Désormais habituée à la lumière du jour, Lars s’attarda un peu sur le jeune médecin à son chevet. Il ne lui donnait pas plus de 25 ans. Peut-être moins. Rien à avoir avec les médecins qui l’ont précédé. Pourquoi l’avait-on appelé ? À moins qu’il ne soit un sorcier, il se doutait qu’un bleu puisse faire la différence. Il laissa échapper un soupir d’exaspération lorsqu’il lui demanda s’il pouvait le toucher.

-Puisque vous êtes là, faites vous plaisir.

La douleur s’était estompée mais elle était encore là, s’enroulant allègrement autour de son bras, se diffusant dans tout son corps.

-Lars Hakansson.

Le Duc fronça d’ailleurs les sourcils. Les domestiques qui l’avait sommé n’avaient même pas pris la peien de dire qui il allait soigner ? Il devrait en toucher deux mots à celui qui l’avait fait venir. Il fut brièvement intrigué par le blondinet. À en juger par son nom de famille, il était d’extraction noble. Ainsi donc s’était-il tourné vers les sciences. Sûrement un cadet alors. Si Astrid avait été là, elle aurait sans doute accaparé le jeune homme pour lui poser tout un tas de question.

En parlant de question, voilà qu’il en posait une qui fâchait. Comment en était-il arrivé à avoir un bras à l’épiderme sombre, presque mauve, et dont la moindre coupure laisserait sortir du sang noir ? Un sorcier. Un putain de sorcier ! Voilà comment il en était arrivé là ! Jusqu’à présent, il avait consulté des personnes de la même race que lui aussi pouvait-il parler librement de son problème. Mais il ne connaissait pas Ian. Et il puait l’humain de souche.

Mais sûrement parce que Lars était fatigué. Fatigué de la vie. Des cauchemars. Fatigué de lutter. Il parla avant de réfléchir.

-Si vous savez comment lever une malédiction, je vous mettrai sur mon testament.

Il devait bien avoir quelques bouquins d’Astrid qui pourrait l’intéresser. Les fleurs pouvaient avoir des vertus aussi bonnes que néfastes. Elle le lui disait souvent. Il ne s’était jamais vraiment intéressé à tout cela mais il l’écoutait sans se plaindre si cela lui faisait plaisir.

Depuis quand était-il devenu si défaitiste ? Depuis qu’il a été maudit ? Non, bien après ça. Depuis le massacre de sa famille, de sa meute. Leur présence lui permettait de tenir le cap, de ne pas totalement sombré dans les ténèbres qui l’enveloppaient peu à peu. Mais leurs morts l’avaient précipité vers l’inévitable à une vitesse vertigineuse. Il n’avait presque plus le contrôle sur rien et cela ne l’effrayait même pas, à vrai dire. Il n’avait même pas éprouvé une seule once de culpabilité ou de regrets lorsqu’il s’était emporté la dernière fois avec la demoiselle qu’il avait engagé pour nettoyer la serre. Il était par contre étonné de voir qu’il n’avait pas encore eu de coup de sang avec le jeune homme à ses côtés. Sûrement dû à la fatigue. Tout comme le fait de révéler ses secrets à un parfait inconnu.

-Vous croyez que je n’en ai pas vu, des exorcistes ? Grogna-t-il entre ses dents.

Il n’en avait pas vu un seul, à vrai dire. Personne ne pouvait vraiment l’aider. À part un sorcier. Après tout, si un sorcier pouvait lancer des malédictions, il devait bien exister un qui les enlève, non ? Mais comment pouvait-il en aborder un, tout en sachant que leur but premier était d’éliminer son espèce ? Et même s’il en trouvait un, rien ne garantissait qu’il accepte de le soigner. Lars pouvait toujours rêver. Enfin, il faisait surtout des cauchemars.

Que s’était-il passé pour qu’il en arrive à cette extrême ? Il lui répondit d’un grognement sourd tandis qu’il passait sa main valide sur son visage. Des images défilèrent devant ses yeux, faisant gronder davantage le loup en lui. Lars ne saura dire comment il réussira à l’empêcher de prendre totalement le contrôle et se jeter sur le pauvre jeune homme. Il lui faudra bien une bonne minute, et des sueurs froides sur le front pour enfin daigner le répondre.

-Quelqu’un visiblement ayant une dent contre moi a décidé de me jeter une malédiction. Voilà ce qui s’est passé, finit-il par ajouter dans un souffle.

Il dégagea finalement les mèches rebelles de son front et glissa un regard terne et fatigué vers le blondinet avant de porter à nouveau son regard vers la fenêtre de sa chambre.

-J’ai tout essayé. Rien y fait… Vous pourrez chercher comme vous voudrez, vous ne trouverez rien. Vous ne ferez que perdre du temps. D’ailleurs, combien dois-je vous payer ? On vous a dérangé pour rien, c’est la moindre des choses.

D’où lui venait ce calme soudain ? Il ne comprenait plus lui-même ce qui se passait dans sa tête. Plus rien n’allait dans sa vie. Plus rien n’avait de sens. S’il était plus ou calme maintenant, rien ne lui garantissait qu’il ne s’énervera pas contre Ian cinq minutes plus tard. Il suffisait d’un mot, d’un geste pour que tout parte de travers.

Tout comme sa vie désormais, il avait fallu d’un mot de trop pour qu’elle soit complètement chamboulée.

Entendre Ian parler lui rappelait une chose cruciale et capitale qu’il avait tendance à oublier ses dernières années : les humains ignorant existaient encore. Existeront sans doute toujours. Ce qu’il lui disait, à parler de malédiction, nulle doute que le jeune médecin le prendrait pour un fou. Qu’importe. Après sa « petite » scène avec la demoiselle il y a quelques semaines, sa réputation n’était pas au beau fixe. Même ses domestiques le regardaient différemment. Tous savaient. Mais personne ne pouvait rien y faire. Encore moins ce damoiseau qu’ils avaient cru bon de déranger pour soulager sa douleur.

-J’ai tout essayé… même ça, ajouta-t-il en levant son bras noirci.

Il agita brièvement ses doigts, et Ian pourra voir qu’il lui manquait l’auriculaire. Une tentative désespérée d’arrêter le mal qui le rongeait. Mais rien n’y fait. Il continuait à s’étendre, à le dévorer. Son existence même avait été maudite. Et il lui faudrait sans doute un miracle – ou un autre sorcier – pour s’en défaire.

-Avec tout le respect que je vous dois, le pourquoi du comment ne vous regarde pas. Mais si vous n’y croyez pas… Cela veut-il dire que vous ne croyez pas en Dieu ? Vous devriez faire attention, cela peut vous apporter le mauvais œil.

Un nouveau grognement résonna au fond de sa gorge. Il n’était clairement pas d’humeur et en état de palabrer sur l’existence d’un Dieu ou non. Lui, eux, sa race entière était sans aucun doute les plus croyant de tous. Après tout, ils leurs étaient impossibles de mettre un pied dans la maison de Dieu. Pourquoi et comment ? Lars n’y voyait là qu’une malédiction. Un châtiment peut-être. Les gens étaient libre d’interpréter tout cela à leur convenanec.

-Faites comme vous semble. Je suis bien trop épuisé pour protester de toute façon, souffla-t-il finalement.

Il se redressa un peu mieux contre les oreillers et dégagea son visage de ses mèches immaculés de sa main valide. À la lumière du soleil, il était possible des lignes blanches et roses maculant son torse nu. D’anciennes et de récentes cicatrices. Des morsures, des griffures. Certains infligés par d’autres, d’autres par lui-même.

Lars n’était pas cette sensation d’engourdissement et de fatigue qui le clouait dans son lit en ce moment même. C’était une crise qu’il avait déjà eu par le passé, et maintes fois, mais il n’arrivait toujours pas à s’y faire. Au contraire, elles s’empiraient un peu plus à chaque fois. Aujourd’hui encore, il allait sans doute passer la journée dans son lit, trop épuisé pour quitter ses bras. Cette perspective l’agaça au plus haut point, lui arrachant un grognement. Son esprit aussi était encore embrumé aussi il eut du mal à suivre la conversation qu’il avait avec le jeune Ian mais faisait des efforts pour l’écouter.

Une explication logique pour tout ? Le lycan n’était pas de cette avis. Parfois, les faits et actes des hommes n’avaient pas spécialement de logique derrière. Pour beaucoup, ils étaient effectués sous le coup d’émotions fortes et incontrôlées. Et il en savait quelque chose. Pour avoir perdu son sang-froid plus d’une fois, Lars, quand bien même savait qu’il devait se maîtriser, proférait des mots dépassant sa pensée, ou agissait avec violence quand bien même il n’était pas nécessaire. Il avait tant changé depuis ses dernières années. Il ne se reconnaissait plus parfois.

L’odeur forte de lavande l’arracha à ses pensées et devant ses yeux, alors qu’il contemplait l’extérieur, apparut un champ de lavandes sous un soleil éblouissant. Un souvenir qui remontait il y a si longtemps, mais il n’arrivait pas à placer l’endroit. Urgh, tant pis. Il sentait à peine Ian lui étaler son étrange mélange sur le bras et bientôt, il en fut presque recouvert. Il plia et déplia ses doigts plusieurs fois. La douleur n’était plus. C’était déjà ça. De sa main valide, il tendit le bras pour tirer sur une corde, au dessus de son lit. Une minute à peine s’écoula lorsqu’une servante fit son apparition dans la chambre.

-Apportez une bassine d’eau pour que Sire de Kerret puisse se laver les mains. Et préparez lui également une collation, ordonna-t-il avant de se tourner vers le jeune médecin. Vous n’avez pas du avoir le temps de manger quelques choses, au vu de l’heure à laquelle on vous a ramené ici.

Il se redressa finalement pour être dans une position plus droite et ramena ses mèches immaculées vers l’arrière.

-Combien de temps dois-je laisser mon bras ainsi ?

Au moins l’odeur n’était pas désagréable mais il savait que certaines plantes sous certaines formes, pouvaient aussi bien avoir des propriétés curatives que nocives. Quand on avait une sœur comme parfumeuse royale, capable aussi bien de créer des eaux parfumées que des poisons, on finissait par connaître une ou deux combine.

20 minutes sans bouger… Il pourrait tout aussi bien s’endormir mais Lars savait qu’il ne pourrait pas. Quand bien même il serait au lit, il allait devoir trouver un moyen d’être productif. Il soupira une nouvelle et lança un nouvel ordre en suédois à sa servante qui ouvrit un peu plus les fenêtres pour faire entrer un peu d’air frais.

-Cela m’aiderait grandement si vous reveniez pour faire ce cataplasme, accepta-t-il après une courte réflexion.

Il ne semblait pas être un jeune homme prêt à raconter tout ce qu’il voyait sur ses patients. Mais il aimerait limiter le nombre de personnes au courant de sa condition. S’il pouvait garder un œil sur Ian pour cela, autant le garder dans le coin en lui proposant de revenir pour de prochaines auscultations.

Vous êtes un jeune médecin, n’est-ce pas ? J’ai quelques ouvrages qui pourraient vous intéresser.

Il parla à nouveau dans sa langue natale, et la domestique sortit de la pièce pour revenir quelques instants plus tard avec deux ouvrages en cuir qu’elle tendit au blond. S’il les ouvrait il tombera nez à nez avec des pages et des pages de fleurs, d’illustrations détaillées et d’explications sur les différentes propriétés des fleurs et leurs effets et quoi faire en d’ingestion de ses plantes parfois toxiques.

-Ce sont des écrits de mon aïeul. Je sais que les enfants ont tendance à s’amuser avec certaines fleurs. Charmantes mais parfois mortelles. J’ose espérer que cela vous sera bien plus utile qu’à moi. La plupart sont en suédois, mais je ferai en sorte de vous les traduire en français.

Astrid n’en avait rédigé que deux en français. Ce petit projet lui occupera bien ses journées où il devra rester clouer au lit à cause de sa malédiction. Il avait trouvé d’autres bouquins non pas sur des fleurs mais également sur des plantes, des herbes. Il était pourtant persuadé qu’elle ne travaillait que sur ses plantes. Preuve qu’il s’était peu intéressé à ses travaux. Un constat qui le rendit encore plus amer et ses regrets plus intenses encore. Transmettre le savoir de sa sœur était une maigre compensation mais au moins sa passion n’aura pas été inutile.

-Je peux compter sur vous pour garder le silence sur ce que vous avez vu, n’est-ce pas ? Finit-il par demander.

Il planta ses pupilles dépareillés dans les yeux bleus de Ian. Presque aussi bleu que les siens.

La connaissant, elle se serait sans doute entiché de lui et l’aurait pris sous son aile comme Mezariel…

La jeunesse avait quelque chose de… rafraichissant. Il devait bien admettre qu’Astrid avait raison sur ce point-là. Cette sorte de candeur était presque un soulagement. Lui qui était si amer, en règle général. Il comprenait plus ou moins pourquoi sa sœur s’était autant attaché à Mezariel, à l’époque. Ian n’était pas réellement un médecin. Tout juste un apprenti ? Comment ses domestiques avaient eu vent de sa présence en tout cas ? Qu’importe, maintenant qu’il était là.

-Je viens de Suède. Je suis là en tant qu’émissaire pour le Roi de mon pays, finit-il par répondre.

Ce qui était vrai, d’une part. Mais il était surtout là pour échapper à ses démons et mourir en paix. Ou misérablement. Au choix. Il hocha doucement la tête lorsque le blondinet lui assura qu’il gardera le silence sur ce qu’il avait vu. La dernière chose dont il avait besoin c’était qu’on vienne l’importuner. Mais surtout, que son cas s’ébruite et parvienne aux oreilles de personnes qu’il n’avait pas envie de croiser.

-Bien. Je compte sur vous. À bientôt, Messire de Kerret, conclut-il en lui tendant sa main valide pour une poignée de mains.

Après s’être assuré que Ian avait été bel et bien était nourri, Lars retourna dans son lit dans un soupir, mais ne réussit cependant pas pour autant à trouver à nouveau le sommeil. Il y resta donc pour consulter lettre et se reposer un peu. La sensation de fatigue s’était pourtant allégée depuis qu’il avait retiré le cataplasme du jeune homme mais il n’était pas dans une super forme pour autant.

À quand remontait la dernière fois où il avait été plein d’énergies ?

C’était il y si longtemps.