Dahlia était extrêmement nerveuse.

Dans la calèche le menant à une soirée mondaine à Paris, la jeune artiste peintre se triturait les doigts. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas posé les pieds dans un évènement de ce genre, et pendant plusieurs jours, elle essaya de se rappeler l'étiquette et les bonnes manières qu'on lui avait enseignés. Elle avait même essayé de revoir les pas de danse. Seule. Elle s'était sentie un peu ridicule sur le coup mais mieux vaut ça que de s'embarrasser le soir venu. Elle avait ressorti sa plus belle robe aux tons crèmes et blancs, agrémenté de dentelles fines. Elle portait également un ensemble de bijoux en or et sertis d'émeraude, et qui appartenait également à sa mère défunte. La longueur de ses cheveux ne lui permettaient de faire de coiffure extravagante aussi s'était-elle rabattue sur un diadème en perle nacrée ornant ses cheveux d'or. Elle avait tenté de se donner une allure plus adulte, et doutait si elle avait réussi son défi ou non. À la dernière minute, elle appliqua quelques gouttes d'un parfum et s'en alla.

Outre son appréhension pour les personnes qu'elle allait rencontrer, elle était également à la fois excitée de pouvoir enfin voir en chair et en os son mécène. À quoi ressemblait-il? Était-ce un jeune homme? Brun ou blond? Ou bien un homme d'âge mur? Du moins d'apparence d'âge mûr. Et si c'était un lycan ? Après tout, c'était son frère qui les avait mis en relation ( enfin, elle le supposait ). À ne pas en douter, pour se permettre de financer une jeune artiste comme elle, il devait être riche. Très riche. Un comte? Un marquis peut-être? Quand même pas un Duc, si? Dans toute son excitation, l'italienne oubliait parfois que peut-être, peut-être, ce mécène pouvait être malintentionné et qu'elle devait faire attention. Ni ses parents, ni son frère n'étaient là pour la protéger. Que ce soit de son mécène ou des autres nobles présents, elle allait devoir être sur ses gardes.

Étant dans une profonde réflexion, Dahlia n'avait pas remarqué qu'elle était arrivée à destination  et sursauta lorsque la porte de son calèche s'ouvrit et qu'on déplia le marche-pied. Discrètement, elle se tapota les joues pour se reprendre et descendit du calèche. Elle avança d'un pas qui se voulait assuré, la tête haute et afficha son sourire de circonstance. Elle se sentit bien bête en voyant les deux couples devant elle, et elle personne à son bras. Les rumeurs allaient courir sur elle, c'était certain. Mais pas question de montrer que l'on était affecté par son célibat. Elle continua à s'avancer jusqu'à arriver dans la modeste salle de bal où on l'annonça.

-Dame Dahlia Di Croissanti, artiste peintre originaire de Florence.

De nature plutôt réservée, l'italienne se demanda encore comment elle avait pu ne pas rougir lorsque bon nombre de regards se tournèrent vers elle et la suivirent encore quelques secondes qui lui parurent une éternité. Finalement, elle put souffler lorsque d'autres personnes arrivèrent et elle tenta de cacher sa nervosité en s'emparant d'un verre de vin, mais qu'elle ne but pas dans l'immédiat. Pour se distraire, elle tenta de deviner qui était son mécène. Était-il déjà arrivé au moins…? Elle ne pouvait pas vraiment trop s'attarder sur la question puisqu'on commença finalement à l'aborder, et en jeune fille bien élevée, Dahlia s'exécuta.


 

La tentation de boire son verre d'une traitre devenait de plus en plus tentante alors que les minutes s'écoulaient lentement et que les nobles arrivaient au compte goutte. Personne ne s'était présenté à elle comme son mécène et elle-même n'osait pas aller vers les gens. Le plus judicieux pour elle était d'attendre qu'il vienne vers lui, après tout. Et s'il s'amusait à la faire tourner en bourrique? Et s'il était déjà là, s'amusant de sa nervosité, l'observant comme une pauvre brebis égarée dans cette meute de loups. Non, son mécène n'était pas de cette malice. Du moins, elle le ressentait comme quelqu'un de très respectueux pour les quelques lettres qu'ils ont échangé.

Peut-être qu'il n'était pas encore arrivé après tout. Alors la jeune artiste observa discrètement les derniers nobles arrivant, essayant de mémoriser les visages et les noms. Mais pourtant toujours rien. Et s'il n'était pas venu au final? Voilà qu'elle commençait à paniquer. L'envie de prendre ses jambes à son cou se fit si forte qu'elle termina son verre cul-sec. Elle n'était pas très portée sur l'alcool et retint une grimace pour ne pas paraître impolie. Elle voulut en reprendre un deuxième et chercha un domestique mais voilà qu'on s'approchait d'elle.

Et pas n'importe qui!

Dahlia, comme beaucoup dans cette salle, avait observé Philippe de Bourgogne lorsqu'il était entrée dans la salle. C'était un Duc et, pour ne pas paraître trop bête, Dahlia avait fait ses devoirs avait ouïe dire que c'était un homme très influent, était l'un des conseiller de la Reine Victoire de France et, était de surcroît, célibataire. Enfin, ce détail, elle avait entendu bon nombres de dame le murmurer quand le héraut l'avait annoncé.

Et les murmures autour d'elles se firent plus insistants quand le Duc, homme de tant de convoitises, se dirigeait vers elle et… lui adressa la parole! Et lui fit un baise-main !! Dahlia sentit ses joues s'empourprer furieusement. Elle l'avait vu de loin et maintenant qu'il était proche, Dahlia mentirait si elle ne le trouvait pas beau. Très, très beau. A vrai dire, il avait exactement le physique des princes charmants qu'elle s'imaginait parfois, dans les contes que lui racontait sa mère autrefois.

Et puis qu'est-ce qu'il venait de dire? Qu'elle le connaissait sous un autre patronyme?! Ce n'était quand même pas… si ?! Si c'était une blague, elle était de très mauvais goût!! Mais pourquoi mentirait-il, de toute façon? Seul son mécène savait qu'elle avait un mécène! Enfin, c'était logique! Dahlia n'arrivait plus à réfléchir ! Elle s'entendait même bégayer bêtement devant Philippe.

-Je… Enchantée- Vous êtes…

Était-il vraiment…?

-Vous êtes… mon…

Et elle s'évanouit.


 

La dernière chose dont se rappela Dahlia fut le visage d'un doux prince venant la tirer de sa tour, garder par un méchant dragon.

Non!

Ce n'était pas un souvenir mais bien une histoire que lui contait souvent sa mère lorsqu'elle était enfant. Dahlia ouvrit lentement les yeux et se redressa un peu brusquement en remarquant qu'elle n'était absolument pas dans un endroit familier et qu'une voix peu familière lui adressa la parole. Elle se tourna vers le propriétaire et sentit son visage s'échauffer peu à peu alors que les souvenirs affluaient peu à peu.

Elle était à une soirée mondaine à Paris pour y rencontrer son mystérieux. Et elle l'avait rencontré. Il était même près d'elle, à genoux lui présentant des excuses pour un mal qui n'avait pas fait. Dahlia avait eu le culot de s'évanouir alors qu'elle avait elle-même demandé à le voir. Elle le faisait quitter son duché pour qu'il rencontre une empotée comme elle. La jeune fille se sentait bien bête et voulut s'enterrer six pieds sous terre. Mais elle ne pouvait pas, ce serait là un affront de plus envers Philippe. Alors elle se contenta de se cacher le visage derrière ses mains.

-Je… c'est moi qui devrais vous présenter mes excuses, Monsieur de Bourgogne. M'évanouir de la sorte alors que je suis celle qui a demandé à vous rencontrer…

Passer sa première stupeur de le voir enfin, elle contrôlait désormais ses mots mais n'arrivait toujours pas à le regarder en face.

-Je suis si confuse, pardonnez-moi… Je… je ne savais pas à quoi ou à qui m'attendre en vous rencontrant… Sûrement pas à un bel homme comme vous et je me doutais que vous étiez un noble mais un Duc… Comment ai-je pu faire déplacer un noble de votre rang pour une broutille pareille? Vous avez sûrement mieux à faire que de satisfaire la curiosité d'une artiste insignifiante comme moi. Et-

Dahlia s'arrêta en pleine phrase puisqu'elle avait finit par relever la tête et avait plongé son regard émeraude dans les prunelles cobalt de son mécène. Son mécène. Savoir qu'une telle personne, avec autant de responsabilités et sûrement très influent à la Cour s'intéressait à sa pauvre personne. Dahlia ne savait plus quoi dire ou où se mettre. Comment son frère avait-il pu être en lien avec lui? Et puis, il paraissait bien jeune. Elle ne lui donnait pas plus de la trentaine. Et il semblait bien plus mature et plus raisonné que lui alors qu'elle avait trois fois son âge! Cette simple idée la rendit aussi rouge qu'elle pouvait l'être et lui rappela à quel point elle avait peut-être été trop choyée auparavant.

-Je suis vraiment pathétique…


 

Maintenant qu'ils étaient seuls, dans le calme, et sans l'agitation des autres nobles autour d'eux, Dahlia pouvait enfin détailler Philippe. Et bon dieu, qu'il se tenait prêt. Le voir ainsi, à genoux, à essayer de la rassurer n'arrangeait pas du tout son cas. Pourtant elle tint bon. Elle l'écouta jusqu'au bout, sans l'interrompre. Elle flancha un peu quand il posa sa main sur la sienne ou lorsqu'il leva la main pour remettre ses propres bijoux. C'était bien la première fois, en dehors de son père et de son père, qu'elle avait autant de proximité avec un homme. Et, pour une artiste de sa trempe, à apporter beaucoup d'attentions aux détails, Dahlia ne pouvait s'empêcher de détailler le Duc.

Ses cheveux blonds, le bleu de ses iris, les traits de son visage, ses larges épaules, sa main plus grande que la sienne, ses vêtements sobres mais d'une élégance soignée, sa voix qui se voulait rassurante. La peintre dessinait peu de portraits mais elle songea qu'elle aimerait bien faire celui du Duc, si jamais il le lui demandait. Mais l'heure n'était pas à cela!

Philippe lui avait assuré que leur rencontre n'était pas une broutille et qu'elle ne devait pas s'en faire pour quoi que ce soit. Mais plus facile à dire qu'à faire, n'est-ce pas? Surtout après le petit spectacle qu'elle venait de donner. Les messes basses et rumeurs allaient partir bon train lorsqu'ils reviendront dans la salle. Et la dernière chose dont elle avait envie c'était de réellement mettre le Duc dans l'embarras.

-Je… Très bien, je vais essayer, finit-elle par articuler timidement.

Légèrement remis de ses émotions, mes ses joues encore pourpres, elle réajusta du mieux qu'elle le pouvait ses bijoux, lissa les plis de sa robe et leva finalement pour sortir de la pièce. Mais alors qu'elle s'approchait de la porte, prit une grande inspiration pour l'ouvrir, elle entendit l'écho des instruments de musique… annonçant clairement que les danses avaient débuté, ce qui l'arrêta dans son mouvement. Pendant combien de temps avait-elle perdu connaissance?! Suffisamment longtemps pour qu'ils commencent les festivités.

N'osant pas le regarder dans les yeux un peu plus tôt, elle se tourna finalement vers le Duc et chercha son regard, légèrement paniquée, ne sachant que faire. Vraiment, pour s'occuper d'une maisonnée convenablement, gérer ses propres finances, et vivre une petite vie tranquille en campagne, Dahlia n'avait aucun souci. Mais lorsqu'il s'agissait de fête nobiliaire et de bienséances, elle était complètement perdue, quand bien même elle en avait quelques notions. Elle n'avait pas vraiment eu l'occasion de les appliquer, après tout.

-Que-que faire… j'ai l'impression que les danses ont déjà commencé?