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Elle avait l’impression de ne pas avoir plus une minute à elle, du lever au coucher du soleil avec toutes les tâches qui lui incombaient à présent. Être Reine était là un office à laquelle Victoire n’avait jamais été préparée de sa vie entière. Elle était persuadée qu’Ambrose ferait bien meilleur souverain, aussi, rien que de repenser aux vœux posthumes de son grand père lui donnait la migraine.
En ce jour, elle devait maintenant choisir une personne pour gérer l’armée de son pays. Aucune idée de comment elle devait s’y prendre pour réaliser une chose pareille, elle savait simplement qu’un rendez-vous avait été fixé pour très bientôt afin qu’elle s’entretienne personnellement avec un candidat qu’on lui avait dépeint comme « très prometteur ».
Fort bien, elle pouvait sans doute faire confiance à ses ministres et autres gérants, non ? Ils étaient là pour ce genre de chose, c’était certain. Victoire regrettait de ne plus être au sein de l’Empire. Jean lui manquait terriblement ; lui aurait su gérer une chose pareille. C’aurait été bien mieux qu’il devienne Roi consort afin de l’aider dans cette terrible dette envers un pays qui l’avait vu naître, certes, mais pas devenir femme. Ni même heureuse en tant que telle.
L’heure venue, Victoire décida d’aller elle-même dans le couloir menant à la salle du trône où elle patientait déjà pour accueillir l’individu dont il était question. Lorsqu’elle ouvrit la porte, elle vit effectivement une silhouette se tenir là, devant elle. C’était certainement lui. « Bonjour à vous. Entrez, je vous prie, nous aurons davantage d’aise à discuter hors d’un couloir. »
Elle devait se préparer à faire son choix.
La mort d’Auguste fut un réel tollé pour le royaume de France. Aimé et chéri par son peuple, perdre un homme de pareil calibre avait ravagé bon nombre d’individus du peuple français. Il était évident que de son vivant et au-delà de sa mort, l’amour des français à son égard était des plus réels. Tous auraient cru que la couronne reviendrait légitimement au mâle de la lignée. Mais nul n’aurait attendu le retour d’une jeune princesse couronnée, devenue Reine.
Eve n’a pas toujours cru aux bonnes intentions des souverains. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle avait même d’ordinaire plutôt œuvré en faveur de sa seule survie. Pourtant pour une raison qui lui avait rapidement échappé depuis leur retour en France, elle s’était faite remarquer par Auguste après être entrée dans la garde sur recommandation de la famille de Harcourt… - il suffisait parfois de peu pour convaincre des âmes insipides uniquement appâtées par la fortune -. La suite était une succession de coïncidences et de faits d’armes qu’elle ne pourrait nier. Gravir les échelons aussi rapidement n’était pas courant… De la même façon qu’il n’était que bien rare d’attirer le regard de la couronne sur soi au cours de sa carrière militaire. Peut-être était-ce du fait de son titre de Comte… Ou peut-être était-ce une manigance supplémentaire d’Adam qui avait tourné en purée de pois. Eve n’en avait absolument aucune idée. Et c’était sans qu’elle ne puisse contrôler la situation qu’elle avait gagné la confiance d’Auguste…
Alors quelle ne fut pas sa surprise en apprenant que loin d’être le dauphin attendu, la dauphine en seconde ligne serait celle reconnue à la succession. Quelque part, Eve devait admettre qu’elle ressentait une pointe de satisfaction à voir une femme diriger. Ce à quoi elle ne fut cependant pas préparée fut la candeur naturelle émanant de la jeune femme lorsqu’elle parvint enfin au palais royal hâtivement à l’aube de l’inhumation de son prédécesseur.
Victoire de France aurait pu être frivole ou naïve. Mais la femme qu’Eve vit intronisée n’était autre qu’une mère au veuvage si récent qu’elle aurait à peine quitté le noir de son premier deuil. Eve y avait trouvé quelque chose de terriblement romanesque et nostalgique. Quelque chose qui parlait à Eve à un degré que nul homme ne pourrait comprendre. Et ce n’était pas les enfants de sa Majesté qui avaient influencé son opinion, non. C’était cette évidente force de caractère qui l’avait empêchée de se briser là où bien d’autres aurait quêté la rassurance d’un mâle.
Eve n’avait donc vu aucune forme de regret à être placée à la surveillance – même éloignée – de sa Majesté. C’était dans cet état d’esprit qu’Eve, parée de sa tenue militaire, avait gardé la porte de la salle du trône en compagnie d’un autre haut gradé… Avant que celui-ci ne s’excuse un instant, interpelé par les pas précipités dans l’une des salles adjacentes. Rendue seule, Eve savait qu’une audience avait été sommée par Victoire de France… Et quelle ne fut pas la surprise de la militaire en apercevant la mine inquisitrice et fatiguée de la reine, venant quêter sa présence à ses côtés.
Et sur le coup, Eve ne trouva rien de mieux à faire que d’observer autour d’elle, prise au dépourvu, avant d’offrir sa plus humble révérence à Victoire.
« Votre Majesté. Je reste votre obligé. »
La porte se referme sur eux une fois la Reine revenue à sa place désignée, Eve fit la seule grâce dont elle pouvait être capable en ces circonstances. Sa lame chante presque à la sortie de son fourreau, alors qu’elle pose avec élégance un genou à terre, jurant sur son épée.
« Ma lame est vôtre, votre Majesté. »
Que pouvait-elle bien offrir de plus ?
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La porte refermée, Victoire et le candidat présupposé étaient maintenant seuls dans l’immense et froide salle du trône. Les yeux de la reine s’évadèrent un instant sur le siège royal et un frisson de ressentiment passa à travers ses pupilles émeraudes avant qu’elle ne cligne des yeux comme pour se rappeler elle-même à l’ordre.
Mais quelle ne fut sa surprise en découvrant la personne qu’elle avait conviée à la rejoindre déjà un genou à terre alors même qu’elle ne lui avait même pas encore adressé une franche parole ? Prise d’un sursaut qu’elle ne chercha pas à expliquer, Victoire agita ses mains comme si elle souhaitait chasser une fumée insignifiante de son champ de vision. « Oh, par tous les saints, je vous en prie, relevez-vous ! » Dit-elle en étant peut-être un peu trop abrupte dans ses ultimes propos. « Je… Je n’ai nul besoin d’une telle démonstration, j’imagine sans mal la dévotion envers votre nation et c’est d’ailleurs l’un des points qui font que vous êtes ici, aujourd’hui. De grâce, ne vous infligez pas une telle chose alors que vous n’avez plus rien à prouver. »
C’était ce qui avait été dépeint dans les rapports concernant le candidat. Une belle stature, une beauté à faire pâlir les statues de la collection royale, un sens de la dévotion exacerbé… Jusqu’ici, Victoire ne pouvait pas dire qu’elle était déçue de ce qu’elle avait devant les yeux, bien au contraire. Simplement, le malaise n’aidait en rien à faire de cette rencontre une chose des plus sereine. Il fallait vite remédier à cette carence protocolaire qu’elle concevait uniquement parce qu’elle manquait de rigueur et de connaissance à ce propos. « Bien, puis-je vous demander votre nom, dans un premier temps ? »
Elle ignorait qu’en tant que Reine, ce n’était pas à elle de demander permission.
- Spoiler:
- HRP : ESHTLUIRESTUIRETHLIH CE RP JE-
Quelle n’est pas sa surprise de réaliser que la Reine… N’est pas particulièrement à cheval sur le protocole. Eve se redresse à la sommation de sa souveraine, replaçant son épée à son fourreau, incertaine quant à la marche à suivre. Eve n’avait jamais été convoquée, du moins, les choses ne devraient pas se passer de la sorte. Et quand bien même les propos adressés à la militaire semblaient concordants à son statut… La question reste entière quant à savoir précisément quelle est la raison de sa venue en salle du trône. Et pourquoi donc Victoire n’est-elle pas sur ledit trône ?
Observant la scène comme tierce partie, Eve réalise bien rapidement la maladresse évidente de la femme lui faisant face. Et après tout, pourquoi saurait-elle quelles sont les lettres de protocole pour ce genre de situations. Elle n’avait pas été mise au monde pour devenir reine. Et le monde la rattrapait bien plus vite qu’il n’aurait fallu. Mais l’instant n’est pas propice à ces considérations. S’inclinant profondément en signe de respect, Eve approche de sa Majesté dans les lignes de conduites attendues en ces instants de grâce.
« Eve de Harcourt, votre Majesté. Je suis honoré d’être en votre présence. »
Eve prolonge calmement le mouvement d’un baise main sans insistance, rendant bien rapidement sa liberté à la demoiselle. Puis captant enfin le regard de sa Majesté, Eve souffle doucement, visiblement sincère quant à ses propos.
« Laissez-moi cependant vous présenter mes hommages en personne, quant à la perte de notre bon roi votre père. »
Auguste avait été un homme honorable. Et son départ trop tôtif avait laissé un sentiment dérangeant au vampire. Elle qui ne s’était pas attachée au genre humain avait pour la première fois depuis bien longtemps fait l’expérience d’une forme peu commune de deuil. Qui aurait pu croire que la loyauté pouvait laisser pareille amertume en bouche une fois le lien rompu ?
« Ma loyauté à son égard vous est toute entière, Majesté. Je ne saurai entendre le moindre discours quant à votre condition. »
Une remarque particulièrement audacieuse, si l’on y prêtait attention. Mais Eve ne comprenait que trop bien, femme à son premier titre. Une dame au contrôle de la France ne faisait sûrement aucun sens pour la majorité. Mais Eve ne l’entendait pas de cette oreille.
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Les propos d’Eve d’Harcourt lui réchauffe le cœur même si elle tâche de ne rien laisser paraître. Elle ne doit pas se laisser aller au sentimentalisme ou à la mièvrerie ; ce fut sa première leçon, de retour ici : ne pas se laisser berner. Toutes les belles paroles peuvent contenir un croc de serpent prompt à s’installer joyeusement dans les interstices d’une faiblesse plus ou moins connue. Le tout pour mieux faire chuter par la suite.
Pourtant… Pourtant Eve évoque son père et Victoire, si elle ne se laisse pas attendrir, se permet de mettre un instant ses primes pensées de côtés pour d’autres genres de questionnements. Car des zones d’ombres, elle en a. Et là, elle voit l’occasion rêvée d’en percer quelques-unes. C’est également stratégique. En savoir plus sur son père l’aidera peut-être à être une Reine plus à même.
Alors, lentement, Victoire s’éloigne un peu d’Eve, remerciant les propos d’un signe de tête courtois. Elle se place près de la grande fenêtre donnant sur les jardins, se demandant si sa fille chérie est en train d’y jouer, pour le temps d’innocence qu’il lui reste. « Vous avez évoqué mon père, à l’instant. »
Sa poitrine se soulève à mesure que son souffle se fait plus dense, comme si elle craignait, quelque part, les réponses aux questions qu’elle s’apprête à poser. « Que pouvez-vous me dire sur lui ? Quel genre d’homme était-il sur le trône ? » Et autrement.
La situation était particulière, en ce qu’Eve ne saisissait pas encore les tenants et aboutissants de cette rencontre. Oh, elle n’avait absolument aucune forme d’animosité à l’encontre de Victoire de France. Eve pouvait même affirmer avec certitude que la nouvelle monarque était sans doute aussi talentueuse que ne l’avaient été ses prédécesseurs. Alors pourquoi se montrait-elle si indécise ? Incertaine.
Sans jamais l’approcher, la suivre des yeux est un spectacle de grâce. Si seulement la grâce pouvait s’épanouir dans les regrets et la détresse. Une aura de malaise émanait de Victoire, et Eve sentit son cœur se serrer à l’idée que cette femme se soit retrouvée à cette place sans que rien n’ait permis de la préparer ou de la protéger. On pouvait entendre dire dans les rumeurs de la cour que Victoire de France venait récemment d’être faite veuve. Que pouvait-on penser d’une femme qui ne maîtrise plus rien, de sa vie personnelle jusqu’à ses nouvelles fonctions ? La question restera en suspens, alors qu’Eve s’éclaircit prestement la voix.
« Il était un homme sage et respectable. Votre père était une figure d’une autorité incontestable, qu’importe si la noblesse trouvait sa politique trop douce. Il était un homme juste, ayant poussé le peuple vers le haut. »
Auguste de France avait été un homme bon, à l’écoute de son peuple et non pas seulement des hommes de fortune. Un homme qui ne cachait en rien que son cœur était porté à sa main.
« Beaucoup soufflaient qu’Auguste de France n’était pas à la hauteur de son prédécesseur, votre aïeul. Mais croyez, Majesté, que les gestes silencieux d’un souverain protégeant l’intégrité de sa population entière au sortir de la guerre, s’ils ne sont des faits auréolés de victoire et de gloire, sont ce qui justifie que votre peuple s’est trouvé si nombreux aux portes de Notre-Dame lors des hommages qui lui furent rendus. »
Une pause, Eve observe à son tour par la fenêtre et rajoute, plus douce.
« Il était un homme bon, et il nous sera éternellement regretté. »
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Bien entendu, Victoire ne s’était pas attendu une seule seconde à ce qu’Eve puisse lui dire que son père avait été un Roi lamentable. Loin de là puisque même son défunt mari, Jean, lui parlait de lui de temps à autre, vantant les mérites discrets de cet homme-là. Ne pas avoir pu assister à ses funérailles rendait la situation compliquée pour Victoire qui n’avait jamais pu parler une dernière fois avec lui. Ni lui dire combien elle l’aimait, lui et sa tendre mère. Victoire n’aspirait à rien si ce n’est, peut-être, de pouvoir partager le pouvoir avec un individu qui serait à même de ressembler un peu à son propre père dans sa manière d’être. Jamais Victoire, au-delà de son propre mariage, n’avait retrouvé une affection aussi sincère au sein d’un couple marié si ce n’était ses deux parents.
Et même si sa mère n’avait pu offrir d’autres héritiers au trône de France, elle restait une femme admirable. Partie trop tôt, elle aussi. L’idée prit Victoire à revers de demander si Eve pourrait lui dire quelque chose au sujet de sa génitrice. « Je vous remercie… Et qu’en était-il de son épouse ? Comment était la Reine ? » Bien sûr, jamais sa mère n’eut à régner, la charge revenant au mâle de droit divin et Victoire ne le remettait pas en cause – si elle omettait sa présente situation, bien sûr. Mais la nouvelle souveraine voulait savoir, comprendre. S’inspirer aussi, peut-être. C’était là un champ des possibles entiers qui s’ouvraient face à elle. Elle ne devait pas perdre le cap.
Elle espérait seulement ne pas être déçue des révélations à venir, toute auréolée qu’elle était de cette sainte image enveloppant son propre père.
Ah, que pouvait-elle bien répondre à cela ? La question était on ne peut plus légitime venant d’une jeune femme ayant quitté son pays il y a bien longtemps. Sûrement cette enfant avait échangé nombre de missives avec ses parents. Régenter un pays ne voulait en aucun dire ne pas prendre soin de cette fille qu’ils avaient tant chéri dès sa naissance. Eve n’avait pas été auprès de la cour de Paris lors de la naissance de la jeune femme, mais la liesse s’était emportée sur toute la nation comme une trainée de poudre. La naissance d’un enfant royal est toujours une nouvelle accueillie par la grâce des peuples. Et quelle jeune femme ce pays avait-il désormais vu placée à son sommet. De droit divin. Qu’importe si le choix de Charles de France se trouvait ou non légitime. Une reine n’était en aucun cas moins disposée à protéger une nation, aussi aliène soit-elle à l’univers des politiques gouvernementales.
Quelque fois, il ne suffit que d’un coup de pouce.
« Elle était une femme discrète et douce. En beaucoup d’égards, Madame votre mère était un atout rassurant à la période difficile que la nation a traversé. »
Un silence et Eve reprend plus doucement, plus humaine dans ses propos.
« Vos parents étaient des individus justes et bons, au même titre que l’a été votre grand-père. Je pense que tout parent qu’ils étaient aurait été fier de voir que vous ne reculez pas devant ce choix qui vous a été imposé. D’autres ne seront pas de votre côté, mais soyez certaine, votre Majesté, que beaucoup d’entre nous estiment que cette place vous revient de droit. »
La douceur d’un monarque ne s’invente pas. Et pour toute candeur que cette femme pouvait encore posséder, elle était aussi une mère, une femme, une épouse, une veuve.
« Ne laissez pas vos doutes vous submerger, Majesté. Votre destin vous a peut-être échappé, mais il fut un jour écrit que vous seriez la seule disposée à diriger ce pays. Croyez la parole de ceux qui vous ont précédé. La France n’aura connu plus bel essor que sous le règne de la famille de France. Et vous en êtes la digne héritière. »
Eve baisse prestement la tête, ramenant ses talons l’un contre l’autre, dos droit, un salut militaire nécessaire.
« Pardonnez mon audace, Majesté. »
Mais vous aviez besoin d’entendre ces mots.
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Ainsi donc le portrait de sa mère était tel qu’elle se l’était remémoré et en ce temps troublé, plus que jamais Victoire aurait aimé avoir sa mère avec elle ; auprès d’elle. Sans doute aurait-elle sû quoi faire. Non. Elle aurait gardé la couronne, c’était sûr et certain. Car sa mère avait aussi du caractère et elle aurait su comment gérer la situation. Car elle avait épaulé son père durant tout son -court – règne. Il est vrai qu’en comparant du règne de Charles de France, celui d’Auguste avait été très peu étendu dans le temps.
Mais Victoire se perdait en pensées superflues, elle en avait presque oublié ce qu’elle devait faire à la base. La mention d’un Roi pouvant être taxé de douceur comme Charles de France la fit sourire. Car elle savait, par le concerné qu’elle avait tant de fois écouté narrer sa propre histoire, qu’il n’en avait pas toujours été ainsi. Au moins la Reine était rassurée que les choses aient changées depuis lors. Elle n’aurait su suivre un régime de terreur. C’aurait été bien impossible pour elle.
Reposant ses yeux sur Eve, elle tâcha de formuler sa pensée et son devoir de la meilleure façon possible. « J’ai digressé moi-même, ne soyons pas arrêté par si peu, voulez-vous ? » Elle déglutit. Donner des ordres, même très minimes et pour mettre à l’aise n’était pas son fort non plus. D’où le besoin d’avoir auprès d’elle des individus capable de contrebalancer sa trop grande propension au passif. « Dites-moi, donc… Quelles sont vos motivations, au sujet de l’armée ? » Il fallait bien commencer quelque part et savoir cela permettrait sans doute à Victoire de voir si cette personne conviendrait pour le poste vacant. Elle manquait de temps et espérait que les étoiles finirait par s’aligner en sa faveur.
Peut-être.
Si Victoire ne montre pas de signe d’agacement ou tout autre sentiment négatif à la suite des paroles d’Eve, le vampire aurait presque pu penser être sorti d’affaire. Cet échange était pour le moins perturbant. En réalité, elle n’avait toujours absolument aucune idée de ce qu’elle pouvait bien faire dans la salle du trône, et l’ensemble des questions posées par leur nouvelle reine était… déroutant, pour ne dire que cela. Sans la moindre idée d’où la conversation se dirigeait, ni même des attentes de la souveraine, Eve tentait désespérément de ne pas faire de faux pas. Cette incertitude tendait progressivement à peser sur les épaules de la jeune femme tandis qu’elle essayait de ne pas perdre le nord. Oh et que la question suivante la laissa perplexe.
Ses motivations au sujet de l’armée ? Une question délicate, lorsque l’on connaissait les intentions d’Eve. Un sujet plus épineux que l’on ne voudrait y croire, suite aux pertes massives dues à la peste, même en temps de paix. Et si Eve devait croire son instinct, la fermeture des frontières, et cet échange, ne devaient pas être deux événements bien éloignés. Intriguée, mais surtout inquiète de voir ses propos détournés, elle prend un instant pour réfléchir avant de s’engager sur le terrain glissant que ce sujet pouvait devenir.
« Il m’est idée que l’armée ne doit pas être à son sommet uniquement en temps de guerre. »
Les de Harcourt ne sont pas connus pour leurs hauts faits militaires, il n’était pas question de souligner ce point ici. Non. Pas plus que le discours effarant d’une motivation purement nationale.
« J’ai pu au cours de mes grades découvrir quelle est la force d’une force militaire unie. Beaucoup penseront qu’il s’agit uniquement de force physique, mais ceux-là seraient tristement surpris. Il est autant de stratégie sur place que d’organisation préméditée. Si la couronne est de fait le plus grand pouvoir d’une nation, son armée devient sa lame. Votre père Auguste a vécu d’un temps de paix, mais votre grand-père, Charles de France, en était conscient dans ses premières heures. La fermeture des frontières laisse présager un temps de trouble, et aujourd’hui, si mes frères d’arme sont robustes, je ne pense pas que nous soyons en mesure de vaincre une puissance telle que nos voisins germains. »
Un aveu qui pourrait lui valoir sa tête. Mais Eve reste fière et droite, assurée de ses convictions. Elle avait vu tant de guerres. Tant de massacres.
« Une armée n’est pas un bélier lancé à pleine vitesse. S’il est une personne à sa tête, un homme seul ne saurait guider sans avoir la confiance des siens. La cohésion et les valeurs actuelles sont celles que votre lignée nous a inculqué. Mais les choses changent, ont déjà changé. »
Observant la jeune femme devant elle, elle réalise à quel point tout ceci doit être complexe, mais elle ne veut pas faire de Victoire l’une de ces femmes à qui les règles militaires ne doivent pas être confiées.
« Nos ordres sont ceux de la couronne. Mon intention est seulement celle d’appliquer ce qui semblera juste à votre Majesté. »
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A la simple mention des voisins germaniques, Victoire sentit un frisson lui dévorer les os du corps. Elle déglutit, ne pouvant s’empêcher de penser à Jean ,tout à coup. Il lui manquait et probablement lui manquerait-il toute sa vie. C’était ainsi. Elle devait s’y faire et se fit violence pour ranger cette déplaisante digression de ses réflexions quelque part tout au fond des limbes de son esprit pour le moment. Ce n’était pas le lieu pour de pareilles choses.
Les mots du Harcourt étaient pesant de bon sens, de vérité absolue. Même si elle ne connaissait que trop peu l’armée ni comment on menait des soldats, Victoire devait admettre qu’elle avait été convaincue en moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire par ce discours. Peut-être était-elle en train de commettre une erreur mais il lui semblait que c’était là la bonne personne dont elle avait besoin pour gérer le bras et la force de la France, sous son commandement. L’idée était plaisante et lui tira même un fin sourire inconscient.
« Vous savez, Eve, je… » Elle fut interrompu par le bruit de la porte qui vint troubler le calme qui les entourait. Un domestique se tenait là, visiblement bien embêté. Mais le Reine ne devait pas se disperser, ce n’était pas une conduite convenable pour une souveraine, surtout en un tel contexte. « Veuillez dire que si l’on cherche à quérir une audience de ma personne, ce ne sera pas possible avant demain matin. Peu importe qui me demande. » C’était l’une de ses premières mesures de fermeté et au fond, elle n’était toujours pas à l’aise avec cette façon de faire. Mais elle n’avait pas le choix. C’était ainsi et pas autrement.
Son attention toute entière se reporta sur Eve. Un soupir marqua la reprise de ses réflexions « Je… Je ne devrais sans doute pas me découvrir ainsi devant vous mais… En toute honnêteté, je n’y connais que trop peu de choses en matière militaire. Cette lacune est un affront au pays guerrier que demeure être la France, j’en ai bien conscience. » Une inspiration pour le courage. « J’aime à penser qu’avec une personne telle que vous au sommet de mon armée, alors je serais en mesure de mieux la comprendre, voir même de l’aimer à sa juste valeur. » Et une hésitation, soudain, qui l’enserre. « Enfin, si vous n’y voyez pas d’objection, bien entendu. »
Il aurait été facile d’abuser de l’évidente vulnérabilité de la reine à cet instant précis. Simple était la réalisation de deviner la peine au fond de ces yeux verts. Était-ce la mention du Saint-Empire ? Eve aurait pu faire preuve de plus de subtilité, n’ayant pas immédiatement pensé que ce seul nom pourrait rappeler de bien tristes souvenirs à la jeune femme. Aucune d’elle ne dit pourtant mot. Un silence valait souvent mieux que tous les discours. Eve reste droite, observant Victoire et attendant son verdict. Mais la réplique de la jeune demoiselle font se tendre Eve. Pourquoi l’appelait-elle par son prénom ? Le lâcher prise quand au protocole intrigue le vampire qui incline simplement la tête sur le côté d’un mouvement léger, soulignant que son attention lui était pleinement attitrée.
Non sans que des coups contre la porte attire l’attention d’Eve, battant des cils devant l’intrusion, se souvenant, tardivement, qu’elle n’était pas celle que l’on avait attendu dans la salle du trône. Mais Victoire ne donne le temps de rien à la domestique, la rabrouant et rejetant ce qu’Eve ne doutait pas être le Duc qui devait venir s’entretenir avec la reine de France. Eve ne dit rien. Reste de marbre. Peu importe les intentions de Victoire, elle n’avait pas à contredire sa Majesté.
Et c’est l’innocence assumée de cette femme qui fait fondre le rempart d’impassibilité d’Eve. Ses épaules se délient à mesure de ces admissions éhontées. Et si elle ne réagit pas à l’annonce faite, Eve préfère reprendre le fil important de la conversation.
« Majesté, il ne serait plus grand honneur que de pouvoir vous partager avec vous les éléments rudimentaires du monde militaire. »
Vulgariser le monde des armées n’était guère complexe. Et Eve ne voyait comment retirer ce pouvoir à la reine. Non, Victoire avait beau être une femme, cela n’en faisait pas pouvoir autant une faiblesse.
« Votre nouveau statut est auréolé de lauriers et de la grâce divine. A vos côtés, je vous promets d’être une lame juste. Je vous promets que l’armée deviendra un sujet d’aisance à vos yeux. N’ayez honte, votre Majesté, d’avouer ne pas manier les armes avec la grâce de vos décisions politiques. »
Le temps apprenait aux hommes, et Victoire ne serait exception à ce principe. Eve d’une dignité indiscutable pose humblement genou à terre, vert contre bleu.
« Le rôle que vous m’offrez honore le nom des miens. Et ma fierté d’être au service de votre Majesté ne saurait ciller. »
Faire profil bas. Voilà ce qu’Eve et Adam s’étaient promis. Voilà ce qu’Eve n’avait pas fait, touchée en plein cœur par cette femme dont elle ne comprenait que trop bien les tourments.
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Elle n’aurait su définir avec exactitude le pourquoi du comment, mais Victoire se sentit brutalement soulagée qu’Eve semble tout sauf réfractaire à l’idée de commander les armées de France. En vérité, elle n’aurait probablement pas su quoi dire face à un refus, quel qu’il ait pu être. La tâche de régner s’annonçait déjà fort houleuse, alors si on plus on se refusait à la suivre... Mais bon, voici un souci en moins sur ses épaules. « Vous m’en voyez ravie. Je suis plus que certaine que vous saurez être un Maréchal digne de ce nom. » La Reine tâcha de se souvenir du reste de la procédure à suivre. Elle aurait tant aimé que son père ou son grand-père laisse des instructions claires quant à la marche à suivre.
« Rappelez-moi le nom de votre Duché, déjà ? » C’est vrai que dans les faits, elle avait même omis de poser cette question. C’était davantage pour sa curiosité personnelle, sans aucun doute. Mais tout de même. La voici avec son nouveau gestionnaire des Armées de France et elle était bien incapable de donner substances au nom qui lui restait sur la langue.
Elle ne doutait en aucun cas, cependant, que les choses iraient bien mieux sous peu. Pour la première fois, elle avait confiance. On lui avait vanté les mérites de cette personne après tout, comment cela pourrait-il se passer d’une malheureuse manière ?
Si la mention du titre est subitement un rappel à l’ordre tel qu’il parvient à secouer un instant Eve, rien n’est plus pénible que cet instant d’incertitude qu’éveille la question invoquée par la reine. Oh, les choses allaient devenir compliquées, le vampire en était persuadé. Eve avait été un membre de l’armée respecté et reconnu du temps d’Auguste de France. Et si elle n’avait jamais fait le choix de revêtir les grades et chevrons de l’armée sous Charles… Eve était certaine que l’armée n’avait connu plus bel essor. Sans surprise, Eve n’était pas celle portant l’éducation la plus prestigieuse en ce domaine, quand bien même elle ne manquait en aucun cas à ses connaissances ni même à ses devoirs. Siècles d’existence aidant, elle était même certaine qu’Adam, eut-il été à ses côtés, aurait été fier des prouesses tactiques et physiques de sa moitié.
Mais comment expliquer à sa reine qu’il y avait de toute évidence erreur sur la situation. Aucun sourire, aucun rire, mais il n’y a pas non plus de contrariété ou d’agacement. Eve secoue doucement la tête d’un signe négatif avant de baisser la tête, humble et visiblement navrée.
« La famille de Harcourt ne détient aucun Duché, votre Majesté. Mon titre n’est que celui de Comte. »
Comment rendre cette situation moins cocasse ? Moins complexe.
« Dois-je aller faire quérir une autre personne, Majesté ? »
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Elle était persuadée de son fait, que l’invoqué qui lui faisait face était un Duc, le rang noble le plus proche de la royauté. Mais les mots d’Eve lui glacent soudainement le sang alors qu’elle réalise qu’il est peut-être bien trop tard pour revenir sur ses propres. Un Comte, à la tête des armées de France ?
Victoire sentit ses réflexions s’emballer. Puis elle se posa une simple question, somme toute la plus à même de convenir à la présente situation : Et pourquoi pas ? C’était là une pensée qui n’attendait ni n’aurait aucune réponse. Pas pour le moment, du moins. Mais en y pensant, elle avait eu ce même genre de songes avant d’engager Stanislava et pour le peu que la mercenaire était auprès d’elle, Victoire pouvait se dire plus que satisfaite du travail fourni par cette dernière. Eve méritait bien qu’on lui laisse sa chance, lui aussi.
Que pourrait-il mal se passer ? Elle avait déjà une confiance certaine dans ce que lui avait dit le jeune homme lui faisant face. Et puis, pourquoi ne pas bousculer certaines traditions, si traditions il y avait ? Victoire se dit qu’un peu de nouveautés ne pourrait qu’affermir son règne dans la meilleure des manières. Alors, elle sourit tendrement à Eve avant de se rapprocher de sa grande silhouette. « Non, ne prenez pas cette peine, Comte de Harcourt. Votre gradation tient toujours. Je ne reprends jamais une proposition que je fais. »
Elle se sentait vraiment bien, rafraichis par cette décision prise, pour une fois, toute seule. « Je ne vais cependant pas vous retenir davantage, il me faut annoncer la nouvelle à qui de droit et… de même pour vous. Encore toutes mes félicitations. » N’était-ce pas de circonstances ?
L’embarras pourrait presque être palpable, tant la jeune reine pâlit aux aveux du vampire. Si seulement elle lui avait avoué toute la vérité. Qu’elle n’était ni noble, ni même digne de ce pays. Qu’elle avait tué de sang-froid. Qu’elle n’était pas homme à mériter d’endosser ce rôle. Mais c’est un cœur à vif par l’idée de pouvoir protéger une valeur que le monde tend à bafouer si impunément qu’Eve ne ploie pas. Une reine serait le début d’une nouvelle ère. Elle n’est pas une simple régente, non. Elle était ce que ce pays nécessitait. Et si tout le pays doutait d’elle, Eve voulait pouvoir y croire pour tous. Et pour elle surtout. Pour que Victoire, plus que tous, croie à sa propre légitimité.
Si le silence s’étire, Victoire semble pourtant se reprendre et approche d’Eve, déterminée, n’ayant plus la moindre once de doute dans ses grands yeux d’émeraude. Qu’elle était belle, à cet instant, puissante et assurée. La satisfaction n’aurait dû être sienne, pourtant, elle ne pouvait que sourire lorsque son regard croisa celui de la reine de France.
« Il m’est un honneur indicible d’être votre lame, votre Majesté. »
Plus que tout, Eve aurait souhaité étreindre cette femme dont la force était une démonstration extraordinaire de puissance et de droiture. Alors lorsqu’elle prit le temps de féliciter son nouveau bras droit militaire, Eve ne put que lui offrir un sourire charmé et charmant alors qu’elle courbait le dos humblement, cascade d’or dévalant ses épaules.
« Je vous remercie de votre temps et de votre considération Majesté. Je ne ferai rien pour vous décevoir. »
Si la courtoisie n’accablerait en rien un départ imminent d’Eve, elle se permit pourtant de venir prendre la main de Victoire et d’y apposer un simple baiser, croisant son regard à nouveau pour pouvoir lui intimer.
« Je vous fait la promesse de rendre les diatribes militaires plus accessibles lors de nos prochaines rencontres, votre Majesté. Je suis votre obligé. »
Se redressant enfin et laissant filer la main gracile, lorsque les talons d’Eve claquent à nouveau contre le sol de la salle du trône, non sans une ultime salutation à la reine, elle aurait presque oublié la requête d’Adam. Oublié que cette place n’est pas la sienne. Qu’à l’instant où elle avait accepté, elle œuvrait sur du temps volé. Que toute cette mascarade trouverait probablement sa fin prématurément. Cela soit-il de sa main, ou de celle de son frère.
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