Elle avait eu l’impression que cette journée était passée à une lenteur incroyable. Pourtant, May avait eu tout autant de travail que d’habitude, mais dès lorsqu’elle avait su que June passerait le soir-même, elle s’était activée pour tout rangé et tout dépoussiérée, installant même un endroit confortable aux oies dans son arrière-boutique pour ne pas qu’elles viennent mettre des plumes partout après son coup de balais.

Début d’après-midi, elle avait déjà tout terminé dans son échoppe et ne pouvait plus qu’attendre, se contentant de répondre et vendre aux différents clients qui passaient par là.

Cependant, alors que le soir venait et que les badauds rentraient chez eux, elle commença à fermer la boutique, comme d’habitude.
June arriva quelques instants après et elle sentit immédiatement son visage la brûler. Elle se remémorait la pression sur sa taille faite par le jeune Duc lors de la fête du Printemps, alors… « B-Bonsoir June ! »

Oh, il l’avait vouvoyé. Surement avait-il comprit que se montrer en sa compagnie n’était pas bonne presse pour lui. « Tu- Vous vouliez des informations sur la dague, je présume ? »

Rester professionnelle. Rester aussi sereine que possible.
Un échec.

La proximité avec June fait s’affoler son cœur. Pourtant, May sait qu’elle a une mission, qu’il est venu en ce but, en ce sens. Elle ne veut pas le faillir. Pas encore après ce qui avait failli se passer à la fête du printemps. Heureusement ce soir-là, elle avait su se restreindre. Et elle n’avait pas eu à l’expliquer outre mesure, June ne s’étant visiblement rendu compte de rien.

« N-Non, je vais bien ! Que vas-tu t’imaginer, ahah ! » Immédiatement, elle s’échappe de ce geste tendre, gentil à son égard.

Déjà, la voilà qui s’enfuit vers son comptoir, cherchant un mouchoir blanc à étaler dessus. « La dague, donc ! Viens, tu seras plus à l’aise de la regarder sous la lueur d’une bougie. » C’est encore la meilleure chose qu’elle ait trouvé pour s’enfuir de lui. Le travail. « Je l’ai un peu observé avant de la mettre en vente, si tu veux que je te parle de mes découvertes. »

May tâcha d’ignorer la chaleur qui la prenait au corps – et au cœur – en la présence du suédois. Prenant une profonde inspiration, elle fit en sorte de se concentrer sur sa tâche et son expertise. Après tout, rien n’était plus urgent que cela, présentement.

Alors, la jeune femme se claqua les joues et s’empara de la lame pour la montrer fièrement à June. « Regardes bien, c’est impressionnant ! » dit-elle, tout sourire.

Puis, venant poser sa main sur le bois de son comptoir, la blafarde ne perdit pas un seul instant pour venir frapper de sa lame, tenue par l’autre main, le dos de sa paume.

Le clac sur le bois résonna dans toute la boutique.

Sans doute aurait-elle dû réfléchir à deux fois avant d’agir de la sorte, oui. Mais la jeune femme n’avait pas songé une seule fois que tout ceci puisse provoquer l’ire ou même l’inquiétude de son ami.

Alors, lorsqu’il la ramène contre lui et semble terrifié, May se sent très bête de son initiative. « June… » D’instinct, elle porte une main au visage du jeune homme, comme pour l’apaiser autrement que par les mots. « Je suis désolée, je ne voulais pas… »

Et la soudaine proximité la rend toute chose, une fois encore. Libérée de cette étreinte, May doit faire face aux nouvelles questions sur l’objet. De toute manière, se répandre en excuse n’aiderait pas. « Euh… Oui. Enfin, tout ce que j’ai tenté pour blesser du vivant n’a pas marché. Branwen m’en a un peu voulu mais j’ai testé sur lui avant, ahah… »

C’est un rire sans joie mais peut-être que cela suffira à désamorcer la situation. Ou l’empirer.

« Par contre ça laisse des traces sur les objets ou les autres matériaux. J’avoue que je ne sais pas quoi en penser. » Ses doigts passent sur une petite inscription. On pourrait croire à une griffe mais May en doute. "Et regarde, il y a ça aussi."

⚇V.

Plus elle le regarde et plus elle a envie de le prendre dans ses bras. Mais May sait qu’elle ne peut pas. Elle est attendue ailleurs, autrement. Lorsqu’il pose la question sur les astres, elle hausse les épaules. « Je l’ignore… Je n’ai pas beaucoup de connaissance en astronomie. Connaitrais-tu quelqu’un de féru de cette discipline, à tout hasard ? » Des fois que…

Mais voici qu’à son tour, il se blesse – ou essaie de se blesser – délibérément, sans aucun succès. « Uniquement sur les créatures ? Eh bien… Je ne l’avais pas envisagé, mais ça me semble peu probable. » Branwen aurait fait plus que râler pour la forme, sinon.

Il est l’heure d’une autre théorie. « La lame a laissé une trace dans le bois du comptoir, peut-être que cela ne peut endommager que les objets ? Après tout, avec ma paume en plein milieu, je n’ai rien senti. » Mais de là à dire à quoi elle peut servir… C’était encore bien nébuleux. « Veux-tu que je recopie le motif pour faire des recherches de mon côté ? »

Si elle pouvait être utile…

Elle sourit, les joues rosies par la simple présence de June. « Eh bien, des gens viennent pour me proposer de leur racheter des choses, et celle-ci en faisait partie alors je l’ai prise. Il n’y a rien de mystérieux ou de très glamour, c’est la simple activité d’une marchande, je dirais… »

Mais elle est ravie d’entendre que son initiative peut se révéler utile. Ainsi donc, elle s’empare d’une feuille et de quoi écrire puis recopie scrupuleusement le symbole. « Je vais chercher, dans ce cas... Dès que je trouve quelque chose, je te dirais quoi. » Elle s’assurera de toujours avoir cette feuille sur elle, une fois que l’encre aura séché.

Mais voilà, l’air fatigué de June se trahi. May déglutit, elle s’en veut qu’il soit venu la voir si tard alors qu’il pourrait se reposer. Elle s’en veut aussi de lui avoir fait peur de la sorte.

Toutes ces histoires qu’il a récemment vécues doivent le drainer. Si seulement elle pouvait être plus qu’un simple support pour lui… Alors, prenant une grande inspiration pour essayer de calmer son cœur galopant à la remise en place de sa mèche de cheveux, May décide, pour une fois, de ne rien retenir de sa personne. « June… »

Elle contourne le comptoir et vient prendre le visage du jeune homme en coupe. Si seulement elle pouvait le protéger comme il le fait, si seulement elle pouvait lui apporter des réponses, si seulement…

Avant même qu’elle ne le réalise elle-même, ses lèvres étaient sur les siennes.

Oh, elle comprend immédiatement, pour sûr. Et si son cœur se serre, May sait qu’elle ne peut s’en vouloir qu’à elle-même. Il ne lui faut verser aucune larme alors que les lèvres de June quittent les siennes.

A quoi avait-elle pensé ?
Pour qui se prenait-elle ?
De quel droit avait-elle osé ?

Trois questions qui la poignarde et auxquelles elle ne veut pas résister. Cela faisait si longtemps qu’elle ne s’était plus sentie ainsi. Une piqûre de rappel dont elle se serait volontiers passé. « Je… » Sa voix meurt contre l’épaule du suédois, où elle a enfoui son visage pour, ironiquement, se protéger de lui. Et d’elle par la même occasion. Se garder de ce qu’elle pourrait lire dans ce vert regard. « Détaches tes bras, June, ça vaut mieux pour tout le monde… »

Elle essaie de se défaire de l’étreinte, mais la motivation n’y ait pas. De toute manière, avait-elle seulement encore envie de quelque chose, ce soir ? Elle aurait voulu que Branwen soit là, elle aurait voulu qu’il la sermonne comme il le fait si bien lorsqu’elle fait des ristournes trop importantes ou se mêle de ce qui ne la regarde clairement pas. Elle avait recommencé.

Et elle regrettait de s’être brûlée à June.

« Je suis désolée… »