Hermance s’était très vite habituée à cet environnement bruyant. C’était une citadine dans l’âme. La quiétude de sa campagne l’ennuyait trop souvent. Elle se disait donc qu’elle allait sûrement passer plus de temps ici qu’à Bernières-d’Ailly où se trouvait son château.
Installée depuis quelques semaines à Paris, dans cette résidence secondaire, elle s’était appliquée à la décoration de son intérieur. Elle a choisi les meubles avec soin. Confort, chaleur et faste, voici les maîtres mots qui régnaient ici. Cependant tout ceci n’était rien si elle n’organisait pas une réception. Hermance fit ce qu’il fallait pour s’introduire d’elle-même dans la haute société parisienne. Elle transmit de magnifiques invitations à ses contacts pour les convier à sa nouvelle adresse. Et elle se permit de leur glisser un petit mot supplémentaire pour qu’ils viennent eux-mêmes avec de délicieuses personnes, dans le seul but de rencontrer de nouvelles personnes et donc d’étendre sa réputation ici-bas. Lorsqu’elle reçut les réponses de chacun, il était annoncé un grand nombre d’invités. Presque trop pour son appartement, ce qui amusa la baronne. Elle embaucha quelques domestiques supplémentaires pour l’événement et fit préparer le petit salon pour y dégager ceux qui l’ennuieraient, ainsi cela fera plus de place pour les autres qui seront dans la pièce principale.

Le soir venu, tout devait être impeccable. Hermance veilla à ce que les domestiques faisant le service aient toujours des vêtements propres. À la moindre tâche, il devait aller se changer immédiatement. Et évidemment elle ne tolérerait aucune erreur.
Revêtue d’une robe somptueuse, son maquillage soulignait ses joues creusées et sa mâchoire anguleuse. Du noir autour des yeux et sur les lèvres faisant ressortir sa peau pâle, elle était clairement en avance sur son temps. Et comme la d’Ailly était une excentrique, elle portait ses cheveux raides rabattus vers l’arrière et de longues boucles d’oreille pendantes. Elle agrémenta sa tenue d’autres bijoux.
Fin prête, elle attendit avec impatience et réticence ses invités. Elle espérait ne pas trop s’ennuyer ce soir. C’était bien une chose qui l’inquiétait puisqu’elle ne connaissait pas tous ses convives. Heureusement les premiers à arriver étaient des connaissances. Enfilant son caractère de circonstance, Hermance affichait un sourire amical et les invitait à se mettre à l’aise. Les femmes s’attardaient sur l’intérieur de la demeure ou sur l’apparence de leur hôte. Sujets très superficiels pour des personnes sans cervelle. Toutefois elle était bonne joueuse et leur retournait les compliments, bien qu’elle ne les pensait pas nécessairement. Quant aux hommes, ils se renseignaient sur la présence d’un Monsieur. Et Hermance s’amusait à les taquiner en leur disant que s’ils avaient des propositions, elle était prête à les entendre. Sa période de deuil était terminée (ce n’était pas comme si elle l’avait respecté au sens stricto sensu). Elle n’était pas prête d’abandonner certains plaisirs de la vie pour honorer la mémoire d’un homme qui l’emmerdait.

Pendant ce temps les domestiques travaillaient d’arrache-pied pour accueillir les invités, les mettre à l’aise, servir à boire et de quoi grignoter.

 

Il y avait des personnes de divers âges à cette réception sans qu’il n’y ait d’enfants ou de trop vieilles personnes. Ainsi Hermance pouvait se familiariser avec les nobles d’aujourd’hui et de demain. Elle allait de groupe en groupe pour saluer tous ses convives et jauger rapidement ceux qui étaient indignes de son intérêt. Celui-ci n’allait pas forcément aux personnes les mieux placées dans la hiérarchie sociale.
Abandonnant un nouveau groupe pour aller voir le prochain, elle fut cependant arrêtée en pleine course par une demoiselle aux allures d’enfant sage. Une jolie vierge effarouchée à en croire sa voix et ses manières. En effet en entendant le nom du duc, Hermance sourit aussitôt. Il avait un titre tout à fait enviable. Et ce brave homme n’avait pas daigné venir et pourtant il avait envoyé sa petite protégée. La baronne espéra qu’il lui revaudrait cela un jour.
La demoiselle entra directement dans le vif du sujet. Comme une enfant qui n’avait peur de rien. Hermance feignit un rire gêné.

— Moi, une peintre ? Comme vous y allez. Je ne fais que d’humbles gribouillages, vous savez. Je n’ai guère la prétention de vouloir exposer ou vendre mes peintures. Cependant…

La baronne vint au côté de Dahlia pour glisser son bras frêle sous le sien et ainsi l’entraîner vers un mur de la pièce sur lequel était accroché un tableau dans un beau cadre doré.

— Ceci est une peinture, j’en conviens. L’artiste a su faire ressortir l’âme de son sujet. Regardez cette expression dans ses yeux.

C’était un simple portrait de femme très en beauté et au visage rieur, bien loin des visages impassibles que l’on trouvait d’ordinaire. Hermance posa ensuite le regard sur la jeune fille et lui proposa de venir visiter son atelier. Avant de quitter la grande pièce, Hermance s’excusa auprès de ses invités de devoir s’absenter quelques minutes.
L’atelier n’était qu’une pièce de l’appartement. Elle n’avait pas la prétention de louer un local pour son simple passe-temps.
Suivant un couloir, elle ouvrit une porte qui ressemblait à toutes les autres et y fit entrer Dahlia.

— Comme vous pouvez le voir, ce n’est qu’un passe-temps. Beaucoup de mes dessins sont à ma résidence principale, j’espère pouvoir trouver quelque chose qui satisfera votre curiosité.

Des tableaux étaient recouverts d’un drap. Il s’agissait surtout d’œuvres non achevées. Elle se mit à réfléchir à voix haute de ce qu’elle pourrait lui montrer. Elle trouve alors une peinture qui avait fini de sécher et l’installa sur l’un des chevalets.

— En voici une première. C’est mon défunt mari. Paix à son âme.

Il s’agissait là que d’un portrait encore une fois. Il était occupé à lire à la terrasse d’un château. On pouvait voir un bout du jardin de la résidence en fond et un ciel parfaitement dégagé.

 

Hermance sourit. Elle ne savait faire que ça quand on lui présentait des condoléances dont elle se fichait. Elle n’était pas plus attachée au sujet qu’au tableau. Le défunt baron n’était pas facile à dépraver. Il n’y avait vraiment pas de quoi le regretter.
Cependant en entendant les compliments de la demoiselle, Hermance posa les yeux sur l’œuvre. Elle cherchait où Dahlia y voyait une quelconque technique. La baronne n’avait pas eu le luxe de grandir avec des instituteurs. Elle était même prête à parier qu’elle faisait certaines choses pas comme il le fallait, bien que le résultat soit le même. Tout ce que Dahlia voyait était le résultat d’exercices divers. Hermance avait une ingénuité naturelle qui lui permettait de voir des utilités diverses à ses instruments, là où d’autres se contenteraient de ce qui était fait traditionnellement.
Elle finit par éclater d’un rire clair en entendant la dernière remarque de la jeune artiste.

— Je me ferai un plaisir de rencontrer ces personnes !

Abandonnant la peinture de son dernier mari, Hermance s’approcha d’une toile recouverte. Elle en souleva un pan pour vérifier de ce qu’il s’agissait. Puis elle retira le drap pour montrer une toile inachevée. Certains peintres détestaient montrer leurs œuvres en cours, hors elle n’était pas du tout dérangée. Le tableau montrait un paysage de campagne. Sur le côté se tenait un imposant chêne. Une zone était encore blanche, car c’était là où se tenait son modèle.

— Je l’ai emmené avec moi par erreur en aménageant cette résidence secondaire. Je dois le ramener pour pouvoir le finir. Je ne trouverai pas un décor pareil par-ici. Et puis mon modèle… ne pourrait pas me rejoindre ici.

Il n’avait pas les moyens de venir ici. Ce n’était qu’un domestique de sa maison après tout. Et puis il ne servirait à rien s’il venait. Et s’il y avait bien une chose que Hermance détestait, c’était les gens inutiles.

— Que puis-je vous montrer ? Hum… Si vous avez un peu d’ouverture d’esprit, je peux vous montrer ceci.

Elle se dirigea vers une autre toile recouverte dont elle attrapa le tissu blanc. Avec un petit sourire joueur, elle le souleva et observa la réaction de Dahlia avec attention. Hermance n’avait guère besoin de vérifier ce qui était peint sur cette toile. Il s’agissait d’un lit dont il n’y avait que peu de détails. Tout l’accent avait été mis sur le corps de cette femme allongée lascivement. Cette peinture était certainement la moins vulgaire du genre car un drap caché l’intimité de la dame. Et si Dahlia avait déjà fréquenté certaines réceptions de la haute société, il se pourrait qu’elle reconnaisse cette vicomtesse. Hermance était une diablesse à dévoiler ce petit secret à une parfaite inconnue. Il lui plaisait de ne pas tenir ses promesses et de montrer à qui voulait le voir que ses modèles étaient plus ou moins connus et finissaient toujours par retirer leurs atours.

— Peut-être êtes-vous trop jeune pour apprécier cette forme d’art ? C’est ma préférée.

 

Hermance n’avait jamais réfléchi à ce que ses peintures pouvaient dire d’elle. À vrai dire elle ne croyait pas une seule seconde que le fait de peindre des gens nus puissent signifier grand chose. D’aucuns penseraient qu’elle aime les gens, alors qu’il n’en était rien. Son passe-temps n’était-il donc qu’un leurre supplémentaire ?

À défaut de critiquer l’âge de Dahlia, Hermance remettait surtout en question sa chasteté. Les gens de bonne famille n’aimaient pas ce qui s’apparentait au nu. Leur propre corps ou celui des autres. Il y avait cette sorte de retenue, de décence. Les « enfants » étaient d’ailleurs les plus prudes. Et Dahlia sentait la pureté à plein nez.
Pour tout avouer, il s’agissait là d’un des petits péchés mignons de Hermance. Elle aimait détruite cette décence chez les demoiselles. Ce fut la raison pour laquelle elle sourit en entendant la petite voix de la demoiselle. Hermance déposa la toile au sol en songeant qu’elle devrait l’accrocher au mur un de ces jours. Puis elle se dirigea vers d’autres tableaux. En choisissant un, elle le présenta à Dahlia. Cette fois-ci il n’était plus question d’un sujet mais de deux : des hommes entremêlés passionnément. Pas de scène de sexe, mais plutôt des préliminaires. L’un était tendu, le visage déformé par le plaisir, tandis que l’autre mordillait sa mâchoire et caressait certaines zones du corps de son partenaire.
Hermance se souvenait de la difficulté qu’elle avait eu à réunir les deux protagonistes et du plaisir qu’elle avait ressenti en les peignant. Ils avaient dû disposer des coussins au sol pour qu’ils s’y allongent. Ainsi la baronne avait une vue parfaite du dessus. Elle taira que ce tableau a pris plusieurs mois pour être achevé car les deux hommes tout comme elle finissaient par être trop excités pour continuer le travail. Il fallait donc faire quelques pauses récréatives…

— Ce n’est pas mon préféré, mais presque. J'aime ce regard qui défie toute décence.

Elle se mordit le coin inférieur droit de la lèvre en pensant à voix haute.

— Je pense l’accrocher dans ma chambre. Il ferait son petit effet.

Reportant finalement son attention sur Dahlia, elle observa sa réaction face à cette relation que l’Église interdisait avec tant de force. De son côté, Hermance s’employait avec la même ardeur à encourager les relations entre individus du même sexe. Après tout ce qui se passait dans la chambre à coucher ne regardait que les personnes qui s’y trouvaient. Dieu ? Était-il nécessaire de préciser que Hermance l’avait renié depuis longtemps ?

 

Un sourire avait fleuri sur le visage de Hermance à la vue des rougeurs de la demoiselle. Il s’agrandit en voyant son regard aller et venir comme s’il cherchait un endroit où se poser. C’était mignon comme tout ! Quelle enfant délicieuse ! Hermance aurait presque envie d’en faire son dîner.
Un petit rire s’envola avec cet essai d’humour. Dahlia tentait de garder la face. Et dire que Hermance prenait du plaisir à la torturer si allègrement de cette manière. Reposant le tableau avec précaution, la baronne ajouta :

— Ne craignez rien, ma chère. Nous sommes entre nous. Il n’y a ni honte, ni regard indiscret ici. C’est ce que je dis toujours à mes modèles.

Hermance fit face à la demoiselle, son regard la détailla plus en détail. Elle ne semblait pas avoir des formes surdéveloppées. Enfin les corsets avaient tendance à cacher ce genre de choses. Il ne lui semblait pas avoir déjà peint une demoiselle dans le genre de Dahlia : frêle, fragile en apparence. Une jeune fille chaste et sage. Il y avait bien des idées à exploiter. Portant sa main droite à son visage, Hermance réfléchissait en se frottant le menton. La question de Dahlia la tira pourtant de ses observations.

— Oh ! Eh bien… Cinq mois, il me semble. Ils n’étaient pas disponibles tous les jours. Et j’ai dû recommencer à plusieurs reprises à cause d’erreur ou bien parce que je changeais mon approche. C’était si compliqué.

Sans parler des autres péripéties rencontrées bien sûr. Peut-être les lui partagera-t-elle un jour… Si elles sont assez proches. Innocente, Hermance s’occupa de recouvrir quelques toiles en abordant un sujet.

— Je vois que vous n’êtes pas mariés. Pour une jeune fille de bonne famille, c’est surprenant. J’imagine la difficulté d’aborder ce genre de peinture. Vous ne devez pas avoir connu d’étreinte charnelle. Mais à votre âge, j’aurais pensé que vous aviez déjà exploré un peu votre corps.

Sa voix était légère. Amusée sans être moqueuse. Particulièrement insidieuse. Terminant sa tâche, son regard perçant aux couleurs ambrées se posa sur Dahlia. Joueur, il observa à nouveau la jeune fille. C’était comme se trouver devant une friandise prête à être déballée. Hermance était curieuse et avide de connaître ce qu’une demoiselle comme elle pouvait cacher. Habituellement elle ne s’intéressait pas aux vierges, mais Dahlia avait su éveiller son attention. Et elle ne s’en rendait probablement pas compte. Pauvre enfant !

 

Hermance avait été divertie pour la soirée avec cette petite demoiselle. Plus encore ! Elle aurait presque envie de la considérer parmi ses amis pour ainsi la revoir en d’autres circonstances. Vraiment ravie d’apprendre ce genre de petit secret « honteux », la baronne n’en tint pas rigueur à la jeune peintre de la fuir aussi sec.
Restée seule, la dame remit en ordre tout ce qu’elle avait sorti avant de quitter son atelier pour retourner à sa réception. Bien que tous lui parurent bien fade après tel divertissement, elle ne laissa rien paraître. Ne voyant pas Dahlia, Hermance s’inquiéta de la savoir partie. Toutefois une de ses domestiques lui affirma que personne n’avait quitté l’appartement. Elles allaient donc se revoir, au moins pour les adieux. La baronne ne pouvait s’empêcher de sourire comme si une bonne chose lui était arrivée. Au fond c’était le cas. Elle n’avait pas ressenti un tel intérêt pour quelqu’un depuis un petit moment à présent. Elle espérait tant que la demoiselle ne la fuit pas. L’idée si simple de prendre le thé ensemble lui paraissait être une perspective fantastique. Hermance ne s’intéressait pas aux arts des autres, mais elle était prête à faire cet effort pour Dahlia. Pour lui rendre la pareille en quelque sorte.

Bon nombre de discussions sont menées. En tant qu’hôte, et surtout femme à avoir dans ses amis, Hermance ne cessait d’être demandée. Elle n’avait plus une minute à elle. Tout le monde voulait de sa précieuse attention. Et lorsqu’ils ne pouvaient l’avoir, ils se rabattaient sur des jeux. Il y avait de quoi amuser tout le monde. La boisson coulait à flot. Que ce soit de l’alcool ou non. La d’Ailly savait recevoir quoiqu’on en dise. Même si tout le monde avait dîné chez soi avant de venir, il y avait de quoi grignoter.

Lorsqu’elle put se retrouver seule quelques instants, Hermance s’isola dans un coin de la pièce. Elle avait besoin de souffler. Cela lui demandait de gros efforts de jouer sur les apparences, de prendre sur elle en faisant semblant de les apprécier alors qu’il ne valait pas mieux que du bétail.
Elle faisait tourner sa coupe de champagne dans sa main. Son regard s’assombrit, perdu dans le lointain. Il devint acéré comme celui d’un prédateur agacé par ce qui se jouait devant lui. Il y avait des jours comme ça où elle tenait moins bien son masque. Elle avait alors besoin d’un instant de tranquillité pour se ressaisir.

 

Hermance eut de quoi être surprise de voir reparaître Dahlia devant ses yeux. Elle avait cru que la jolie blonde passerait son temps à ses cacher parmi les autres invités à défaut de s’enfuir de la tanière du prédateur.
L’hôte des lieux remit rapidement son masque de circonstance. Et ce fut tout sourire qu’elle accueillit les excuses. En réalité ce serait à Hermance de s’excuser. Comme il était de bon ton, elle lui rendit donc la politesse.

— Ne vous excusez, ma chère. J’ai été trop indiscrète comme à mon habitude.

Un rire clair la secoua brièvement.

— Pardonnez-moi d’avoir été si mauvaise hôte en vous mettant mal à l’aise. J’espère que votre gêne vous est passé. Si vous voulez un peu de repos, je peux vous conduire à mon salon privé. Vous pourrez y être en toute tranquillité.

Il n’était pas question que Hermance y reste à ses côtés évidemment. Elle se contenterait de lui offrir l’espace dont elle pourrait avoir besoin.

L’annonce de son installation future arracha un sourire à la baronne. Si le retour de Dahlia l’avait surprise, la proposition qui suivit n’était rien à côté. Hermance faillit en lâcher son verre. Pour une fois son visage même exprima ses véritables sentiments. Ses yeux ronds scrutèrent la demoiselle, comprenant qu’il ne s’agissait pas là de simple politesse.

— J’en serai ravie ! s’exclama-t-elle en joignant ses mains autour du pied de son verre. Promis, je saurai me tenir.

Elle n’était pas sûre que cette plaisanterie serait bien accueillie, mais elle s’en fichait. Elle n’allait pas se changer pour la sensibilité de son interlocutrice.

— Je vais vous confier un secret : j’aime taquiner. Et en vous voyant réagir de manière aussi innocente, l’occasion était trop belle. Mais je comprends que je sois allée trop loin avec… certaines de mes questions. Dites-vous que le pire est passé, je ne risque pas de vous redemander ça.

Elle rit à nouveau et changea de sujet en lui proposant de rejoindre l’un des groupes pour s’adonner à l’un des jeux. Hermance avala le restant du contenu de son verre et le déposa sur un guéridon tout près. Puis elle prit le bras de Dahlia pour le glisser au sien, comme le ferait un homme, et l’emmena avec elle d’un pas tranquille pour lui montrer les divertissements en cours. Hermance se permettait de les commenter ou de demander à Dahlia si elle en connaissait les règles.

 

Hermance ne se doutait pas de l’âge réel de la demoiselle. Et à vrai dire il y avait de fortes chances pour que si elle connaissait sa nature, elle ne veuille plus de Dahlia chez elle et dans sa vie. La baronne avait une hantise et une amertume sévères à l’idée d’être à nouveau mêlée à cet univers.
Loin de tout cela pour le moment, la baronne ne fut pas étonnée par l’ignorance de l’artiste. Elle lui sourit.

— Eh bien, il n’est jamais trop tard de vous y mettre. Je pense que ce serait une bonne chose de vous y forcer un peu. Soyons honnêtes, ce sont ces gens qui achèteront vos toiles. Si vous ne vous intégrez pas à eux, vous aurez quelques difficultés à réussir.

Puis elle se pencha à l’oreille de Dahlia pour lui souffler.

— Il ne suffit que d’un mot de la part de l’un deux pour que vous deveniez l’artiste le plus en vogue.

Reprenant à voix haute, elle s’amusa en évoquant des noms célèbres.

— Peut-être deviendrez-vous la future Botticini ou la de Vinci de notre temps.

La comparaison l’amusait. Et elle ne pouvait que lui souhaiter d’être célèbre. Après tout ni l’une, ni l’autre ne se faisait de l’ombre.
S’intéressant enfin à ce qui se jouait ici, Hermance prit le temps d’expliquer les règles à Dahlia. Et ainsi elle put l’entraîner dans ces divertissements. La soirée se passa sans que rien de notable ne se produise. La baronne s’amusa beaucoup au côté de sa nouvelle amie et elle la retint le plus tardivement possible. Cependant il y eut bien une heure où la demoiselle semblait très fatiguée. Hermance la laissa s’en aller sans regret. Et une certaine forme d’impatience naquit, se demandant ce que cette petite colombe allait devenir au contact de cette noblesse.