Ce fut une journée comme les autres, depuis sa mésaventure avec Jean, elle avait passé le reste de jours qui suivirent au château. Dernièrement, la demoiselle n’était pas retournée voir sa mère. Son père était déjà parti depuis quelques jours et elle avait promis à sa mère de venir la voir. C’est pourquoi ce 30 avril, Lisbeth se décida enfin à aller les voir, le sourire aux lèvres et une certaine impatience. Elle quitta rapidement le palais pour aller rejoindre sa mère à la boutique. Elle ne resterait que la journée, mais elle ferait tout pour l’aider et passer le plus de temps possible en sa compagnie. Elle passa alors la journée à créer des tenues, aider les clients dans leurs choix, et cela, sans parler. Lisbeth était clairement dans son élément et elle profitait des moments de calme pour avancer ses différents croquis. Elle avait récemment terminé un modèle de robe chinoise avec l’aide des dessins de sa mère plus jeune. C’est fou comme sa passion pour ce pays était vraiment ancrée. Les autres tenues représentaient plus des vêtements pour la haute société et, dans un coin, des tenues plus modestes. Elle adorait dessiner, quand elle ne dessinait pas des robes, elle dessinait souvent ce qu’elle trouvait beau.
Pendant la journée, Lisbeth ne fit nullement attention à l’heure et la nuit commença à pointer le bout de son nez. S’excusant auprès de sa mère, elle décida enfin de partir, embrassant sa mère sur la joue comme une enfant aimante, la jeune couturière partie le cœur léger, des souvenirs ancrés dans sa mémoire. Fermant la porte de la boutique derrière elle, Lisbeth regarda une dernière fois sa mère qui lui fit un salut de la main et elle commença alors sa route. Le ciel précédemment bleu devenait de plus en plus sombre, on pouvait voir quelques étoiles qui montraient le bout de leurs nez. Un léger vent frais se faufila à travers la chevelure ébène de la jeune femme. La lune commença à remplacer le soleil et la nuit prit place. D’ordinaire, la jeune femme évite de rentrer aussi tard, mais là, elle n’avait pas le choix si elle voulait rentrer. Elle se souvenait des paroles de sa mère qui l’avertissait des nuits dans Paris. La jeune femme serra fortement son panier contre elle et marcha assez vite, passant les ruelles avec aisance.
Lisbeth n’était pas vraiment rassurée, elle avait vraiment une frayeur extrême pour les endroits sinistre et obscure. Respirons, la nuit est belle, les étoiles brillent dans le ciel nocturne. La lune éclairait ses pas et cela la rassurait un peu...Enfin, c’est ce qu’elle croyait, elle sentait depuis quelques instants une présence derrière elle. Elle releva la tête et accéléra le pas, apparemment le suiveur aussi. Elle tourna dans une ruelle, puis une autre, mais il ne comptait pas la laisser fuir. Soudain, elle sentit quelque chose la saisir par l’arrière et elle s’arrêta net. Elle voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Ses jambes tremblaient et le souvenir de la mer la transforma en statue. Ses pupilles se dilataient, son corps trembler, la sensation d'inexistence également. Elle reprit contenance et commença à se débattre, mais la force de l’homme était vraiment supérieure à la sienne. Lisbeth ne pouvait se faire entendre et ne pouvait pas émettre un son. La peur est la pire ennemie dans ce monde. Apparemment, Lisbeth se débattait trop, car elle reçut un mouchoir imbibé de quelque chose sur le nez, la faisant tomber dans les pommes et sentit son corps se faire traîner.
Elle ne savait pas où elle allait ni même ce qu’elle avait fait pour mériter cela. Lisbeth avait toujours été une jeune femme pleine de douceur et de discrétion...Elle n’avait pas vraiment de valeur. Qui voudrait réellement d’une fille muette comme jouet ? Ou tout autres choses d’ailleurs. La demoiselle se laissa entraîner dans les ruelles, portée, elle était complètement somnolente...Où est ce qu'on l'emmener ?
Elros soupira. D'un geste de main assuré, il vérifia le positionnement de son épée placée dans son fourreau et remonta légèrement son col. Lorsqu'il avait un peu de temps libre Elros aimait se promener pour faire un peu de repérage. Cela avait le mérite de le changer de son quotidien au sein de l’Église Souterraine et parfois cela lui permettait de prendre de l'avance sur certaines missions puisqu'il avait déjà appréhendé la zone. C'était un des aspects pratiques de ses petites escapades, la première étant de respirer un air différent et non-vicié par ces satanés buveurs de sang.
Inconsciemment, Elros avait grincé des dents et lorsqu'il reprit enfin conscience de son environnement, il remarqua que ses pas l'avaient mené non loin du grand cimeterre. À croire que c'était un signe car cela faisait plusieurs fois que ce petit tour se répétait. Dernièrement, s'il ne faisait pas attention il se retrouvait systématiquement ici. L'avantage c'était qu'au moins il ne serait pas dérangé par les morts et que le calme et la fraîcheur ambiante l'aideraient certainement à s'apaiser.
Ni une ni deux, le vampire s'engagea dans le cimetière et s'enfonça dans une des allée pour s'éloigner discrètement des dernières âmes qui quittaient les lieux. N'ayant aucun désir d'être dérangé, il s'exila une fois de plus et pour couper court à toute éventualité, il grimpa sur un mausolée et s'y allongea. De cette manière, on ne pouvait voir qu'il était présent et cela lui permettait en prime de regarder le ciel et les étoiles autant qu'il le voulait. Il n'aurait pu dire combien de temps il était resté étendu là à scruter la voûte céleste dans un silence total en serrant la petite pince qu'il aurait dû offrir à sa sœur mais qui était resté en sa possession par la force des choses. Il était encore là, sur le mausolée, lorsqu'il entendit un premier bruit de pas, plutôt léger mais qui semblait un peu pressé, puis un second, plus lourd et moins souple. Elros fronça les sourcils dans un premier temps mais fit finalement la sourde oreille. Le vampire se décida à se redresser et à scruter autour de lui que lorsque les bruits de pas cessèrent soudainement. Un peu plus loin, Elros pouvait désormais voir un lourdaud serrer une jeune femme dans ses bras. Elros se contenta de lever les yeux au ciel et de soupirer avant de faire un petit geste de main pour signifier que cela ne devait avoir aucune importance. Il se ravisa bien vite en voyant l'homme sortir un tissu et le placer sur la figure de la jeune femme qui visiblement se débattait.
« - Et merde... »
Elros avait sifflé ces quelques mots entre ses dents avant de se redresser totalement sur le toit du mausolée. Il prit son élan et sauta pour atterrir souplement... sur le muret qui séparait la ruelle du cimetière, non loin des deux humains. Dans un dernier effort, il descendit de son piédestal pour gagner la ruelle elle-même. Discrètement, il s'approcha au moment où l'homme se mettait à traîner la jeune femme.
« - Moi, Elros Brindal, premier né des Brindal et chevalier, je t'ordonne de laisser cette jeune femme tranquille. »
Le ton était sec, presque cassant, et surtout aucunement aimable alors même qu'il n'avait pas haussé la voix. Elros n'avait laissé aucune place au doute, il ne laisserait pas faire l'homme. Le nuage qui cachait jusque-là la lumière lunaire s'éclipsa et un rayon abattit devant Elros qui y entra laissant quelques secondes à l'homme pour admirer sa tenue. Quelques secondes menues seulement pendant lesquelles le vampire entendit l'homme éclater de rire alors qu'il sortait une épée, probablement certain de sa victoire compte tenu de l'allure plus fine d'Elros comparé à lui. Typiquement le genre de comportement qu'Elros abhorrait. Le vampire désormais en colère se lança à pleine vitesse sur l'individu et l'envoya bouler au loin. Elros, cependant, eut tout justement le temps de rattraper la tête de la jeune femme avant qu'elle ne s'écrase au sol.
*Me voilà en train de jouer les chevalier servant, moi, le vampire solitaire...*
Il soupira et déposa délicatement la jeune femme au sol, en position assise contre le muret du cimetière, avant de reprendre la parole.
« - Je te laisse le choix, pleutre. Relèveras-tu un combat singulier à la régulière ou alors tous les coups sont permis? »
Pour toute réponse, l'homme lui dédia un crachat qui s'écrasa au sol et le chargea en hurlant.
*Ainsi soit-il.*
Elros l'attendait de pieds ferme. Il se mit en garde dite du faucon, ou garde haute, torse légèrement effacé sur le côté gauche, jambe droite fléchie et les deux mains sur la garde de son épée. Son arme, bien placée au dessus de sa tête n'attendait plus qu'une chose, tomber comme une épée de Damoclès sur la tête de l'homme. Pourtant, lorsqu'il arriva à distance Elros n'en fit rien. Il se contenta d'esquiver et d'envoyer le pommeau de son arme en plein dans le visage du rustre, plus cassant le nez au passage. L'homme gémit et se tint le nez dans sa main libre. Main qui devint rapidement écarlate d'ailleurs.
« - Oh? Toutes mes excuses... »
De rage, l'homme se mit à fouetter l'air autour de lui avec son arme. Seulement l'odeur du sang commençait à exciter les papilles du vampire et Elros savait qu'il devait agir vite sans quoi il allait au-devant de gros problèmes. Il ne fallait surtout pas qu'il soit trahi par son état vampirique et pourtant, c'était si... tentant. Le jeune homme se contenta de parer une première fois, puis il plaça une coupe et une taille avant d'atteindre l'homme à la jambe et de finalement le faire reculer jusqu'au mur le plus proche. Un petit sourire satisfait et carnassier s'étira sur les lèvres d'Elros. L'homme venait de se redresser pile au moment où son sourire se changeait en une rangée de crocs acérés.
« - Quel dommage, je commençais tout juste à m'amuser... »
Le visage de l'homme se décomposa sous l'effet de la peur, mais il n'eut le temps de rien ajouter. Elros planta son arme dans son cœur dans un estoc parfait et l'homme ne tarda pas à s'écrouler. Le jeune vampire essuya son arme avec le tissu qui recouvrait le couard qui avait voulu kidnapper la jeune femme et fouilla ses poches en quêtes de réponse. Il dénicha un simple morceau de papier en guise de contrat d'enlèvement et soupira. Une fois cela fait, Elros se rapprocha de l'endroit où il avait laissé la jeune femme et s'accroupit à côté d'elle avant d'essayer de la réveiller en la secouant légèrement.
La jeune femme avait pris l’habitude de ne jamais se balader de nuit dans Paris. Malgré une certaine tranquillité, il arrivait bien souvent que de petits événements se produisent. Connaissant sa chance, elle pressentait quelque chose...Qui aurait pu croire que cela arriverait vraiment ? Lisbeth était une jeune femme sans histoire, enfin, on se moquait parfois d’elle, mais rien de bien méchant. L'incompréhension était complète, qui aurait-elle mise en colère ? La vie n’est pas tout le temps droite et immaculée, une touche de piquant venant parfois se faufiler, posant des pièges improvisés. Son corps était vraiment lourd, son esprit tétanisé et aucun son ne sortait. Des souvenirs douloureux envahissent son esprit, un sentiment d’abandon et d’inexistence. Elle avait l’impression de revivre son épopée dans la mer, son corps faible et impuissant. À la différence que là, c’était une personne bien plus forte qu’elle qui jouait le rôle de la mer imprévisible. Puis elle reprit contenance et se débattit, pour quel résultat ? Se retrouver endormi de force. Son corps tomba lourdement contre le malfrat, un rire à peine perceptible fut son dernier souvenir. Elle n’avait pas vu son visage, ni même un quelconque indice permettant de l’identifier. La voilà traînée, elle ne voyait pas, ne comprenait pas, mais elle ressentait la douleur, une légère brûlure. Après quelques secondes, l’homme n’avait pas l’air satisfait et la porte sur son épaule. Sa pauvre robe était fichue, ce qui n’était pas vraiment important, mais qui fit quand même un peu mal. Elle mettait une part d’elle dans chaque création, un peu d’amour et beaucoup de passion.
Un léger souffle vint se balader entre ses cheveux, les faisant voleter par-ci, par-là. Elle essaya de se concentrer sur le bruit, enfin, essayer, car ce n’était pas vraiment simple. Tout son corps et son esprit étaient embrouillés, alors comment arriver à repérer des choses si discrètes. Tout était calme, on entendait que les pas lourd d’un homme portant une jeune femme. Intérieurement, Lisbeth avait l’impression de taper sur un mur insonorisé et indestructible. Le crayon qu’elle utilisait était maintenant tombé sur le sol, son seul moyen de communication. La voilà maintenant emportée par les vagues du passé. Ce sentiment d’impuissance était le pire de tous ses sentiments, l’impression de n’être qu’une pétale de fleur au gré du vent. Une larme coula le long de sa joue, tombant lourdement sur le sol. Ils marchaient depuis quelques minutes, mais aucun signe de réveil, c’était d’un frustrant ! Puis soudain, un bruit, Lisbeth n’entendit rien d’autre, mais senti l’appuie sur lequel elle tenait, s’effondrer sous elle. Enfin, il avait disparu. Chute libre, sensation vraiment désagréable. À la place du choc, la jeune femme eut l’impression d’être tombé sur quelques choses de douillé. Cela n’était vraiment pas désagréable. Elle se sentit transportée et déposer quelque part, des bruits, puis plus rien. Lisbeth n’entendait plus rien..Enfin, elle n’arrivait pas à le percevoir. Quelques minutes passèrent lorsque son corps se fit légèrement secouer. Combattant son endormissement, elle finit par doucement ouvrir les yeux, sa vision encore floue.
La jeune femme cligna une fois des yeux, puis une deuxième et lentement, essayant de redresser la tête, avec difficulté. Sa détermination se stoppa assez rapidement, restant immobile, le corps encore trop endormi. Les minutes passèrent encore un peu et sa vision commença à être un peu mieux, tenant bien plus longtemps ouvert. Puis elle réussit à lever la tête pour essayer de voir à quoi ressemblait son sauveur. Un sentiment étrange l'envahit, une impression de déjà vu, elle avait lu beaucoup trop de livres basés sur la romance. Elle se donna une gifle intérieure en retournant dans le vrai monde. Les nuages venaient de passer devant la lune, empêchant de voir le visage de la personne agenouillée devant elle. La lumière lunaire revient alors et éclaira la silhouette, permettant à Lisbeth de voir ce qui lui était impossible avant. Des cheveux, couleur nuit, des yeux aussi profonds qu’un abîme, aucune émotion, aucun sentiment, l’obscurité même.
Elle arriva à pencher un peu la tête et d’un peu de détermination, elle leva sa main pour venir essuyer une trace rouge sur la joue de la personne, un sourire innocent se dessina sur ses lèvres. Elle laissa descendre sa main, épuisée. Pfiou, elle avait échappé à un horrible sort, ses yeux qui avaient trop lutté finirent par s’humidifier et une légère larme perla, puis une deuxième. Toute la peur qu’elle avait emmagasinée pouvait enfin sortir, seuls dans la ruelle, personne ne verrait quoi que ce soit. Par réflexe, elle se saisit d’un morceau de tissu de l’homme assis en face d’elle et bougea les lèvres silencieuses en un “Merci”. Lisbeth était soulagée et libérée de sa frayeur, cette personne l'avait définitivement sauvé.