To stand until we fail

La date avait été dûment fixée. C’est trois jours plus tard, à quelques instants du zénith que June stoppe sa monture sur le parvis de Notre-Dame de Paris. Oh, il ne s’inquiète pas de grand-chose. Profite d’un jour de repos pour remplir l’engagement qu’il avait pris auprès d’un bien curieux personnage. Après leur passage à la taverne, et après son retour à la caserne, June se souvient d’avoir essuyé bon nombre de questions. Mais rien n’avait paru suspect. Du moins, pas plus suspect qu’une personne semblant fuir à la vitesse du vent ne pouvait susciter la curiosité. Et curieux… Oui, il l’était plus que certainement.

Descendant calmement de sa monture avant de respectueusement signer devant l’imposant édifice, l’idée le traverse un instant de pénétrer dans le bâtiment pour y écouter le chant des chœurs qu’il peut percevoir depuis l’intérieur. L’heure ne se prête pas à l’homélie, mais June se trouvait faible face au Seigneur. Du moins jusqu’à apercevoir la figure noircie d’ombres du jeune Noah. Un sourire étire les lèvres de June alors qu’il approche, menant sa monture à la main pour éviter tout débordement.

« Bonjour Noah ! Ravi de te revoir. Prêt pour le départ ? »

June avait prudemment reculé sa selle de telle sorte de monter à cru et de laisser le confort du cuir à son passager. Le soldat avait le mérite de connaître sa monture par cœur, et ne voulait en aucun cas risquer un accident pendant la chevauchée qui les emmènerait jusqu’aux bois. June ne prend pas vraiment le parti de faire la conversation ici. Ne pense pas que Noah se sentirait à l’aise de converser au milieu des passants. En réalité, June lui-même préférait davantage exorciser son trop-plein d’énergie accumulée depuis des jours en un entraînement digne de ce nom…

Alors ils quittent la ville, n’échangeant que de banales politesses et un silence compagnon alors qu’ils rejoignent au pas les limites de la ville. Oh, June ne se fait pas prier une fois les habitations passées. Prend le chemin qu’il ne connait que trop bien pour l’avoir tant de fois emprunté. Cède à la tentation de lancer sa monture au galop, non sans avoir prévenu son passager derrière lui qu’ils allaient accélérer l’allure. June est un cavalier assuré. Ne craint que peu de choses en sentant la musculature puissante sous ses cuisses rouler des mécaniques avec aisance. La distance est avalée avec rapidité, et une simple demie heure se passe avant qu’ils n’atteignent enfin l’orée de la forêt de Saint-Cloud. Ralentissant l’allure, c’est après avoir mené sa monture dans l’un des chemins détournés menant à la clairière de son affection qu’il stoppe son cheval avant de se tourner – comme il le peut – vers son compagnon.

« On y est. La clairière est à quelques mètres devant nous. Il n’y a pas de passage ici, et l’endroit est suffisamment dégagé pour pouvoir s’adonner à de vrais combats. »

Un sourire rassurant et il démonte le premier, prudent de ne pas déstabiliser l’équilibre de l’autre avant de lui lancer un regard. Bienveillant dans sa démarche.

« Besoin d’un coup de main ? »

To stand until we fail

Tout se déroule sans encombre. Même le trajet, malgré la prise ferme et presque douloureuse de Noah contre sa taille, n’est pas un problème. Non, tout semble se dérouler à merveille. Et c’est même avec une once de satisfaction qu’il réalise que l’autre homme semble satisfait du lieu de leur rendez-vous. Cet endroit, il a appris à l’aimer chaque fois un peu plus. Autant pour le sentiment de satisfaction lui venant d’heures fournies à un travail régulier que pour les heures volées en compagnie de sa plus charmante compagnie. Quatre ou deux pattes n’y faisaient rien, Amour, qu’importe qu’elle soit ou non la même créature, était une personne à laquelle ce lieu était tout aussi lié à ses yeux et à son cœur.

Mais déjà l’autre garçon met pied à terre et June, après avoir attaché sa monture à un arbre pour qu’elle ne prenne pas malencontreusement la fuite – et non sans flatter son encolure et complimenter ses efforts – enjoint Noah à sa suite d’un mouvement, ses besaces d’entraînement par-dessus son épaule, et deux épées d’un métal émoussé à sa main.

« D’habitude oui, pour m’entraîner. Les quartiers armés attirent trop de regards, et mes responsabilités font que beaucoup de jeunes soldats pensent me faire une fleur en se battant incorrectement pour me laisser gagner lors des duels. Je n’ai décemment pas besoin de ça. Ce n’est pas avec des ronds de jambes que l’on apprend à se défendre. Du moins, pas au combat. »

Une évidence, certes, mais l’agacement dans sa voix est très sincère. Il montait doucement les échelons, oui, mais les choses étaient malgré tout telles que beaucoup avaient compris que June était au contact d’une frange de la noblesse inaccessible à beaucoup. D’abord par son titre d’émissaire diplomatique, mais avant tout par son rang de duc. La jalousie attire bien des convoitises, et le jeune suédois n’appréciait absolument pas d’être traité différemment de tout autre recrue. Du moins, pas en ce sens. Dieu merci, Aimable, lui, ne faisait aucunement cas de cette différence de statut.

« Pour le reste, il m’arrive parfois de simplement venir ici pour trouver quelques instants de calme. Le brouhaha de la capitale est assourdissant. La nature est un moyen parfait pour retrouver son équilibre et son calme. Tu ne trouves pas ? »

Le sentier qu’il leur fait emprunter pour retrouver la clairière est dégagé. Et les animaux de l’heure ne semblent pas prêts à venir les importuner. Enfin rendus au milieu de la zone dégagée, il dépose les affaires qu’il avait amené sur le côté et se tourne vers Noah pour capter son attention avant de lui lancer prudemment l’une des deux épées.

« Tiens. Tu semblais dire que les armes n’étaient pas ta préférence, et j’ai besoin de m’échauffer un peu. Je te propose déjà de voir pour la manier à ta guise un moment le temps de te faire à son poids pour trouver le bon équilibre… Et puis un petit duel, pourquoi pas ? On fixera des règles simples, ce serait dommage de se blesser mortellement. Les fils ont beau être usés, il coup bien placé pourrait malgré tout faire de sacrés dégâts. » Une pause et il joue doucement du poignet, le pas plus léger, jouant sur la pointe des pieds pour chauffer ses jambes. « J’ai plusieurs années derrière moi pour le maniement des lames. Mais j’ai encore énormément à apprendre. Si tu veux je peux te montrer quelques parades et coups. Ou on peut y aller dès que tu es prêt. A ton signal on s’y met. »

Un sourire, June est détendu sans pour autant le prendre à la légère. Il n’est pas idiot. Sait que peu importe l’adversaire, il ne faut jamais le sous-estimer.

To stand until we fail

Sans la moindre surprise, l’autre homme semblait tout aussi aguerri au combat que June l’avait déduit. Ou tout aussi aguerri au combat qu’il ne l’avait précédemment mentionné. S’il existe une pointe non négligeable de mélancolie dans le regard de Noah, le suédois ne relève pas ceci. Pas plus qu’il ne comment cette remarque faite en décalage avec la scène. Que Paris était ce qu’il avait connu de plus calmes ces dernières années. Peut-être un jour connaîtrait-il les secrets de l’autre brun. Peut-être un jour comprendra-t-il comment toutes ces cicatrices ont fini par salir sa peau. Mais avant cela ? Oh, June avait bien l’intention de se faire la main sur un entraînement digne de ce nom. Et pour dire la vérité ? Il n’avait pas vraiment peur de mordre la poussière si tel était son destin.

Voir Noah ôter ses souliers et ses vêtements, comme un signe que tout ceci était entrave à ses déplacements, était une marque qu’il apprécia. Au moins s’il ne s’agissait pas d’une preuve de l’aise de l’autre, il était au moins une preuve de son désir de prendre les choses sérieusement. Le soldat n’allait très certainement pas s’en plaindre.

Imitant en partie l’autre, June ôte veste et toute parcelle encombrante de vêtement qui pourrait entraver ses mouvements. Tombé à la tenue la plus simple, le bruit de ses semelles sur le sol claque davantage que les pieds nus de Noah. Sûrement serait-il plus agile. Ah, il… avait terriblement hâte… L’adrénaline commençait déjà à s’inviter contre ses sens, chantant contre ses veines alors que son sang se met à bouillir. Instinct de combattant, aussi humain soit-il, aiguisé et prêt à en découdre.

C’est avec un sourire tranquille qu’il offre ses règles, simples et efficaces, en atteste l’éclat de complicité dans son regard.

« Pas de coups mortels. Évitons de nous sectionner un membre, aussi… Pour le reste, je dirai que nous pouvons viser une session courte pour commencer. Au moins le temps de se jauger. Pas de restrictions au-delà de cela. Ah. Si. Seulement à l’épée. Pas de coups bas à main nue. Gardons plutôt ça pour un combat aux poings. »

Il ne pensait pas rendre les choses trop complexes. Et pour ce qui était du reste, ils pouvaient toujours échanger malgré le combat.

« S’il y a besoin d’ajouter autre chose, le combat n’empêche pas la civilité. Est-ce que ça te convient ? »

Attendant l’approbation de son vis-à-vis, June fait glisser ses appuis sur le sol, rabaissant légèrement son centre de gravité, espaçant un peu plus ses jambes pour rester souple dans ses mouvements. Epée en garde, il dévie pourtant de sa prise habituelle, bien détermine à appliquer les fruits de ses heures d’entraînement avec Aimable à leur juste valeur.

« Prêt ?! »

Lancer de dé (2):

To stand until we fail

Ca court dans son sang, l’adrénaline permanente de se retrouver dans un combat à armes égales. Ou du moins, un combat face à un adversaire à sa hauteur. June aurait pu sourire de voir Noah aussi prestement habile sur ses deux jambes, et pourtant quelque peu gauche à l’utilisation d’une lame. Après tout, le jeune homme lui avait explicitement dit qu’il n’était pas entraîné à utiliser des armes. Et si June sentait qu’il pourrait prendre le dessus et le désarmer à force de persévérance, il était également certain qu’aux poings, il passerait certainement un très mauvais quart d’heure.

Si pendant de longues minutes, tout semble tourner à l’avantage du jeune suédois, c’est au détour d’un nouvel assaut qu’il pare avec brio que le drame survient. Le drame en question ? Ce moment inopiné où Noah frappe de toutes ses forces dans une ruche de guêpes. Non, il n’avait sincèrement pas réalisé qu’il y avait un danger aussi flagrant à proximité. Peut-être le bourdonnement incessant aurait-il pu le prévenir d’avance… Mais s’il devait être honnête, il était davantage transcendé par le chant furieux de leurs deux lames s’entrechoquant, de leurs souffles assurés et de leurs efforts conjugués. June aurait été incapable de réaliser le danger avant cela. Sauf que maintenant et bien… C’était déjà un peu trop tard.

Et si Noah détale à une vitesse fulgurante, poursuivi par une grande partie de l’essaim, June n’échappe pas à une attaque éclair. Les premières piqûres sont tout ce qu’il y a de plus désagréable, et il jappe d’un son désemparé avant de lâcher son arme et de faire la seule chose qui paraissant censée à ce moment précis… Courir. D’un bond le voilà à enjamber les fourrés et détaler à son tour dans la direction opposée. Il sait qu’il va passer un sale quart d’heure s’il ne fait rien… Alors il fait précisément la seule chose qu’il savait rentable à cet instant précis. Et au détour d’une nouvelle ligne de buissons pleins de ronces qui ne tardent pas à l’écorcher sauvagement, June se propulse d’un bond impressionnant dans le presque vide à l’autre bout de ces épines.

Droit dans le cour d’eau qui s’élance à un petit mètre en contrebas.

L’éclaboussure de sa chute est un ras de marée qui, s’il lui glace les os, aura au moins le mérite de stopper l’assaut des guêpes. Le soldat reste sous la surface de l’eau avant d’en briser la surface et de reprendre son souffle, pressant sa paume contre son épaule et son bras piqués. Douloureux mais tolérable. Mais au moins, des insectes de ce type-là ne viendraient certainement pas le traquer dans un milieu aquatique.

Il restera là à barboter dans le froid une poignée de minutes avant de s’extirper du ruisseau et de rebrousser chemin, s’ébrouant comme ses comparses canins, allant même jusqu’à ôter une bonne partie de ses vêtements pour retrouver leur clairière initiale en ne portant plus qu’un simple pantalon, bottes et chemise abandonnés contre un buisson, en espérant que le soleil d’après-midi séchera la décrépitude de cet échec cuisant.

Un regard courroucé en direction des quelques guêpes qui surveillent leur maison brisée, et voilà que Noah refait surface. Ou du moins, sa voix. Un peu lointaine, mais au moins, il ne s’était pas perdu.

« Par-là ! Je suis retourné à la clairière. Suis ma voix ! »

Il ne faut pas vraiment longtemps pour qu’il parvienne à guider Noah à nouveau à ses côtés… Et qu’à le voir un peu déconfit, June lui décroche un sourire carnassier avant d’éclater de rire.

« Ok, je crois qu’on a démontré qu’on était vraiment pas des as avec une épée. Tiens, bois un coup, t’as l’air d’avoir cavalé un bail toi aussi. »

Leurs joues respectivement rougies par l’effort, June se détourne et attrape sa flasque qu’il tend enfin à Noah, ne manquant certainement pas de révéler l’étendue de ses propres cicatrices, celles-là même qui parent éhontément son dos et ses épaules.

« Aaah… Ca va, tu t’es pas trop fait piquer ? Elles ont la dent dure ces saloperies… »

Mais June ne semble pas s’en déranger. S’accroupit au sol et reprend consciencieusement ses étirements. Ils finiraient bien par passer à la suite, de toute façon. Et puis s’étirer et s’échauffer finirait de dissiper le froid qui lui mord encore la peau.

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C’est à grandes rasées qu’il boit à sa gourde une fois qu’elle lui est rendue. Non pas qu’il aurait pu boire dans le point d’eau dans lequel il venait de s’immerger pour un moment, mais la force de l’habitude lui avait appris à ne pas troquer certains luxes contre la facilité. L’hygiène et la santé étaient les deux choses sur lesquelles il pouvait parfois se montrer un peu pointilleux pour assurer sa propre survie. Car oui, il en tenait vraiment de ça… Ou si peu, à en croire la réaction quelque peu… déphasée, peut-être, de Noah en voyant les marques sur sa peau. Interrompu dans sa gorgée, il fronce les sourcils et observe les quelques piqûres ayant laissé leur marque sur sa peau. Rouge et brûlantes contre son derme, mais lorsque l’on apprend à se flageller pour absoudre ses vices, les sensations de brûlures deviennent… Presque familières. Non pas tolérables, mais tolérées.

« Ça ? T’en fais pas, ça m’empêchera vraiment pas de me battre. »

Dieu merci, il en fallait davantage pour l’arrêter. Et si sur le coup June prend sa remarque avec désinvolture… Il y a quelque chose chez Noah qui suscite un moment de pause chez le suédois. Comme si…

« Noah ? » Attendant d’avoir toute l’attention du jeune homme qui semblait d’ores et déjà perdu dans ses pensées, June hausse un sourcil et incline la tête sur le côté. « On y va toujours sans retenue, ok ? »

Parce qu’il voyait quelque chose qui lui déplaisait sans qu’il ne plus l’expliquer. Il voyait cet air calculateur dans ses yeux bleus. Comme s’il jaugeait June, mais de façon défavorable. Et si June n’est pas suicidaire, il n’apprécie pas non plus l’idée de ne pas être pris au sérieux. A tort, réalisera-t-il par la suite, qu’il n’est pas ici une question de le déprécier, mais de le protéger. Mais il ne fallait jamais compter sur June pour ne pas vouloir se mettre des bâtons dans les roues pour le simple goût d’un challenge rondement attaqué.

Abandonnant sa gourde sur le côté pour pouvoir retrouver toute sa mobilité, la sensation trempée de son pantalon lui donne l’impression que ses mouvements pourraient être ralentis. S’accroupissant un instant pour remonter le tissu et le rouler jusqu’au-dessus de ses genoux, c’est avec un air satisfait qu’il se remet debout, jouant de ses appuis en quelques sauts souples sur le sol.

« Donc. Cette fois, pas de règles autre que d’éviter de s’infliger une commotion. Mais bon, pour en arriver là, je pense qu’il faudrait s’acharner. »

Idiot petit June qui ne comprend pas à quoi il va se confronter.

« Allez. Paré ? Je t’en voudrais si tu ne me prends pas au sérieux. »

Un rappel qui lui semble important alors qu’il se met en position d’attaque… Attend un signe de la part de son compagnon et s’élance aussi net à l’attaque. Tous les coups y passeront. Mais les coups, c’est sûrement lui qui risque de les prendre… Et le combat risque de ne pas durer si longtemps que ça.

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Combattre, il a eu ça dans le sang depuis toujours. C’était comme pouvoir extérioriser toutes les choses qui se cachaient dans l’ombre mais sur lesquelles on ne peut pas mettre de mots ni même de noms. Combattre, c’était ce qui l’avait rapproché de son père au-delà du simple fait d’être son descendant. Ce qui lui avait donné le droit d’apprendre à connaître Nanna d’une façon qui n’aurait jamais eu lieu d’être autrement. Parce que l’art de la lame était quelque chose d’ancestral dans la maisonnée van Heil. Qu’importe qu’il soit de sang bâtard, ou simplement différent. June avait trouvé sa place dans cette famille à la force de sa détermination. Forgé depuis l’enfance à être un soldat, rigueur et droiture tout ce dont il avait besoin pour réussir au début… Puis la force était entrée en jeu, accompagnée de l’intelligence. Il est bien simple de frapper du poing à pleine puissance, mais tout ce qui peut parfois compter est de savoir où frapper.

June est le genre d’homme qui ne jugera jamais un livre à sa couverture. Pour la simple et unique raison que les mots, tous peuvent les employer, mais peu peuvent les maîtriser. Les artifices ne sont que ça, de la poudre aux yeux. Et c’est uniquement à l’exercice de la chose, à la pratique, que l’on peut déterminer la qualité de tout ce qui l’homme peut faire ou créer.

La guerre n’est nulle exception. Et à sa basse mesure, le combat en est le parfait exemple. Noah, peu importe sa frêle stature où son apparence discutable tant son corps est couvert de cicatrices, pourrait être bien vite outrepassé. Mais June l’avait vu faire. L’avait vu courir plus vite que le vent. Avait été le premier témoin de ce dont cet homme peut être capable. Alors si à l’épée, June l’emportait haut la main pour une question de technique, Noah détenait en lui une force avec laquelle le suédois était presque sûr de ne pouvoir rivaliser. Une réalité qui pourrait être frustrante, si elle ne se démontrait pas si exaltante aux sens du soldat.

Alors il lui a demandé de ne pas y aller de main morte. Il veut voir de quoi l’autre est capable. Et qu’importe qu’il soit battu à plate couture, il avait le goût de se confronter à la réalité, et pas à ce que son ego était capable ou non d’endurer.

C’est comme ça que le match a débuté. Et si June est une fine lame, il sait également se battre de ses pieds et poings. Mais jamais ô grand jamais, n’avait-il affronté bête pareille. Les soûlauds des tavernes, ou même les soldats plus aguerris des armées de tous les pays n’arriveraient pas à la cheville du jeune brun fermement décidé à le mettre à terre.

Qu’importe ce qu’il pourrait en dire, le combat passe en un éclair. Et June, tout du long, est débordé. Les coups pleuvent avec habileté et précision. Et si l’emplacement des impacts est judicieux, la force n’en est pas moins diminuée. La douleur est réelle, vive. Mais il ne baisse pas les bras, non. Même lorsque contre ses côtes, il sent le craquement caractéristique d’une fêlure qui manque de lui couper le souffle. Mais sur le champ de bataille, un instant est tout ce qui est nécessaire pour parvenir à vous abattre.

Et cet instant, quand bien même il ne le lui accorde pas… Noah le trouve par la célérité absolument incomparable de ses mouvements. Mais bien trop vite, son dos heurte le sol et son souffle est coupé sous la douleur. Et d’un mouvement trop convenu pour qu’il ne soit pas parfaitement entraîné, c’est la joue contre la terre et le bras dans son dos qu’il tente de se débattre. Et regrette instantanément en sentant le ‘pop’ de l’articulation de son épaule se déchausser sous la violence de son mouvement. Siffle contre le sol et probablement est-ce là le signe dont Noah avait eu besoin pour se reculer. Sagement accroupi à quelques mètres, comme un enfant que l’on vient de gronder.

June tant bien que mal ramène sa main libre contre son épaule et sent la tête de son os désaxée, grondant contre le sol avant de forcer sur ses jambes pour parvenir à s’agenouiller. Oh, il est à bout de souffle et la douleur est une évidence contre son corps meurtri. Sauf que voilà. Les mots de Noah, inattendus, lui font tourner les yeux vers l’autre garçon et aboyer un rire qu’il regrette instantanément tant il lance ses côtes.

« Ah bon dieu, me fais pas rire comme ça. »

Il n’a pas l’air contrarié, pas le moins du monde. Et s’il a bel et bien mal, il relâche un instant son bras pendant le long de son corps pour faire signe à Noah d’approcher sans animosité.

« Viens, reste pas là-bas. J’t’en veux pas. Et je vois bien que t’as été sérieux, merci. »

Parce qu’un combat sans fairplay l’aurait irrité, sans nul doute. Attendant que l’autre le rejoigne, il lui décoche un léger sourire et lui demande, l’air penaud.

« Par contre tu… M’as un peu démanché l’épaule… Tu veux bien m’aider à la replacer ? S’il te plaît. »

Pas vraiment rancunier, June, non. Au contraire, il semblait même terriblement satisfait, malgré la rouste qu’il venait de se prendre. A dire vrai, il n’était même pas certain d’avoir réussi à placer un seul coup correct à son adversaire. Ah tant pis. Il faudrait simplement s’entraîner davantage désormais.

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La douleur réveille quelque chose de lointain contre ses os. Pénible et violente. Les dents serrées n’y font rien quand il gronde un son de peine évidente sous le claquement net de son humérus se replaçant dans son emplacement d’origine. Oh il se courbe et se tord, recroquevillé sur lui-même dans un grincement sinistre. Seigneur que ce genre de choses était douloureuse. Le seul avantage dont il était certain tenait au seul point que le plus tôt l’articulation était remise, le plus vite la douleur s’effaçait. Oh, ce n’était certainement pas une question de secondes ni même d’heures. Il en a bien conscience. Mais s’il pouvait a minima reprendre ses entraînements convenablement d’ici la fin de la semaine…

June ? Optimiste ? Toujours, oui.

Le regard brillant de douleur, les émeraudes se posent sur Noah qui a repris la parole une fois que le suédois semblait enfin s’être quelque peu rétabli – au moins il ne grognait plus comme un animal blessé, ce qui pouvait décemment être vu comme un flagrant progrès –.

« Je crois que tu viens de m’en faire une très juste démonstration. »

Il pourrait être amer, mais s’il ne parvient pas à sourire, il n’est certainement pas fâché. Après de longues secondes, il relâche de sa main son épaule qu’il avait maintenue en place par réflexe, comme pour endiguer la douleur, et souffle lentement. Il suffisait de mentaliser la souffrance. Une inspiration. Il savait faire ça. Mieux que personne. Expiration.

« Ca se voit. Tu glissais tes pieds contre le sol pour ralentir. Et j’imagine que tu as retenu tes coups. Aaaah… J’ai encore un sacré chemin à parcourir avant d’être à la hauteur. »

Même si, maintenant qu’il en avait eu la démonstration, il pensait que cette hauteur-là, qu’importe l’entraînement et les années, il ne l’atteindrait jamais. Déçu ? Un peu. Jaloux ? Pas forcément. Après tout, chacun son histoire. Puis… Il restait meilleur au maniement de la lame. C’était toujours ça de pris non ?

Un sourire finit par étirer la commissure de ses lèvres et il agit sa main libre dans un léger signe d’apaisement.

« Te justifies pas. T’as fait ce que je t’ai demandé, et j’apprécie. J’apprécie aussi que tu m’aies pas pulvérisé, on va pas se mentir. »

Un rire léger, espiègle et un peu joueur. June est bon enfant, l’a toujours été, et le restera certainement toute sa vie.

« Je dois avouer que je suis quand même fichument impressionné. Qu’importe qui est ton maître d’arme – quand bien même j’ai l’idée que tu es auto-didacte – il y a un paquet de choses à apprendre… Si un jour tu ne sais pas quoi faire, j’accepte d’échanger quelques bottes secrètes à l’épée contre quelques heures à apprendre tes mouvements. Ce coup glissé que t’as mis ? Pfiou. On aurait cru que t’étais prêt à t’envoler. »

Parce que c’est tout ce qu’il retient. Qu’il est impressionné et qu’il a apprécié le moment. Après tout, il n’y avait que ça qui comptait, la compagnie avait été agréable. L’est toujours.

« Nah, on s’entraînera pas au combat. Mais on peut parfaitement s’entraîner d’une autre façon. Enfin, pas là. J’avoue que j’ai eu ma dose pour la journée hehe. »

Le pire dans tout ça ? June se sentait satisfait de la situation. Prendre des coups au combat ne l’avait jamais effrayé. Et désormais ? Il se redresse avec un peu de peine pour récupérer ses affaires… Et tire une flasque en argent de son paquetage. Dévisse le goulot d’un geste expert et tend le tout à Noah.

« Tiens. Bois un coup. Après on va se rentrer… J’te paye à déjeuner ? »

Un clin d’œil. Entre amis, on ne compte pas.

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Ah, il serait presque un peu déçu à l’entente de la réponse de Noah. Il fallait dire qu’il était bien rare de tomber sur des combattants aux techniques sortant des sentiers battus. Ceux-là étaient les plus dangereux, en réalité. Au-delà de la vitesse d’exécution des coups que parvenait à prodiguer l’autre garçon, il y a quelque chose de presque instinctif dans ses mouvements. Comme un animal qui se défend pour sa vie, plutôt qu’une personne s’adonnant simplement à un entraînement. Tout ça… Rendait la chose imprévisible. Et tout ce qui ne peut être vu d’avance mène sans le moindre échec à la défaite. L’idée est séduisante, June devait l’avouer. Comment ne pas vouloir, lui aussi, devenir plus difficile à contrer ? Noah représentait, en quelques sortes, le rêve de tout grand combattant. Un adversaire insaisissable.

Un soupir, June décoche un léger sourire au jeune homme devant lui et agite la main en signe de ne pas plus s’embarrasser de la chose.

« T’en fais pas. L’important c’est qu’on ait quand même passé un bon moment. Et peut-être qu’un jour quand je serai remis de la déculottée que tu viens de me flanquer, je reviendrai à la charge pour te proposer un combat dans les règles de l’art. » Une pause et il ricane. « Ton art à toi. Je commence à croire que tout ce que j’apprends pourrait en réalité se démontrer plus contraignant que ce que je n’aurais jamais pu penser. »

Penser en dehors des clous. Voilà sûrement ce sur quoi il devrait s’entraîner. Devenir ce que personne ne peut présager par avance. L’idée le fait presque vibrer d’excitation. Combien tout ceci pourrait être enrichissant et grisant. Il fit la note mentale d’en parler à Aimable pour solliciter son opinion sur le sujet. Fortifier le corps n’est finalement pas suffisant, il s’agit également de libérer les barrières de l’esprit.

Perdu à ses pensées, la flasque tendue laisse June perplexe alors qu’il incline la tête sur le côté, considérant la question en récupérant son bien avant d’en prendre à son tour une gorgée.

« Euh… Je présume que ça a dû arriver. L’un de mes compagnons d’arme, le chevalier de Bayard… Il dit que l’alcool voile l’esprit. Il me semble fort probable qu’il ait déjà refusé de partager quelques lampées en ma compagnie. »

Ah, si seulement June savait qu’il risquait d’apporter bien des ennuis à son mentor et ami. Le suédois se gratte la nuque, perdu à ses pensées et semble réaliser.

« Ah, il y a sûrement aussi une paire de cadets qui… Enfin, tu sais, ils sont encore jeunes, et j’ai bien peur ceci ait plus été dû au fait qu’ils aient été impressionnés par les rangs plutôt que par quelques gouttes d’eau de vie. »

Refermant la flasque, il la laisse retomber dans ses affaires avant de refermer son paquetage. Une fois debout – et convenablement rhabillé – c’est dans un grognement sourd qu’il s’étire – prudent de ne pas trop remuer son épaule abîmée – et qu’il finit par tourner un regard curieux vers Noah.

« Avec tout ça, t’as pas répondu à ma question. Un repas, ça te dis ? La dernière fois t’avais un appétit de moineau. Si t’as pas envie on peut simplement rentrer tranquillement. Je vais certainement pas te forcer à te remplir la panse si ça te dit rien. »

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A bien y penser, tout chez Noah interpellait sa curiosité. Il semblait être d’une force sans pareille, et pourtant, il n’y avait rien de plus humain que le jeune homme devant lui. Curieux sans pour autant en devenir pressant, il aurait sûrement pu l’interroger sur l’origine de ces cicatrices à son corps. Mais cela faisait-il seulement une différence ? Peut-être avait-il été victime de la peste ou de la lèpre. La seule considération sensible était qu’il semblait fort et robuste. Il avait surmonté cette douleur et aujourd’hui, il avait battu le jeune suédois à plate couture.

« Cela prouve surtout qu’il me reste bien des choses à apprendre. Il est toujours bon de souffrir d’une déculottée pour se rappeler que l’on peut toujours gravir les échelons. »

Propos valant aussi bien à l’armée qu’à l’apprentissage de toute chose. Il lui restait tant à apprendre avant de devenir un maître. Mais l’idée ne semble pas le décourager, bien au contraire. Y’a l’ombre d’un sourire assuré sur son minois alors qu’il finit d’empaqueter ses affaires et rajuste ses vêtements. Ah, il tuerait pour un bain, mais ça attendrait sûrement qu’il ait fini avec ses activités du jour. Probablement qu’un peu de chaleur aiderait également avec son épaule… Dans tous les cas, il faudrait patienter.

Manquant de s’étirer par réflexe, il se rattrape in extremis, grimaçant doucement. Au moins, eux deux semblaient toujours s’entendre. Probablement pourraient-ils s’organiser pour – ah.

« Dis-moi, par où tu vis ? »

Maintenant qu’il y pensait, il n’avait jamais soulevé la question. Et s’ils ne s’étaient certainement pas rencontrés dans des circonstances ordinaires, la curiosité vient malgré elle le piquer. Et si les marques sur ce corps robuste n’étaient pas un sujet de conversation, le reste pourrait sûrement l’être ?

« Pas que je tienne spécialement à t’épier, hein. Mais Paris est bien grande et… A bien y réfléchir, à part pour le reste de la garnison, je n’ai pas réellement eu le temps de lier des amitiés en dehors de l’armée. »

June se frotte la nuque d’un air gêné avant de récupérer sa sacoche et d’indiquer à Noah la direction à prendre pour retrouver leur retour. A cheval. Ah, il espérait que l’autre garçon se sentirait moins mal à l’aise cette fois.

« Enfin tu sais, je te dis ça, mais au final, y’a pas besoin de t’inquiéter. »

Après tout, ce n’était pas June qui allait le traquer…

Si seulement il avait conscience de l’ironie de ses pensées.

To stand until we fail

Peut-être est-il trop jovial. Trop chaleureux. Peut-être croit-il encore trop au genre humain à ce moment de son existence. Les choses changent. Les choses vont changer. Pourtant tout contre son cœur June reste persuadé qu’il est des choses qu’il ne voudra jamais voir évoluer. Que son abjection à respecter ce que le dictat du pareil ne verra jamais sa fin. Qu’il est des choses que le Seigneur crée qui ne peuvent être parfaites. Que chaque créature aussi parfaite ou imparfaite soit elle doit être aimée sans distinction. Discernement n’est pas l’apanage de ceux qui rejettent et repoussent. Il n’est question que de faire les choses en des termes justes.

Les voies du Seigneur sont impénétrables. Et malgré lui, June fut forcé de réaliser que Noah n’était pas plus accessible que le divin.

Qu’importe ses offres agréables ou ses tentatives, tout se soldait d’un échec. Comme heurter un mur. Si générosité n’est pas un atout de sa fortune tout en étant son fruit, il est des choses qu’il n’apprécie qu’à peine. A commencer par l’évidence même d’être inopportun à la compagnie du jeune homme devant lui.

L’avait-il mis mal à l’aise ? Quelque chose dans son comportement semblait avoir viré à l’obscurité. Comme on repousse une main tendue. Comme on se tapit dans l’ombre pour ne pas être vu. Y avait-il tant à cacher qu’une simple offre de se rencontrer à nouveau soit aussi mal reçue ? Un léger soupir et quelque part, il ne peut s’empêcher de penser que pour d’autres charité et pitié pouvaient être de proches voisins. Noah pensait-il que June le prenait en pitié lorsqu’il n’essayait que d’être d’agréable compagnie ? Un sourcil haussé à l’ultime réponse et le suédois n’insiste pas.

Sa sacoche revient se reposer contre le flanc de sa monture et il ne fera rien pour pousser Noah hors de sa zone de confort. Et si le retour se fait en toute tranquillité, le repas, finalement, ne sera pas plus curieux que deux âmes soupant à la même table. Discussions sommaires autour d’un repas dont lui-même n’est pas certain d’avoir pleinement profité, perdu dans ses pensées.

Et lorsqu’enfin eux deux se sont quittés, June n’a aucune certitude de si demain ou le jour d’après lui fera recroiser le chemin d’une brebis du Seigneur qui, à tout égard, semble s’être seule égarée.