Let me sit here

La nuit leur appartient à tous. Meute ou sans meute, loups et hommes sont à la lune des entités chaleureuses. Le sang chaud de ce qui coule dans leurs veines. Qu’importe que la nuit soit le dernier privilège des crocs longs. Qu'ils soient les voleurs de leur astre éternel. Maudits aux étoiles inversées, ils n’ont en commun que l’apparence que Dieu leur a prêté. Des monstres et des bêtes à corps innocents.

Mais elle, porte une toute autre charge. Celle d’un rôle qu’elle assume sans pour autant pleinement y trouver ses marques. Protéger les valeurs des siens est une chose. S’entêter à refuser de perdre la face devant la majorité… était un exercice épuisant. Oh elle n’est pas mal traitée pour ses idées, ou si peu. Tout se fait de façon insidieuse. Dans le comportement des autres alphas qui la marquent comme si elle était une enfant. Dans le regard du maître de la meute qui, patient, attend ses faux pas pour mieux lui prouver son idiotie. Dans le comportement de ce groupuscule aux idées similaires aux siennes qui la reconnaît comme mère mais jamais comme suffisante pour les défendre efficacement contre le reste du monde.

Mais personne n’en dit rien. Tout ceci, les fables de son imagination. Là où ses doutes qui pèsent tant qu’elle a conscience de ne pas être à la hauteur. Que le soutien des siens pourrait n’être qu’un leurre. Pion parmi tous les autres. Reine disposée en marge pour s’assurer que rien ne puisse la déplacer de son rôle. Mise à part pour ne pas gêner. Pour ne pas fausser des plans dont nul n’a pris le temps de l’informer.

Alors à la nuit tombée elle fuit. Fuit sa meute et cherche désespérément ce qui parviendra à la soulager. Fuit la meute et museau au vent, piste la trace de ce qui lui a été enlevé. Elle est sotte de croire qu’un jour Oscar se présentera à zlle. Rien ne le ramènera, ce vaillant loup qui ne croit qu’en ses sincères convictions. Il n’y a plus qu’elle maintenant. Elle est ses quatre pattes brisant le vent. Elle qui fuit toujours plus loin. Qui fuit l’emprise de cette puissance qui la lie aux siens. Fuit la douleur du trou béant que son amour a laissé en son sein.

Son âge ne lui donne pas plus de jugeote. Pas lorsque la peine l’aveugle. Pas lorsque plus rien ne la protège, pas même ses crocs et sa fourrure. Sûrement est-ce pour cette raison que si loin de ses terres elle ne réalise pas qu’elle n’est plus seule. Sûrement est-ce pour cela qu’elle semble si alerte lorsqu’au détour des bois – où est-elle seulement ? – un loup au pelage d’argent. Légère sur ses appuis, Serena sautille une fois en arrière et renifle l’air, visiblement curieuse.

La guerre ne l’a pas rendue féroce quant à ses pairs. Au contraire. Elle ne sent pas réellement l’odeur d’un alpha sur ce loup, là où elle doit sûrement empester la dominance de bien des loups. Oreilles haut perchées, c’est d’un doux « Yeep. » qu’elle l’enjoint à la camaraderie. Non il n’est pas farouche et elle s'aplatit doucement au sol, queue battznt sagement l’air avant de gronder un son léger.

Bonsoir bel inconnu. Chantonne-t-elle d’un ton joueur.

Tape d’une patte au sol et se redresse à peine, regard olive curieux et ronronne presque du même son qu’elle emploie sur ses petits. Louve tranquille et douce, trouver compagnon pour la nuit ne serait qu’un instant volé à l’oubli. Qu’une plaie cachée à ses yeux pour laisser Oscar s’en aller pour quelques heures.

Let me sit here

Un souffle à son museau et elle pourrait presque rire de la réaction du louveteau devant elle. Oh qu’il était tendre de voir de jeunes loups se comporter en concordance avec les lois de leurs ancêtres. Louve ou femme, qu’importe. Elle écoute et surveille, sa curiosité la seule raison de son silence premier. Les sons doux à son oreille la font battre d’une oreille un instant avant qu’elle n’approche calmement, un air d’assurance accompagnant ses foulées légères sur le sol.

Ceci n’est pas mon territoire. Aucune meute n’est maîtresse de ces lieux. Trop de passage… Trop de chasse.

Comprendra-t-il qu’il s’agit autant de la chasse des créatures que celle des hommes ? D’une lenteur calculée, elle le contourne et suit son regard, venant doucement presser son museau contre sa fourrure, comme pour le rassurer, mâchoire fermement serrée alors qu’elle gronde d’un son plus tendre. Un couinement lupin en réponse et elle se joint à son discours de bête.

Ne craignez rien. Je ne pensais pas trouver compagnie en ce lieu.

Une fois son absence de mauvaise intention démontrée, la voilà qui recule d’un bond, puis deux, plus joueuse qu’agressive, elle se rabaisse à nouveau au niveau du sol et claque de la mâchoire une fois comme un appel tranquille à son attention.

La forêt est silencieuse des hommes ce soir… Mais je n’ai pas le cœur à rester seule si je peux faire une nouvelle connaissance… Qu’en dites-vous… ?

Regard olive posé sur la fourrure claire du loup face à elle, Serena se laisse doucement tomber sur le sol sec de la forêt et souffle sur les feuilles devant sa truffe, en un signe évident de son besoin de défouler ses sens et toute l’énergie dont son loup n’aurait pas su disposer dans les recoins plus fermés du domaine de sa famille. Et quand bien même l’odeur d’un alpha s’était accroché à ses babines lorsqu’elle avait effleuré l’autre lycan, elle était restée prudente. N’avait en aucun cas tenté de marquer l’autre, pour ce que cela pourrait être un signe de défi plein d’une agressivité dont elle n’était pas déterminée à faire preuve.

Mes pattes sont engourdies. Que diriez-vous d’une partie de chasse entre amis ?

Let me sit here

Museau contre le sol, dos légèrement arqué comme prête à bondir, les prunelles olive brillent de contentement à la réponse positive de l’autre loup. Depuis combien de temps n’a-t-elle pas couru dans l’inconnu avec un parfait étranger ?

Pourquoi vous dévaloriser ainsi ? Vos quatre pattes semblent vous porter sans peine, et vos paroles sont d’une élégance certaine.

Doucement la voilà qui se redresse sur ses pattes avant, inclinant la tête sur le côté d’un air curieux, procédant à avancer un léger arc de cercle pour contempler l’autre loup sans pour autant l’approcher davantage. Pourquoi donc un louveteau serait-il ainsi inquiet de sa personne ? Humain inquiet semblait se cacher sous les traits de ce ravissant loup gris.

Il n’a jamais été question de chasser du gibier.

Un grondement en un léger aboiement, un rire et elle lui lance un regard tandis qu’il se place à ses côtés. Tapotant de ses pattes comme pour signaler son anticipation à l’idée de courir en compagnie d’un autre, son excitation se note sûrement au ton de sa voix alors qu’elle chantonne son propre prénom, museau levé. Entre une démonstration d’assurance et surtout pour lui prouver qu’elle n’était ici que pour se détendre.

Serena. Et qui donc se dissimule sous ce pelage anthracite ?

Attendant patiemment sa réponse, elle imite ce que les humains appelleraient un simple baiser contre une joue, venant simplement souffler de sa truffe contre la fourrure de l’autre. Elle est amusée. Elle apprécie déjà la compagnie. Un bond et la voilà déjà prête à partir, lançant par-dessus son épaule avant de détaler à toute vitesse entre les arbres.

Chat. C’est toi qui y’est. Chante-t-elle en s’échappant dans le rire d’un jappement.

Let me sit here

Un jeu tendre auquel Serena se perd avec un plaisir qu’il serait impossible de feindre. Elle entendit évidemment l’indignation d’Antoine. Tout autant que la course effrénée qui le fit la poursuivre. Et le jeu en valait la fière chandelle. Ils étaient, en quelques sortes, à armes égales. Habituée à la rapidité là où elle pouvait parfois pécher en puissance, elle était à plusieurs reprises parvenue à s’échapper des tentatives de l’autre loup de l’attraper… Jusqu’à ce qu’il ne la tienne.

Stoppant net, pattes salies par l’humus, elle lance un regard à l’autre loup, grondant doucement là où ses yeux pourtant pétillent de malice. Il semble réaliser et… D’un coup d’un seul, voilà ce vif argent qui s’échappe contre la végétation. Un léger son et elle s’ébroue, l’adrénaline ne manquant pas de courir contre ses veines. L’excitation de la chasse tout en gardant l’idée d’un jeu. Lâcher prise n’avait jamais été si bon.

Alors elle détale à sa suite. Le traque et encore et encore le jeu se poursuit. Lui puis elle. Elle puis lui.
Combien de temps s’est échappé depuis leur première partie ? Combien de fois se sont-ils mutuellement attrapés ? Il est encore celui en fuite mais leurs courses se font plus risquées et moins vives. De telle sorte qu’il fit un faux pas, un seul. Et plutôt que de simplement le toucher comme elle l’avait fait au tour d’avant, ayant joué du silence pour tenter de le surprendre… Cette fois-ci, c’est d’un bond puissant qu’elle vient heurter son flanc, entraînant leurs deux silhouettes et leurs huit pattes en une roulade effrénée dans l’herbe grasse et marquée de la fraîcheur humide de la nuit.

Le souffle court, allongée à moitié sur le dos, elle ne retient pas un rire lupin en sentant la cage thoracique de l’autre loup contre la sienne là où l’inertie les avait arrêtés. Elle ne se gêne pas de son poids au-dessus du sien, pas plus qu’elle ne tente de s’en défaire.

Je crois que vous êtes le vainqueur.

Bat doucement d’une patte avant en l’air avant de venir donne une affectueuse léchouille contre la figure de l’autre, laissant échapper une plainte marquée de contentement. Être une alpha ne lui enlevait en rien l’appréciation de l’instant. Il n’y avait pas de duel, ici. Pas plus que l’idée de se confronter à lui ne pourrait la traverser. Elle souffle doucement, un jappement léger et se laisse aller contre le sol, un soupir, son corps se délie de la tension de la chasse alors que ses oreilles battent l’air.

La nuit est douce. Peut-être désormais apprécierai-je davantage les nuits sans pluie.

Let me sit here

La proximité d’un autre, le simple fait de ne pas être entravée de ces règles et ces liens qui la maintenaient à une meute au cœur de laquelle elle ne se reconnaissait presque plus lui arracha un frisson. Louve porte sa pleine attention sur son compagnon d’infortune et si les loups pouvaient sourire, sûrement aurait-il deviné la pointe de tristesse à la commissure de ses lèvres. Mais elle n’en dit rien. Ne répond pas et vient laper son pelage sous son œil, une démonstration d’affection. Une preuve qu’elle le respectait autant qu’il semblait lui porter d’intérêt.

Seule… Sûrement.

Ce poids qui écrase la poitrine de la femme comme du loup. Elle laisse ses oreilles s’aplatir en une démonstration de non agressivité et vient doucement faufiler son museau sous la patte la plus proche d’Antoine. Comme pour chercher davantage de soutien. Comme pour lui dire que sa présence la rassurait.

Ma meute… Ma meute n’a jamais vraiment été mienne.

Elle était celle d’Oscar. Celle de cette famille dont elle ne parvenait plus à comprendre les principes. Lovée contre son homologue, sûrement pourrait-on croire qu’ils se connaissaient depuis bien longtemps. Pourtant il n’en est rien. Un son comme une plainte lui échappe, un sifflement terriblement triste.

J’ai perdu ma raison d’être. Mais ma meute a toujours besoin de moi.

Peut-être ne comprendrait-il pas. Peut-être n’était-il, au final, qu’un jeune loup épargné par la guerre. Elle le lui souhaitait. Ferme les yeux et rajoute doucement.

Le cœur des loups est pourtant si simple… Ces instants ne devraient-ils pas se partager auprès des nôtres… ? Un rire. Me voilà, alpha, à chercher le réconfort d’un autre loup, d’une autre meute… Quelle honte suis-je pour mon propre sang…

Sûrement cela pourrait-il être un bien long monologue. Un bien long discours. Ses oreilles battent l’air et Serena se roule contre Antoine, sa truffe contre la gorge au pelage clair.

Accepteriez-vous juste quelques heures de rester avec moi… ? De me parler de vous...?

Une danse de leurs deux souffles mêlés. Là où le ciel sera leur seul témoin.