Que dire sur sa vie, à part qu’elle est née de père inconnu. Sa mère a toujours racolé, mais n’a jamais vendu sa fille. Si un type osait s’approcher, elle sortait les griffes. Sa mère n’était pas une mauvaise femme. C’était tout le contraire. Elle aurait voulu mieux pour sa petite. Malheureusement on ne choisit pas sa vie.

Jeanne a travaillé dès son plus jeune âge pour aider sa mère à subvenir à leur besoin. C’était dur. Parfois elle mendiait dans la rue. Elle se barbouillait de boue et cachait un bras (des fois les deux) pour faire croire qu’elle était infirme, ça rapportait plus. Mais à la fin de la journée, bonjour les douleurs musculaires et articulaires. C’est que c’était une petit maline, la gosse. Elle a déjà volé aussi. Une ou deux fois, mais c’était dur et elle risquait gros à se faire prendre. Elle préférait donc garder ça quand c’était trop la misère.

À 17 ans, elle a trouvé un travail honnête : serveuse dans une taverne. Elle était belle, la Jeanne. Certains hommes lui firent la cour. Enfin un truc qui y ressemblait. Ils n’avait pas inventé l’eau chaude, mais ils étaient drôles. D’autres types étaient plus directs. Elle avait toujours la cote.
Sauf que manque de chance il arriva ce truc bizarre à sa peau : elle perdait sa couleur pour devenir aussi blanche que le lait. Quel drame ! Les gens prétendaient qu’elle était malade et quelques rares personnes murmurèrent qu’elle avait reçu une malédiction à cause de sa mère prostituée et de sa bâtardise.

Sa vie s’écroula. Elle perdit son emploi et n’eut plus aucun prétendant du jour au lendemain. Elle tenta bon nombre de choses pour corriger son problème. Elle tenta de gratter sa peau pour la rendre blanche partout. Mais hormis se blesser, cela ne changea pas son apparence. Elle pria beaucoup, se rendant à la cathédrale très souvent. Rien y fit. Elle tenta de se confesser. Aucun changement. Elle dut se résoudre à rester ainsi. Sa mère lui a cousu des gants pour l’aider à se soulager un peu du regard des autres. Maintenant que tout le monde le savait, à quoi ça servait de le cacher.
À plusieurs reprises, Jeanne s’éloigna du quartier pour trouver du travail. Elle se fit embaucher et plus tard congédier. Pourquoi les gens étaient si effrayés par la différence ? Même si c’était une maladie, sa mère ne l’attrapa jamais.

Pauvre et en détresse, Jeanne choisit de faire la seule chose qu’elle pouvait offrir pour gagner de l’argent : se vendre. Si elle ne quittait ni ses gants, ni sa tunique, personne ne voyait son problème. Et curieusement ce fut suffisant aux hommes pour la désirer (une fois certains qu’à l’entrejambe tout était normal bien sûr.)

On ne va pas se mentir. Elle a déjà eu trois bébés, mais ils n’ont jamais dépassé la première année. Les commérages firent d’elle la catin parfaite, car personne ne voulait d’un bâtard.

Malgré les années, elle ne perd pas espoir. Un jour, il y aura un type pas trop laid de préférence et moins borné que les autres pour l’accepter. Et ce jour-là, elle fera tout pour être une femme normale et pour avoir des enfants en pleine santé.