Dim 19 Sep - 21:42
Voilà un peu moins d’un mois que le prince Isandro a mis un pied à la Cour de France. Autant de temps qu’il savoure comme du pain béni. Cette Cour n’a rien à envier aux dorures de Madrid mais tout y est à la fois… si semblable et si différent. Il y retrouve des marques bien évidentes, celle d’un catholicisme parfaitement ancré et d’une étiquette complexe à respecter ainsi que le faste de ceux qui veulent marquer les esprits, être bien vus et sous-entendre « tout va bien, la couronne de France se porte on ne peut mieux ». Est-ce bien vrai ? Il n’est pas nécessairement là pour en juger, même si les rumeurs des dignitaires espagnols croisés à Nantes en disent longs.
Dans l’immédiat, outre sa présence en tant qu’émissaire et pacificateur des intérêts commerciaux, il veut simplement profiter. Profiter de l’instant présent, de cette cour bien plus cosmopolite que ne l’est celle de son père et du sentiment de liberté – tout relatif – qui l’habite. Il laisse son rire retentir à loisir dans les couloirs du Palais royal et se prête à tous les jeux. Même sous le regard plein de jugement de nombre de nobles qu’il a pu croiser jusque-là. C’est mal connaitre Isandro, fils de Felipe II, que de croire qu’il se laissera écraser par ça. Il en faudra plus, bien plus, pour arriver à entacher sa bonhommie et ce rôle d’invité charmant qu’il joue à la perfection. Qu’il ne fait pas que jouer, d’ailleurs.
C’est justement en cheminant d’un pas distrait dans l’un des salons qu’il a aperçu… Non, ça ne peut... Attablé à une table, en pleine conversation, un homme blond à la posture fière et noble. Sans qu’il ne sache pourquoi, il a semblé à Isandro l’avoir déjà vu. Un fantôme ? Il s'est penché auprès d’un des courtisans qu’on lui a mis dans les pattes depuis son arrivée. Plusieurs sont chargés de lui faire visiter les lieux, lui tenir compagnie mais également le surveiller… et s’en cachent assez mal. Cela dit, il ne leur en tient pas rigueur, à situation inverse, un prince français aurait son lot « d’accompagnateurs », dirons-nous, dans les couloirs et les jardins de l’Escurial.
« Qui est cet homme ?» a-t-il demandé en pointant de sa main gantée l’homme en question, qu’il observait de dos, désormais.
« Il s’agit du nouveau Duc de Bourgogne, votre Altesse. Souhaitez-vous être présentés ?
- Non. Le mot a fusé malgré lui et il s'est repris avec un sourire. Non non, j’attendrais le moment opportun. »
La Bourgogne, voilà qui sonne comme une coïncidence un peu trop énorme. Il a bien connu le précédent Duc, pourtant, et n’a pas souvenir d’avoir eu connaissance d’un quelconque héritier. Si la Bourgogne et la couronne d’Espagne ont des liens de cousinages, ceux-ci s’éloignent de génération en génération et il n’est pas étonnant que le prince n’ait pas été informé mais cela l’intrigue tout de même. La Bourgogne. Un soupçon de nostalgie s’installe en lui et ne le quittera pas de la soirée, ce jour-là. Il faut dire que tout à toujours été prétexte à distraction, pour lui, et un visage familier en plein Paris, alors qu’il y met les pieds pour la première fois, c’est surprenant.
Les jours suivants, hasard ou non, il s’emploie à parcourir le même salon et n’aperçoit qu’une seule fois l’homme en question. Sans l’approcher, sans trop s’appesantir, il l’observe à la dérobée tout en discutant avec Dieu sait quelle marquise. C'est à sa manière de refuser la proposition d’un serviteur qui va lui servir du vin qu’Isandro s'est senti projeté plusieurs années en arrière. Est-ce donc Lui, ce fantôme ?
Ça ne peut pas… Comment ?
Puisque ce visage l’obséde déjà trop, il lui faut mettre les choses au clair. Il obtient d’un serviteur l’endroit où loge ce « Duc de Bourgogne ». Lorsque le soir s'impose sans qu'aucune fête ne soit particulièrement prévue, les « mouches » qui lui tournent autour retournent d’où elles viennent. Accompagné de son homme de confiance – Diego (à la fois serviteur et garde du corps) – il prend donc la direction des appartements en question. Diego se dissimule dans l’ombre et Isandro, cape brodée d’or sur les épaules (celle qui fait tant jaser certains courtisans), frappe à la porte. Tout simplement.
Si son imagination ne lui joue pas des tours, s’il ne se trompe pas, il mérite quelques explications. Et si ce n’est pas « Lui », il trouvera de quoi rebondir pour prétexter une entrevue aussi tardive. N’a-t-on pas le droit de s’enquérir de la santé de ses cousins (aussi inconnus soient-ils) ?
Au serviteur qui ouvre, il indique : « Bonsoir. Je désire m’entretenir avec le Duc. C’est important. » Son accent heurte quelque peu le dernier mot et l’homme devant lui l’invite à patienter, sans chercher à en savoir plus.
Dans l’immédiat, outre sa présence en tant qu’émissaire et pacificateur des intérêts commerciaux, il veut simplement profiter. Profiter de l’instant présent, de cette cour bien plus cosmopolite que ne l’est celle de son père et du sentiment de liberté – tout relatif – qui l’habite. Il laisse son rire retentir à loisir dans les couloirs du Palais royal et se prête à tous les jeux. Même sous le regard plein de jugement de nombre de nobles qu’il a pu croiser jusque-là. C’est mal connaitre Isandro, fils de Felipe II, que de croire qu’il se laissera écraser par ça. Il en faudra plus, bien plus, pour arriver à entacher sa bonhommie et ce rôle d’invité charmant qu’il joue à la perfection. Qu’il ne fait pas que jouer, d’ailleurs.
C’est justement en cheminant d’un pas distrait dans l’un des salons qu’il a aperçu… Non, ça ne peut... Attablé à une table, en pleine conversation, un homme blond à la posture fière et noble. Sans qu’il ne sache pourquoi, il a semblé à Isandro l’avoir déjà vu. Un fantôme ? Il s'est penché auprès d’un des courtisans qu’on lui a mis dans les pattes depuis son arrivée. Plusieurs sont chargés de lui faire visiter les lieux, lui tenir compagnie mais également le surveiller… et s’en cachent assez mal. Cela dit, il ne leur en tient pas rigueur, à situation inverse, un prince français aurait son lot « d’accompagnateurs », dirons-nous, dans les couloirs et les jardins de l’Escurial.
« Qui est cet homme ?» a-t-il demandé en pointant de sa main gantée l’homme en question, qu’il observait de dos, désormais.
« Il s’agit du nouveau Duc de Bourgogne, votre Altesse. Souhaitez-vous être présentés ?
- Non. Le mot a fusé malgré lui et il s'est repris avec un sourire. Non non, j’attendrais le moment opportun. »
La Bourgogne, voilà qui sonne comme une coïncidence un peu trop énorme. Il a bien connu le précédent Duc, pourtant, et n’a pas souvenir d’avoir eu connaissance d’un quelconque héritier. Si la Bourgogne et la couronne d’Espagne ont des liens de cousinages, ceux-ci s’éloignent de génération en génération et il n’est pas étonnant que le prince n’ait pas été informé mais cela l’intrigue tout de même. La Bourgogne. Un soupçon de nostalgie s’installe en lui et ne le quittera pas de la soirée, ce jour-là. Il faut dire que tout à toujours été prétexte à distraction, pour lui, et un visage familier en plein Paris, alors qu’il y met les pieds pour la première fois, c’est surprenant.
Les jours suivants, hasard ou non, il s’emploie à parcourir le même salon et n’aperçoit qu’une seule fois l’homme en question. Sans l’approcher, sans trop s’appesantir, il l’observe à la dérobée tout en discutant avec Dieu sait quelle marquise. C'est à sa manière de refuser la proposition d’un serviteur qui va lui servir du vin qu’Isandro s'est senti projeté plusieurs années en arrière. Est-ce donc Lui, ce fantôme ?
Ça ne peut pas… Comment ?
Puisque ce visage l’obséde déjà trop, il lui faut mettre les choses au clair. Il obtient d’un serviteur l’endroit où loge ce « Duc de Bourgogne ». Lorsque le soir s'impose sans qu'aucune fête ne soit particulièrement prévue, les « mouches » qui lui tournent autour retournent d’où elles viennent. Accompagné de son homme de confiance – Diego (à la fois serviteur et garde du corps) – il prend donc la direction des appartements en question. Diego se dissimule dans l’ombre et Isandro, cape brodée d’or sur les épaules (celle qui fait tant jaser certains courtisans), frappe à la porte. Tout simplement.
Si son imagination ne lui joue pas des tours, s’il ne se trompe pas, il mérite quelques explications. Et si ce n’est pas « Lui », il trouvera de quoi rebondir pour prétexter une entrevue aussi tardive. N’a-t-on pas le droit de s’enquérir de la santé de ses cousins (aussi inconnus soient-ils) ?
Au serviteur qui ouvre, il indique : « Bonsoir. Je désire m’entretenir avec le Duc. C’est important. » Son accent heurte quelque peu le dernier mot et l’homme devant lui l’invite à patienter, sans chercher à en savoir plus.
juillet 1590
Lun 20 Sep - 22:00
Fantasma del pasado |
- De grâce, arrêtez donc de bégayer quand vous vous adresser à moi. Mes yeux ont la couleur de la glace, mais pas le pouvoir de faire de vous un bloc de neige.
Le Duc passa un main dans ses cheveux pour repousser ses bouclettes d’or, avec agacement. Il savait pertinemment qu’il n’était pas agréable avec ses domestiques, mais ne pouvaient-ils pas faire l’effort de s’habituer à son caractère ? Ne sont-ils pas des professionnels qualifiés pour tout entendre sans broncher ?
- Pardonnez-moi… Je veux dire… Un visiteur souhaite vous voir.
- Un visiteur ? Et a-t-il décliné son identité ?
Il arqua un sourcil. Ce n’était plus une heure décente pour se pointer chez le Duc de Bourgogne, sans invitation, de surcroît. Un horrible frisson lui parcourra l’échine alors qu’il imaginait l’insupportable tête du ménestrel. Est-ce qu’il allait, encore, se pointer chez lui et décider d’élire domicile un temps ? Cette fois-ci, il ne pourrait pas trouver de raison de rester, Guillaume lui donnerait de l’argent et l’enverrait paître…
- Non, néanmoins au vu de son accent et de ses couleurs, je dirai qu’il est un prince étranger.
Mais qu’est-ce que j’en ai à faire de tes déductions.
- Intéressant. La prochaine fois, songez à demander le nom de mes visiteurs, autrement vous pourriez vite chercher quelqu’un d’autre à servir.
Est-ce qu’il était de bonne humeur ? Certainement pas. Le domestique se confondait déjà en excuses, mais le Duc frappa du poing et cela suffit à invoquer le calme. Et se doutant de ce qu’allait lui demander son maître, il quitta la pièce pour préparer des rafraîchissements qu’il apporterait en silence, dans quelques minutes.
Exaspéré d’avance, il poussa un long soupir devant son miroir en époussetant ses vêtements. Titi n’avait rien d’un prince et « ses couleurs » n’évoquaient rien d’exotique. Il voyait très bien ce que voulait dire son domestique : cet individu avait la peau hâlée. C’étaient de maigres informations, cela ne lui en disait pas davantage sur la personne avec qui il allait devoir converser ce soir, par égard pour son déplacement, dans cette chaleur insoutenable…
Je suppose que c’est mieux que d’avoir Titi affalé sur mon canapé.
On s’encourage comme on le peut. Il quitta le bureau dans lequel il se trouva et traversa les différentes pièces pour arriver devant les portes fermées du salon dans lequel attendait son mystérieux visiteur. Un domestique lui ouvrit la porte et lorsqu’il entra, il n’avait toujours pas plus d’indice sur l’identité de cet homme : il se trouvait de dos. Sa crinière brune et son manteau d’or ne lui disaient absolument rien. Ainsi, sûr de lui il s’avança et brisa le silence :
- Bonsoir, vous avez demandé Guillaume de Bourgogne, le voici.
Il tourna autour de cet homme et aperçu enfin son visage.
Il avait envie de mourir.
Merde, il y a donc pire que Titi chez moi.
La petite voix d’Édouard commença à chuchoter. Il voulait hurler, mais il avait peur que Guillaume perde le contrôle, alors il se contenta de répéter inlassablement le même prénom tout bas : Laurent, Laurent, Laurent...
En proie à la surprise, mais ne désirant rien laisser transparaître, le Duc serra les poings et sa mâchoire se crispa tellement que cela en devenait presque douloureux. Pendant ce qui lui sembla être une éternité, les deux hommes se toisaient. Guillaume voulait reculer, mettre le plus de distance entre lui et le Prince, mais ne serait-ce pas se montrer faible ? Ne serait-ce pas s’admettre vaincu ?
Je n’ai pas fait tout ça pour que l’on débarque chez moi et que l’on menace de tout détruire. Je suis Guillaume de Bourgogne.
La tension dans son corps ne parvenait pas à s’évacuer malgré ses tentatives de faire taire Édouard. Ce dernier évoquait certains souvenirs et les sensations lui revinrent à l’esprit. Son corps ne pouvait pas se détendre. C’était une époque qu’il avait oublié, tout du moins il le pensait. Il avait fait tant de chemin depuis, pourquoi quelqu’un devrait lui rappeler à quel point il s’est souillé pour en arriver ici ?
Il ne parvint pas à articuler le moindre mot. Ses lèvres semblaient sceller par la surprise et le dégoût transparaissait dans son regard. Le dégoût qu’il ressentait envers lui-même…
Tu t’es vendu Laurent, tu te souviens ?
Le Duc passa un main dans ses cheveux pour repousser ses bouclettes d’or, avec agacement. Il savait pertinemment qu’il n’était pas agréable avec ses domestiques, mais ne pouvaient-ils pas faire l’effort de s’habituer à son caractère ? Ne sont-ils pas des professionnels qualifiés pour tout entendre sans broncher ?
- Pardonnez-moi… Je veux dire… Un visiteur souhaite vous voir.
- Un visiteur ? Et a-t-il décliné son identité ?
Il arqua un sourcil. Ce n’était plus une heure décente pour se pointer chez le Duc de Bourgogne, sans invitation, de surcroît. Un horrible frisson lui parcourra l’échine alors qu’il imaginait l’insupportable tête du ménestrel. Est-ce qu’il allait, encore, se pointer chez lui et décider d’élire domicile un temps ? Cette fois-ci, il ne pourrait pas trouver de raison de rester, Guillaume lui donnerait de l’argent et l’enverrait paître…
- Non, néanmoins au vu de son accent et de ses couleurs, je dirai qu’il est un prince étranger.
Mais qu’est-ce que j’en ai à faire de tes déductions.
- Intéressant. La prochaine fois, songez à demander le nom de mes visiteurs, autrement vous pourriez vite chercher quelqu’un d’autre à servir.
Est-ce qu’il était de bonne humeur ? Certainement pas. Le domestique se confondait déjà en excuses, mais le Duc frappa du poing et cela suffit à invoquer le calme. Et se doutant de ce qu’allait lui demander son maître, il quitta la pièce pour préparer des rafraîchissements qu’il apporterait en silence, dans quelques minutes.
Exaspéré d’avance, il poussa un long soupir devant son miroir en époussetant ses vêtements. Titi n’avait rien d’un prince et « ses couleurs » n’évoquaient rien d’exotique. Il voyait très bien ce que voulait dire son domestique : cet individu avait la peau hâlée. C’étaient de maigres informations, cela ne lui en disait pas davantage sur la personne avec qui il allait devoir converser ce soir, par égard pour son déplacement, dans cette chaleur insoutenable…
Je suppose que c’est mieux que d’avoir Titi affalé sur mon canapé.
On s’encourage comme on le peut. Il quitta le bureau dans lequel il se trouva et traversa les différentes pièces pour arriver devant les portes fermées du salon dans lequel attendait son mystérieux visiteur. Un domestique lui ouvrit la porte et lorsqu’il entra, il n’avait toujours pas plus d’indice sur l’identité de cet homme : il se trouvait de dos. Sa crinière brune et son manteau d’or ne lui disaient absolument rien. Ainsi, sûr de lui il s’avança et brisa le silence :
- Bonsoir, vous avez demandé Guillaume de Bourgogne, le voici.
Il tourna autour de cet homme et aperçu enfin son visage.
Il avait envie de mourir.
Merde, il y a donc pire que Titi chez moi.
La petite voix d’Édouard commença à chuchoter. Il voulait hurler, mais il avait peur que Guillaume perde le contrôle, alors il se contenta de répéter inlassablement le même prénom tout bas : Laurent, Laurent, Laurent...
En proie à la surprise, mais ne désirant rien laisser transparaître, le Duc serra les poings et sa mâchoire se crispa tellement que cela en devenait presque douloureux. Pendant ce qui lui sembla être une éternité, les deux hommes se toisaient. Guillaume voulait reculer, mettre le plus de distance entre lui et le Prince, mais ne serait-ce pas se montrer faible ? Ne serait-ce pas s’admettre vaincu ?
Je n’ai pas fait tout ça pour que l’on débarque chez moi et que l’on menace de tout détruire. Je suis Guillaume de Bourgogne.
La tension dans son corps ne parvenait pas à s’évacuer malgré ses tentatives de faire taire Édouard. Ce dernier évoquait certains souvenirs et les sensations lui revinrent à l’esprit. Son corps ne pouvait pas se détendre. C’était une époque qu’il avait oublié, tout du moins il le pensait. Il avait fait tant de chemin depuis, pourquoi quelqu’un devrait lui rappeler à quel point il s’est souillé pour en arriver ici ?
Il ne parvint pas à articuler le moindre mot. Ses lèvres semblaient sceller par la surprise et le dégoût transparaissait dans son regard. Le dégoût qu’il ressentait envers lui-même…
Tu t’es vendu Laurent, tu te souviens ?
Lun 20 Sep - 23:07
L’examen du salon dans lequel Isandro est invité à patienter ne lui apprend rien de particulier sur son hôte. C’est une salle assez peu décorée sans véritable signe ostentatoire. Rien qui ne crie la grande richesse. Rien qui ne surjoue non plus. Un tableau de paysage, probablement bourguignon, attire son regard. Des souvenirs de sa campagne en Bourgogne auprès de l’ancien Duc lui reviennent en mémoire. Un bruit de pas l’interrompt assez vite et une porte s’ouvre, dans son dos. Comme pour prendre le temps d’accommoder ses pensées, Isandro ne se retourne pas tout de suite, prenant le temps d’ancrer dans son esprit le ciel du tableau. Derrière lui, une voix solennelle s'éleve et des pas, encore.
A-t-il donc à faire à un impatient ? Il semblerait. La voix seule ne suffit pas. L’homme arrive à son encontre et lui fait face désormais. Proche de lui, Isandro n’a plus le moindre doute. L’autre doit le comprendre aussi, car en une petite seconde le visage blond passe d’une forme de politesse agacée à une crispation sourde. C’est furtif mais le prince a le temps de déceler la surprise, aussi. Celle de la douche froide. C’est autant de signes clairs – si tant est qu’il en avait encore besoin.
Il a déjà croisé cet homme. En un autre temps, en un autre lieu et sous un autre nom. A la tension palpable de son vis-à-vis Isandro répond par sourire amusé.
« Laurent ? » Il n’a aucune idée du comment ni du pourquoi mais il a rencontré celui qui lui fait face dans une maison close. Il a partagé son lit plus d’une fois, fasciné par ses bouclettes blondes, cette dualité qu’il voyait entre les actions de son corps et le bleu de ses yeux… comment aurait-il pu l’oublier ?
« Est-ce donc chose commune, en France, de trouver des Ducs dans los burdeles ? » Le mot passe plus facilement dans sa langue natale. Il ponctue cela dans un rire. « C’est que je me demande bien, maintenant, avec combien de Duchesses et de Marquis j’ai pu partager la couche ! » Il s’en amuse et se penche vers le visage du blond. C’est à son tour de lui tourner autour, puisque l’autre semble figé.
« Duc de Bourgogne, alors ? Voilà qui est inattendu. » Inattendu, le mot est faible. Dans un mouvement il fait claquer sa cape d’or et s’éloigne, comme un chat s’amuserait d’une souris.
« Cela fait de nous des cousins, semble-t-il. Rappelle-moi donc de quelle lignée ? » Le tutoiement prend place très naturellement dans la bouche d’Isandro. Difficile de savoir si c’est là preuve d’irrespect ou en mémoire du temps passé ensemble, à discuter de tout et de rien dans les draps de ce bordel à Dijon.
A-t-il donc à faire à un impatient ? Il semblerait. La voix seule ne suffit pas. L’homme arrive à son encontre et lui fait face désormais. Proche de lui, Isandro n’a plus le moindre doute. L’autre doit le comprendre aussi, car en une petite seconde le visage blond passe d’une forme de politesse agacée à une crispation sourde. C’est furtif mais le prince a le temps de déceler la surprise, aussi. Celle de la douche froide. C’est autant de signes clairs – si tant est qu’il en avait encore besoin.
Il a déjà croisé cet homme. En un autre temps, en un autre lieu et sous un autre nom. A la tension palpable de son vis-à-vis Isandro répond par sourire amusé.
« Laurent ? » Il n’a aucune idée du comment ni du pourquoi mais il a rencontré celui qui lui fait face dans une maison close. Il a partagé son lit plus d’une fois, fasciné par ses bouclettes blondes, cette dualité qu’il voyait entre les actions de son corps et le bleu de ses yeux… comment aurait-il pu l’oublier ?
« Est-ce donc chose commune, en France, de trouver des Ducs dans los burdeles ? » Le mot passe plus facilement dans sa langue natale. Il ponctue cela dans un rire. « C’est que je me demande bien, maintenant, avec combien de Duchesses et de Marquis j’ai pu partager la couche ! » Il s’en amuse et se penche vers le visage du blond. C’est à son tour de lui tourner autour, puisque l’autre semble figé.
« Duc de Bourgogne, alors ? Voilà qui est inattendu. » Inattendu, le mot est faible. Dans un mouvement il fait claquer sa cape d’or et s’éloigne, comme un chat s’amuserait d’une souris.
« Cela fait de nous des cousins, semble-t-il. Rappelle-moi donc de quelle lignée ? » Le tutoiement prend place très naturellement dans la bouche d’Isandro. Difficile de savoir si c’est là preuve d’irrespect ou en mémoire du temps passé ensemble, à discuter de tout et de rien dans les draps de ce bordel à Dijon.
juillet 1590
Mar 21 Sep - 19:46
Fantasma del pasado |
Il refusait d’admettre bêtement qu’il s’était vendu. Il avait utilisé son corps pour parvenir à ses fins. C’était une tournure de phrase qui, sans aller jusqu’à lui plaire, sonnait déjà mieux à ses oreilles. Il voulait faire taire cet idiot et faible d'Édouard qui commençait à rire. Il fallait l’ignorer, autrement, comment garder le contrôle ? Que serait-il capable de faire s’il se sentait soudainement démuni face au Prince ? Inutile d’y songer. Il ne fléchirait pas. Jamais. Il avait assez courbé l’échine, assez séduit, assez accepté bien des demandes de la part de ses clients. Maintenant qu’il était Duc, il comptait bien inverser la tendance. Quand bien même il gardait le silence, Guillaume leva le menton, fière de sa personne. Dans son regard brilla l’éclat étincelant de son ego que personne ne semblait capable de briser.
Laurent, Laurent, Laurent…
Il se souvenait donc de ce prénom. Ce n’était pas le sien, pas plus qu’Édouard. Il s’appelait Guillaume, dorénavant. Laurent était un fantôme de son passé. Une beauté froide, qui n’ouvrait la bouche qu’après avoir vu son argent. Et il ne se contentait pas de quelques pièces, mais plutôt d’une bourse pleine et acceptait les présents onéreux. C’était ainsi que Laurent avait partagé la couche du Prince a de multiples reprises, répondant à ses désirs. Laurent lui avait servi de réceptacle pour ses pulsions les plus bestiales, mais pas seulement. Il avait également dompté le Prince espagnol, à sa demande. Et lorsque leurs affaires étaient terminées, mais que l’aube n’arrivait pas encore, ils avaient pris pour habitude de discuter. Laurent lui racontait des bribes de vies qui n’étaient pas les siennes et le Prince lui parlait de l’Espagne.
Oublie Laurent, tu es Guillaume !
Le Prince lui tournait autour, s’étonnant des coutumes de la France. Le Duc se serait bien passé de son ironie et de son rire. Il n’avait pas changé, étonnamment. Cela faisait plusieurs années, pourtant le Prince était toujours le même dans sa démarche, son attitude, son aura. Est-ce que Guillaume ressemblait toujours à Laurent ? Il est vrai que de tous les personnages qu’il a joué, il est celui qui lui correspondait le plus… A un détail près : aujourd’hui, Guillaume ne parviendrait sans doute plus à quitter son corps durant un ébat, pour ne pas le vivre et l’oublier au plus vite. Cela fait des années qu’il n’a pas eu à s’abaisser à se vendre, il ne veut plus, ne peut plus...
Un peu comme Titi, le Prince le tutoyait. La différence étant qu’il n’avait jamais ne serait-ce que caresser le ménestrel, mais que le Prince, lui, connaissait chaque parcelle de son corps et inversement. Alors ce « tu » l’atteignit d’une façon bien différente. Il ne ressentait pas la même colère qu’envers son faussaire. Isandro ne lui provoquait pas simple pulsion de meurtre. Il y avait un parfum d’intimité soudainement retrouvé. C’était… dérangeant.
C’est parce que tu es Laurent.
- Qu’est-ce que tu me veux Isandro ? Lança-t-il en ignorant la petit voix dans sa tête.
A quand remontait la dernière fois qu’il avait tutoyé quelqu’un ? A quand remontait la dernière fois qu’il avait fait preuve d’autant de franchise dans ses paroles ? Ses pupilles de glace ne quittaient pas le sourire narquois de l’espagnol. Prince ou pas prince, tous les deux s’étaient dévorés au lit, à quoi bon faire mine de le vouvoyer quand le Prince lui-même lui avait demandé de gémir son prénom ? A quoi bon jouer le jeu des mondanités et autres ronds de jambes, quand parfois entre eux il n’y avait que sueur et violence ?
- Si tu es venu menacer tout ce que j’ai construit, ne crois pas que je te laisserai partir sans me battre. Laurent n’est plus, tu parles d'un fantôme. Je suis le Duc de Bourgogne dorénavant.
Laurent, Laurent, Laurent…
Il se souvenait donc de ce prénom. Ce n’était pas le sien, pas plus qu’Édouard. Il s’appelait Guillaume, dorénavant. Laurent était un fantôme de son passé. Une beauté froide, qui n’ouvrait la bouche qu’après avoir vu son argent. Et il ne se contentait pas de quelques pièces, mais plutôt d’une bourse pleine et acceptait les présents onéreux. C’était ainsi que Laurent avait partagé la couche du Prince a de multiples reprises, répondant à ses désirs. Laurent lui avait servi de réceptacle pour ses pulsions les plus bestiales, mais pas seulement. Il avait également dompté le Prince espagnol, à sa demande. Et lorsque leurs affaires étaient terminées, mais que l’aube n’arrivait pas encore, ils avaient pris pour habitude de discuter. Laurent lui racontait des bribes de vies qui n’étaient pas les siennes et le Prince lui parlait de l’Espagne.
Oublie Laurent, tu es Guillaume !
Le Prince lui tournait autour, s’étonnant des coutumes de la France. Le Duc se serait bien passé de son ironie et de son rire. Il n’avait pas changé, étonnamment. Cela faisait plusieurs années, pourtant le Prince était toujours le même dans sa démarche, son attitude, son aura. Est-ce que Guillaume ressemblait toujours à Laurent ? Il est vrai que de tous les personnages qu’il a joué, il est celui qui lui correspondait le plus… A un détail près : aujourd’hui, Guillaume ne parviendrait sans doute plus à quitter son corps durant un ébat, pour ne pas le vivre et l’oublier au plus vite. Cela fait des années qu’il n’a pas eu à s’abaisser à se vendre, il ne veut plus, ne peut plus...
Un peu comme Titi, le Prince le tutoyait. La différence étant qu’il n’avait jamais ne serait-ce que caresser le ménestrel, mais que le Prince, lui, connaissait chaque parcelle de son corps et inversement. Alors ce « tu » l’atteignit d’une façon bien différente. Il ne ressentait pas la même colère qu’envers son faussaire. Isandro ne lui provoquait pas simple pulsion de meurtre. Il y avait un parfum d’intimité soudainement retrouvé. C’était… dérangeant.
C’est parce que tu es Laurent.
- Qu’est-ce que tu me veux Isandro ? Lança-t-il en ignorant la petit voix dans sa tête.
A quand remontait la dernière fois qu’il avait tutoyé quelqu’un ? A quand remontait la dernière fois qu’il avait fait preuve d’autant de franchise dans ses paroles ? Ses pupilles de glace ne quittaient pas le sourire narquois de l’espagnol. Prince ou pas prince, tous les deux s’étaient dévorés au lit, à quoi bon faire mine de le vouvoyer quand le Prince lui-même lui avait demandé de gémir son prénom ? A quoi bon jouer le jeu des mondanités et autres ronds de jambes, quand parfois entre eux il n’y avait que sueur et violence ?
- Si tu es venu menacer tout ce que j’ai construit, ne crois pas que je te laisserai partir sans me battre. Laurent n’est plus, tu parles d'un fantôme. Je suis le Duc de Bourgogne dorénavant.
Mer 22 Sep - 0:00
En arrivant en ce lieu Isandro n’avait pas de plan préétabli ni de grandes certitudes. Il attendait de voir et maintenant qu’il a vu, il attendait d’entendre. Alors il attend et il joue. Ce n’est pas n’importe qui qu’il a en face de lui. C’est une peau de lait et des gestes qui peuvent être parfois langoureux et parfois agités. C’est un homme comme il n’en avait jamais croisé auparavant dans un bordel, à l’époque. Un homme qui semblait avoir beaucoup à dire, à faire, en perpétuel combat avec lui-même. Ses gestes faisaient, sa voix cajolait mais ses yeux… il arrivait à ses yeux de crier ce que le reste ne disait pas. Une froideur qui en aurait fait fuir plus d’un et qui fascinait le prince. Tout à sa curiosité d’alors, Isandro s'est retenu de trop creuser. Au début, il prenait ce qu’il y avait à prendre. C’est petit à petit que les langues se sont déliées et qu’il en est venu, de son côté, à ramener des présents pour son « favori ». Pendant cette période le gérant de la maison close en question a fini par comprendre qu’il était inutile de chercher à lui présenter d’autres « jouets ». Il avait trouvé son préféré.
Et aujourd’hui, chose improbable, il le retrouve. Il ne s’attendait à aucune réaction en particulier et n’est pas spécialement surpris des mots qui claquent avec froideur dans la bouche de son interlocuteur. S’il est d’un naturel optimiste, il ne l’est pas au point de croire que chacune de ses actions sera bien perçue.
Il continue d’observer l’autre homme qui se crispe toujours plus. Ce tutoiement qui s’installe le ramène plusieurs années en arrière. C’est lui qui avait réclamé, à l’époque, que Laurent cesse les formalités. Nu comme un ver il n’est plus question de titre. S’il est fusillé du regard le prince ne s’en offusque pas. Il trouve cela même sacrément amusant, comme si, à nouveau, il devait briser la coque de glace qui recouvrait l’autre homme. Ce dernier reprend la parole, agacé et sur la défense. C’est à croire qu’il cherche à se convaincre lui-même.
« N’ai-je pas le droit d’être étonné et content de te revoir, rizo ?» Ce surnom qu’il n’avait que pour lui. « Après ce jour-là, je n’aurais jamais cru… » Son séjour en Bourgogne arrivant à son terme il était retourné le voir une dernière fois et lui avait offert en ultime cadeau une broche en or comme les courtisans en portent à la Cour de Madrid. Signe de raffinement et de richesse. L’a-t-il encore ? Isandro ne demandera pas.
Il se contente de s’approcher et sa main gantée se lève au niveau du visage devant lui. Il a un soupçon d’hésitation et, avec douceur, prend une mèche de boucle blonde entre ses doigts, sans toucher sa peau, simplement ses cheveux.
« Eres tú... es una locura.(1) » Il a un temps d’arrêt, ses yeux verts rivés dans ceux qui le fixent et abaisse finalement son bras. « Pour moi, tu resteras Laurent. » Il l’affirme sans une once d’hésitation. Le français peut lui dire ce qu’il veut, cela n’y changera rien.
« Tu me connais bien mal cependant, si tu crois que je suis là pour te menacer. Je voulais… je voulais savoir si j’avais rêvé. Mais tu n’es pas un rêve. » Il lui faut un instant pour sortir de ce doux souvenir. « C’est quand même amusant ce que tu me dis. Tu n’avais rien d’un Duc, alors. Et… tu ne m’as pas répondu. N’est-ce pas Dieu par la main du Roi qui détermine quelle lignée mérite d’être bénie et de recevoir un titre ? Pourquoi parles-tu de ce que tu as « construit », cousin ? »
S’il n’est pas d’un naturel méfiant Isandro aime quand même avoir certaines informations en sa possession. Dans le cas présent il serait on ne peut plus ravi de savoir comment un futur Duc en vient à œuvrer dans une maison de passe.
(1) C’est bien toi… c’est fou.
Et aujourd’hui, chose improbable, il le retrouve. Il ne s’attendait à aucune réaction en particulier et n’est pas spécialement surpris des mots qui claquent avec froideur dans la bouche de son interlocuteur. S’il est d’un naturel optimiste, il ne l’est pas au point de croire que chacune de ses actions sera bien perçue.
Il continue d’observer l’autre homme qui se crispe toujours plus. Ce tutoiement qui s’installe le ramène plusieurs années en arrière. C’est lui qui avait réclamé, à l’époque, que Laurent cesse les formalités. Nu comme un ver il n’est plus question de titre. S’il est fusillé du regard le prince ne s’en offusque pas. Il trouve cela même sacrément amusant, comme si, à nouveau, il devait briser la coque de glace qui recouvrait l’autre homme. Ce dernier reprend la parole, agacé et sur la défense. C’est à croire qu’il cherche à se convaincre lui-même.
« N’ai-je pas le droit d’être étonné et content de te revoir, rizo ?» Ce surnom qu’il n’avait que pour lui. « Après ce jour-là, je n’aurais jamais cru… » Son séjour en Bourgogne arrivant à son terme il était retourné le voir une dernière fois et lui avait offert en ultime cadeau une broche en or comme les courtisans en portent à la Cour de Madrid. Signe de raffinement et de richesse. L’a-t-il encore ? Isandro ne demandera pas.
Il se contente de s’approcher et sa main gantée se lève au niveau du visage devant lui. Il a un soupçon d’hésitation et, avec douceur, prend une mèche de boucle blonde entre ses doigts, sans toucher sa peau, simplement ses cheveux.
« Eres tú... es una locura.(1) » Il a un temps d’arrêt, ses yeux verts rivés dans ceux qui le fixent et abaisse finalement son bras. « Pour moi, tu resteras Laurent. » Il l’affirme sans une once d’hésitation. Le français peut lui dire ce qu’il veut, cela n’y changera rien.
« Tu me connais bien mal cependant, si tu crois que je suis là pour te menacer. Je voulais… je voulais savoir si j’avais rêvé. Mais tu n’es pas un rêve. » Il lui faut un instant pour sortir de ce doux souvenir. « C’est quand même amusant ce que tu me dis. Tu n’avais rien d’un Duc, alors. Et… tu ne m’as pas répondu. N’est-ce pas Dieu par la main du Roi qui détermine quelle lignée mérite d’être bénie et de recevoir un titre ? Pourquoi parles-tu de ce que tu as « construit », cousin ? »
S’il n’est pas d’un naturel méfiant Isandro aime quand même avoir certaines informations en sa possession. Dans le cas présent il serait on ne peut plus ravi de savoir comment un futur Duc en vient à œuvrer dans une maison de passe.
juillet 1590
(1) C’est bien toi… c’est fou.