énergie après cette journée ? Je me sens épuisé. Je dormirai bien sur la table, tiens. A croire que je vieillis.
Il laisse échapper un ricanement ; le son est rauque et bref, comme une quinte de toux ou l’aboiement d’un vieux chien. C’est un ronflement qui ébranle sa cage thoracique, ses épaules, avant qu’il ne se reprenne. Son visage reprend son austérité habituelle et pourtant, c’est une malice bien juvénile qui éclaire son regard lorsqu’il le dirige vers June.
_ Et pourtant, quand je suis avec toi, j’ai l’impression de rajeunir de quelques années.
L’aveu est glissé du bout des lèvres. Libéré de quelques années, d’une fatigue et d’une lassitude accumulés. Il n’a jamais été seul, la Voix est toujours là, mais avec June… Avec June, c’est être avec un allié. Finalement, il préfère s’éloigner de ce sujet ; il est bien trop lourd d’émotions pour qu’il prenne le risque de s’y embourber. Il adresse un signe au tenancier.
Lorsqu’il faut passer commande, Aimable s’intéresse quelques secondes à ce qu’on leur propose. Au final, il n’en a retenu que la moitié et prend ce qui lui semble le mieux. Une bonne choppe de bière, amère comme il les aime, du ragoût, il hésite même à en prendre une seconde assiette mais préfère demander une miche de pain. Il a beau essayé de cacher son appétit monstrueux, il finit toujours par se trahir.
_ Prends ce que tu veux. Je te l’offre. Tu l’as mérité après tout ce que tu as fait aujourd’hui.
Le temps est une bourse et Aimable sait où investir ses quelques pièces. Ce n'est pas tant dans l'entraînement, non. C'est dans ce sourire que June lui renvoie. C'est auprès de cette lumière qu'il prend plaisir à se réchauffer. Combien même les ombres dans son dos s'en trouvent renforcées.
Dim 21 Fév - 3:04
Conseils et recommandations pourraient en d’autres circonstances éveiller son agacement. Il n’était pas un enfant, il n’y avait pas lieu de le reprendre sur tout et pour tout. Il apprenait seul, la capacité ne lui manquait pas. Et s’il était de ces jeunes adultes qui débordent d’un orgueil mal placé envers leurs aînés, ceux-là même qui refusent d’entendre que sagesse est mère de vertu, et que la vertu se perd bien trop vite, il ne serait pas là. Là à guider un homme qui avait tout à lui apprendre, et dont June lui-même ne réaliserait certainement jamais combien il pouvait également lui apporter.
Il est ironique, à son âge, à son envergure d’oisillon ayant à peine déployé ses braves ailes, de penser qu’il pouvait être quoi que ce soit qu’un enfant capricieux volant le temps d’un adulte qui avait certainement bien mieux à faire. A bien des égards, son innocence était ce qui le protégeait de la désillusion et de l’arrogance. Ne pas réaliser ce que l’on est, un jeune homme dans la fleur de l’âge, un duc, un soldat chevronné, un homme plein d’avenir. Était-il sot, ou simplement béat ? La question pèserait sur bien des mondes, mais jamais le sien. Vivant encore de ses rêves, de ses chimères, d’une vie au cours de laquelle jamais rien ne s’est dressé entre lui et la réussite. Son succès, il en est le seul maître, quand bien même les pavés placés sur son chemin lui ont bien des fois permis de ne pas rater les plus belles opportunités. Opportuniste, diront certains. Mais June n’aura jamais démérité de ses succès. Sa présence à Paris en est une preuve infaillible. Et l’homme en sa compagnie était tout ce dont il pouvait avoir besoin pour ne rien regretter. Peu importe les Augustes, les Charles, les rois et les grands noms. June se contenterait éhontément de la compagnie d’un chevalier, d’un frère d’arme, de ce qui lui apporte force, conviction et dévotion.
L’éclat de son rire est joyeux. Comment peut-il ainsi se sentir au sein de sa propre famille en étant si loin des siens ? Comment Aimable était-il parvenu en quelques mois seulement à faire appartenir cet enfant à une famille dont le sang ne lui appartient pas ? Il ne voulait pas d’explication, aucune raison ne serait suffisante. Il suffit de voir les regards qu’ils s’échangent. Deux frères séparés par une génération tout entière. Un père et son fils. June ne changerait tout ceci pour rien au monde.
Un geste de ses bras, montrant ses muscles, s’amusant de ses commentaires, il est adolescent et si garçon dans sa façon de faire. Pourquoi ne pas s’en contenter lorsque rien ne nécessitait qu’il doive encore jouer le rôle du jeune noble ? Combien de fois avait-il oublié que l’étiquette n’était pas celle qu’il appliquait si facilement ? Pourquoi aimait-il tant les forces militaires, après tout ? Parce qu’elles étaient le rempart nécessaire et suffisant à remettre tous les hommes au même niveau. Une méritocratie de la force, de la sagesse et de la stratégie.
Pourtant, à la mention de l’été, de la Seine, de l’eau peu ragoutante, la grimace sur son visage est aussi disgracieuse que l’idée des maladies qu’il finirait par avoir à consommer ce liquide infect. Peut-être trouverait-il à s’enfuir loin de Paris pour les pires semaines de l’été. S’entraîner quelque part. Peu importe où. Même une mission serait la bienvenue. Mais l’idée lui échappe aussi vite qu’ils franchissent le pas de la porte, et c’est une fois installés, l’ambiance plus légère de vos rires mêlés que tu acceptes de commander, précisant cependant.
« Non, c’est moi qui paye, je t’ai forcé à m’entraîner, je te dois bien ça ! »
Et pour bien souligner ce point, June, sur la dernière ligne droite de sa croissance, commande éhontément deux portions du même ragoût avec son plus beau sourire. Dire que lorsque leurs deux miches de pain leur furent apporter, June en fit rapidement le tour serait un euphémisme. Mordant à pleines dents dans sa nourriture, c’est galvanisé et avec l’air subitement bien plus soulagé qu’il souffle doucement.
« Je crois que je me serais évanoui si j’avais dû continuer. »
Avouer ce genre de choses lorsque l’on est soldat, c’est avouer d’une part que l’on a des limites, et que l’on est donc faillible. Mais d’autre part, c’est avant tout et surtout accepter ses propres limites. Les exposer à Aimable ne l’inquiète pas. Il se sait en sécurité, en confiance.
D’une grande rasée d’eau, et dans un soupir de soulagement presque enfantin, June revient enfin se frotter les mains sur le visage et étouffe un bâillement contre ses mains. Probablement cette nuit dormira-t-il de son meilleur sommeil. Mais pour le moment là n’est pas la question. Les deux coudes posés sur la table, attendant sagement sa pitance, menton appuyé contre les paumes de ses mains il demande, visiblement intéressé.
« Dis, comment vont Isabeau et Richard ? Est-il prévu qu’eux et ton épouse descendent te voir à Paris ? »
Oh, Aimable parle peu de sa famille oui. Mais une seule fois, une seule mention, avait été plus que suffisante pour que depuis June ne manque plus aucune occasion de poser la question. Même si comme bien souvent cela réveille un brin de mélancolie dans son regard. C’était ça aussi, de laisser sa vie derrière soi. Il y avait des choses qu’on ne vivrait jamais.
Il est ironique, à son âge, à son envergure d’oisillon ayant à peine déployé ses braves ailes, de penser qu’il pouvait être quoi que ce soit qu’un enfant capricieux volant le temps d’un adulte qui avait certainement bien mieux à faire. A bien des égards, son innocence était ce qui le protégeait de la désillusion et de l’arrogance. Ne pas réaliser ce que l’on est, un jeune homme dans la fleur de l’âge, un duc, un soldat chevronné, un homme plein d’avenir. Était-il sot, ou simplement béat ? La question pèserait sur bien des mondes, mais jamais le sien. Vivant encore de ses rêves, de ses chimères, d’une vie au cours de laquelle jamais rien ne s’est dressé entre lui et la réussite. Son succès, il en est le seul maître, quand bien même les pavés placés sur son chemin lui ont bien des fois permis de ne pas rater les plus belles opportunités. Opportuniste, diront certains. Mais June n’aura jamais démérité de ses succès. Sa présence à Paris en est une preuve infaillible. Et l’homme en sa compagnie était tout ce dont il pouvait avoir besoin pour ne rien regretter. Peu importe les Augustes, les Charles, les rois et les grands noms. June se contenterait éhontément de la compagnie d’un chevalier, d’un frère d’arme, de ce qui lui apporte force, conviction et dévotion.
L’éclat de son rire est joyeux. Comment peut-il ainsi se sentir au sein de sa propre famille en étant si loin des siens ? Comment Aimable était-il parvenu en quelques mois seulement à faire appartenir cet enfant à une famille dont le sang ne lui appartient pas ? Il ne voulait pas d’explication, aucune raison ne serait suffisante. Il suffit de voir les regards qu’ils s’échangent. Deux frères séparés par une génération tout entière. Un père et son fils. June ne changerait tout ceci pour rien au monde.
Un geste de ses bras, montrant ses muscles, s’amusant de ses commentaires, il est adolescent et si garçon dans sa façon de faire. Pourquoi ne pas s’en contenter lorsque rien ne nécessitait qu’il doive encore jouer le rôle du jeune noble ? Combien de fois avait-il oublié que l’étiquette n’était pas celle qu’il appliquait si facilement ? Pourquoi aimait-il tant les forces militaires, après tout ? Parce qu’elles étaient le rempart nécessaire et suffisant à remettre tous les hommes au même niveau. Une méritocratie de la force, de la sagesse et de la stratégie.
Pourtant, à la mention de l’été, de la Seine, de l’eau peu ragoutante, la grimace sur son visage est aussi disgracieuse que l’idée des maladies qu’il finirait par avoir à consommer ce liquide infect. Peut-être trouverait-il à s’enfuir loin de Paris pour les pires semaines de l’été. S’entraîner quelque part. Peu importe où. Même une mission serait la bienvenue. Mais l’idée lui échappe aussi vite qu’ils franchissent le pas de la porte, et c’est une fois installés, l’ambiance plus légère de vos rires mêlés que tu acceptes de commander, précisant cependant.
« Non, c’est moi qui paye, je t’ai forcé à m’entraîner, je te dois bien ça ! »
Et pour bien souligner ce point, June, sur la dernière ligne droite de sa croissance, commande éhontément deux portions du même ragoût avec son plus beau sourire. Dire que lorsque leurs deux miches de pain leur furent apporter, June en fit rapidement le tour serait un euphémisme. Mordant à pleines dents dans sa nourriture, c’est galvanisé et avec l’air subitement bien plus soulagé qu’il souffle doucement.
« Je crois que je me serais évanoui si j’avais dû continuer. »
Avouer ce genre de choses lorsque l’on est soldat, c’est avouer d’une part que l’on a des limites, et que l’on est donc faillible. Mais d’autre part, c’est avant tout et surtout accepter ses propres limites. Les exposer à Aimable ne l’inquiète pas. Il se sait en sécurité, en confiance.
D’une grande rasée d’eau, et dans un soupir de soulagement presque enfantin, June revient enfin se frotter les mains sur le visage et étouffe un bâillement contre ses mains. Probablement cette nuit dormira-t-il de son meilleur sommeil. Mais pour le moment là n’est pas la question. Les deux coudes posés sur la table, attendant sagement sa pitance, menton appuyé contre les paumes de ses mains il demande, visiblement intéressé.
« Dis, comment vont Isabeau et Richard ? Est-il prévu qu’eux et ton épouse descendent te voir à Paris ? »
Oh, Aimable parle peu de sa famille oui. Mais une seule fois, une seule mention, avait été plus que suffisante pour que depuis June ne manque plus aucune occasion de poser la question. Même si comme bien souvent cela réveille un brin de mélancolie dans son regard. C’était ça aussi, de laisser sa vie derrière soi. Il y avait des choses qu’on ne vivrait jamais.
Jeu 25 Fév - 10:28
La volonté de June est semblable à l’océan.
Lorsqu’elle se recule, ce n’est que pour mieux frapper. Elle attaque inlassablement les falaises et c’est à la seule force de sa ténacité que cette volonté si fluide ronge la roche jusqu’à l’en briser. Il sent cette force montante, dans les éclats de sa voix qui surgissent telle une vague, ses paumes abîmées par l’usure et le sable, ses mains qui continuent à se serrer, à saisir, à frapper, son regard vert révèle les profondeurs d’ondes sauvages, où une étrange noblesse se mêle à une puissance des plus viscérales. Il suffit de le voir serrer les dents lorsqu’il tombe, pour se redresser avec la même vigueur, de voir la fougue qui l’anime lorsque son torse s’emplit de son souffle. Il connaît cette détermination. Il l’a déjà ressentie et peut-être vit-elle encore au fond de ses veines, l’ivresse de l’adrénaline. Mais son corps est la pierre que sa volonté a usée. Ses muscles sont douloureux, ses tendons protestent, le sable n’est plus sur ses mains mais s’est incrusté dans ses veines, il ressent son raclement dans ses articulations. L’eau salée brûle parfois ses yeux, comme l’acide gastrique ronge ses entrailles, il y a cette fatigue, le poids de son propre corps que son esprit n’arrive pas toujours à manier. Est-ce la peur ou la volonté ? Il ne sait plus. Contrairement à June, il manque bien de courage.
Sa vie, ses choix, sont toujours dictés par la peur du faux pas. La peur de l’erreur.
Il n’a pas confiance en son corps. Il ne prend jamais le plaisir d’explorer ses limites et peut-être même s’en impose-t-il, au final. Alors que June fait tout pour les franchir. Il envie, admire, sa liberté. Combien même June n’est-il qu’un oisillon, il s’envole si haut dans le ciel ! Alors que lui est ce faucon aux pattes engluées, aux ailes brisées par les tempêtes. Les assauts d’un vent contre lequel il n’a eu cesse de lutter, alors que June se fait porter par les vents de l’océan, il s’élève et à vive allure, monte les échelons. Et il continuera. A aller de plus en plus haut. Combien même les vents le tromperont et parfois, le failliront ; June a cette détermination, celle de battre des ailes et de continuer à voler, combien même le vent ne vient-il plus souffler. Aimable n’a plus cette énergie. Toute sa force, il la mène à contenir ce qu’il renferme. Son potentiel ? Il ne l’a jamais exploité. Il l’a toujours étouffé. L’étranglant avant même qu’il n’ait fait son premier pas ; si puissant qu’il n’arrive pour autant pas à l’éteindre complètement. Parfois, il le pousse vers l’avant et le Chevalier a beau se cambrer, s’arc-bouter, il est contraint d’avancer.
Il ne contredit pas June lorsqu’il impose sa volonté et à dire vrai, un sourire effleure pudiquement les lèvres du Chevalier. En réponse, Aimable se contente de s’asseoir et de soupirer. Lorsqu’il ferme les yeux et tend un peu le dos, il ressent le craquement familier de ses vertèbres malmenées, bientôt suivi d’une forme de soulagement. Ses épaules se relâchent, l’homme se réfugie dans l’ombre, se fait à peine remarquer. Au contraire de June, dont le sourire éclatant, le pas militaire et assuré, la voix qui tonne et résonne comme l’orage libérateur d’un été. Il l’observe presque timidement. Depuis qu’ils se connaissent, il apprécie déceler les minimes changements de sa silhouette. Musculature qui s’affine, corpulence qui s’élance, les mouvements gagnent en expertise, l’assurance se gausse d’innocence, alors que la maturité commence à se dessiner dans son regard, le coin d’un sourire. June grandit et les expériences qu’il traverse laissent toujours une trace qu’Aimable prend l’habitude de chercher, d’étudier.
Son frère n’a fait que lui enseigner la futilité des mots, et lui a maintes fois souligné l’importance des actes. Des gestes. Du corps, qui trahit toujours l’esprit. Les mots peuvent mentir. Le corps, par contre, ne ment jamais. On peut cacher la douleur, en serrant les dents et en prétextant que tout va bien, mais le corps saigne, le corps se raidit, le corps perd de sa force ou de sa souplesse, le corps parle lorsque l’âme se scelle.
Le sien ? Le sien exprime la fatigue d’un vieux chien. Sur son banc, son épaule se repose contre le mur, il s’affale légèrement sur le côté, ses muscles sont relâché. Le chevalier se débarrasser de son bouclier, de son épée, mais aussi, de cette noblesse qu’il est contraint de vêtir. C’est à présent un homme usé, qui laisse les rides tirer le coin de ses yeux, ses épaules voûtées, sa tête légèrement baissée, ses grandes mains paisiblement reposées sur la table, à jouer avec la miche de pain. Il n’a plus cette austérité, non, car malgré la fatigue, il y a cette douce malice dans le regard, cette tendresse dans ses sourires, cette main qui se referme quelques secondes sur le poignet de June : une pression virile mais pleine de douceur pour le remercier, alors que son pouce trace un léger cercle sur son derme. Puis sa main se rétracte, le geste affectueux se dissimule sous sa manche, il préfère rompre le pain entre ses mains.
La Voix est affamée, elle proteste dans sa tête et en réponse, Aimable enfourne directement la miche entre ses lèvres. La croûte craque sous ses dents, la pression de ses mâchoires suffit et d’un geste de tête, il d̷̛̫̼̟̻̥̙̗̈́̈́͐̅̌͂͝͝ę̸̙͍͔̫̲̫̰̼͎̞̲̯́̇̽͌̔c̵̨̛̼̺̼͎̊̽̀̈́̽́̽̑̾͘̚͝͝ḧ̵͇͉̰͈͚̥͎́̂̀̐i̷͔̞̤̞̗͍͖̦̯̔r̵̢̧̰̗̱̣̼̻̥̪͎͉̀̈͗͑̈́̈́͒͗̏͐̕͝ȇ̵̲́̈́͋̐̒͗̈́̓͂͝ la miche. Un soupir de contentement s’arrache de ses lèvres, la Voix s’apaise et se régale, il dévore le pain en quelques bouchées.
L’homme est vorace et d’ailleurs, à peine leur choppe est elle apportée qu’il en boit quelques gorgées, jusqu’à la reposer et s’essuyer d’un revers de manche.
_ Je me serais probablement endormi avant que tu ne t’évanouisses.
La question sur sa famille le surprend légèrement et alors, Aimable porte la main à sa croix, sous son haut. Il hésite mais en présence de June, accepte de sortir de son col son précieux chapelet ; constitué d’une chaîne semblable à une cotte de mailles, la croix d’argent aux bords effilés reflète la lumière du feu. Aimable y referme précieusement sa main et prie en refermant les yeux, il se signe, avant de soupirer.
_ … J’ai été si affamé que j’en ai oublié de prier.
Prier, pour sa famille. Il glisse de nouveau la croix sous son col, avant de redresser les yeux.
_ Oh, Isabeau se montre de plus en plus à l’aise à la marche. Il galope, même. Le nombre de frayeurs qu’il m’a fait lorsqu’il s’élance sur les chemins ou se décide à escalader les murs, les arbres… Vous vous entendriez très bien tous les deux.
La malice plisse ses yeux clairs alors qu’il unit ses yeux à ceux de son ami. Il ne sourit pas, mais la joie atteint même ses pattes d’oie ; son regard exprime toute la tendresse d’un père, alors qu’il n’a pourtant jamais vu June enfant.
_ Richard est d’une nature plus timorée. Il préfère les activités calmes et s’intéresse à l’écriture ou à la broderie. Côme me dit que je devrais l’envoyer au Monastère, il a la Foi et se confie peut-être plus à Dieu qu’à son père. Peut-être devrais-je être plus présent pour eux.
Son regard se voile quelques secondes, avant qu’il n’abaisse les yeux. Les devoirs d’un chevalier musèlent parfois l’homme sous l’armure.
_ Le voyage serait très long pour eux. La route n’est pas sûre. Je préfère qu’ils restent chez nous, à l’abri et en sécurité, qu’ils puissent s’épanouir et grandir jusqu’à avoir la force de voyager. Lors du dernier hiver, Isabeau a eu des fièvres, des coliques, il n’a pas mangé et buvait à peine… J’ai… Ca a été un moment très difficile.
Il reconnaît, du bout des lèvres. Les yeux hantés. Mais ses paupières scellent leurs tombes et lorsque ses yeux reviennent à la réalité, il esquisse un sourire.
_ Si le coeur t'en dit et que le temps le permet, tu pourrais descendre un jour avec moi pour les rencontrer. Ma porte t'est et te sera toujours ouverte.
Il toussote, avant de reprendre.
_ D'ailleurs, as-tu eu des nouvelles de ta famille ?
Lorsqu’elle se recule, ce n’est que pour mieux frapper. Elle attaque inlassablement les falaises et c’est à la seule force de sa ténacité que cette volonté si fluide ronge la roche jusqu’à l’en briser. Il sent cette force montante, dans les éclats de sa voix qui surgissent telle une vague, ses paumes abîmées par l’usure et le sable, ses mains qui continuent à se serrer, à saisir, à frapper, son regard vert révèle les profondeurs d’ondes sauvages, où une étrange noblesse se mêle à une puissance des plus viscérales. Il suffit de le voir serrer les dents lorsqu’il tombe, pour se redresser avec la même vigueur, de voir la fougue qui l’anime lorsque son torse s’emplit de son souffle. Il connaît cette détermination. Il l’a déjà ressentie et peut-être vit-elle encore au fond de ses veines, l’ivresse de l’adrénaline. Mais son corps est la pierre que sa volonté a usée. Ses muscles sont douloureux, ses tendons protestent, le sable n’est plus sur ses mains mais s’est incrusté dans ses veines, il ressent son raclement dans ses articulations. L’eau salée brûle parfois ses yeux, comme l’acide gastrique ronge ses entrailles, il y a cette fatigue, le poids de son propre corps que son esprit n’arrive pas toujours à manier. Est-ce la peur ou la volonté ? Il ne sait plus. Contrairement à June, il manque bien de courage.
Sa vie, ses choix, sont toujours dictés par la peur du faux pas. La peur de l’erreur.
Il n’a pas confiance en son corps. Il ne prend jamais le plaisir d’explorer ses limites et peut-être même s’en impose-t-il, au final. Alors que June fait tout pour les franchir. Il envie, admire, sa liberté. Combien même June n’est-il qu’un oisillon, il s’envole si haut dans le ciel ! Alors que lui est ce faucon aux pattes engluées, aux ailes brisées par les tempêtes. Les assauts d’un vent contre lequel il n’a eu cesse de lutter, alors que June se fait porter par les vents de l’océan, il s’élève et à vive allure, monte les échelons. Et il continuera. A aller de plus en plus haut. Combien même les vents le tromperont et parfois, le failliront ; June a cette détermination, celle de battre des ailes et de continuer à voler, combien même le vent ne vient-il plus souffler. Aimable n’a plus cette énergie. Toute sa force, il la mène à contenir ce qu’il renferme. Son potentiel ? Il ne l’a jamais exploité. Il l’a toujours étouffé. L’étranglant avant même qu’il n’ait fait son premier pas ; si puissant qu’il n’arrive pour autant pas à l’éteindre complètement. Parfois, il le pousse vers l’avant et le Chevalier a beau se cambrer, s’arc-bouter, il est contraint d’avancer.
Il ne contredit pas June lorsqu’il impose sa volonté et à dire vrai, un sourire effleure pudiquement les lèvres du Chevalier. En réponse, Aimable se contente de s’asseoir et de soupirer. Lorsqu’il ferme les yeux et tend un peu le dos, il ressent le craquement familier de ses vertèbres malmenées, bientôt suivi d’une forme de soulagement. Ses épaules se relâchent, l’homme se réfugie dans l’ombre, se fait à peine remarquer. Au contraire de June, dont le sourire éclatant, le pas militaire et assuré, la voix qui tonne et résonne comme l’orage libérateur d’un été. Il l’observe presque timidement. Depuis qu’ils se connaissent, il apprécie déceler les minimes changements de sa silhouette. Musculature qui s’affine, corpulence qui s’élance, les mouvements gagnent en expertise, l’assurance se gausse d’innocence, alors que la maturité commence à se dessiner dans son regard, le coin d’un sourire. June grandit et les expériences qu’il traverse laissent toujours une trace qu’Aimable prend l’habitude de chercher, d’étudier.
Son frère n’a fait que lui enseigner la futilité des mots, et lui a maintes fois souligné l’importance des actes. Des gestes. Du corps, qui trahit toujours l’esprit. Les mots peuvent mentir. Le corps, par contre, ne ment jamais. On peut cacher la douleur, en serrant les dents et en prétextant que tout va bien, mais le corps saigne, le corps se raidit, le corps perd de sa force ou de sa souplesse, le corps parle lorsque l’âme se scelle.
Le sien ? Le sien exprime la fatigue d’un vieux chien. Sur son banc, son épaule se repose contre le mur, il s’affale légèrement sur le côté, ses muscles sont relâché. Le chevalier se débarrasser de son bouclier, de son épée, mais aussi, de cette noblesse qu’il est contraint de vêtir. C’est à présent un homme usé, qui laisse les rides tirer le coin de ses yeux, ses épaules voûtées, sa tête légèrement baissée, ses grandes mains paisiblement reposées sur la table, à jouer avec la miche de pain. Il n’a plus cette austérité, non, car malgré la fatigue, il y a cette douce malice dans le regard, cette tendresse dans ses sourires, cette main qui se referme quelques secondes sur le poignet de June : une pression virile mais pleine de douceur pour le remercier, alors que son pouce trace un léger cercle sur son derme. Puis sa main se rétracte, le geste affectueux se dissimule sous sa manche, il préfère rompre le pain entre ses mains.
La Voix est affamée, elle proteste dans sa tête et en réponse, Aimable enfourne directement la miche entre ses lèvres. La croûte craque sous ses dents, la pression de ses mâchoires suffit et d’un geste de tête, il d̷̛̫̼̟̻̥̙̗̈́̈́͐̅̌͂͝͝ę̸̙͍͔̫̲̫̰̼͎̞̲̯́̇̽͌̔c̵̨̛̼̺̼͎̊̽̀̈́̽́̽̑̾͘̚͝͝ḧ̵͇͉̰͈͚̥͎́̂̀̐i̷͔̞̤̞̗͍͖̦̯̔r̵̢̧̰̗̱̣̼̻̥̪͎͉̀̈͗͑̈́̈́͒͗̏͐̕͝ȇ̵̲́̈́͋̐̒͗̈́̓͂͝ la miche. Un soupir de contentement s’arrache de ses lèvres, la Voix s’apaise et se régale, il dévore le pain en quelques bouchées.
L’homme est vorace et d’ailleurs, à peine leur choppe est elle apportée qu’il en boit quelques gorgées, jusqu’à la reposer et s’essuyer d’un revers de manche.
_ Je me serais probablement endormi avant que tu ne t’évanouisses.
La question sur sa famille le surprend légèrement et alors, Aimable porte la main à sa croix, sous son haut. Il hésite mais en présence de June, accepte de sortir de son col son précieux chapelet ; constitué d’une chaîne semblable à une cotte de mailles, la croix d’argent aux bords effilés reflète la lumière du feu. Aimable y referme précieusement sa main et prie en refermant les yeux, il se signe, avant de soupirer.
_ … J’ai été si affamé que j’en ai oublié de prier.
Prier, pour sa famille. Il glisse de nouveau la croix sous son col, avant de redresser les yeux.
_ Oh, Isabeau se montre de plus en plus à l’aise à la marche. Il galope, même. Le nombre de frayeurs qu’il m’a fait lorsqu’il s’élance sur les chemins ou se décide à escalader les murs, les arbres… Vous vous entendriez très bien tous les deux.
La malice plisse ses yeux clairs alors qu’il unit ses yeux à ceux de son ami. Il ne sourit pas, mais la joie atteint même ses pattes d’oie ; son regard exprime toute la tendresse d’un père, alors qu’il n’a pourtant jamais vu June enfant.
_ Richard est d’une nature plus timorée. Il préfère les activités calmes et s’intéresse à l’écriture ou à la broderie. Côme me dit que je devrais l’envoyer au Monastère, il a la Foi et se confie peut-être plus à Dieu qu’à son père. Peut-être devrais-je être plus présent pour eux.
Son regard se voile quelques secondes, avant qu’il n’abaisse les yeux. Les devoirs d’un chevalier musèlent parfois l’homme sous l’armure.
_ Le voyage serait très long pour eux. La route n’est pas sûre. Je préfère qu’ils restent chez nous, à l’abri et en sécurité, qu’ils puissent s’épanouir et grandir jusqu’à avoir la force de voyager. Lors du dernier hiver, Isabeau a eu des fièvres, des coliques, il n’a pas mangé et buvait à peine… J’ai… Ca a été un moment très difficile.
Il reconnaît, du bout des lèvres. Les yeux hantés. Mais ses paupières scellent leurs tombes et lorsque ses yeux reviennent à la réalité, il esquisse un sourire.
_ Si le coeur t'en dit et que le temps le permet, tu pourrais descendre un jour avec moi pour les rencontrer. Ma porte t'est et te sera toujours ouverte.
Il toussote, avant de reprendre.
_ D'ailleurs, as-tu eu des nouvelles de ta famille ?
Ven 26 Fév - 2:25
Toute cette scène était particulièrement douce à son cœur. June n’a pas revu sa famille depuis son départ de Suède, alors encore un jeune adolescent parcourant le monde à la découverte de ce que toutes ces cultures l’entourant pouvaient lui apprendre. Tout ce que June avait voulu, à cet âge, c’était poursuivre ses rêves. Comme les contes parlent de poursuivre les étoiles. Et en réalité, c’était peut-être ça qu’il était, June. Un fervent chasseur d’étoiles. Soient-elles filantes ou éternelles.
Tout à son cœur se rattachait à la lueur d’une nuit sans vie. Et chaque personne, chaque âme, tout ce qui effleure sa route, celle que le bon Dieu lui trace, est une bénédiction, une chance qu’il saisit, un espoir qu’il a le droit d’offrir à autrui. June croit en ce Seigneur très haut plus que tout. Mais avant cela même, croit-il en sa création et en toutes les beautés que cette terre a à lui offrir.
Aimable est-il une étoile filante, ou Polaris, luisant de mille feux et guidant ses pas vers le refuge et la sécurité d’une famille ? Aimable ce que les livres disent être la famille que l’on choisit, pas celle que l’on nous donne. Et le jeune homme, dans un rire d’une joie indestructible, s’amuse de ce qu’Aimable se trouve être un ami, un compagnon, un frère, et parfois même un père.
Finie cette barrière qui les avait séparés à leur rencontre. June sans le réaliser avait brisé la glace, non, les fortifications qu’Aimable avait si désespérément érigées autour de sa personne. Comme l’on bâtit les murailles, brique par brique, lui s’était involontairement attelé à briser tout ce qui le séparait d’un cœur aussi tendre qu’écorché. Le savait-il seulement, lui, l’enfant du privilège ? Lui qui toute sa vie n’avait jamais eu à souffrir de la peine, de la perte, ou même de l’indigence. Qu’était donc la faim ? La soif ? Lui ne connait rien de tout cela. Jeune duc né dans l’or de son père et de ceux qui l’ont précédé. Celui qui d’un simple nom, a brodé sa gloire future contre le tapis que sa naissance seule avait déroulé à ses pieds.
June ne pense pas pour autant être devenu un égoïste. Pas plus qu’il ne se croit être hypocrite quant à la nature des maux de ce peuple qui l’entoure. N’est-il pas ici pour les protéger ? Pour s’assurer que nul ne vienne leur voler ce qu’ils ont gagné par la force ? June n’est pas en phase avec les réalités de ce monde. Mais il sait que tout n’est pas noir ou blanc.
Et c’est peut-être cela qui l’aura préservé jusque-là. Lui qui mord à son pain comme un affamé alors qu’il n’a jamais vécu la famine. Lui qui rougit et recracherait presque sa bouchée en reposant précipitamment son pain alors qu’Aimable souffle les grâces que June avait sottement oublié de prononcer. Il est encore un enfant à tant d’égards. Et c’est sous la lueur bienveillante d’un chevalier comme l’est Aimable qu’il ose et espère devenir chaque jour encore meilleur.
Il s’abreuve pourtant de chaque mot. Rêve à cette famille douce, guidée par un homme que rien ne mettra jamais à terre. Et son sourire se fait plus beau encore alors qu’il murmure, ému, heureux.
« Mon cœur est déjà près de tes fils, Aimable. Il m’est hâte d’enfin pouvoir les rencontrer. Penses-tu que je pourrais apprendre quelques tours à Isabeau ? Ou demander à Richard de me faire découvrir son parterre de fleurs préféré ? »
Il soupire, naïf, béat, se demandant à quoi pouvait ressembler les chérubins d’un tel homme. Se demandant si son épouse portait elle aussi les traits d’une douceur aussi inestimable. Il n’avait que trop hâte de faire ses premiers pas dans ces pâturages, ces montagnes, ce pays natal qu’Aimable dépeint avec tant d’aise, comme si chaque fois qu’il fermait les paupières, il pouvait s’y voir… Comme June lui aussi voit encore les plaines enneigées de sa Suède natale.
« Ah… Je n’ai pas encore reçu nouvelles de mon Père, sûrement est-il parti pour l’une des conquêtes des terres du nord. Ses derniers écrits remontent à mon départ d’Italie. Il m’est important qu’il soit satisfait du parcours de mon frère. J’ai ouïe dire qu’il épouserait bientôt une duchesse de Norvège… Puisse leur union être pérenne et protégée par Dieu. »
Il ne se souvenait pas avoir eu récentes nouvelles de sa mère, ni même de sa sœur. Probablement étaient-elles affairées à des choses plus coquettes, elles qui s’attachaient tant aux devoirs de la cour… Mais eux tous ne sont pas les plus importants. Et l’éclat dans le regard de June n’a pas de limite alors qu’il tire une lettre de sa veste, la brandissant fièrement.
« Mais j’ai aujourd’hui reçu parole de ma Nanna. Elle est la mère de mon père et c’est elle qui m’a fait faire mes premières armes. Si seulement je pouvais te la présenter. Elle est un monde entier à elle seule. »
Il pourrait s’étendre de longs instants sur elle. Mais de là où June retenait la lettre, un parchemin s’échoue sur la table, déplié. Montrant au monde entier les lignes qu’il avait lui-même dessiné. Le portrait d’un homme qu’il a recherché toute sa vie. Les lèvres entrouvertes, observant ces lignes avec un instant d’absence, June relève les yeux et sait sans peine qu’Aimable a vu. June baisse les yeux et récupère doucement le parchemin, embarrassé, le rouge mordant ses joues d’enfant.
« Pardon je- J’aime à user de l’encre pour d’autres choses que les missives… Je ne pensais pas avoir emmené ce brouillon avec moi. »
Peut-être que son mensonge, aussi flagrant était-il, passerait inaperçu. Car si June ne regrettait que rarement ses choix ou ses inclinations, il est une chose qu’il ne supporterait pas. Lire la déception sur la figure de celui qu’il estime déjà aujourd’hui davantage que son propre père.
Tout à son cœur se rattachait à la lueur d’une nuit sans vie. Et chaque personne, chaque âme, tout ce qui effleure sa route, celle que le bon Dieu lui trace, est une bénédiction, une chance qu’il saisit, un espoir qu’il a le droit d’offrir à autrui. June croit en ce Seigneur très haut plus que tout. Mais avant cela même, croit-il en sa création et en toutes les beautés que cette terre a à lui offrir.
Aimable est-il une étoile filante, ou Polaris, luisant de mille feux et guidant ses pas vers le refuge et la sécurité d’une famille ? Aimable ce que les livres disent être la famille que l’on choisit, pas celle que l’on nous donne. Et le jeune homme, dans un rire d’une joie indestructible, s’amuse de ce qu’Aimable se trouve être un ami, un compagnon, un frère, et parfois même un père.
Finie cette barrière qui les avait séparés à leur rencontre. June sans le réaliser avait brisé la glace, non, les fortifications qu’Aimable avait si désespérément érigées autour de sa personne. Comme l’on bâtit les murailles, brique par brique, lui s’était involontairement attelé à briser tout ce qui le séparait d’un cœur aussi tendre qu’écorché. Le savait-il seulement, lui, l’enfant du privilège ? Lui qui toute sa vie n’avait jamais eu à souffrir de la peine, de la perte, ou même de l’indigence. Qu’était donc la faim ? La soif ? Lui ne connait rien de tout cela. Jeune duc né dans l’or de son père et de ceux qui l’ont précédé. Celui qui d’un simple nom, a brodé sa gloire future contre le tapis que sa naissance seule avait déroulé à ses pieds.
June ne pense pas pour autant être devenu un égoïste. Pas plus qu’il ne se croit être hypocrite quant à la nature des maux de ce peuple qui l’entoure. N’est-il pas ici pour les protéger ? Pour s’assurer que nul ne vienne leur voler ce qu’ils ont gagné par la force ? June n’est pas en phase avec les réalités de ce monde. Mais il sait que tout n’est pas noir ou blanc.
Et c’est peut-être cela qui l’aura préservé jusque-là. Lui qui mord à son pain comme un affamé alors qu’il n’a jamais vécu la famine. Lui qui rougit et recracherait presque sa bouchée en reposant précipitamment son pain alors qu’Aimable souffle les grâces que June avait sottement oublié de prononcer. Il est encore un enfant à tant d’égards. Et c’est sous la lueur bienveillante d’un chevalier comme l’est Aimable qu’il ose et espère devenir chaque jour encore meilleur.
Il s’abreuve pourtant de chaque mot. Rêve à cette famille douce, guidée par un homme que rien ne mettra jamais à terre. Et son sourire se fait plus beau encore alors qu’il murmure, ému, heureux.
« Mon cœur est déjà près de tes fils, Aimable. Il m’est hâte d’enfin pouvoir les rencontrer. Penses-tu que je pourrais apprendre quelques tours à Isabeau ? Ou demander à Richard de me faire découvrir son parterre de fleurs préféré ? »
Il soupire, naïf, béat, se demandant à quoi pouvait ressembler les chérubins d’un tel homme. Se demandant si son épouse portait elle aussi les traits d’une douceur aussi inestimable. Il n’avait que trop hâte de faire ses premiers pas dans ces pâturages, ces montagnes, ce pays natal qu’Aimable dépeint avec tant d’aise, comme si chaque fois qu’il fermait les paupières, il pouvait s’y voir… Comme June lui aussi voit encore les plaines enneigées de sa Suède natale.
« Ah… Je n’ai pas encore reçu nouvelles de mon Père, sûrement est-il parti pour l’une des conquêtes des terres du nord. Ses derniers écrits remontent à mon départ d’Italie. Il m’est important qu’il soit satisfait du parcours de mon frère. J’ai ouïe dire qu’il épouserait bientôt une duchesse de Norvège… Puisse leur union être pérenne et protégée par Dieu. »
Il ne se souvenait pas avoir eu récentes nouvelles de sa mère, ni même de sa sœur. Probablement étaient-elles affairées à des choses plus coquettes, elles qui s’attachaient tant aux devoirs de la cour… Mais eux tous ne sont pas les plus importants. Et l’éclat dans le regard de June n’a pas de limite alors qu’il tire une lettre de sa veste, la brandissant fièrement.
« Mais j’ai aujourd’hui reçu parole de ma Nanna. Elle est la mère de mon père et c’est elle qui m’a fait faire mes premières armes. Si seulement je pouvais te la présenter. Elle est un monde entier à elle seule. »
Il pourrait s’étendre de longs instants sur elle. Mais de là où June retenait la lettre, un parchemin s’échoue sur la table, déplié. Montrant au monde entier les lignes qu’il avait lui-même dessiné. Le portrait d’un homme qu’il a recherché toute sa vie. Les lèvres entrouvertes, observant ces lignes avec un instant d’absence, June relève les yeux et sait sans peine qu’Aimable a vu. June baisse les yeux et récupère doucement le parchemin, embarrassé, le rouge mordant ses joues d’enfant.
« Pardon je- J’aime à user de l’encre pour d’autres choses que les missives… Je ne pensais pas avoir emmené ce brouillon avec moi. »
Peut-être que son mensonge, aussi flagrant était-il, passerait inaperçu. Car si June ne regrettait que rarement ses choix ou ses inclinations, il est une chose qu’il ne supporterait pas. Lire la déception sur la figure de celui qu’il estime déjà aujourd’hui davantage que son propre père.
Mer 3 Mar - 12:21
Les années l’ont tant refermé.
Enfant, Aimable cherchait la compagnie de ses sœurs, de ses frères. Bien plus présents que leur mère. C’est à force de baisers bourrus, d’étreintes mais aussi, de morsures et de coups qu’il a grandi. C’est auprès d’eux qu’il a appris la nécessité du silence. Le silence. La plus redoutable des armes et le meilleur des boucliers. Sous lesquels se dissimuler et attaquer, désarçonner et blesser. Le silence est sa tour d’ivoire, scellée autour de leurs secrets. Parler, ce serait se mettre en danger. Ce serait les condamner. Le silence est la seule raison de leur survie, le silence et les liens qu’ils ont construits. Le silence, si contraire à cette Voix qu’il entend tout le temps, cette Voix avec laquelle il discute. Cette Voix qui se nourrit de ses peurs, de ses peines, de sa colère, cette Voix qui mord son bonheur et l’arrache à pleines dents. Elle est toujours là, dans un coin de sa tête et Aimable ressent son pelage contre ses doigts, sa chaleur qui rôde dans ses viscères, son mouvement au fond de ses prunelles lorsque June cherche son regard.
Elle est curieuse. Elle l’interroge. Pourquoi lui ? Pourquoi ce garçon ? Elle aussi s’est habituée à leur solitude. June ne partage ni leur Sang, ni leurs Orrigines.
Et Aimable lui répond. Ce garçon, il s’est battu toute sa vie pour réussir. Ses mains sont déjà usées. Et pourtant, il garde le sourire. Son sourire est l’une des nombreuses raisons qui l’ont conquis. Son regard où la lumière se reflète en une myriade de verts. Sa détermination, qui fait qu’un jour ou l’autre, Aimable aurait dû ouvrir sa porte – de force ou de plein gré. Et plutôt que laisser le jeune homme défoncer sa porte, il préférait la lui ouvrir. Moins d’efforts pour tout le monde. Pour finir, il y avait cette affection. Cette admiration mêlée d’une tendresse débordante, qui plissait joliment le coin de ses lèvres, éclairait ses yeux, tonnait dans sa voix. Cœur assoiffé d’amour, Aimable avait accepté de s’abreuver à cette source. Depuis sa grande tour, les seules gouttes dont il pouvait profiter avaient été les larmes de ses sœurs, les inquiétudes de ses aînés. L’affection s’exprime par le silence, les longs regards, les présences qu’Aimable ne sait jamais comment interpréter. Surveillance ? Méfiance ? Inquiétudes ? Ou soutien, tendresse et simple maladresse ? Peut-être tout à la fois.
Il découvre un amour simple, spontané, sans qu’il n’y ait de secrets pour l’étrangler. Et l’homme qu’il est, aussi rude soit-il, y prend goût. Cette douceur particulière soulage ses douleurs, soigne son aigreur et le débarrasse de sa lassitude. Il lui est si reconnaissant. Envers lui comme envers Constantin. Et pour une fois, il ne craint pas le contact de leurs mains sur son corps, June a même tendance à le bousculer de l’épaule et l’assaut lui arrache un sourire malicieux. Lui rappelle les lointains jeux, avec ses frères, lorsqu’ils chahutaient dans la boue, la paille ou la neige. Cette époque lui semble si lointaine. C’est en vieillissant qu’il n’a plus accepté les contacts. Lorsque ses os se sont rigidifiés et que les articulations ont commencé à craquer.
June a réussi tant d’exploits, celui d’avoir un De Bayard à sa table et de s’en être fait un ami. Et Aimable vient même à se demander si la Voix ne l’apprécierait pas – son silence tient lieu de réponse.
_ Bien sûr. Ils seront ravis que tu t’intéresses à eux. Eleanor t’emmènera probablement goûter sa tomme au marc de raisin. C’est assez fort…
Mais au vu du sourire qu’Aimable affiche, ça a l’air de lui plaire.
A la mention de son père, son attention s’éveille et lorsque June mentionne Dieu, le réflexe d’Aimable est de se signer avant que sa main ne se repose finalement sur sa cuisse.
_ Nanna ?... Ce serait un grand honneur de la rencontrer. J’ignore comment sont les règles, en Suède… mais ici, il est rare qu’une femme prenne les armes. Pourtant, ma sœur est l’un des combattants les plus redoutables que j’ai connus. Lorsqu’elle et Ulric s’affrontent, je crois que les montagnes elles-mêmes retiennent leur souffle.
Hildegard. Poing de fer dans un gant d’acier. Que fait-elle à présent ? Elle est si secrète, elle aussi. Elle disparaît, pour réapparaître quand elle l’entend, et repartir quand elle le désire. Ses courriers sont très rares, leur contenu est expéditif. La dernière fois où il l’a vue remonte à la naissance d’Isabeau…
Avant même de voir le parchemin, la main d’Aimable s’en est automatiquement saisi. L’Ouroboros contre ses jambes, le geste est purement instinctif et il cligne des yeux à la vue du portait d’un homme… Décontenancé, Aimable penche légèrement la tête sur le côté, observant le visage inconnu, puis la Voix susurre à son oreille.
Regarde le Garrçon.
Ses yeux reviennent sur June, à temps pour surprendre son moment d’absence. Il hésite mais approche le parchemin, laissant le jeune homme s’en saisir. Ses gestes sont hésitants. Il décèle le rouge à ses joues. La honte ? Etonné, Aimable fronce légèrement les sourcils avec lui. Brouillon ? Les traits sont assez précis, le visage est si bien dessiné qu’il pourrait le reconnaître dans la rue.
_ … Brouillon, hm. Tu dessines bien.
Leur ragoût est apporté et Aimable en prend une cuillère, qu’il glisse entre ses lèvres. La Voix gronde de satisfaction. Chaud. Nourrissant. Bon. Les saveurs sur les papilles, il prend le temps de savourer leurs arômes viande, légumes, bouillon dans lequel tout cela a mijoté, les parfums sont délicieux, attisent son appétit. Comme la rougeur et le regard fuyant de son ami suscitent sa curiosité. Il ne met pas le doigt sur son mensonge, pourtant, cela lui brûle les lèvres.
_ Qui est cet homme ?
Aimable s'efforce de respecter les silences, les secrets. Lui-même préfère que l'on n'insiste pas lorsqu'il se tait. Mais là, c'est autre chose. L'absence de June l'inquiète, ce regard dans le vide, éteint, ce corps qui se fige, cette tétanie, il ne les a jamais vus.
Sur quelle plaie l'Ouroboros a refermé ses griffes, lorsque La Voix a récupéré le parchemin ?
Enfant, Aimable cherchait la compagnie de ses sœurs, de ses frères. Bien plus présents que leur mère. C’est à force de baisers bourrus, d’étreintes mais aussi, de morsures et de coups qu’il a grandi. C’est auprès d’eux qu’il a appris la nécessité du silence. Le silence. La plus redoutable des armes et le meilleur des boucliers. Sous lesquels se dissimuler et attaquer, désarçonner et blesser. Le silence est sa tour d’ivoire, scellée autour de leurs secrets. Parler, ce serait se mettre en danger. Ce serait les condamner. Le silence est la seule raison de leur survie, le silence et les liens qu’ils ont construits. Le silence, si contraire à cette Voix qu’il entend tout le temps, cette Voix avec laquelle il discute. Cette Voix qui se nourrit de ses peurs, de ses peines, de sa colère, cette Voix qui mord son bonheur et l’arrache à pleines dents. Elle est toujours là, dans un coin de sa tête et Aimable ressent son pelage contre ses doigts, sa chaleur qui rôde dans ses viscères, son mouvement au fond de ses prunelles lorsque June cherche son regard.
Elle est curieuse. Elle l’interroge. Pourquoi lui ? Pourquoi ce garçon ? Elle aussi s’est habituée à leur solitude. June ne partage ni leur Sang, ni leurs Orrigines.
Et Aimable lui répond. Ce garçon, il s’est battu toute sa vie pour réussir. Ses mains sont déjà usées. Et pourtant, il garde le sourire. Son sourire est l’une des nombreuses raisons qui l’ont conquis. Son regard où la lumière se reflète en une myriade de verts. Sa détermination, qui fait qu’un jour ou l’autre, Aimable aurait dû ouvrir sa porte – de force ou de plein gré. Et plutôt que laisser le jeune homme défoncer sa porte, il préférait la lui ouvrir. Moins d’efforts pour tout le monde. Pour finir, il y avait cette affection. Cette admiration mêlée d’une tendresse débordante, qui plissait joliment le coin de ses lèvres, éclairait ses yeux, tonnait dans sa voix. Cœur assoiffé d’amour, Aimable avait accepté de s’abreuver à cette source. Depuis sa grande tour, les seules gouttes dont il pouvait profiter avaient été les larmes de ses sœurs, les inquiétudes de ses aînés. L’affection s’exprime par le silence, les longs regards, les présences qu’Aimable ne sait jamais comment interpréter. Surveillance ? Méfiance ? Inquiétudes ? Ou soutien, tendresse et simple maladresse ? Peut-être tout à la fois.
Il découvre un amour simple, spontané, sans qu’il n’y ait de secrets pour l’étrangler. Et l’homme qu’il est, aussi rude soit-il, y prend goût. Cette douceur particulière soulage ses douleurs, soigne son aigreur et le débarrasse de sa lassitude. Il lui est si reconnaissant. Envers lui comme envers Constantin. Et pour une fois, il ne craint pas le contact de leurs mains sur son corps, June a même tendance à le bousculer de l’épaule et l’assaut lui arrache un sourire malicieux. Lui rappelle les lointains jeux, avec ses frères, lorsqu’ils chahutaient dans la boue, la paille ou la neige. Cette époque lui semble si lointaine. C’est en vieillissant qu’il n’a plus accepté les contacts. Lorsque ses os se sont rigidifiés et que les articulations ont commencé à craquer.
June a réussi tant d’exploits, celui d’avoir un De Bayard à sa table et de s’en être fait un ami. Et Aimable vient même à se demander si la Voix ne l’apprécierait pas – son silence tient lieu de réponse.
_ Bien sûr. Ils seront ravis que tu t’intéresses à eux. Eleanor t’emmènera probablement goûter sa tomme au marc de raisin. C’est assez fort…
Mais au vu du sourire qu’Aimable affiche, ça a l’air de lui plaire.
A la mention de son père, son attention s’éveille et lorsque June mentionne Dieu, le réflexe d’Aimable est de se signer avant que sa main ne se repose finalement sur sa cuisse.
_ Nanna ?... Ce serait un grand honneur de la rencontrer. J’ignore comment sont les règles, en Suède… mais ici, il est rare qu’une femme prenne les armes. Pourtant, ma sœur est l’un des combattants les plus redoutables que j’ai connus. Lorsqu’elle et Ulric s’affrontent, je crois que les montagnes elles-mêmes retiennent leur souffle.
Hildegard. Poing de fer dans un gant d’acier. Que fait-elle à présent ? Elle est si secrète, elle aussi. Elle disparaît, pour réapparaître quand elle l’entend, et repartir quand elle le désire. Ses courriers sont très rares, leur contenu est expéditif. La dernière fois où il l’a vue remonte à la naissance d’Isabeau…
Avant même de voir le parchemin, la main d’Aimable s’en est automatiquement saisi. L’Ouroboros contre ses jambes, le geste est purement instinctif et il cligne des yeux à la vue du portait d’un homme… Décontenancé, Aimable penche légèrement la tête sur le côté, observant le visage inconnu, puis la Voix susurre à son oreille.
Regarde le Garrçon.
Ses yeux reviennent sur June, à temps pour surprendre son moment d’absence. Il hésite mais approche le parchemin, laissant le jeune homme s’en saisir. Ses gestes sont hésitants. Il décèle le rouge à ses joues. La honte ? Etonné, Aimable fronce légèrement les sourcils avec lui. Brouillon ? Les traits sont assez précis, le visage est si bien dessiné qu’il pourrait le reconnaître dans la rue.
_ … Brouillon, hm. Tu dessines bien.
Leur ragoût est apporté et Aimable en prend une cuillère, qu’il glisse entre ses lèvres. La Voix gronde de satisfaction. Chaud. Nourrissant. Bon. Les saveurs sur les papilles, il prend le temps de savourer leurs arômes viande, légumes, bouillon dans lequel tout cela a mijoté, les parfums sont délicieux, attisent son appétit. Comme la rougeur et le regard fuyant de son ami suscitent sa curiosité. Il ne met pas le doigt sur son mensonge, pourtant, cela lui brûle les lèvres.
_ Qui est cet homme ?
Aimable s'efforce de respecter les silences, les secrets. Lui-même préfère que l'on n'insiste pas lorsqu'il se tait. Mais là, c'est autre chose. L'absence de June l'inquiète, ce regard dans le vide, éteint, ce corps qui se fige, cette tétanie, il ne les a jamais vus.
Sur quelle plaie l'Ouroboros a refermé ses griffes, lorsque La Voix a récupéré le parchemin ?
Jeu 4 Mar - 18:15
June aime les choses simples. L’art du combat, la sensation d’un effort pleinement fourni. Le sentiment de contentement que l’on éprouve lorsque l’on réussit ce que l’on entreprend. Le plaisir simple d’une compagnie agréable. Encore plus lorsque celle-ci est un amalgame des deux autres choses simples. C’est ça qu’éprouve June en compagnie d’Aimable. La satisfaction intense d’être avec un ami, un mentor, et un adversaire à couper le souffle. Il n’en demande pas tellement plus. En réalité, il ne demandait rien de plus. Si ce n’était peut-être…
Un repas délectable. Et l’idée du fromage de la femme d’Aimable lui mit l’eau à la bouche. Oh et ça se voit à la façon qu’il a de garder le bec entrebâillé sur le point de manger une autre bouchée de pain. Des étoiles dans le regard. Il n’est peut-être pas en France depuis longtemps, et il était bien forcé de ne pas céder trop souvent à la tentation des plaisirs délicats des mets de France. Mais qui ne pouvait pas s’enamourer de l’idée d’un fromage maison. June bat des cils et se reprend, essuyant instinctivement le coin de ses lèvres, quand bien même il n’a pas fait un spectacle de lui-même. Il est garçon et bien puéril dans ce geste, mais il n’a pas de regret lorsqu’il peut répondre d’un vaillant sourire.
« Il me tarde de tous les rencontrer enfin. »
Il est encore douceur en parlant de sa Nanna. Elle est une force de la nature. Quelque chose que rien ne peut stopper. Il aurait certainement pu s’étendre des heures durant sur le sujet. Sur le fait qu’elle avait beau ne pas être ce que l’on attendait d’elle, elle avait pourtant obtenu le respect de tant de seigneurs en Suède et même par-delà les frontières. June lui-même, et son père avant lui, étaient les fiers descendants de cette ferveur. Des âmes justes et inflexibles. Et si June ne partage pas la pâleur ou les traits de sa Nanna, jamais n’avait-elle une seule fois remis en question son titre ou ses affections à l’égard de son petit-fils ou de sa sœur. Tant de choses qui faisaient qu’aujourd’hui encore, même en étant né bâtard, June n’avait jamais éprouvé le moindre sens de désobligeance quant aux faits de la naissance.
Mais tout ceci il ne pourra pas l’évoquer. Pas lorsque la main d’Aimable, qui jusque-là avait semblé épuisé s’anime d’un geste vif et rattrape le portrait de son mystérieux ravisseur. June reste inerte, figé, et la couleur s’échappe de ses joues alors qu’il réalise, avec un temps de retard, l’erreur qu’il venait involontairement de commettre. Ses mains sur le parchemin lorsqu’il le récupère enfin trembleraient presque mais il ramène la feuille contre son torse et se force à ne pas scruter le visage dessiné en lignes d’encre précises. Il était déjà suffisamment rougissant sous les scrutations d’Aimable. Il déglutit et son appétit s’est envolé.
Malaise reste figé dans sa silhouette alors que leurs plats leur sont apportés. L’odeur ne réveille pas de sensation à son palais ou son estomac. Il garde les yeux rivés ailleurs. Partout qui ne soit pas Aimable. C’est un rêve d’enfant qu’il tient contre son cœur. Un rêve déraisonnable. Une chose que l’Église ne pardonne pas.
June se force à desserrer la mâchoire et murmure, une réponse, un mensonge.
« … Personne. »
Mais à peine les mots lui ont échappé qu’il sent son cœur se tordre. Aimable ne méritait pas un mensonge. Mentir était contre les préceptes du Seigneur. Ses épaules s’affaissent et il replie doucement le parchemin qu’il ramène contre ses genoux, ses deux mains le gardant étroitement contre ses paumes, comme on cache une erreur. Un péché.
« Je… Ce n’est qu’un souvenir d’enfance. Ça aurait presque pu être un rêve. » Il se mord l’intérieur de la joue et sa voix n’est pas bien forte. Peut-être même se laisserait-elle engloutir par le bruit ambiant de l’auberge. « Cette personne a promis à Nanna qu’elle viendrait nous chercher. Je n’ai jamais réussi à oublier son visage. »
June ne l’avait pourtant vu qu’une seule fois. Mais l’acharnement avec lequel ces traits parfaits s’étaient gravés dans son esprit avait fait toute la différence pour son cœur d’enfant.
« Je l’ai redessiné plusieurs fois… Il y avait quelque chose dans ses yeux de tellement mélancolie. »
Il courbe la nuque et dans cet instant, fier et brave June montre les couleurs d’un enfant qu’il n’a que très rarement exposé au regard du monde. Ses sourires sont forts et assurés. Il rit avec assurance. Il est un jeune homme que l’on ne croiserait pas sans noter le charisme évident. Une aura qui l’enveloppe si naturellement. Aussi bien par sa force, son éthique d’une justice implacable, ou son autorité. Mais à cet instant, Aimable découvrira sûrement qu’il est des secrets dans ce cœur qui n’ont jamais trouvé à être partagés. Et lorsque jades retrouvent l’ombre des yeux de son compagnon, il demande, le cœur ouvert.
« As-tu déjà vu la mer, Aimable ? Parfois, les nuits de lune, elle danse presque en silence. Comme si elle rêvait de nous engloutir et de laisser sa nuit nous envelopper. Lui… Ses yeux ressemblaient à l’océan… Et jamais l’océan ne m’avait semblé si triste auparavant. »
Un repas délectable. Et l’idée du fromage de la femme d’Aimable lui mit l’eau à la bouche. Oh et ça se voit à la façon qu’il a de garder le bec entrebâillé sur le point de manger une autre bouchée de pain. Des étoiles dans le regard. Il n’est peut-être pas en France depuis longtemps, et il était bien forcé de ne pas céder trop souvent à la tentation des plaisirs délicats des mets de France. Mais qui ne pouvait pas s’enamourer de l’idée d’un fromage maison. June bat des cils et se reprend, essuyant instinctivement le coin de ses lèvres, quand bien même il n’a pas fait un spectacle de lui-même. Il est garçon et bien puéril dans ce geste, mais il n’a pas de regret lorsqu’il peut répondre d’un vaillant sourire.
« Il me tarde de tous les rencontrer enfin. »
Il est encore douceur en parlant de sa Nanna. Elle est une force de la nature. Quelque chose que rien ne peut stopper. Il aurait certainement pu s’étendre des heures durant sur le sujet. Sur le fait qu’elle avait beau ne pas être ce que l’on attendait d’elle, elle avait pourtant obtenu le respect de tant de seigneurs en Suède et même par-delà les frontières. June lui-même, et son père avant lui, étaient les fiers descendants de cette ferveur. Des âmes justes et inflexibles. Et si June ne partage pas la pâleur ou les traits de sa Nanna, jamais n’avait-elle une seule fois remis en question son titre ou ses affections à l’égard de son petit-fils ou de sa sœur. Tant de choses qui faisaient qu’aujourd’hui encore, même en étant né bâtard, June n’avait jamais éprouvé le moindre sens de désobligeance quant aux faits de la naissance.
Mais tout ceci il ne pourra pas l’évoquer. Pas lorsque la main d’Aimable, qui jusque-là avait semblé épuisé s’anime d’un geste vif et rattrape le portrait de son mystérieux ravisseur. June reste inerte, figé, et la couleur s’échappe de ses joues alors qu’il réalise, avec un temps de retard, l’erreur qu’il venait involontairement de commettre. Ses mains sur le parchemin lorsqu’il le récupère enfin trembleraient presque mais il ramène la feuille contre son torse et se force à ne pas scruter le visage dessiné en lignes d’encre précises. Il était déjà suffisamment rougissant sous les scrutations d’Aimable. Il déglutit et son appétit s’est envolé.
Malaise reste figé dans sa silhouette alors que leurs plats leur sont apportés. L’odeur ne réveille pas de sensation à son palais ou son estomac. Il garde les yeux rivés ailleurs. Partout qui ne soit pas Aimable. C’est un rêve d’enfant qu’il tient contre son cœur. Un rêve déraisonnable. Une chose que l’Église ne pardonne pas.
June se force à desserrer la mâchoire et murmure, une réponse, un mensonge.
« … Personne. »
Mais à peine les mots lui ont échappé qu’il sent son cœur se tordre. Aimable ne méritait pas un mensonge. Mentir était contre les préceptes du Seigneur. Ses épaules s’affaissent et il replie doucement le parchemin qu’il ramène contre ses genoux, ses deux mains le gardant étroitement contre ses paumes, comme on cache une erreur. Un péché.
« Je… Ce n’est qu’un souvenir d’enfance. Ça aurait presque pu être un rêve. » Il se mord l’intérieur de la joue et sa voix n’est pas bien forte. Peut-être même se laisserait-elle engloutir par le bruit ambiant de l’auberge. « Cette personne a promis à Nanna qu’elle viendrait nous chercher. Je n’ai jamais réussi à oublier son visage. »
June ne l’avait pourtant vu qu’une seule fois. Mais l’acharnement avec lequel ces traits parfaits s’étaient gravés dans son esprit avait fait toute la différence pour son cœur d’enfant.
« Je l’ai redessiné plusieurs fois… Il y avait quelque chose dans ses yeux de tellement mélancolie. »
Il courbe la nuque et dans cet instant, fier et brave June montre les couleurs d’un enfant qu’il n’a que très rarement exposé au regard du monde. Ses sourires sont forts et assurés. Il rit avec assurance. Il est un jeune homme que l’on ne croiserait pas sans noter le charisme évident. Une aura qui l’enveloppe si naturellement. Aussi bien par sa force, son éthique d’une justice implacable, ou son autorité. Mais à cet instant, Aimable découvrira sûrement qu’il est des secrets dans ce cœur qui n’ont jamais trouvé à être partagés. Et lorsque jades retrouvent l’ombre des yeux de son compagnon, il demande, le cœur ouvert.
« As-tu déjà vu la mer, Aimable ? Parfois, les nuits de lune, elle danse presque en silence. Comme si elle rêvait de nous engloutir et de laisser sa nuit nous envelopper. Lui… Ses yeux ressemblaient à l’océan… Et jamais l’océan ne m’avait semblé si triste auparavant. »
Mar 9 Mar - 9:56
Le parchemin rejoint le cœur du garçon, comme l’appelle si bien la Voix.
June s’est figé ; son visage s’est crispé, ses mâchoires se sont scellées. Ses yeux le fuient. Pour la première fois, June ne cherche pas son regard et face à cette main qui s’écarte de la sienne, Aimable n’a qu’un désir : la saisir. L’inquiétude se mêle à une excitation inhumaine, la TrAque, la ChasSe, susurre la Voix ; pour elle, cette fuite ne peut que l’encourager à le poursuivre. D’une pensée, Aimable la maintient fermement par le collet ; face à eux, c’est un humain, pas un monstre à chasser. En réponse, l’Ouroboros soupire et lui rappelle un souvenir lointain. Celle d’une course dans les bois. De son rire entre les arbres, repris en écho par les glapissements de la Voix. Il leur arrivait de jouer, autrefois.
Il faut croire qu’elle s’est attachée à ce garçon, pour vouloir tendrement le malmener. Aimable lui répond qu’elle ne peut pas ; qu’elle ne pourra jamais. L’on ne joue pas avec les humains. Il le lui interdit. En réponse, Elle gronde et mord sa main, il rétracte ses doigts, ses yeux reviennent prudemment effleurer le visage de son ami.
Ses yeux verts restent inaccessibles. L’ermite qu’il est sent son cœur se serrer, face à cette distance, mais il la respecte. Le sang ravive la vie à ses joues. Quelles plaies SaiIgnent dans le CoEuRrr du Garrçon. Elle revient, rôde dans ses prunelles et profite que June ait le regard détourné pour l’observer au travers des pupilles d’Aimable. Il la sent, mais Elle reste sage, un battement de paupières, elle retourne dans sa tête. June, pourtant si affamé, ne touche pas même à son plat. Ses mains restent crispées sur ce parchemin, et Aimable comprend que cet homme compte énormément. Qu’il compte assez pour que June en oublie de manger, pour qu’il préfère s’éloigner et se réfugier ailleurs dans la pièce qu’à ses côtés. De quoi a-t-il peur ? Décontenancé, Aimable bat des paupières et aimerait trouver les mots, le ton, pour l’apaiser.
Le gaRçoN M̷̧̻̺̭̲̳̪͌͌͆̋̍̅͊̏̅̕͝͝E̸̘̻͖͓̊̈́̓̽̈́̐̃̚͝N̴͉̲̭̤̄̈́̂̃̏̊̀̋Ţ̷̧̛̭̟̩̣̖̗̬̯͚̱̖̖͑̽̊̋̓͆
Aimable le sait. Son corps a parlé. Aimable se contente de boire une gorgée de sa bière ; le silence qui prend ses aises est la seule remontrance qu’il peut se permettre. Mentir… Mentir est son péché quotidien. Mais ce mensonge attise sa curiosité, un besoin de savoir étrange qu’il ne parvient pas totalement à étouffer. D’habitude, il parvient à oublier ses questions ; il comprend l’omission. Pourquoi n’arrive-t-il pas à lâcher prise, cette fois ?
Car c’est le GaRçon
June. June a réussi à franchir toutes ses défenses, à sauter par-dessus les douves, à attendre à ce que la porte s’ouvre. Se taire, oublier, ce serait laisser June à sa solitude, à ce coin de pièce sans jamais l’y chercher. Il ne peut pas. Il ne peut pas lui faire ça. Il doit trouver quelque chose à dire. Crocheter un cœur est un art des plus complexes ; les mots que l’on choisit peuvent l’ouvrir ou le briser. Et Aimable est peu loquace. Peu capable d’user des mots ; ce sont des outils grossiers, qu’il manipule avec maladresse, infligeant bien souvent des coups à ses propres doigts ou à l’âme qu’il veut ouvrir. Il ne veut pas le blesser, mais ne peut pas le laisser au fond de ces abysses, à crever sous ce silence étouffant. Le parchemin est l’écume qui le recouvre, il prend l’allure d’un linceul et recouvre son cœur. Ses yeux cherchent une échappatoire que ses lèvres sont incapables de trouver ; scellées, laissent-elles même entrer l’air ?
Ses épaules s’affaissent, June replie le parchemin. Et alors, il parle. Ses mots se déversent, comme un noyé recrache l’eau qu’il a avalée. Est-ce l’océan qui l’a emporté ? Il ne croit pas si bien dire. Egaré au fond d’une mer dont Aimable ne connaît pas la profondeur. Le Chevalier espère, naïvement, avoir le bras assez long pour saisir sa main ; pour l’arracher de ce qu’il croit être une souffrance.
_ J’ai… déjà vu la mer, oui. Quelques fois.
Il répond, avant de baisser songeusement les yeux vers les mains serrées de June. Si serrées sur son parchemin… Si serrées que ses jointures en sont blanchies. La plaie qu’il presse continue à saigner. Peut-être ne saigne-t-elle pas ; peut-être déverse-t-elle un pus salé. Fait de larmes, de tristesse, d’une peine qui n’ont jamais coulée. Alors peut-être… peut-être vaut-il mieux qu’elles se déversent. Qu’elles le soulagent. Aimable hésite, se sent un peu gauche, et finalement, tend le bras ; il ne parvient pas à le toucher. Alors le Chevalier replie sa main mais se redresse, assez peu adroitement, il rejoint June pour s’asseoir à côté de lui.
Il n’ose pas le regarder, ses yeux reviennent simplement sur le parchemin, avant qu’il ne réunisse toutes ses forces pour reposer sa main sur celles de June. Sa main lui paraît énorme – pourtant, elle est courtaude. Elle est pesante ; lourde d’os, de chairs et d’autre chose. La peau tient plus du cuir, couverte de cicatrice, elle est rugueuse et c’est avec une timide fermeté qu’il saisit l’une de ses mains pour l’inviter à relâcher l’étreinte sur le parchemin. Son pouce rejoint avec maladresse celui de son ami, presse sa pulpe contre la sienne.
Aimable n’est pas tactile. Aimable se tient toujours loin des autres et serre les dents lorsqu’on l’étreint. Pourtant, voilà qu’il vient presque prendre la main de June, avant de préférer le relâcher. Le geste lui a beaucoup coûté et il s’en sent trembler ; il préfère reposer sa main sur sa cuisse et soupirer. Il attire le repas à lui et prend une bouchée de son plat, avant de redresser songeusement les yeux vers les lèvres de June.
_... Il a été important pour toi. Je comprends… que sa tristesse t’ait touché. Tu as le cœur juste. Vaillant. Tu comprends et tu ressens beaucoup de choses.
Il détourne finalement les yeux vers les défauts du bois, de l’ongle, il vient les gratter
_ Il suffit parfois d’une fois pour s’attacher. Et les enfants… Certains enfants ont un cœur assez grand pour aimer le monde entier et vouloir essuyer les larmes que le monde a à verser. Je ne suis pas surpris que tu en aies fait partie. Est-ce que tu as pu revoir cet homme ? Etait-ce… un ami de votre famille ?
Il est si dur de trouver les mots. L’Ouroboros, lui, se contente de respirer, son rauque dans un coin de sa tête. La Voix observe. Ecoute. Et demande naïvement ce qu’est la mélancolie. Ce qu’est la tristesse, les larmes dont parle Aimable. En réponse, il lui renvoie la vision de sa propre souffrance. Des larmes qu'il verse lorsque son corps saigne. Les exemples auxquelles il pense ne sont pas révélateurs de la réalité qu’il veut définir – et l’Ouroboros, en réponse, s’esclaffe. Si Aimable y voit de la souffrance, la Voix y voit un amusement.
Alors Aimable pense à Isabeau. Isabeau qui pleure, lorsqu’il tenait dans ses bras son chaton qui n’a pas survécu à une longue nuit d’hiver. Il pense à son garçon et ses larmes bien trop grosses pour ses petits yeux malicieux, sa tristesse si lourde pour son cœur que tout son corps tremblait, sa voix hachée. Il pense à cette tristesse qu’il a accueillie dans ses bras solides, lorsqu’il l’a pris contre lui et a essuyé ses larmes de ses mains usées, jusqu’à ce qu’il s’apaise contre son torse. Et lève vers lui ses doux yeux gris, son regard brisé dont les éclats l’ont tailladé mieux que ne l’aurait fait une épée.
La Voix, alors, se tait.
GarRçon. TrRiste..?
_... Est-ce que... tu es triste ?
La question paraît stupide, d'une naïveté affligeante. Mais pour un homme comme le De Bayard, mettre des mots sur une émotion est un combat, non, une victoire. Une victoire, sur sa vie de silence, où les lèvres sont scellées. Où le coeur ne peut être que conduit par la rage ou la joie. Des émotions que l'on croit plus puissantes que le reste, qui appuieraient leur destinée de conquêtes.
Mais n'est-ce donc pas une victoire en soit que réussir à connaître les émotions, ces terribles guerrières qui assaillent les coeurs et leur infligent ces blessures sans pareilles ? Ces plaies qui saignent ou celles qui suintent, le sang et les larmes. Ces plaies qui font d'eux des humains, que le temps et les mots soignent.
June s’est figé ; son visage s’est crispé, ses mâchoires se sont scellées. Ses yeux le fuient. Pour la première fois, June ne cherche pas son regard et face à cette main qui s’écarte de la sienne, Aimable n’a qu’un désir : la saisir. L’inquiétude se mêle à une excitation inhumaine, la TrAque, la ChasSe, susurre la Voix ; pour elle, cette fuite ne peut que l’encourager à le poursuivre. D’une pensée, Aimable la maintient fermement par le collet ; face à eux, c’est un humain, pas un monstre à chasser. En réponse, l’Ouroboros soupire et lui rappelle un souvenir lointain. Celle d’une course dans les bois. De son rire entre les arbres, repris en écho par les glapissements de la Voix. Il leur arrivait de jouer, autrefois.
Il faut croire qu’elle s’est attachée à ce garçon, pour vouloir tendrement le malmener. Aimable lui répond qu’elle ne peut pas ; qu’elle ne pourra jamais. L’on ne joue pas avec les humains. Il le lui interdit. En réponse, Elle gronde et mord sa main, il rétracte ses doigts, ses yeux reviennent prudemment effleurer le visage de son ami.
Ses yeux verts restent inaccessibles. L’ermite qu’il est sent son cœur se serrer, face à cette distance, mais il la respecte. Le sang ravive la vie à ses joues. Quelles plaies SaiIgnent dans le CoEuRrr du Garrçon. Elle revient, rôde dans ses prunelles et profite que June ait le regard détourné pour l’observer au travers des pupilles d’Aimable. Il la sent, mais Elle reste sage, un battement de paupières, elle retourne dans sa tête. June, pourtant si affamé, ne touche pas même à son plat. Ses mains restent crispées sur ce parchemin, et Aimable comprend que cet homme compte énormément. Qu’il compte assez pour que June en oublie de manger, pour qu’il préfère s’éloigner et se réfugier ailleurs dans la pièce qu’à ses côtés. De quoi a-t-il peur ? Décontenancé, Aimable bat des paupières et aimerait trouver les mots, le ton, pour l’apaiser.
Le gaRçoN M̷̧̻̺̭̲̳̪͌͌͆̋̍̅͊̏̅̕͝͝E̸̘̻͖͓̊̈́̓̽̈́̐̃̚͝N̴͉̲̭̤̄̈́̂̃̏̊̀̋Ţ̷̧̛̭̟̩̣̖̗̬̯͚̱̖̖͑̽̊̋̓͆
Aimable le sait. Son corps a parlé. Aimable se contente de boire une gorgée de sa bière ; le silence qui prend ses aises est la seule remontrance qu’il peut se permettre. Mentir… Mentir est son péché quotidien. Mais ce mensonge attise sa curiosité, un besoin de savoir étrange qu’il ne parvient pas totalement à étouffer. D’habitude, il parvient à oublier ses questions ; il comprend l’omission. Pourquoi n’arrive-t-il pas à lâcher prise, cette fois ?
Car c’est le GaRçon
June. June a réussi à franchir toutes ses défenses, à sauter par-dessus les douves, à attendre à ce que la porte s’ouvre. Se taire, oublier, ce serait laisser June à sa solitude, à ce coin de pièce sans jamais l’y chercher. Il ne peut pas. Il ne peut pas lui faire ça. Il doit trouver quelque chose à dire. Crocheter un cœur est un art des plus complexes ; les mots que l’on choisit peuvent l’ouvrir ou le briser. Et Aimable est peu loquace. Peu capable d’user des mots ; ce sont des outils grossiers, qu’il manipule avec maladresse, infligeant bien souvent des coups à ses propres doigts ou à l’âme qu’il veut ouvrir. Il ne veut pas le blesser, mais ne peut pas le laisser au fond de ces abysses, à crever sous ce silence étouffant. Le parchemin est l’écume qui le recouvre, il prend l’allure d’un linceul et recouvre son cœur. Ses yeux cherchent une échappatoire que ses lèvres sont incapables de trouver ; scellées, laissent-elles même entrer l’air ?
Ses épaules s’affaissent, June replie le parchemin. Et alors, il parle. Ses mots se déversent, comme un noyé recrache l’eau qu’il a avalée. Est-ce l’océan qui l’a emporté ? Il ne croit pas si bien dire. Egaré au fond d’une mer dont Aimable ne connaît pas la profondeur. Le Chevalier espère, naïvement, avoir le bras assez long pour saisir sa main ; pour l’arracher de ce qu’il croit être une souffrance.
_ J’ai… déjà vu la mer, oui. Quelques fois.
Il répond, avant de baisser songeusement les yeux vers les mains serrées de June. Si serrées sur son parchemin… Si serrées que ses jointures en sont blanchies. La plaie qu’il presse continue à saigner. Peut-être ne saigne-t-elle pas ; peut-être déverse-t-elle un pus salé. Fait de larmes, de tristesse, d’une peine qui n’ont jamais coulée. Alors peut-être… peut-être vaut-il mieux qu’elles se déversent. Qu’elles le soulagent. Aimable hésite, se sent un peu gauche, et finalement, tend le bras ; il ne parvient pas à le toucher. Alors le Chevalier replie sa main mais se redresse, assez peu adroitement, il rejoint June pour s’asseoir à côté de lui.
Il n’ose pas le regarder, ses yeux reviennent simplement sur le parchemin, avant qu’il ne réunisse toutes ses forces pour reposer sa main sur celles de June. Sa main lui paraît énorme – pourtant, elle est courtaude. Elle est pesante ; lourde d’os, de chairs et d’autre chose. La peau tient plus du cuir, couverte de cicatrice, elle est rugueuse et c’est avec une timide fermeté qu’il saisit l’une de ses mains pour l’inviter à relâcher l’étreinte sur le parchemin. Son pouce rejoint avec maladresse celui de son ami, presse sa pulpe contre la sienne.
Aimable n’est pas tactile. Aimable se tient toujours loin des autres et serre les dents lorsqu’on l’étreint. Pourtant, voilà qu’il vient presque prendre la main de June, avant de préférer le relâcher. Le geste lui a beaucoup coûté et il s’en sent trembler ; il préfère reposer sa main sur sa cuisse et soupirer. Il attire le repas à lui et prend une bouchée de son plat, avant de redresser songeusement les yeux vers les lèvres de June.
_... Il a été important pour toi. Je comprends… que sa tristesse t’ait touché. Tu as le cœur juste. Vaillant. Tu comprends et tu ressens beaucoup de choses.
Il détourne finalement les yeux vers les défauts du bois, de l’ongle, il vient les gratter
_ Il suffit parfois d’une fois pour s’attacher. Et les enfants… Certains enfants ont un cœur assez grand pour aimer le monde entier et vouloir essuyer les larmes que le monde a à verser. Je ne suis pas surpris que tu en aies fait partie. Est-ce que tu as pu revoir cet homme ? Etait-ce… un ami de votre famille ?
Il est si dur de trouver les mots. L’Ouroboros, lui, se contente de respirer, son rauque dans un coin de sa tête. La Voix observe. Ecoute. Et demande naïvement ce qu’est la mélancolie. Ce qu’est la tristesse, les larmes dont parle Aimable. En réponse, il lui renvoie la vision de sa propre souffrance. Des larmes qu'il verse lorsque son corps saigne. Les exemples auxquelles il pense ne sont pas révélateurs de la réalité qu’il veut définir – et l’Ouroboros, en réponse, s’esclaffe. Si Aimable y voit de la souffrance, la Voix y voit un amusement.
Alors Aimable pense à Isabeau. Isabeau qui pleure, lorsqu’il tenait dans ses bras son chaton qui n’a pas survécu à une longue nuit d’hiver. Il pense à son garçon et ses larmes bien trop grosses pour ses petits yeux malicieux, sa tristesse si lourde pour son cœur que tout son corps tremblait, sa voix hachée. Il pense à cette tristesse qu’il a accueillie dans ses bras solides, lorsqu’il l’a pris contre lui et a essuyé ses larmes de ses mains usées, jusqu’à ce qu’il s’apaise contre son torse. Et lève vers lui ses doux yeux gris, son regard brisé dont les éclats l’ont tailladé mieux que ne l’aurait fait une épée.
La Voix, alors, se tait.
GarRçon. TrRiste..?
_... Est-ce que... tu es triste ?
La question paraît stupide, d'une naïveté affligeante. Mais pour un homme comme le De Bayard, mettre des mots sur une émotion est un combat, non, une victoire. Une victoire, sur sa vie de silence, où les lèvres sont scellées. Où le coeur ne peut être que conduit par la rage ou la joie. Des émotions que l'on croit plus puissantes que le reste, qui appuieraient leur destinée de conquêtes.
Mais n'est-ce donc pas une victoire en soit que réussir à connaître les émotions, ces terribles guerrières qui assaillent les coeurs et leur infligent ces blessures sans pareilles ? Ces plaies qui saignent ou celles qui suintent, le sang et les larmes. Ces plaies qui font d'eux des humains, que le temps et les mots soignent.
Sam 13 Mar - 14:03
La réponse est simple. Si simple qu’elle lui semble dénuée du sens qu’elle devrait pourtant avoir. Mais c’est de la faute de June. June qui voit tant de choses dans un simple grain de sable. Qui ne veut pas lâcher ses rêves d’enfant alors qu’il n’est plus rien de tout ça. Il est un adulte, depuis désormais bien longtemps. Trop longtemps pour laisser ses espoirs vains et les pacotilles de l’adolescence écraser ses épaules de culpabilité et de honte. Il regrette d’avoir parlé. D’avoir fait une erreur si bête.
Mais Aimable ne le juge pas. Ne dit rien, malgré l’évidente hésitation dans sa voix. Le prend-t-il pour un idiot ? Ou a-t-il dû réfléchir à se remémorer sa vie ? June laisse ses nerfs se tordre de mal-être, incertain, maladroit dans l’évident malaise qui le ronge. Mais Aimable n’est pas de ce genre. Ne le fera pas se sentir comme un étranger, lui qui pourtant n’a rien d’autre que cela à son titre. Aimable pourrait l’ignorer. Le traiter comme l’enfant qu’il est. La jeune recrue, un simple soldat. Pourquoi faire cas de ce qui ne le regarde pas ? Peine contre son cœur, tristesse contre ses traits, c’est pourtant la main d’un ami, d’un père, qui se pose sur la sienne. Le geste est chaud, et fait relever les yeux à June instantanément. Et dans la légère moue qui pince ses lèvres, Aimable, s’il y prête suffisamment attention, pourra voir l’humidité s’inviter au coin de ses yeux. La peur d’être dénigré. Le soulagement de voir sa peine reconnue.
Le geste est éphémère. D’autres, peut-être, auraient pu prendre cela pour du dégoût. Mais Aimable reste là et June se sent faillir alors que de leurs deux présences désormais rapprochées, June ose doucement venir appuyer son épaule contre cette plus large et solide du chevalier. Laisse retomber sa tête en avant et écoute sans un mot, comme une âme en peine se laisse rassurer par les mots tout puissants de Dieu. Est-ce un deuil ? Est-ce une révélation ? June ne saurait le dire. Sait simplement qu’à cet instant précis, Aimable est un roc auquel il ne mérite pas de se rattacher, quand bien même son corps et son âme de concert s’agrippent au cou d’un homme qui n’est pas sa figure paternelle, quand bien même toute sa composition lui hurle le contraire.
Mais June n’est pas vaillant. Se reconnait dans cette image qui lui est offerte. Non, June n’aime pas le monde avec tant d’innocence. June aime… June l’aime…
« Il… Il n’est pas… »
Instinctivement, June referme ses bras autour de lui, tenant le parchemin contre son cœur. Comme on protège une chose précieuse. Il n’a jamais osé parler de ça en d’autres termes qu’oniriques. Nanna n’avait pas compris. Nanna… Nanna avait rencontré l’homme que June cherchait. L’avait connu avant lui. Avait été celle à qui l’on avait un jour promis.
« Il nous a fait une promesse… A Nanna et moi… »
Comme une oiselle s’éprend des voeux du mariage, June se sent idiot et inconstant de jurer par ce qui ne lui a pourtant jamais été soufflé directement. Accroché à l’histoire de Nanna comme on espère que descendance peut transmettre les plus beaux bijoux. Il se fiche, June, de ce qui est matériel. Voudrait l’esprit et la grâce d’une femme pour pouvoir espérer être à la hauteur. Lui qui s’était grimé, menteur de son nom, menteur de son genre. Cheveux longs ne sont plus son apanage, et le nom de sa sœur, jamais ne sera le sien. Serait-il reconnu, lui qui pourrait à s’y méprendre assurer sur sa vie et son cœur que la personne sur ces lignes est l’homme d’une nuit lointaine et oubliée ? Sainte-Lucie, seule entité aux souvenirs qui pourrait prouver sa ferveur. June frissonne et cherche le regard d’Aimable. Cherche son approbation. Cherche à valider ce que son cœur hurle depuis des années.
« Il est quelque chose que je ne peux expliquer. »
La tristesse est le mot qu’Aimable appose à son mal et c’est une étincelle dans les yeux du cadet. Une flamme incertaine, vacillant contre la neige. La couronne de bougie qui trônait en œuvre d’orfèvre contre le jais de ses cheveux longs. Son sourire est l’ombre du sien, le soleil s’est couché sur ses traits halés, et si ses lignes marquent encore la douceur d’une adolescence candide, la peine dans son regard est, elle, vieille de plusieurs millénaires.
« Il me manque. »
L’acquiescement n’apporterait rien. Un cœur brisé n’a jamais été plus juste. Plus impitoyable. Aimable ne comprendrait pas. Penserait peut-être qu’il n’a rien compris, lui, juvénile âme en perdition.
Mais il ne peut poursuivre. Ne peut jurer sur le nom de ce qu’il ne connait pas. De ce qu’il pourrait oublier, feuille au vent envolée contre le sein de l’automne. Balayé, le souvenir de ce qui aurait pu être. De ce qui aurait dut. Mensonge ourle ses mots, brode ses lèvres d’un fil qu’il ne saurait tromper. Coud sa peine d’une suture qu’il ne pourra jamais effacer. Cicatrice qui le suit et le suivra jusqu’à sa mort, il croit, vain d’espérer retrouver une chimère du passé.
« Connais-tu la Sainte-Lucie, Aimable ? S’il neige dans votre pays cet hiver, m’autoriseriez-vous à vous montrer les rites de mon pays ? »
Partager. Partager ce que l’on ne peut avouer. Souffler contre les braises d’une histoire qu’il ne pourrait jamais rallumer seul. Il sourit et se détache lentement de l’homme, refuse de laisser croire au reste du monde que les choses ne sont pas telles qu’ils peuvent le croire. Ils ne sont que deux soldats, un mentor et son pupille. Il souffle, expire et soupire, reposant son regard sur son plat. Range le parchemin fautif contre son jabot et oublie, là où brûle le fer du souvenir contre ses côtes.
« Qu’est-ce que le marc de raisin ? Je ne pense pas connaître ce mot. »
Changer. Changer pour mieux oublier. Dissimuler les empreintes de sa peine comme un efface les traces de son passage dans la neige. Comme l’éternel manteau blanc qui à l’aube du jour suivant, avait emporté toute trace d’un rêve promis. D’une promesse oubliée.
Mais Aimable ne le juge pas. Ne dit rien, malgré l’évidente hésitation dans sa voix. Le prend-t-il pour un idiot ? Ou a-t-il dû réfléchir à se remémorer sa vie ? June laisse ses nerfs se tordre de mal-être, incertain, maladroit dans l’évident malaise qui le ronge. Mais Aimable n’est pas de ce genre. Ne le fera pas se sentir comme un étranger, lui qui pourtant n’a rien d’autre que cela à son titre. Aimable pourrait l’ignorer. Le traiter comme l’enfant qu’il est. La jeune recrue, un simple soldat. Pourquoi faire cas de ce qui ne le regarde pas ? Peine contre son cœur, tristesse contre ses traits, c’est pourtant la main d’un ami, d’un père, qui se pose sur la sienne. Le geste est chaud, et fait relever les yeux à June instantanément. Et dans la légère moue qui pince ses lèvres, Aimable, s’il y prête suffisamment attention, pourra voir l’humidité s’inviter au coin de ses yeux. La peur d’être dénigré. Le soulagement de voir sa peine reconnue.
Le geste est éphémère. D’autres, peut-être, auraient pu prendre cela pour du dégoût. Mais Aimable reste là et June se sent faillir alors que de leurs deux présences désormais rapprochées, June ose doucement venir appuyer son épaule contre cette plus large et solide du chevalier. Laisse retomber sa tête en avant et écoute sans un mot, comme une âme en peine se laisse rassurer par les mots tout puissants de Dieu. Est-ce un deuil ? Est-ce une révélation ? June ne saurait le dire. Sait simplement qu’à cet instant précis, Aimable est un roc auquel il ne mérite pas de se rattacher, quand bien même son corps et son âme de concert s’agrippent au cou d’un homme qui n’est pas sa figure paternelle, quand bien même toute sa composition lui hurle le contraire.
Mais June n’est pas vaillant. Se reconnait dans cette image qui lui est offerte. Non, June n’aime pas le monde avec tant d’innocence. June aime… June l’aime…
« Il… Il n’est pas… »
Instinctivement, June referme ses bras autour de lui, tenant le parchemin contre son cœur. Comme on protège une chose précieuse. Il n’a jamais osé parler de ça en d’autres termes qu’oniriques. Nanna n’avait pas compris. Nanna… Nanna avait rencontré l’homme que June cherchait. L’avait connu avant lui. Avait été celle à qui l’on avait un jour promis.
« Il nous a fait une promesse… A Nanna et moi… »
Comme une oiselle s’éprend des voeux du mariage, June se sent idiot et inconstant de jurer par ce qui ne lui a pourtant jamais été soufflé directement. Accroché à l’histoire de Nanna comme on espère que descendance peut transmettre les plus beaux bijoux. Il se fiche, June, de ce qui est matériel. Voudrait l’esprit et la grâce d’une femme pour pouvoir espérer être à la hauteur. Lui qui s’était grimé, menteur de son nom, menteur de son genre. Cheveux longs ne sont plus son apanage, et le nom de sa sœur, jamais ne sera le sien. Serait-il reconnu, lui qui pourrait à s’y méprendre assurer sur sa vie et son cœur que la personne sur ces lignes est l’homme d’une nuit lointaine et oubliée ? Sainte-Lucie, seule entité aux souvenirs qui pourrait prouver sa ferveur. June frissonne et cherche le regard d’Aimable. Cherche son approbation. Cherche à valider ce que son cœur hurle depuis des années.
« Il est quelque chose que je ne peux expliquer. »
La tristesse est le mot qu’Aimable appose à son mal et c’est une étincelle dans les yeux du cadet. Une flamme incertaine, vacillant contre la neige. La couronne de bougie qui trônait en œuvre d’orfèvre contre le jais de ses cheveux longs. Son sourire est l’ombre du sien, le soleil s’est couché sur ses traits halés, et si ses lignes marquent encore la douceur d’une adolescence candide, la peine dans son regard est, elle, vieille de plusieurs millénaires.
« Il me manque. »
L’acquiescement n’apporterait rien. Un cœur brisé n’a jamais été plus juste. Plus impitoyable. Aimable ne comprendrait pas. Penserait peut-être qu’il n’a rien compris, lui, juvénile âme en perdition.
Mais il ne peut poursuivre. Ne peut jurer sur le nom de ce qu’il ne connait pas. De ce qu’il pourrait oublier, feuille au vent envolée contre le sein de l’automne. Balayé, le souvenir de ce qui aurait pu être. De ce qui aurait dut. Mensonge ourle ses mots, brode ses lèvres d’un fil qu’il ne saurait tromper. Coud sa peine d’une suture qu’il ne pourra jamais effacer. Cicatrice qui le suit et le suivra jusqu’à sa mort, il croit, vain d’espérer retrouver une chimère du passé.
« Connais-tu la Sainte-Lucie, Aimable ? S’il neige dans votre pays cet hiver, m’autoriseriez-vous à vous montrer les rites de mon pays ? »
Partager. Partager ce que l’on ne peut avouer. Souffler contre les braises d’une histoire qu’il ne pourrait jamais rallumer seul. Il sourit et se détache lentement de l’homme, refuse de laisser croire au reste du monde que les choses ne sont pas telles qu’ils peuvent le croire. Ils ne sont que deux soldats, un mentor et son pupille. Il souffle, expire et soupire, reposant son regard sur son plat. Range le parchemin fautif contre son jabot et oublie, là où brûle le fer du souvenir contre ses côtes.
« Qu’est-ce que le marc de raisin ? Je ne pense pas connaître ce mot. »
Changer. Changer pour mieux oublier. Dissimuler les empreintes de sa peine comme un efface les traces de son passage dans la neige. Comme l’éternel manteau blanc qui à l’aube du jour suivant, avait emporté toute trace d’un rêve promis. D’une promesse oubliée.
Lun 15 Mar - 22:46
L'Ouroboros croise les yeux de June à travers les vôtre, un instant. Un court instant qui, pourtant, lui fait ressentir des tas de choses impossible à comprendre.
"FFFFFFFFFFFRRhhhhhhhhhhhhhhhhhhSAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAh ! TRISTE TRISTE TRISTE- Il eSt TrISTE comme... IL A PERDU QUELQU'UN ?! Il esT TRiste coMME I.... I.... Sis.
Une seconde de silence. Et l'explosion.
"DESYEUXVEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEERTS !"
Il essayera bien de gratter pour sortir mais se fatiguera vite. Vous ne l'entendrez plus de la journée suite à cela.
RÉMINISCENCES
L'Ouroboros croise les yeux de June à travers les vôtre, un instant. Un court instant qui, pourtant, lui fait ressentir des tas de choses impossible à comprendre.
"FFFFFFFFFFFRRhhhhhhhhhhhhhhhhhhSAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAh ! TRISTE TRISTE TRISTE- Il eSt TrISTE comme... IL A PERDU QUELQU'UN ?! Il esT TRiste coMME I.... I.... Sis.
Une seconde de silence. Et l'explosion.
"DESYEUXVEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEERTS !"
Il essayera bien de gratter pour sortir mais se fatiguera vite. Vous ne l'entendrez plus de la journée suite à cela.
Mar 30 Mar - 10:06
La douleur, familière, se ravive dans ses veines.
Le feu est ardent ; les crocs embrasés déchirent sa chair, il sent son souffle dans sa gorge, le raclement des griffes contre ses côtes. L’Ouroboros est un cerbère enragé, embrasé, son poil dru hérisse ses bras, ses muscles contiennent ses assauts. La bête, enchaînée, encagée, se jette contre ses os.
Aimable ne flanche pas. Il tient, ses sourcils se froncent alors que la Voix crache et gronde.
Il n’écoute pas June, il n’entend plus rien à dire vrai, il n’entend qu’Elle et ses menaces. Ce sont des sons sans sens, c’est un susurrement sournois, c’est sentir ces serpents de feu répandre leurs poisons dans son sang. La haine, la rage, suppurent sous sa peau, c’est une peine carnassière, c’est une soif vorace, c’est un appétit sans faim, sans fin, émotions indéfinissables, carnage.
Sa vision lui échappe, la peur le saisit, Aimable, soudain, se tient à la table. Ses paupières battent, affolées, mais la barrière de chair ne suffit pas ; les yeux de l’Ouroboros s’arrachent des siens.
Il n’y a plus d’yeux bleus. Un gouffre a emporté le ciel ; la pupille se darde dans les yeux VERTS du GaRRçon. ObscurRIté. Dans l’ooMmbre, nous RôDONS, noous le REgarRRdons. VERTS. VERTS. VERTS. TRRISTE. GARCON.
Son souffle s’est figé, ses lèvres sont scellées. Ces quelques longues secondes durent une éternité.
Aimable reprend le dessus. Ses yeux se détournent. Sa main a planté ses ongles dans le bois, son souffle reprend. Rauque, il s’arrache comme l’on cherche de l’air, il inspire à plusieurs reprises. Les traits imperturbables de son visage se sont discrètement tendus ; la tension que l’on devine trahit la douleur qu’il ravale. Son cœur, si lent, daigne enfin s’accélérer, sa vision se trouble, mais se ravive, il frotte ses paupières.
L’Ouroboros retourne à ses abîmes.
Il est en sueur. Le front trempé. Aimable s’essuie d’un revers de manche, attrape sa bière qu’il termine d’une traite. Il déteste sentir le sang dans son nez, la chaleur dérangeante dans ses chairs, la présence de la Bête. Elle s’est réfugiée dans ses viscères, loin de sa tête et la fatigue écrase ses épaules.
Groggy, quelques secondes sont nécessaires pour permettre à Aimable de revenir à lui. A l’instant. A June. La honte enserre son crâne d’une migraine innommable, la lumière ravive cette douleur tenace qu’il garde bien au fond de son crâne. June a-t-il remarqué quoi que ce soit ? Il n’ose plus le regarder, il fixe son assiette. Il a peur de ce qu’il peut voir. Il a peur de ce que June peut discerner, peut comprendre. De ce qu’il pourrait chercher à savoir. Las, Aimable glisse une main le long de son visage, le geste est lent, raide, ses doigts eux-mêmes sont encore repliés, contractés. Dans un soupir, Aimable repose son bras sur la table, sa main masse son front, sans pour autant le débarrasser de sa tension.
_ Excuse moi… La fatigue.
Sa bouche lui semble pâteuse. Si contractée qu’il peine à articuler. Bien que l’Ouroboros se soit finalement tu, Aimable peine à relâcher ses muscles. Comment se détendre ? Le silence est souvent synonyme d’une tempête à venir. La douleur a déjà disparu de ses traits et seuls les plus observateurs décèleront la tristesse de ses yeux baissés. La paix. C’est tout ce qu’il demande. Pourquoi faut-il encore que la Voix vienne se manifester ?
June vient de se confier à lui. June lui parle de sa vie. Et Elle a besoin de tout ramener à elle. De tout briser, sous ses crocs affamés, de tout écraser sous sa masse, de lui rappeler, sans cesse, sa présence envahissante. Elle est là, elle est toujours là et Aimable sera à jamais condamné à la côtoyer. Elle pourchassera ses proches, engloutira ses espoirs, détruira tout ce qui l’approche. Il ne veut pas qu’elle ruine ses amitiés – elle a déjà bien assez ruiné sa vie.
Et alors qu’il se laisse aller au désespoir, l’épaule plus frêle de June rencontre la sienne. Surpris, Aimable sort de ses pensées. Sa tête s’est reposée et à ce geste, Aimable se sent saisi d’une force qu’il ne pensait plus avoir. Son bras revient tendrement entourer les épaules du jeune homme ; sa main se repose sur son épaule pour l’inviter à rester contre lui. La pression de son corps contre le sien est une étreinte réconfortante. Il sent son cœur s’échauffer et finalement, il oublie la Voix et tout ce qu’elle éveille. Il profite de l’instant, sans l’avouer, et ses yeux reviennent timidement effleurer le visage de June pour l’étudier. Il espère que ce geste ne le dérangera pas ; leur corps l’un contre l’autre, leur dos contre le monde et leur face contre la table, c’est un fort qu’ils se sont improvisés. Loin des autres.
June s’enlace. Et dans ce geste protecteur, Aimable se reconnaît. Tous deux gardent au fond d’eux-mêmes des choses que les Mots ne savent pas décrire.
Et instinctivement, Aimable a le désir de le protéger, lui et cet inconnu qu’il serre entre ses doigts. Il ne comprend pas tant ce qui les unit, mais ce qu’il voit, lui suffit.
Quand June cherche son regard, il faut de longues secondes. De très longues secondes, où June peut à loisir contempler les traits du Chevalier. Malgré son jeune âge, des mèches grisées ajoutent un peu de clarté à sa chevelure châtain ; ses sourcils sont eux aussi parsemés d’une neige à venir, comme ses mâchoires. Sa peau est burinée, marquée par les vents glacés et par cette chose qui le ronge ; les rides entourent ses lèvres comme les babines d’un lion se dessinent, ses sourcils toujours froncés vallonnent son front. Et tapis sous ses cils, se réfugient ses yeux bleus. Ils ne sont pas craintifs, pour autant, ils n’osent jamais s’unir à ceux de ses interlocuteurs. June perçoit leurs mouvements inquiets ; comme un chien battu qui peine à s’extirper de sa cachette.
Il faut beaucoup de courage à Aimable pour accepter de le regarder. Un courage poussé par l’affection qu’il a pour ce garçon.
Alors, ses prunelles acceptent le contact ; elles s’unissent aux yeux verts, elles se perdent dans cette forêt d’émeraude. Il offre, en réponse, son ciel, cette mer où les bleus se mêlent, où ses pupilles sont l’abysse. Toute la dualité de son âme, réunie en un seul regard. Sérénité, chaos, assurance, doutes, amour, et quelque chose de froid, de viscéral, de sauvage. Tant de choses qu’il faudrait d’une vie pour les étudier – mais qu’Aimable dissimule d’un battement de paupières. Comme un brûlé que l’on aurait touché, ses yeux se détournent et pourtant, ce geste parle plus que tous ceux qu’il a réussis à faire. Pour ce garçon, il se dépasse.
Sa… tristesse est insupportable à voir. C’est pire qu’un coup d’estoc, aux yeux du grand chevalier ; sa peine, c’est un coup de couteau en plein cœur, c’est une douleur que l’Ouroboros lui-même ne sait pas lui infliger. Le manque qu’il avoue, sur ce ton, est comme un estropié qui manque de ses jambes, comme un aveugle qui regrette sa vue. Comme lui, qui maudit l’Ouroboros et tout ce qu’il lui a pris. Il aimerait trouver une solution, quelque chose, pour combler cette absence.
L’impuissance est terrible et en réponse, il raffermit l’emprise de son bras contre son corps. C’est son soutien, qu’il peut apporter et le voyant ainsi fragile, il sent en lui rugir le lion. Le Chevalier n’a pas besoin de l’Ouroboros, non. Viscéralement protecteur, c’est de toute son âme qu’il garde June contre lui et prend même le risque de glisser ses doigts dans ses cheveux de jais ; avec une tendresse paternelle, il vient les lui caresser. Le geste est pataud, bourru, comme si Aimable ne savait pas comment placer sa grosse main sans lui écraser le crâne. La pression trahit son affection, ses doigts dardés de cicatrice protègent son crâne. Comme s’il pouvait ainsi chasser ses mauvaises pensées, ou apaiser les larmes qu’il devine sous son crâne, tapies derrière ses yeux, cette peine qu’il ne sait pas comment soigner.
_ Je ne connais pas… non. Mais ce serait un grand honneur pour moi de découvrir ces rites dont tu me parles. S’il faut de la neige, n’aie aucune inquiétude. Les neiges sont très présentes, chez moi. Elles tombent d’octobre jusqu’en mars.
Explique Aimable. Sa voix est fatiguée, rauque, abîmée ; pour autant, une tendresse déterminée s’en échappe, lorsqu’il reprend d’une voix assurée.
_ Et combien même n’a-t-il pas de neige… S’il faut que je te porte jusqu’en haut du Mont Blanc, je t’y conduirai.
Si c’est ce qu’il lui faut pour combler le manque. L’absence. Ou au moins… Soulager sa peine. Alléger sa souffrance. Aimable est prêt à se démener pour l’aider.
Lorsque June esquisse un geste, Aimable accepte de replier ses ailes ; il ramène ses bras contre lui, repose ses mains sur ses cuisses. Il n’a plus tant d’appétit, au moins, il a terminé son assiette et la bière qui allait avec. Gêné d’avoir démontré tant d’affection, Aimable élève une main pour masser sa nuque. Ses yeux se sont difficilement refermés, il lâche un grognement de vieux chien avant de reposer sa main sur la table.
_ Ma femme t’expliquerait mieux que moi. Lorsqu’on fait le vin, on ramasse les peaux écrasées des raisins et on entoure les tomes avec… La tome prend alors un goût très… musqué, assez relevé. Les enfants n’aiment pas, enfin, mes gamins font toujours la grimace lorsque je leur en donne.
Un son bref s’arrache de ses lèvres, une onomatopée trahissant son amusement, qu’il étouffe d’un léger sourire. Ses yeux se détournent vers le feu de bois ; ses bras se reposent sur la table et lui-même appuie sa joue contre ses jointures.
_ On en mange surtout en automne, après les vendanges. Ma belle famille possède quelques vignes… Ma femme, quant à elle, possède un troupeau d’une quinzaine de vaches. Elle m’a appris à faire du fromage mais… je n’ai pas son talent.
Eleanor était une famille issue de la basse noblesse. Sa richesse, elle l’a construit par son travail : d’ailleurs, elle ne parvient pas totalement à abandonner ses habitudes. Aimable, lui, brosse souvent le pelage des vaches, s’occupe de leurs sabots, mais rechigne à les traire. Il a toujours peur de blesser les vaches, lorsqu’il se met à la tâche.
_ … Toutes les saisons sont belles, chez moi. Quand tu voudras… Et quand tu pourras, je t’y conduirai. Au printemps, les dernières neiges fondent. Les champs s’emplissent de fleurs. Ca sent la sève. L’été, il y a les champs de blé, les foins, l’odeur de la terre séchée par le soleil. L’automne, la montagne se pare d’or et de rubis. L’humidité, le parfum des champignons, du mucus. Et l’hiver… Il y a ce calme. Le craquement de la neige sous nos pas, le silence de la forêt endormie. La fraicheur. Enfin.
Aimable soupire et se redresse légèrement. Il étire l’un de ses bras, l’articulation émet un craquement de protestation.
_ Tu as… beaucoup de talent, en dessin. Ca serait apprécié, chez moi.
Le feu est ardent ; les crocs embrasés déchirent sa chair, il sent son souffle dans sa gorge, le raclement des griffes contre ses côtes. L’Ouroboros est un cerbère enragé, embrasé, son poil dru hérisse ses bras, ses muscles contiennent ses assauts. La bête, enchaînée, encagée, se jette contre ses os.
Aimable ne flanche pas. Il tient, ses sourcils se froncent alors que la Voix crache et gronde.
Il n’écoute pas June, il n’entend plus rien à dire vrai, il n’entend qu’Elle et ses menaces. Ce sont des sons sans sens, c’est un susurrement sournois, c’est sentir ces serpents de feu répandre leurs poisons dans son sang. La haine, la rage, suppurent sous sa peau, c’est une peine carnassière, c’est une soif vorace, c’est un appétit sans faim, sans fin, émotions indéfinissables, carnage.
Sa vision lui échappe, la peur le saisit, Aimable, soudain, se tient à la table. Ses paupières battent, affolées, mais la barrière de chair ne suffit pas ; les yeux de l’Ouroboros s’arrachent des siens.
Il n’y a plus d’yeux bleus. Un gouffre a emporté le ciel ; la pupille se darde dans les yeux VERTS du GaRRçon. ObscurRIté. Dans l’ooMmbre, nous RôDONS, noous le REgarRRdons. VERTS. VERTS. VERTS. TRRISTE. GARCON.
Son souffle s’est figé, ses lèvres sont scellées. Ces quelques longues secondes durent une éternité.
Aimable reprend le dessus. Ses yeux se détournent. Sa main a planté ses ongles dans le bois, son souffle reprend. Rauque, il s’arrache comme l’on cherche de l’air, il inspire à plusieurs reprises. Les traits imperturbables de son visage se sont discrètement tendus ; la tension que l’on devine trahit la douleur qu’il ravale. Son cœur, si lent, daigne enfin s’accélérer, sa vision se trouble, mais se ravive, il frotte ses paupières.
L’Ouroboros retourne à ses abîmes.
Il est en sueur. Le front trempé. Aimable s’essuie d’un revers de manche, attrape sa bière qu’il termine d’une traite. Il déteste sentir le sang dans son nez, la chaleur dérangeante dans ses chairs, la présence de la Bête. Elle s’est réfugiée dans ses viscères, loin de sa tête et la fatigue écrase ses épaules.
Groggy, quelques secondes sont nécessaires pour permettre à Aimable de revenir à lui. A l’instant. A June. La honte enserre son crâne d’une migraine innommable, la lumière ravive cette douleur tenace qu’il garde bien au fond de son crâne. June a-t-il remarqué quoi que ce soit ? Il n’ose plus le regarder, il fixe son assiette. Il a peur de ce qu’il peut voir. Il a peur de ce que June peut discerner, peut comprendre. De ce qu’il pourrait chercher à savoir. Las, Aimable glisse une main le long de son visage, le geste est lent, raide, ses doigts eux-mêmes sont encore repliés, contractés. Dans un soupir, Aimable repose son bras sur la table, sa main masse son front, sans pour autant le débarrasser de sa tension.
_ Excuse moi… La fatigue.
Sa bouche lui semble pâteuse. Si contractée qu’il peine à articuler. Bien que l’Ouroboros se soit finalement tu, Aimable peine à relâcher ses muscles. Comment se détendre ? Le silence est souvent synonyme d’une tempête à venir. La douleur a déjà disparu de ses traits et seuls les plus observateurs décèleront la tristesse de ses yeux baissés. La paix. C’est tout ce qu’il demande. Pourquoi faut-il encore que la Voix vienne se manifester ?
June vient de se confier à lui. June lui parle de sa vie. Et Elle a besoin de tout ramener à elle. De tout briser, sous ses crocs affamés, de tout écraser sous sa masse, de lui rappeler, sans cesse, sa présence envahissante. Elle est là, elle est toujours là et Aimable sera à jamais condamné à la côtoyer. Elle pourchassera ses proches, engloutira ses espoirs, détruira tout ce qui l’approche. Il ne veut pas qu’elle ruine ses amitiés – elle a déjà bien assez ruiné sa vie.
Et alors qu’il se laisse aller au désespoir, l’épaule plus frêle de June rencontre la sienne. Surpris, Aimable sort de ses pensées. Sa tête s’est reposée et à ce geste, Aimable se sent saisi d’une force qu’il ne pensait plus avoir. Son bras revient tendrement entourer les épaules du jeune homme ; sa main se repose sur son épaule pour l’inviter à rester contre lui. La pression de son corps contre le sien est une étreinte réconfortante. Il sent son cœur s’échauffer et finalement, il oublie la Voix et tout ce qu’elle éveille. Il profite de l’instant, sans l’avouer, et ses yeux reviennent timidement effleurer le visage de June pour l’étudier. Il espère que ce geste ne le dérangera pas ; leur corps l’un contre l’autre, leur dos contre le monde et leur face contre la table, c’est un fort qu’ils se sont improvisés. Loin des autres.
June s’enlace. Et dans ce geste protecteur, Aimable se reconnaît. Tous deux gardent au fond d’eux-mêmes des choses que les Mots ne savent pas décrire.
Et instinctivement, Aimable a le désir de le protéger, lui et cet inconnu qu’il serre entre ses doigts. Il ne comprend pas tant ce qui les unit, mais ce qu’il voit, lui suffit.
Quand June cherche son regard, il faut de longues secondes. De très longues secondes, où June peut à loisir contempler les traits du Chevalier. Malgré son jeune âge, des mèches grisées ajoutent un peu de clarté à sa chevelure châtain ; ses sourcils sont eux aussi parsemés d’une neige à venir, comme ses mâchoires. Sa peau est burinée, marquée par les vents glacés et par cette chose qui le ronge ; les rides entourent ses lèvres comme les babines d’un lion se dessinent, ses sourcils toujours froncés vallonnent son front. Et tapis sous ses cils, se réfugient ses yeux bleus. Ils ne sont pas craintifs, pour autant, ils n’osent jamais s’unir à ceux de ses interlocuteurs. June perçoit leurs mouvements inquiets ; comme un chien battu qui peine à s’extirper de sa cachette.
Il faut beaucoup de courage à Aimable pour accepter de le regarder. Un courage poussé par l’affection qu’il a pour ce garçon.
Alors, ses prunelles acceptent le contact ; elles s’unissent aux yeux verts, elles se perdent dans cette forêt d’émeraude. Il offre, en réponse, son ciel, cette mer où les bleus se mêlent, où ses pupilles sont l’abysse. Toute la dualité de son âme, réunie en un seul regard. Sérénité, chaos, assurance, doutes, amour, et quelque chose de froid, de viscéral, de sauvage. Tant de choses qu’il faudrait d’une vie pour les étudier – mais qu’Aimable dissimule d’un battement de paupières. Comme un brûlé que l’on aurait touché, ses yeux se détournent et pourtant, ce geste parle plus que tous ceux qu’il a réussis à faire. Pour ce garçon, il se dépasse.
Sa… tristesse est insupportable à voir. C’est pire qu’un coup d’estoc, aux yeux du grand chevalier ; sa peine, c’est un coup de couteau en plein cœur, c’est une douleur que l’Ouroboros lui-même ne sait pas lui infliger. Le manque qu’il avoue, sur ce ton, est comme un estropié qui manque de ses jambes, comme un aveugle qui regrette sa vue. Comme lui, qui maudit l’Ouroboros et tout ce qu’il lui a pris. Il aimerait trouver une solution, quelque chose, pour combler cette absence.
L’impuissance est terrible et en réponse, il raffermit l’emprise de son bras contre son corps. C’est son soutien, qu’il peut apporter et le voyant ainsi fragile, il sent en lui rugir le lion. Le Chevalier n’a pas besoin de l’Ouroboros, non. Viscéralement protecteur, c’est de toute son âme qu’il garde June contre lui et prend même le risque de glisser ses doigts dans ses cheveux de jais ; avec une tendresse paternelle, il vient les lui caresser. Le geste est pataud, bourru, comme si Aimable ne savait pas comment placer sa grosse main sans lui écraser le crâne. La pression trahit son affection, ses doigts dardés de cicatrice protègent son crâne. Comme s’il pouvait ainsi chasser ses mauvaises pensées, ou apaiser les larmes qu’il devine sous son crâne, tapies derrière ses yeux, cette peine qu’il ne sait pas comment soigner.
_ Je ne connais pas… non. Mais ce serait un grand honneur pour moi de découvrir ces rites dont tu me parles. S’il faut de la neige, n’aie aucune inquiétude. Les neiges sont très présentes, chez moi. Elles tombent d’octobre jusqu’en mars.
Explique Aimable. Sa voix est fatiguée, rauque, abîmée ; pour autant, une tendresse déterminée s’en échappe, lorsqu’il reprend d’une voix assurée.
_ Et combien même n’a-t-il pas de neige… S’il faut que je te porte jusqu’en haut du Mont Blanc, je t’y conduirai.
Si c’est ce qu’il lui faut pour combler le manque. L’absence. Ou au moins… Soulager sa peine. Alléger sa souffrance. Aimable est prêt à se démener pour l’aider.
Lorsque June esquisse un geste, Aimable accepte de replier ses ailes ; il ramène ses bras contre lui, repose ses mains sur ses cuisses. Il n’a plus tant d’appétit, au moins, il a terminé son assiette et la bière qui allait avec. Gêné d’avoir démontré tant d’affection, Aimable élève une main pour masser sa nuque. Ses yeux se sont difficilement refermés, il lâche un grognement de vieux chien avant de reposer sa main sur la table.
_ Ma femme t’expliquerait mieux que moi. Lorsqu’on fait le vin, on ramasse les peaux écrasées des raisins et on entoure les tomes avec… La tome prend alors un goût très… musqué, assez relevé. Les enfants n’aiment pas, enfin, mes gamins font toujours la grimace lorsque je leur en donne.
Un son bref s’arrache de ses lèvres, une onomatopée trahissant son amusement, qu’il étouffe d’un léger sourire. Ses yeux se détournent vers le feu de bois ; ses bras se reposent sur la table et lui-même appuie sa joue contre ses jointures.
_ On en mange surtout en automne, après les vendanges. Ma belle famille possède quelques vignes… Ma femme, quant à elle, possède un troupeau d’une quinzaine de vaches. Elle m’a appris à faire du fromage mais… je n’ai pas son talent.
Eleanor était une famille issue de la basse noblesse. Sa richesse, elle l’a construit par son travail : d’ailleurs, elle ne parvient pas totalement à abandonner ses habitudes. Aimable, lui, brosse souvent le pelage des vaches, s’occupe de leurs sabots, mais rechigne à les traire. Il a toujours peur de blesser les vaches, lorsqu’il se met à la tâche.
_ … Toutes les saisons sont belles, chez moi. Quand tu voudras… Et quand tu pourras, je t’y conduirai. Au printemps, les dernières neiges fondent. Les champs s’emplissent de fleurs. Ca sent la sève. L’été, il y a les champs de blé, les foins, l’odeur de la terre séchée par le soleil. L’automne, la montagne se pare d’or et de rubis. L’humidité, le parfum des champignons, du mucus. Et l’hiver… Il y a ce calme. Le craquement de la neige sous nos pas, le silence de la forêt endormie. La fraicheur. Enfin.
Aimable soupire et se redresse légèrement. Il étire l’un de ses bras, l’articulation émet un craquement de protestation.
_ Tu as… beaucoup de talent, en dessin. Ca serait apprécié, chez moi.
Lun 12 Avr - 2:21
And in battlelust, Ares stands
And in battlelust, Ares stands
June ne comprend pas. Enfant ingénu, le malaise d’Aimable lui échappe. Ou plutôt, il ne le saisit pas en ces termes-là. Il remarque davantage la pâleur, comme parfois pouvait l’être sa sœur lorsqu’elle s’apprêtait à faire un malaise. Mais rien ne vient. Rien si ce ne sont les vagues excuses du chevalier qui font doucement secouer la tête à June alors qu’il verse un peu d’eau dans le verre de l’autre homme et le rapproche de lui. Mais rien de tout ceci ne semble efficace. Pas plus que ses propres gestes pour tenter de se rassurer ne font effet. Peut-être qu’Aimable est simple dégoûté par les propos de June lui rapporte. L’idée lui tord le cœur et l’âme d’une douleur singulière. Il n’ose plus croiser son regard et détourne les yeux. Honte s’étire sur sa peau, marque au fer rouge contre sa peau. Comme Dieu se répugne de cette admiration au goût de vice. Peut-il seulement aimer autre chose que son Seigneur avec tant d’ardeur ? L’idée l’écœure autant qu’elle ne le brise. D’un geste maladroit, il aurait presque l’envie de quitter la table et de s’excuser pour de bon. De ne plus s’imposer à la vue d’Aimable. Ni même d’essayer de –
Les larmes lui montent aux yeux bien malgré lui, et la sensation de chaleur contre ses joues n’est que l’évidence de son malaise. Infâme, voilà ce qu’il est. Voilà ce qu’il semblait inspirer à celui qu’il aimait à appeler son mentor. Peut-être qu’après aujourd’hui, il n’y aurait plus rien de tout ceci. Plus rien pour justifier ces instants volés en sa compagnie. June ravale la bile qui hurle à brûler sa gorge nouée et essaye de rester maître de ses émotions.
Pourquoi le hoquet qui lui échappe, s’il est léger, ne cache pas la larme qui roule contre sa joue. Il l’essuie d’un geste rageur bien que discret. Mais tout ce qu’il sent, ce sont ces doigts calleux contre son crâne. Là où Aimable a rétabli le contact entre eux. Là où Aimable, sans un mot, lui accorde le pardon d’un père à son fils pécheur. Peut-être qu’en d’autres lieux, June aurait éclaté en sanglots sous le poids d’un secret qu’il n’aime plus à partager avec quiconque de peur de révéler le mal qui le ronge. Cette histoire, cette fable, il la vit encore chaque nuit, lorsqu’il rêve des étendues enneigées de la Suède. Lorsqu’il pense à ces doigts gantés contre sa joue d’enfant. June n’a rien oublié. Pas même la douleur de la séparation. Pas même le son suave d’une voix envoûtante.
Mais contre lui, ce n’est pas la voix d’un ange. Celle-ci est bien plus sobre, bien plus rêche. Elle ne chante pas contre sa peau, mais elle est une ancre à sa dérive incontrôlée. D’un mouvement prudent, il relève un regard timide sur l’autre homme. Observe celui qui l’accepte sans même chercher à comprendre. Celui qui représente si bien ceux qui ont souffert pour obtenir la réussite méritée et digne de leur rang.
Battant des cils comme un enfant écoute un conte de fée les soirs d’hiver au coin du feu, l’idée de la neige rassure son cœur. L’idée qu’Aimable, malgré ses torts, accepte encore de lui révéler les secrets de ses terres, rassure son cœur adolescent. Il hoche doucement la tête en signe d’attention. Captivé par sa voix calme et presque traînante. Ne peut réprimer un sourire léger lorsqu’il lui avoue qu’il irait contre tout augure acrimonieux.
« Tu n’as pas besoin tu sais… »
Il renifle doucement, reconnaissant malgré tout. Peut-être que l’émotion serait audible dans le trémolo léger dans sa voix. Ou dans le simple fait qu’il viendra frotter ses yeux comme peuvent le faire les enfants après une mauvaise chute. Il n’a pas fini de grandir, ni de son corps, ni dans sa tête. Il a encore bien des choses à apprendre. Et sûrement June est-il chanceux de pouvoir continuer à apprendre la vie aux côtés d’un homme aussi bienveillant. Pour chaque mot prononcé, il écoute avec une attention religieusement soignée. Et s’il ne l’interrompt pas, c’est après un bref silence qu’il demande doucement.
« Pourrait-on y aller… ? A notre prochaine permission… ? »
La question n’est pas aussi brave qu’il peut d’ordinaire l’être. Il a peur d’empiéter sur ses droits. De ne pas faire les choses correctement. Mais dans ses yeux émeraude, il est évident que sa sincérité est entière. June n’a pas le goût de mentir. Pas devant lui. Pas à lui.
« Je n’ai jamais eu l’opportunité d’aller dans les montagnes. J’ai… voyagé en bien des terres mais jamais en altitude… L’un de mes maîtres d’arme m’avait confié que s’entraîner dans les hauteurs aide à développer l’endurance… Sais-tu si cela est vrai ? »
Il avait tellement de questions à poser. Tellement de choses qu’il souhaitait apprendre et comprendre. D’un geste un peu maladroit il ramène ses mains contre ses genoux, plus posé qu’il ne l’a jamais été. Presque gêné. L’image est d’une rareté peu commune, comme le rouge contre ses joues alors qu’il rajoute avec un peu d’incertitude.
« Si… Si cela peut faire plaisir à toi et ta femme… Je… Je pourrais essayer de faire un portrait de vous… »
Après de longues secondes il repousse finalement son assiette et soupire doucement.
« Je crois que je suis fatigué aussi... »
Les larmes lui montent aux yeux bien malgré lui, et la sensation de chaleur contre ses joues n’est que l’évidence de son malaise. Infâme, voilà ce qu’il est. Voilà ce qu’il semblait inspirer à celui qu’il aimait à appeler son mentor. Peut-être qu’après aujourd’hui, il n’y aurait plus rien de tout ceci. Plus rien pour justifier ces instants volés en sa compagnie. June ravale la bile qui hurle à brûler sa gorge nouée et essaye de rester maître de ses émotions.
Pourquoi le hoquet qui lui échappe, s’il est léger, ne cache pas la larme qui roule contre sa joue. Il l’essuie d’un geste rageur bien que discret. Mais tout ce qu’il sent, ce sont ces doigts calleux contre son crâne. Là où Aimable a rétabli le contact entre eux. Là où Aimable, sans un mot, lui accorde le pardon d’un père à son fils pécheur. Peut-être qu’en d’autres lieux, June aurait éclaté en sanglots sous le poids d’un secret qu’il n’aime plus à partager avec quiconque de peur de révéler le mal qui le ronge. Cette histoire, cette fable, il la vit encore chaque nuit, lorsqu’il rêve des étendues enneigées de la Suède. Lorsqu’il pense à ces doigts gantés contre sa joue d’enfant. June n’a rien oublié. Pas même la douleur de la séparation. Pas même le son suave d’une voix envoûtante.
Mais contre lui, ce n’est pas la voix d’un ange. Celle-ci est bien plus sobre, bien plus rêche. Elle ne chante pas contre sa peau, mais elle est une ancre à sa dérive incontrôlée. D’un mouvement prudent, il relève un regard timide sur l’autre homme. Observe celui qui l’accepte sans même chercher à comprendre. Celui qui représente si bien ceux qui ont souffert pour obtenir la réussite méritée et digne de leur rang.
Battant des cils comme un enfant écoute un conte de fée les soirs d’hiver au coin du feu, l’idée de la neige rassure son cœur. L’idée qu’Aimable, malgré ses torts, accepte encore de lui révéler les secrets de ses terres, rassure son cœur adolescent. Il hoche doucement la tête en signe d’attention. Captivé par sa voix calme et presque traînante. Ne peut réprimer un sourire léger lorsqu’il lui avoue qu’il irait contre tout augure acrimonieux.
« Tu n’as pas besoin tu sais… »
Il renifle doucement, reconnaissant malgré tout. Peut-être que l’émotion serait audible dans le trémolo léger dans sa voix. Ou dans le simple fait qu’il viendra frotter ses yeux comme peuvent le faire les enfants après une mauvaise chute. Il n’a pas fini de grandir, ni de son corps, ni dans sa tête. Il a encore bien des choses à apprendre. Et sûrement June est-il chanceux de pouvoir continuer à apprendre la vie aux côtés d’un homme aussi bienveillant. Pour chaque mot prononcé, il écoute avec une attention religieusement soignée. Et s’il ne l’interrompt pas, c’est après un bref silence qu’il demande doucement.
« Pourrait-on y aller… ? A notre prochaine permission… ? »
La question n’est pas aussi brave qu’il peut d’ordinaire l’être. Il a peur d’empiéter sur ses droits. De ne pas faire les choses correctement. Mais dans ses yeux émeraude, il est évident que sa sincérité est entière. June n’a pas le goût de mentir. Pas devant lui. Pas à lui.
« Je n’ai jamais eu l’opportunité d’aller dans les montagnes. J’ai… voyagé en bien des terres mais jamais en altitude… L’un de mes maîtres d’arme m’avait confié que s’entraîner dans les hauteurs aide à développer l’endurance… Sais-tu si cela est vrai ? »
Il avait tellement de questions à poser. Tellement de choses qu’il souhaitait apprendre et comprendre. D’un geste un peu maladroit il ramène ses mains contre ses genoux, plus posé qu’il ne l’a jamais été. Presque gêné. L’image est d’une rareté peu commune, comme le rouge contre ses joues alors qu’il rajoute avec un peu d’incertitude.
« Si… Si cela peut faire plaisir à toi et ta femme… Je… Je pourrais essayer de faire un portrait de vous… »
Après de longues secondes il repousse finalement son assiette et soupire doucement.
« Je crois que je suis fatigué aussi... »
Ven 30 Avr - 9:41
Le jeune homme frotte ses yeux.
Fatigue de l’enfant. Il pense à Richard qui, lors des soirs de veillée, s’efforce de garder les yeux ouverts – et ses paupières fébriles, comme les battements d’ailes d’un oisillon.
Il sent son épuisement. Les épaules relâchées, la voix qui tremble, l’âme qui vacille. Il a accepté de se départir de son sourire, de son assurance, de ses armures – et Aimable craint les blessures qu’il lui a infligées. Est-ce donc la Voix qui, poussée par la curiosité, aurait planté ses crocs dans ses cicatrices ? Ou ses plaies ont-elles toujours été présentes ? Béantes. Protégées, tant bien que mal, par cette énergie qui l’anime. La fougue de la jeunesse. Ou les sursauts désespérés d’une vie qui vient à peine d’éclore, d’un enfant blessé et qui se doit d’avancer, poussé par cette rage viscérale qu’Aimable ne connaît que trop bien. Que donnerait-il pour que Dieu lui donne le pouvoir de guérir ses plaies.
Lorsqu’Isabeau s’effondre, il suffit à ce que son père le recueille entre ses bras pour que son mal disparaisse. En quelques mots, Aimable sait évincer ses peurs. D’une étreinte, il vainc sa douleur. Il arrive, encore, à le protéger du monde et du mal qui le renferme. Mais pour combien de temps encore ? Alors que les années passent, les obstacles, l’adversité, vont en croissant. Les enfants gagnent en indépendance, et loin de la protection de leurs parents, ils affrontent le monde à la seule force de leurs bras. Comment les protéger ?
L’impuissance laisse une saveur amère dans ses pensées, elle a la fragrance métallique du sang et de larmes salées, d’une douleur qu’on ravale en serrant les mâchoires. Il aimerait tant faire plus. Trouver les mots qui soulageraient, pour de bon, le fardeau de June ou encore, porter, pour lui, ce qu’il a à endurer. Mais il ne peut pas. Il ne peut pas. Ses yeux s’abaissent vers ses mains abîmées. Il a affronté tant d’ennemis. Tant de… Monstres. Les plus terribles d’entre eux sont ceux qui menacent ses proches et beaucoup d’entre eux sont inatteignables, pour lui.
A cette pensée, sa main retrouve, instinctivement, le mouchoir que son épouse lui a brodé. C’est un bout de tissu, d’un blanc à présent grisé et souillé de nombreuses traces ensanglantées. Aimable caresse le tissu entre ses doigts, dessine les broderies du bout du pouce ; elles représentent un E tendrement entrelacé d’un A, et le dessin d’une montagne.
Eleanor. Elle n’a jamais pu affronter l’Ouroboros, face à lui, elle ne peut rien. Et pourtant… Pourtant, sans son aide, il sait qu’il ne serait pas là. Elle n’a jamais parlé de son impuissance, bien qu’elle ait tout à fait conscience qu’elle ne peut pas intimer le silence à la Voix, elle ne peut pas La diriger. Mais elle a toujours… toujours été à ses côtés. Et peut-être… peut-être est-ce dont June a besoin.
_ Bien sûr. Nous irons.
Aimable répond. Sa voix est assurée. Elle est le grondement d’un vieux chien, se reposant au coin d’un feu de cheminée ; l’on sent la force tranquille, l’usure du temps, des évènements, l’affection, la présence. Comme lorsqu’il invite Richard à dormir ou Isabeau, à s’apaiser.
_ L’air se fait plus rare, en montagne. Pour gagner en endurance… la clef est la maîtrise de son souffle et la préservation de ses forces. Ulric m’entraînait souvent en altitude et je dois reconnaître que cela m’a beaucoup appris. Je te montrerai.
Le voyant repousser son assiette, Aimable hésite. Sa main revient, maladroitement, se reposer bourrument sur l’épaule de June – une main lourde, faite d’os, de cuir et d’autre chose, qu’il rétracte pudiquement.
_ Je vais te raccompagner.
Aimable se redresse et attend que June le suive. Finalement, il se dirige vers la sortie et pousse la porte du plat de la main, laissant le jeune homme se glisser devant lui. Instinctivement, ses yeux clairs observent, derrière eux ; personne ne les suit. Telle une ombre, il se faufile à sa suite et marche à ses côtés, sans le moindre bruit. La fraîcheur de l’air l’invite à ralentir le pas, alors qu’il hume les parfums de terre, de poussière, d’humidité et d’activités humaines. Relents aigres d’urine et d’autres, de personnes qui se sont soulagées à proximité de l’auberge. Un soupir s’arrache de ses lèvres, avant qu’il ne se remette en marche, ses mains se réfugiant dans les poches de sa veste.
_ … Je ne sais pas comment… dire certaines choses. Beaucoup de choses, à dire vrai.
Aimable glisse une main le long de sa nuque, puis de son crâne, enfonçant ses doigts dans ses courts cheveux bruns. Marcher, est-ce donc une bonne idée pour discuter ? Il a la sensation que l’air lui manque. A moins que ce ne soit les battements accélérés de son cœur qui lui donnent cette sensation d’étouffer. Il ouvre légèrement son col et s’efforce à respirer plus profondément.
_ Je ne suis pas un homme de mots. Ni vraiment… accoutumé aux interactions avec… d’autres personnes, extérieures à ma famille. Chez nous, le silence prévaut la parole et les actes sont bien plus importants que les promesses. Ne tiens pas rancune de mes maladresses… Et ne cherche pas toujours à comprendre mes actions… Je puis seulement t’assurer que… j’agirai toujours au mieux de mes capacités… pour ton bien. Tu…
Aimable a une petite moue. Le rouge gagne ses joues, ses yeux s'abaissent. Un léger mouvement de tête l'invite à s'intéresser à un caillou dans lequel il vient de donner un coup.
_ Enfin. Je tiens à toi. Et je serais toujours à tes côtés. J’ai confiance en toi, en ce que tu es, ce que tu fais, tes décisions. N’aie pas d’inquiétudes et ne te sens pas gêné envers moi… Je ne me permettrai jamais… de te juger sur quoi que ce soit. Tu es un ami.
Il a la sensation que son coeur cogne contre sa cage thoracique. Mais cette fois, ce n'est pas la Voix. C'est la sienne qui l'anime.
_ J’aurais… probablement… des explications à te fournir sur certaines choses mais je… aujourd’hui… je ne sais pas comment faire et je n’ai à dire vrai jamais envisagé d’en parler un jour à quelqu’un…Hmf. Tu as été plus courageux que moi.
Il esquisse un sourire encourageant, du bout des lèvres.
Plus courageux.
Lui se sent déjà mis à nu après avoir reconnu son affection pour le jeune garçon. Comment June arrive-t-il donc à lui confier ses secrets ? Il a frémi. Il l’a senti… Pourrait-il même envisager de lui parler, un jour, de l’Ouroboros ? Le besoin se fait pressant. La nécessité d’expliquer, de justifier ses actions. Par peur de perdre sa confiance. De le perdre lui, tout court.
Parfois, les actes les plus courageux consistent à baisser ses armes.
A dévoiler ses faiblesses ou pis encore, mettre à jour le monstre que l’on renferme.
@June Van HeilFatigue de l’enfant. Il pense à Richard qui, lors des soirs de veillée, s’efforce de garder les yeux ouverts – et ses paupières fébriles, comme les battements d’ailes d’un oisillon.
Il sent son épuisement. Les épaules relâchées, la voix qui tremble, l’âme qui vacille. Il a accepté de se départir de son sourire, de son assurance, de ses armures – et Aimable craint les blessures qu’il lui a infligées. Est-ce donc la Voix qui, poussée par la curiosité, aurait planté ses crocs dans ses cicatrices ? Ou ses plaies ont-elles toujours été présentes ? Béantes. Protégées, tant bien que mal, par cette énergie qui l’anime. La fougue de la jeunesse. Ou les sursauts désespérés d’une vie qui vient à peine d’éclore, d’un enfant blessé et qui se doit d’avancer, poussé par cette rage viscérale qu’Aimable ne connaît que trop bien. Que donnerait-il pour que Dieu lui donne le pouvoir de guérir ses plaies.
Lorsqu’Isabeau s’effondre, il suffit à ce que son père le recueille entre ses bras pour que son mal disparaisse. En quelques mots, Aimable sait évincer ses peurs. D’une étreinte, il vainc sa douleur. Il arrive, encore, à le protéger du monde et du mal qui le renferme. Mais pour combien de temps encore ? Alors que les années passent, les obstacles, l’adversité, vont en croissant. Les enfants gagnent en indépendance, et loin de la protection de leurs parents, ils affrontent le monde à la seule force de leurs bras. Comment les protéger ?
L’impuissance laisse une saveur amère dans ses pensées, elle a la fragrance métallique du sang et de larmes salées, d’une douleur qu’on ravale en serrant les mâchoires. Il aimerait tant faire plus. Trouver les mots qui soulageraient, pour de bon, le fardeau de June ou encore, porter, pour lui, ce qu’il a à endurer. Mais il ne peut pas. Il ne peut pas. Ses yeux s’abaissent vers ses mains abîmées. Il a affronté tant d’ennemis. Tant de… Monstres. Les plus terribles d’entre eux sont ceux qui menacent ses proches et beaucoup d’entre eux sont inatteignables, pour lui.
A cette pensée, sa main retrouve, instinctivement, le mouchoir que son épouse lui a brodé. C’est un bout de tissu, d’un blanc à présent grisé et souillé de nombreuses traces ensanglantées. Aimable caresse le tissu entre ses doigts, dessine les broderies du bout du pouce ; elles représentent un E tendrement entrelacé d’un A, et le dessin d’une montagne.
Eleanor. Elle n’a jamais pu affronter l’Ouroboros, face à lui, elle ne peut rien. Et pourtant… Pourtant, sans son aide, il sait qu’il ne serait pas là. Elle n’a jamais parlé de son impuissance, bien qu’elle ait tout à fait conscience qu’elle ne peut pas intimer le silence à la Voix, elle ne peut pas La diriger. Mais elle a toujours… toujours été à ses côtés. Et peut-être… peut-être est-ce dont June a besoin.
_ Bien sûr. Nous irons.
Aimable répond. Sa voix est assurée. Elle est le grondement d’un vieux chien, se reposant au coin d’un feu de cheminée ; l’on sent la force tranquille, l’usure du temps, des évènements, l’affection, la présence. Comme lorsqu’il invite Richard à dormir ou Isabeau, à s’apaiser.
_ L’air se fait plus rare, en montagne. Pour gagner en endurance… la clef est la maîtrise de son souffle et la préservation de ses forces. Ulric m’entraînait souvent en altitude et je dois reconnaître que cela m’a beaucoup appris. Je te montrerai.
Le voyant repousser son assiette, Aimable hésite. Sa main revient, maladroitement, se reposer bourrument sur l’épaule de June – une main lourde, faite d’os, de cuir et d’autre chose, qu’il rétracte pudiquement.
_ Je vais te raccompagner.
Aimable se redresse et attend que June le suive. Finalement, il se dirige vers la sortie et pousse la porte du plat de la main, laissant le jeune homme se glisser devant lui. Instinctivement, ses yeux clairs observent, derrière eux ; personne ne les suit. Telle une ombre, il se faufile à sa suite et marche à ses côtés, sans le moindre bruit. La fraîcheur de l’air l’invite à ralentir le pas, alors qu’il hume les parfums de terre, de poussière, d’humidité et d’activités humaines. Relents aigres d’urine et d’autres, de personnes qui se sont soulagées à proximité de l’auberge. Un soupir s’arrache de ses lèvres, avant qu’il ne se remette en marche, ses mains se réfugiant dans les poches de sa veste.
_ … Je ne sais pas comment… dire certaines choses. Beaucoup de choses, à dire vrai.
Aimable glisse une main le long de sa nuque, puis de son crâne, enfonçant ses doigts dans ses courts cheveux bruns. Marcher, est-ce donc une bonne idée pour discuter ? Il a la sensation que l’air lui manque. A moins que ce ne soit les battements accélérés de son cœur qui lui donnent cette sensation d’étouffer. Il ouvre légèrement son col et s’efforce à respirer plus profondément.
_ Je ne suis pas un homme de mots. Ni vraiment… accoutumé aux interactions avec… d’autres personnes, extérieures à ma famille. Chez nous, le silence prévaut la parole et les actes sont bien plus importants que les promesses. Ne tiens pas rancune de mes maladresses… Et ne cherche pas toujours à comprendre mes actions… Je puis seulement t’assurer que… j’agirai toujours au mieux de mes capacités… pour ton bien. Tu…
Aimable a une petite moue. Le rouge gagne ses joues, ses yeux s'abaissent. Un léger mouvement de tête l'invite à s'intéresser à un caillou dans lequel il vient de donner un coup.
_ Enfin. Je tiens à toi. Et je serais toujours à tes côtés. J’ai confiance en toi, en ce que tu es, ce que tu fais, tes décisions. N’aie pas d’inquiétudes et ne te sens pas gêné envers moi… Je ne me permettrai jamais… de te juger sur quoi que ce soit. Tu es un ami.
Il a la sensation que son coeur cogne contre sa cage thoracique. Mais cette fois, ce n'est pas la Voix. C'est la sienne qui l'anime.
_ J’aurais… probablement… des explications à te fournir sur certaines choses mais je… aujourd’hui… je ne sais pas comment faire et je n’ai à dire vrai jamais envisagé d’en parler un jour à quelqu’un…Hmf. Tu as été plus courageux que moi.
Il esquisse un sourire encourageant, du bout des lèvres.
Plus courageux.
Lui se sent déjà mis à nu après avoir reconnu son affection pour le jeune garçon. Comment June arrive-t-il donc à lui confier ses secrets ? Il a frémi. Il l’a senti… Pourrait-il même envisager de lui parler, un jour, de l’Ouroboros ? Le besoin se fait pressant. La nécessité d’expliquer, de justifier ses actions. Par peur de perdre sa confiance. De le perdre lui, tout court.
Parfois, les actes les plus courageux consistent à baisser ses armes.
A dévoiler ses faiblesses ou pis encore, mettre à jour le monstre que l’on renferme.
Dim 2 Mai - 20:21
And in battlelust, Ares stands
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Fuir ses responsabilités et le poids de tout ce qui l’entoure. Peut-être était-ce là bien la preuve que pour tout homme qu’il prétend être, son cœur est en bien des états de cause, encore celui d’un jeune enfant. Fébrile et friable, comme ces confiseries de sucre compacté que l’on confiant en de bien rares occasions aux chérubins. Un objet à la forme bien précise, mais qui au moindre accroc, à la moindre pression trop brusque, se brise et se réduit à néant. Sucre contre l’eau, dissout et disparu, aussi vite qu’il était pourtant tangible et juste entre des doigts potelés.
June sait qu’il devrait avoir honte. Honte d’exposer ainsi les souvenirs impies, et les réalités abjectes de sa personne. Mais Aimable se refuse à le juger. Pose sur lui un regard rassurant, quand bien même empreint d’une mélancolie si brûlante qu’elle parviendrait à réduire ce qu’il reste d’eux deux en cendres. Il voudrait pouvoir sourire. Mentir et rajuster ce masque éternel qu’il a pris l’habitude d’afficher lorsque ses sens flanchent, et que ses pensées s’égarent. Mais le plus jeune n’est pas un être de détresse. A tant connu la salvation d’un monde où tout se passe sans le moindre détour ni raté, qu’il n’a probablement jamais été forgé à endurer la douleur que sa propre conscience peut lui infliger. Comme imposer la mise à mort illégitime d’un homme à un justicier. Il n’était pas prêt à bien des choses. Encore trop jeune pour comprendre les torts et travers d’un monde qui n’a jamais été créé pour assurer la pérennité de ses habitants. Dieu est miséricorde… Mais Dieu barre le chemin des siens par bien des moyens.
Cette main contre son épaule est tout ce dont il a besoin pour croiser à nouveau le regard d’Aimable. Tout ce dont il a besoin pour savoir que les choses se passeraient bien.
C’est comme un enfant suivant son père après avoir été grondé qu’il lui emboite le pas. Salue d’un geste de la main les hommes de la taverne, un sourire aux lèvres comme il l’a toujours fait. Mais dehors, la nuit commence à prendre son règne. L’air est frais, mais il n’est pas glacial. Et si le silence qui les entoure est d’abord pesant, ce n’est pas June, pour une fois, qui lancera la conversation.
D’abord torve, c’est un regard bordé d’une once de curiosité qui s’invite sur les traits tirés de son ami. Le jeune soldat observe le chevalier et ne sait pas vers quelle pente glissante cette conversation s’apprête à aller. Ne réalise pas qu’Aimable, en voulant rattraper son jeune élève, s’est à son tour trouvé embarqué dans les méandres d’un regret qui porte le nom d’impossible. Des choses avec lesquelles ils sont tous les deux nés. Des choses qui, qu’importe le temps et les efforts, ne sauraient être changées.
Et June ? June l’écoute religieusement. Le suit sur les pavés sans vraiment réaliser qu’à ses iris d’émeraude brille une lueur nouvelle. Que lorsqu’Aimable peine à trouver ses mots, c’est sa main qui vient effleurer le bras du plus grand. Lui offre un regard timide et pourtant si plein d’affection qu’il n’y avait en aucun cas à croire qu’il ne le soutenait pas dans son effort.
Oh et quel effort. June senti bien malgré lui le rouge lui monter aux joues à l’évocation de l’attachement d’Aimable à son égard. Et… Et bien sûr que June est ému. Honoré ne représenterait pas l’ampleur du sentiment qui l’envahit. Et dans son sourire d’enfant à peine adulte, il y a toute la candeur d’un môme à qui son père vient d’avouer les secrets de la vie. Qu’y’a-t-il de plus à demander pour pouvoir ainsi s’offrir les bonnes grâces et l’attention d’un colosse comme le chevalier de Bayard ? June pourrait avoir honte de penser de la sorte. Mais il vient simplement se rapprocher d’Aimable dans leur marche. Leurs deux bras en contact. Un soutien silencieux. Il comprend sans comprendre. Le laisse mener à terme cet effort qui semble bien douloureux. Et c’est d’un rire léger et sans la moindre once de moquerie qu’il finit par répondre après un bref silence.
« Le courage a bien des formes. C’est toi qui me l’as appris. »
June relève les yeux vers Aimable et lui sourit de plus belle. Rassurant. Calme. Patient.
« Je ne compte plus partir d’ici. J’ai trouvé ma nouvelle famille dans cette armée. Un ami d’exception… » Il ne voulut pas souligner qu’il s’agissait d’Aimable. Osait espérer que l’implication soulignée du vert de ses yeux serait suffisante. Il n’était pas question d’évoquer la gêne de l’autre militaire. « Le temps, nous n’avons que ça. J’attendrais que les mots soient justes, et que le moment soit le bon… Comme tu m’as entendu aujourd’hui. Il n’est rien que ma lame ou mon cœur ne puisse entendre s’il s’agit de toi. »
La confiance s’était gagnée à un juste prix. Sa détresse, elle n’a plus cette saveur amère lorsque c’est la peine évidente qu’il peut lire sur les traits de son compagnon. D’un sourire complice et compagnon. Qu’importe la suite. Un léger coup d’épaule, camarade et bourru. Tout ceci ne changeait rien. Les faiblesses sont ce que l’on offre à ses frères d’armes pour qu’ils puissent à l’avenir mieux nous protéger. Une preuve de courage, et d’honnêteté.
« Merci, Aimable. Merci d’être mon ami, et d’accepter de le rester… »
Il n’y avait que cela pour lui. Que cela et le frottement léger de leurs deux tenues se frôlant à chaque balancier de leurs bras avançant dans la pénombre. Que ça et la nuit pour seule témoin de ce que les ans et le labeur n’effacera plus jamais.
June sait qu’il devrait avoir honte. Honte d’exposer ainsi les souvenirs impies, et les réalités abjectes de sa personne. Mais Aimable se refuse à le juger. Pose sur lui un regard rassurant, quand bien même empreint d’une mélancolie si brûlante qu’elle parviendrait à réduire ce qu’il reste d’eux deux en cendres. Il voudrait pouvoir sourire. Mentir et rajuster ce masque éternel qu’il a pris l’habitude d’afficher lorsque ses sens flanchent, et que ses pensées s’égarent. Mais le plus jeune n’est pas un être de détresse. A tant connu la salvation d’un monde où tout se passe sans le moindre détour ni raté, qu’il n’a probablement jamais été forgé à endurer la douleur que sa propre conscience peut lui infliger. Comme imposer la mise à mort illégitime d’un homme à un justicier. Il n’était pas prêt à bien des choses. Encore trop jeune pour comprendre les torts et travers d’un monde qui n’a jamais été créé pour assurer la pérennité de ses habitants. Dieu est miséricorde… Mais Dieu barre le chemin des siens par bien des moyens.
Cette main contre son épaule est tout ce dont il a besoin pour croiser à nouveau le regard d’Aimable. Tout ce dont il a besoin pour savoir que les choses se passeraient bien.
C’est comme un enfant suivant son père après avoir été grondé qu’il lui emboite le pas. Salue d’un geste de la main les hommes de la taverne, un sourire aux lèvres comme il l’a toujours fait. Mais dehors, la nuit commence à prendre son règne. L’air est frais, mais il n’est pas glacial. Et si le silence qui les entoure est d’abord pesant, ce n’est pas June, pour une fois, qui lancera la conversation.
D’abord torve, c’est un regard bordé d’une once de curiosité qui s’invite sur les traits tirés de son ami. Le jeune soldat observe le chevalier et ne sait pas vers quelle pente glissante cette conversation s’apprête à aller. Ne réalise pas qu’Aimable, en voulant rattraper son jeune élève, s’est à son tour trouvé embarqué dans les méandres d’un regret qui porte le nom d’impossible. Des choses avec lesquelles ils sont tous les deux nés. Des choses qui, qu’importe le temps et les efforts, ne sauraient être changées.
Et June ? June l’écoute religieusement. Le suit sur les pavés sans vraiment réaliser qu’à ses iris d’émeraude brille une lueur nouvelle. Que lorsqu’Aimable peine à trouver ses mots, c’est sa main qui vient effleurer le bras du plus grand. Lui offre un regard timide et pourtant si plein d’affection qu’il n’y avait en aucun cas à croire qu’il ne le soutenait pas dans son effort.
Oh et quel effort. June senti bien malgré lui le rouge lui monter aux joues à l’évocation de l’attachement d’Aimable à son égard. Et… Et bien sûr que June est ému. Honoré ne représenterait pas l’ampleur du sentiment qui l’envahit. Et dans son sourire d’enfant à peine adulte, il y a toute la candeur d’un môme à qui son père vient d’avouer les secrets de la vie. Qu’y’a-t-il de plus à demander pour pouvoir ainsi s’offrir les bonnes grâces et l’attention d’un colosse comme le chevalier de Bayard ? June pourrait avoir honte de penser de la sorte. Mais il vient simplement se rapprocher d’Aimable dans leur marche. Leurs deux bras en contact. Un soutien silencieux. Il comprend sans comprendre. Le laisse mener à terme cet effort qui semble bien douloureux. Et c’est d’un rire léger et sans la moindre once de moquerie qu’il finit par répondre après un bref silence.
« Le courage a bien des formes. C’est toi qui me l’as appris. »
June relève les yeux vers Aimable et lui sourit de plus belle. Rassurant. Calme. Patient.
« Je ne compte plus partir d’ici. J’ai trouvé ma nouvelle famille dans cette armée. Un ami d’exception… » Il ne voulut pas souligner qu’il s’agissait d’Aimable. Osait espérer que l’implication soulignée du vert de ses yeux serait suffisante. Il n’était pas question d’évoquer la gêne de l’autre militaire. « Le temps, nous n’avons que ça. J’attendrais que les mots soient justes, et que le moment soit le bon… Comme tu m’as entendu aujourd’hui. Il n’est rien que ma lame ou mon cœur ne puisse entendre s’il s’agit de toi. »
La confiance s’était gagnée à un juste prix. Sa détresse, elle n’a plus cette saveur amère lorsque c’est la peine évidente qu’il peut lire sur les traits de son compagnon. D’un sourire complice et compagnon. Qu’importe la suite. Un léger coup d’épaule, camarade et bourru. Tout ceci ne changeait rien. Les faiblesses sont ce que l’on offre à ses frères d’armes pour qu’ils puissent à l’avenir mieux nous protéger. Une preuve de courage, et d’honnêteté.
« Merci, Aimable. Merci d’être mon ami, et d’accepter de le rester… »
Il n’y avait que cela pour lui. Que cela et le frottement léger de leurs deux tenues se frôlant à chaque balancier de leurs bras avançant dans la pénombre. Que ça et la nuit pour seule témoin de ce que les ans et le labeur n’effacera plus jamais.