1559 –La nuit était sombre, fraîche, alors qu'un nouveau cri déchira le silence. On aurait pu se souvenir de l'odeur du sang sur les draps, des vapeurs d'eau chaude qui s'étiolaient dans la pièce, mais après tant d'efforts et de douleurs, dame Brindal avait fini par donner la vie sans perdre la sienne.
Si son père avait eu peur dans un premier temps de perdre sa femme, finalement l'accouchement s'était bien déroulé dans l'ensemble. Bien vite, la fierté effaça ses dernières craintes et gonfla son orgueil d'homme. Il avait un héritier, un enfant à façonner à son image pour la gloire de sa famille. Il s’appellerait Elros. Elros Brindal.

1562 – Cela faisait trois ans qu'Elros faisait la fierté de son père, à croire que chaque respiration de l'enfant était une bénédiction tant il n'avait d'yeux que pour lui. Un jour, pourtant, l'enfant fut témoin de l'angoisse de son père. Elros fut mené à l'écart et du attendre seul pendant de longues heures. Alors qu'il commençait à sombrer dans les ténèbres ensommeillées, il fut tiré de sa rêverie par l'arrivée brutale de la figure paternelle. Celui-ci déposa un couffin avant de repartir à la hâte, laissant de nouveau Elros seul. Du moins, c'était ce qu'il croyait. Curieux, l'enfant s'approcha du couffin et alors qu'il écartait les rebords du tissu... Une petite main se referma sur ses doigts. Dans un premier temps, il fut surpris et ne sut que faire. Puis, finalement, il se décida à prendre le couffin contre lui et retourna s'asseoir. Il observa longtemps cette petite sœur que la vie venait de lui offrir. Sans comprendre pourquoi ça le rendait heureux.

Depuis ce jour, Elros n'avait plus quitté sa sœur. Aerin était sa joie de vivre et en tant que grand-frère, il se sentait investi de la lourde tâche de la protéger. Il se souvenait encore qu'il l'avait pris dans ses bras juste après sa naissance et qu'il avait eu toutes les peines du monde à la rendre à sa mère qui l'avait réclamé ensuite. Pour lui, c'était sa sœur avant d'être leur fille. Après tout, n'était-on pas prioritaire en tant que frère ? Elros, lui, était persuadé que si.

1571 – Durant son enfance, Elros n'avait eu de cesser de répéter, parfois avec vigueur et fermeté, son envie de devenir chevalier. D'aussi loin qu'il se souvenait, il avait toujours eu cette idée en tête. Il se rappelait d'ailleurs ce jour béni où son père lui avait finalement offert sa première épée de bois. Dès lors, Elros n'avait fait que l'utiliser encore et encore, s'entraînant à la moindre minute disponible qu'il avait. Finalement, un jour qu'il se promenait avec Aerin, ils furent témoins d'une scène étonnante. Un homme était poursuivi par des chevaliers à cause d'un vol qu'il avait commis. Prenant son courage à deux mains, Elros se positionna devant sa jeune sœur en guise de protection puis attendit le dernier moment et... plaça sa jambe sur le chemin du voleur qui s'écroula au sol. Rattrapé, l'homme fut emmené sans autre forme de procès. Quelques jours plus tard, le seigneur se présenta et, devant l'acte héroïque du jeune garçon face au voleur, on lui proposa de devenir écuyer. C'était la première étape pour devenir chevalier, cette perspective ne pouvait donc pas se manquer. Elros partit donc avec le seigneur et passa donc moins de temps avec sa famille, et donc avec sa sœur. C'était le seul point qui lui faisait regretter sa décision. Sans lui, qui allait la défendre...? Il se fit alors une promesse. Puisqu'il ne pouvait plus veiller sur elle à temps plein, il allait lui donner un moyen d'y arriver seule, pour remédier en partie à son absence. Ainsi, le peu de temps dont il disposait pour profiter de sa famille Elros le passait à enseigner secrètement à sa sœur les passes d'armes que lui-même apprenait avec son seigneur. Il savait qu'il n'était pas maître d'armes et que ses enseignements ne devaient être que minimalistes en comparaison, mais pourtant il faisait de son mieux. Les petits cachottiers s'entraînaient de cette façon aussi souvent que la présence d'Elros le leur permettait.

1575 – Alors qu'il était de passage pour quelques jours dans sa famille, Elros apprit une nouvelle inattendue. Sa mère était de nouveau enceinte. Lui qui avait toujours cru qu'Aerin serait la seule et l'unique sœur qu'il aurait, on venait de lui annoncer qu'il serait grand-frère pour la seconde fois. Ils étaient si fusionnels avec Aerin qu'il se demanda sérieusement s'il aurait encore suffisamment à donner à la petite sœur qu'il allait avoir. Elros se rendit finalement compte que rien ne serait jamais pareil qu'avec Aerin, mais qu'il pouvait quand même aimer cet enfant qui allait naître. Ce serait simplement différent.

1577 – Calysis était née et avait désormais deux ans. Elros lui venait d'avoir dix-huit ans, mais ce jour n'était pas à son honneur. C'était l'anniversaire des quinze ans d'Aerin et le jeune homme avait tout fait pour se rendre disponible. Depuis longtemps, son seigneur avait compris l'importance que sa sœur avait pour lui et chaque année, il le laissait libre ce jour-là. Elros en avait donc profité pour faire quelques emplettes. Cette année, il avait ainsi déniché le cadeau parfait. Bien emballé et caché dans sa poche, il allait attendre le soir pour l'offrir à Aerin, mais il était persuadé qu'elle ne pourrait qu'adorer son présent. Il fallait dire que cette petite pince à cheveux surmontée d'une fleur immaculée avait bien de l'allure.

Sans plus attendre, il se hâta de rentrer rejoindre sa famille. Ils décidèrent d'aller se promener en forêt, non loin du domaine, pour admirer le ciel et ses étoiles, pour fêter au mieux l'anniversaire d'Aerin. Cependant, rien ne se passa comme prévu. Alors qu'ils chahutaient et plaisantaient gaiement, ils furent surpris par un groupe d'hommes à l'aspect bien peu engageant. Elros sauta sur ses pieds et, sous le coup de l'angoisse, il ne maîtrisa pas son geste de protection qu'il eut envers Aerin. Trop proche d'elle, ce qui aurait dû la protéger la fit en réalité tomber au sol. Dégainant son épée, le jeune homme s'offrit en protection pour sa famille toute entière, mais même avec ses longs entraînements, il était conscient de ne pas faire le poids. Ces hommes semblaient taillés pour tuer alors que lui se battait avec courage et honneur. Il n'y avait aucun doute possible, la famille Brindal était dans une situation des plus compliquée. Pas d'échappatoire, pas de combat loyal, en nombre inférieur... Pour la première fois, le regard d'Elros se teinta d'angoisse malgré sa détermination. N'écoutant que son courage, et bien décidé à protéger les siens, il se lança à l'assaut avec son arme. Les coups pleuvaient et Elros et son père peinaient à retenir leurs assaillants. Puis soudain un cri déchira la nuit. Le jeune homme risqua un coup d’œil furtif derrière lui et il eut juste le temps de voir sa mère étendue au sol dans les bras de son père. L'angoisse se mua en colère sourde qui enflait à chaque seconde dans son cœur, mais cela ne s'arrêta pas là. Calysis se retrouva dans les bras d'un de ses agresseurs qui n'eut aucune espèce de pitié. Il l'assassina sans sourciller sous les yeux d'Elros et du reste de la famille Brindal puis laissa l'enfant tomber à même le sol comme une poupée de chiffons. De rage, Elros chargea son assaillant et fut cueilli par une douleur fulgurante en plein ventre. Terrassé par la douleur et de n'avoir pas su protéger sa famille, Elros lâcha son épée qui s'écrasa dans l'herbe et tomba à genoux avant de s'écrouler définitivement au sol après un dernier coup porté à sa tempe. Il lutta pour ne pas sombrer dans l'inconscience, mais sa blessure eut raison de lui. Avant d'être emporté par les sombres papillons, Elros entendit un cri dans le lointain.

Laissé pour mort par son père, Elros s'éveilla pourtant assez rapidement, n'escomptant pas mourir aussi facilement. Tout était désormais calme, trop peut-être. Le regard braqué sur le ciel, il admirait les étoiles alors que sa main droite était crispée sur sa plaie. Il avait mal, mais ce n'était rien comparé à la douleur d'avoir perdu sa famille. Car il en était persuadé, ils étaient bel et bien tous morts. Il ne savait d'ailleurs pas comment il avait pu en réchapper, enfin, c'était un bien grand mot. Lui, qui avait habituellement la rage de vivre, se demandait désormais si cela avait encore un sens. Que pouvait-il bien devenir sans Aerin...

Perdu dans ses confuses pensées, il sursauta en entendant un craquement non loin de lui. Il tourna alors la tête tant bien que mal et croisa le regard d'une femme à l'allure dérangeante. Elle avançait tranquillement vers lui et il put noter un détail troublant. Les dents de la femme étaient étonnamment longues et aiguisées. Un frisson d'effroi saisit le jeune homme qui pourtant ne parvenait pas à bouger, cloué au sol par la douleur. Il n'eut pas à s'inquiéter longtemps, car des hommes, sortis de nulle part, s'attaquèrent à l'apparition dantesque et la réduisirent au silence. Épuisé, Elros tomba une nouvelle fois dans l'inconscience et le petit groupe en profita pour l'emmener à l'écart, dans une maisonnette isolée dans les bois. Là, les chasseurs, car oui, ils étaient bien chasseurs, s'occupèrent du jeune homme en le soignant au mieux. La plaie d'Elros était profonde et nécessitait des soins réguliers, et il n'était pas rare de voir Elros osciller entre conscience et inconscience. Quelques jours plus tard, Elros s'éveilla en sursaut alors que la porte de la maisonnette s'était ouverte avec grand fracas. Le mari de la vampire tué pour le sauver venait crier vengeance au pire moment, car deux des trois chasseurs étaient sortis. Sans doute attiré par l'odeur du sang, le vampire se jeta sur le jeune homme blessé et le mordit avec frénésie. C'est sans doute grâce à ça que le chasseur est parvenu à terrasser le vampire, ou alors était-il trop faible ? Elros n'aurait pas sur le dire, et il n'en eut pas le temps.

Une douleur lancinante s'insinua en lui et le saisit à bras le corps à tel point qu'il crut mourir. Malgré sa blessure au ventre, il s'était mis à se tortiller en tous sens, tirant sur ses vêtements comme pour tenter de chasser ce calvaire qui lui meurtrissait le corps. Elros avait l'impression d'être en feu. Il en venait à croire que son corps se disloquait un peu plus à chaque seconde. Et c'était bel et bien le cas. Ses os se brisaient encore et encore. Ils ne cessaient de bouger pour se réorganiser entre eux en le faisant souffrir le martyr. La mort l'attendait, c'était inévitable... il ne pouvait en être autrement. Sans Aerin, il ne pouvait pas endurer cela. A quoi diable cela pourrait bien lui servir puisqu’il avait tout perdu ? Ses cris désespérés résonnaient dans la maisonnette et lui vrillaient les tympans. Puis sa voix finit par refuser de lui répondre tant il en avait abusé.

Après deux jours de douleurs insoutenables, Elros s'écroula d'épuisement, au seuil de la mort. Sans le comprendre, il avait réussi à survivre à la transformation vampirique mais sa voix était brisée tout comme son corps. Son esprit, en berne, ne semblait pas aller mieux. Il avait perdu la notion du temps, pour lui, le supplice avait sans doute duré des semaines. Son corps meurtri et glacé s'en souviendrait sans doute encore longtemps. La seule chose qui lui avait permis de tenir face à ce calvaire c'était le présent qu'il n'avait pas pu remettre à sa sœur et qu'il n'avait pas lâché. Il s'était écorché, il s'était coupé et entaillé à force de serrer la petite pince à cheveux, mais jamais elle n'avait quitté sa main.

Comprenant la situation, le chasseur qui avait été témoin de sa transformation décida de tout faire pour qu'Elros puisse intégrer l'église souterraine. Après avoir discuté avec le jeune homme devenu vampire, il avait compris qu'il était en phase d'apprentissage pour devenir chevalier et, à ses dires, il avait un bon niveau. Il ne doutait pas que convaincre l'église souterraine serait ardu, mais ils avaient tout à gagner en recrutant le jeune vampire lorsqu'il serait remis du traumatisme de la transformation.
Le chasseur avait vu juste, il dut batailler pour faire une place à Elros au sein de l'église souterraine mais ce qui en découla s'avéra constructif. Malgré cela, Elros dut faire ses preuves et cela continue encore, surtout face à la doctrine de l'église souterraine qu'il n'estime pas spécialement. Mais pour autant, il fait des efforts à ce sujet pour s'intégrer.
Il est bien conscient qu'en tant que vampire il constitue une menace et qu'il se doute qu'il restera certainement plus ou moins sous surveillance. Se sentant redevable envers le chasseur qui l'a sauvé, il se voue désormais corps et âme aux missions qu'on lui donne.
De tempérament plutôt solitaire et méfiant depuis sa transformation, il n'a cependant d'autre choix que d'être accompagné pour effectuer les tâche données par l'église souterraine. S'il n'a rien contre les humains, ils a quand même tendance à se défier d'eux depuis la mort de sa famille. D'autant que ce n'est en rien facile de les côtoyer avec les pulsions meurtrières qui le prennent parfois. Sans parler de sa mauvaise humeur quasi-permanente. Il a beau essayé de s'adapter, il fait mentalement un rejet de cette condition de vampire qu'il déteste. Alors il s'isole la plupart du temps, ne se montrant réellement que pour suivre les entraînements ou pour partir en mission.

La seule personne désormais dont il supporte la présence et qui arrive en quelque sorte à l'apaiser c'est Zeno Vivaldi. Grâce à lui, il parvient à rester un minimum sociable même si ce n'est qu'avec lui pour le moment. C'est sans doute parce qu'avec Zeno Elros à la sensation de ne pas sombrer et de ne pas perdre pieds au milieux de toutes les créatures qui peuvent son quotidien.

Dernièrement, pendant une mission, il croit avoir une vision. Lui qui arrive difficilement à garder en mémoire les traits de sa sœur, il croise une silhouette qui lui dit vaguement quelque chose mais sans pour autant en être certain. Pourtant le doute s'installe en lui et il se prend à espérer, mais n'a pas le courage d'aller vérifier, n'étant pas certain de supporter s'il s'est fourvoyé. Depuis lors, il ne cesse de repenser à ce passage et espère pouvoir avoir la chance de recroisé la route de l'inconnue aux traits familiers.