Depuis quelques jours, Zuicher avait du mal à renouveler son inspiration. Certains diraient que ce n’était qu’une mauvaise passe, que ce n’était pas si grave, trois jours sans nouvelle création. Mais la suédoise n’était pas de cet avis. Il lui fallait du renouveau immédiatement. Bien que patiente, la vampire savait qu’il valait mieux prendre le mal à la racine lorsque c’était possible. Et là, elle tenait la possibilité au creux de ses doigts.

C’est pour cela qu’elle avait envoyé une missive à une camarade artiste afin de l’inviter à prendre un thé, tout d’abord. Sa maison était modeste mais lui convenait telle quelle. Vivant juste au-dessus de son atelier, Zuicher avait tout loisir de pouvoir accueillir un ou deux invités de temps en temps.

Pour agrémenter le thé, elle avait été acheter quelques douceurs chez le boulanger de la rue et même si elle n’était pas une gourmande, elle dû bien admettre que l’odeur qui se dégageait de ces petits pains était plus qu’agréable.

Ce n’était pas la première fois que Zuicher se permettait de faire se déplacer des artistes, elle les avait apprécié de tout temps. Mais c’était bien la première fois que c’était pour son propre intérêt professionnel. Alors elle voulait faire les choses correctement, quitte à mettre les petits plats dans les grands.

Elle devina l’arrivée de son invitée avant même que cette dernière ne frappe à la porte. Zuicher partie lui ouvrir, dans une robe sobre et élégante. « Demoiselle di Croissanti, soyez la bienvenue. » Son regard vairon se posa sur le chat de la jeune femme, qui avait fait partie du voyage. Parfait. Zuicher adorait ces bêtes là et si elle n’en avait pas encore repris, c’était simplement parce qu’elle n’avait pas eu l’occasion de se pencher sur la question. En y songeant, peut-être qu’un chat apaiserait Johanna, d’ailleurs…

Elle sortit de ses pensées aussi vite qu’elle y était entrée. La suédoise referma la porte de son atelier et dirigea sa jeune invitée vers une table proche sur laquelle fumaient déjà deux tasses d’un thé anciens et précieux. Une bagatelle, pour Zuicher, qui n’y accordait que fort peu d’intérêt. « Mettez-vous à l’aise, je vous en prie. C’est une immense joie que j’ai à vous accueillir dans mon modeste atelier. » Et elle ne mentait pas. Derrière ce petit bout de femme d’un mètre quarante-neuf battait un cœur prêt à tout pour défendre son idée du jour.

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, la vampire songea qu’il était plus appréciable de commencer par un peu de banalités. « Avez-vous fait bon voyage ? J’espère que les pavés de Paris ne vous en pas retourné l’estomac ! » C’était dit avec subtilité et un peu de rire, également. Mais à force, Zuicher ne savait même plus si elle s’esclaffait ainsi par automatisme ou par véritable joie.

Adorable. Tout bonnement adorable. Cette demoiselle évoquait à Zuicher les premières décennies de vies de ses filles, réduites à l’état de poussière, désormais. Elle se surprit même à se sentir attendrie. En quelque sorte. Prenant une gorgée de son thé, elle répondit avec plaisir aux sollicitations de son artiste de consœur. « Vous devriez investir dans un petit appartement, au moins, oui. Et pourquoi pas un atelier ? Vous pourriez ainsi organiser la chose de la même manière que moi, votre lieu de travail au rez-de-chaussée et votre lieu de vie à l’étage. C’est la solution la plus pratique que j’ai pu trouver, personnellement. » Ça et le fait qu’elle n’avait pas envie de sortir de trop pour risquer de se montrer à la populace. Elle avait toujours été un peu à part, Zuicher.

Il était maintenant plus que temps d’aller droit au cœur des choses. « En toute franchise, Demoiselle di Croissanti, je vous ai fait venir ici car j’ai l’impression que mon inspiration s’étiole et je n’aime guère cela, comme vous pouvez l’imaginer. » Elle balaya la pièce du regard, s’arrêtant sur les quelques tableaux accrochés au mur. « C’est pourquoi je me suis dit qu’une collaboration entre nous pourrait m’aider à retrouver la flamme pour de nouvelles créations. Si vous n’y croyez pas d’inconvénients, bien évidement. »

Elle n’avait jamais aimé forcer qui que ce soit.

Dahlia semblait être réceptive aux propositions de Zuicher, ce qui ne déplut pas le moins du monde à la vampire. Bien au contraire. Au moins, ainsi, elle occuperait sa journée à imaginer de nouveaux concepts et de nouveaux designs.

« Fort bien ! » dit-elle en se levant de son assise pour aller chercher un rouleau de papier qu’elle avait conservé sur son bureau dans la pièce d’à côté. En revenant, elle déplia le document et le tint devant elle, bras levés. Il n’y avait pas assez de place sur la table pour étaler ledit papier, aussi, Zuicher fit comme elle put pour montrer ses idées couchées sur cette surface friable. Elle n’était pas embêtée de faire ça, ses muscles avaient l’habitude d’être tiraillés de la sorte, après tout. C’était un avantage qu’elle avait face aux humains.

« Comme vous pouvez le voir, j’ai déjà quelques concepts, en tête. Seulement, je ne sais pas s’ils sont pertinents, ni même quels coloris leurs donner. Je sais que nous sommes au printemps et que les couleurs chaudes sont à privilégier pour cette saison mais… J’aimerais vraiment innover vers quelque chose de nouveau. »

Et puis, si Dahlia pouvait lui donner son avis de façon tranchée, artistique, elle saurait quoi faire pour s’améliorer dans le même temps. « Et ne retenez pas vos critiques, surtout, s’il vous plaît. » On apprenait mieux de ses erreurs.

Zuicher replia ses esquisses et se réinstalla sur sa chaise. Elle écouta la jeune femme lui faisant face parler avec un aplomb et une passion certaine. La vampire pouvait trop nettement discerner que c’était là une réelle façon de vivre, pour Dahlia, que de parler d’art, de vivre de son talent. Non pas que Zuicher n’ait pas la flamme de la création, loin de là. Mais l’activité de chapelière était une passade comme une autre.

Lorsque le temps commencerait à jouer contre elle, elle partirait, tout simplement. Comme elle l’avait déjà fait. Et comme elle le ferait certainement encore beaucoup de fois.

Le sourire fin, inscrit sur ses lèvres, ne désempli pas même après la fin des explications et propositions de l’artiste. « Eh bien, laissez-moi réfléchir à tout cela… » dit Zuicher en se tenant le menton dans une main. « Déjà, je dois me remercier pour vous avoir fait venir ici, votre manière d’appréhender les choses et les idées qui en ressortent sont vraiment très intéressantes. Mademoiselle di Croissanti, je pense que vous venez de me tirer d’un problème bien épineux. »

Et elle lui souriait toujours. Mais dans le même temps, elle réfléchissait avec une attention réelle aux propos de Dahlia. « La soie pourrait être une très belle matière, oui, en effet… Mais sur un chapeau, je ne sais pas si la matière se prêterait à l’effet escompté. La soie est une matière naturellement très souple, il faudrait multiplier les épingles pour les maintenir droite, vous n’êtes pas d’accord ? » C’était une conversation normal entre deux artistes dans l’âme.

Elle gardait en tête l’idée de la soie. En tout état de cause, la suggestion n’avait rien de mauvais, loin de là. Zuicher appréciait de pouvoir manipuler de nouveaux matériaux, utiliser de nouvelles techniques. Elle avait la fibre artistique pour se faire. Et cela lui plaisait. Le tout était de savoir comment prendre le contre-pied des difficultés que mettait la soie dans leurs roues respectives. « Ne vous excusez pas, mademoiselle, vous n’avez rien fait qui mérite de telles lamentations. Bien au contraire puisque la suédoise commençait déjà à avoir l’imagination qui repartait. Et c’était une bonne chose."

« Je propose que nous réfléchissions à la résolution de ce problème un peu après. Que diriez-vous de me donner votre avis sur les quelques modèles que j’ai imaginés ? Je me disais que, peut-être, vous pourriez les ajouter à votre panel de création, pour les faire figurer sur vos toiles ? » Elle réalisa alors que c’était une façon de faire assez cavalière, tout de même. « Mes excuses. Ceci n’a rien d’une obligation, évidemment. Et je ne me permettrais jamais de vous aiguiller sur votre art. Vous êtes celle qui le connaissez le mieux, après tout. »

Zuicher n’apprécierait pas que l’on agisse ainsi avec elle, aussi elle ne se permettait pas d’agir de la sorte avec autrui. C’était la base du respect. Chose que peu de gens avaient visiblement acquis au cours de ses longues années d’expériences.

Elle ne pouvait lui retirer son côté critique et mesuré. Zuicher écoutait avec une attention toute particulière les dires de Dahlia et approuva de plus belle. Bien, elle avait une vision des choses très intéressante. La suédoise eut alors une idée bien particulière. « J’y pense mais je connais peut-être un moyen de tester vos théories. Si du moins vous avez du temps à m’accorder pour une prochaine entrevue, bien sûr. » Immédiatement, ses pensées allèrent vers Johanna.

« Il se trouve que j’ai souvent auprès de moi une jeune femme fort belle et qui pourrait sublimer un portrait par sa simple présence. » Toujours flatter un sujet à introduire, au besoin. « Pour le moment, elle dort et je voudrais la laisser se reposer. Mais peut-être que si cela vous intéresse, vous pourriez la peindre pendant que je confectionne des chapeaux selon vos idées ? Ainsi nous pourrions lancer une collection de tableaux qui feraient notre renommée à toutes les deux. Qu’en pensez-vous ? »

Pour Zuicher, cela servait également un autre aspect. Johanna devait voir que sa condition de vampire ne l’enlaidissait pas, bien au contraire. Elle voulait aider la jeune femme à admettre sa nouvelle nature. Et parfois, l’art pouvait être une cure comme une autre. Mais elle se gardera bien d’en informer Dahlia, cela dit.

Zuicher reposa ses papiers et ses idées pour le moment. Elle pouvait maintenant profiter de terminer sa tasse de thé tout en écoutant Dahlia parler. Sa voix de cette jeune enfant était douce et très agréable à entendre. Et elle était réellement adorable à se comporter de la sorte. Pour un peu, Zuicher aurait presque vu Torvi, l’une de ses filles parties trop tôt également – un parent ne devrait jamais survivre à son enfant, ça ne fait aucun sens -, le physique totalement différent, bien sûr. Elle eut donc un sourire tendre pour la demoiselle.

« Je suis ravie pour vous de savoir que vous allez bientôt rencontrer votre mécène. C’est une chose rare et d’une implication particulière, si je puis dire. Je vous souhaite de découvrir une personne formidable. Mais quelqu’un qui finance les arts ne peut pas être une mauvaise personne, j’imagine. » Elle l’espérait vraiment pour Dahlia.

Zuicher avait vu tant de choses dommageables qu’elle ne savait plus vraiment quoi dire de juste ou de correct. L’humaine avait le don de décevoir encore et encore. Elle voulut tout de même creuser le sujet. « Ou allez-vous le rencontrer ? Vous savez de qui il s’agit ou pas le moins du monde ? » Les petits jeux de pistes sont toujours intéressants.

Un noble de haut-rang, donc. Fort bien, Zuicher souhaitait le meilleur à Dahlia, dans ce cas. Elle aussi, il y a bien longtemps maintenant, avait porté l’étiquette de la haute noblesse du fait de son rang et des relations qui en découlaient de fait. Plus ou moins éphémère, donc. La vampire espérait juste pour la jeune Dahlia que cette personne saurait se tenir, comme elle a vu trop peu de personne parvenir à le faire sitôt qu’elles étaient baignées de ce spectre de grande naissance.

Elle termina sa tasse et pu percevoir sans mal l’angoisse qui s’emparait de la jeune femme. Une envie, maternelle, la prit alors au corps. La première pensée du genre depuis bien longtemps, maintenant. Zuicher se leva et, sa tasse étant terminée, elle la délaissa sur le côté.
Enfin, elle partit chercher dans l’un des tiroirs de son atelier tout proche un accessoire qu’elle avait porté, il y a très longtemps. Mais pour lequel elle n’avait plus aucune affection ou d’utilité.. Autant qu’il serve à d’autre.

Zuicher vint ensuite retrouver Dahlia. « Je ne vais pas abuser davantage de votre temps mais avant que vous ne partiez j’aimerais vous offrir ceci. » Elle se pencha pour nouer quelque chose autour du poignet le plus proche d’elle.C’était un ruban couleur bordeaux qui cintrait une petite pierre gravé d’un T. Pour Torsdag. « La pierre de lune est une chose sensée apaiser les tensions. Avec l’aide des dieu-.. » Elle se corrigea. « De dieu, vous parviendrez à en retirer ce bénéfice lors de votre rencontre avec votre mécène. » Son savoir païen ne devait pas fuiter. Même si c’était là son essence à part entière.

Attendrie par la réaction de Dahlia, Zuicher se permit un geste de proximité un peu plus exacerbé en venant relever le menton de la demoiselle délicatement afin de confronter leurs regards. « N’ayez pas honte, Dahlia, car vous m’offrez la plus belle des récompenses à travers votre sourire et votre présence. » Elle fit un geste ample du bras pour désigner les dessins qui avaient été évoqués alors. « Voyez comme en peu d’heures, déjà, vous avez réussi l’exploit de me rendre mon inspiration que je pensais avoir perdu. Votre présence fut salvatrice à mon activité alors croyez-moi que c’est moi qui, avec cette simple petite pierre, n’aies pas l’impression de vous récompenser à votre juste valeur. »

Elle recula d’un pas et offrit un sourire fin au chat de la jeune femme. « Quant au fait d’en prendre soin, je n’en doute pas un instant. Vous me semblez être de ces âmes qui savent conserver la valeur des choses à travers le temps car c’est votre vertu et non pas une condition artificielle que l’on vous aurait inculqué par convenance. » Un tempérament précieux, s’il en est. Zuicher espérait qu’un jour Johanna puisse briller du même éclat.

Zuicher était satisfaite. Elle avait de nouvelles idées et le temps partagé avec Dahlia n’était jamais vain. Heureuse d’avoir pu offrir une « babiole » - à son sens – qui fit plaisir à la demoiselle, la vampire laissa un faible sourire naître sur ses lèvres. « Ne changez jamais, Dahlia. Là est votre force, je pense. » Elle avait vu bien trop d’âmes censées finir par disparaitre dans les flammes d’une folie meurtrière et qui aurait pu être évitée.

La guerre entre lycans et vampires avait peut-être cessée, mais il subsistait toujours un petit quelque chose qui rendait le tout incertain. Le feu aux poudres pourrait être remis aisément et déclencher des vagues incendiaires plus meurtrières encore que les précédentes. Zuicher ne voulait pas de cela. Son clan était bien moindre à présent par rapport à la puissance qu’il avait su un jour déployer mais elle ne souhaitait ni le pouvoir ni la gloire. Juste la tranquillité.

Et c’était en cultivant la bonté des gens tels que la jeune italienne que cela pourrait un jour arriver. Elle en était persuadée. « Il me tarde déjà de prévoir notre prochain thé ensemble. Je vous dirais, à ce moment-là, si nous pourrons avoir un modèle sur lequel travailler. » Elle devrait voir cela avec Johanna.