Lorsqu’il avait reçu l’invitation de la part de Dahlia, Emmanuel n’en avait pas cru ses yeux. Mais il s’était souvenu que Dahlia lui avait promis une invitation. A lui qui n’était plus rien, elle offrait une considération certaine.

D’abord hésitant, l’infant se souvient de sa promesse à lui. Enfin, il n’avait rien scellé de définitif, mais son cœur rata un battement lorsqu’il songea simplement à l’idée de ne pas se rendre sur place. Ce n’aurait pas été correct.

Alors, lorsqu’il eut terminé de sonner les cloches pour la messe de midi, Emmanuel fit savoir aux évangélistes qu’il sortait et reviendrait sous peu. Sa routine était complétement mise sans dessus dessous, puisqu’en général, il profitait de la journée pour dormir, ne se réveillant que pour officier comme sonneur avant de retourner auprès de Morphée – enfin, d’essayer.

Quelques sous en poche, Emmanuel eut la pensée de se dire qu’il ne pouvait arriver sans rien chez Dahlia. Alors, il fit un détour par les boutiques marchandes et fini par trouver son bonheur en un ruban pour cheveux dont la couleur lui charma l’œil.

Une fois les pièces échangées contre le morceau de tissu, Emmanuel reprit la direction de l’atelier de Dahlia, indiquée sur l’invitation qu’il tenait dans son autre main. Déjà, il sentait le regard étrange des badauds qui considéraient cet homme d’apparence bien pauvre mais sachant lire. Quelle étrangeté.

Emmanuel pressa le pas et atterri à l’endroit souhaité. Essayant d’avoir une apparence un minimum correcte, il tâcha de faire en sorte que ses cheveux –au moins eux – n’aient pas l’air de fétu de paille. Puis, il pénétra dans l’atelier et se racla la gorge. « Erm… Bonjour ? Dahlia ? Vous êtes là ? »

Visiblement, il était le premier arrivé.

Elle avait attendu cette invitation avec une impatience à peine perceptible sous son atour d’indifférence. Zuicher prit bien attention à assortir sa toilette du jour en optant pour une robe dans les tons écrus et un manteau sombre pour trancher avec la palette concernée.

N’oubliant pas le cadeau qu’elle avait préparé spécialement pour Dahlia – un chapeau à la mode, paré des mêmes couleurs que le bracelet et la petite pierre qu’elle avait donné à la jeune femme la dernière fois qu’elles s’étaient vu -, Zuicher prit soin de prévenir Rheyna de son absence et vérifia au moins trois fois que Johanna dormait d’un sommeil lourd avant de sortir de son atelier et de se diriger vers celui de Dahlia.
Le trajet fut court mais agréable. Le zénith étant passé, elle ne risquait plus rien.

Parvenu jusqu’à l’atelier, Zuicher ne s’arrêta pas sur les premiers visiteurs mais chercha immédiatement la silhouette de Dahlia. Lorsque ses yeux la trouvèrent, un sourire étira ses lèvres alors qu’elle se dirigeait vers la jeune artiste. « Ma chère Dahlia, merci pour cette invitation. Je me suis permise de vous apporter un petit quelque chose qui, je l’espère, saura vous plaire. »

Le sourire de Dahlia eut le mérite d’être au moins un peu communicatif puisque les lèvres d’Emmanuel s’ourlèrent en un fin sourire, chose rare, que beaucoup ne lui connaissaient même plus depuis des années. Ravi d’être présent – plus qu’il ne l’aurait imaginé, comme quoi rompre sa routine ne faisait de mal à personne, incroyable -, il alla pour répondre à la jeune femme – et lui offrir son ruban, par la même occasion mais il fut… interrompu comme une lame tombant sur sa nuque par une femme, plus petite mais avec un charisme détonnant.

Tellement détonnant qu’Emmanuel déglutit et fit un pas en arrière, rangeant le ruban dans l’une des poches de son pantalon. Avec un si beau chapeau, elle n’en aurait pas besoin, après tout. Et comment espérait-il lutter face à ce genre d’attention ? Oh, bien sûr, s’il n’avait pas abandonné ses terres et ses titres… Mais non, Emmanuel ne voulut pas y songer une seule seconde. C’était trop lui demander.

Il se détourna de la scénette qui lui appartenait encore il n’y a pas si longtemps et parti observer les tableaux exposés.

Ne voulait pas déranger.

Zuicher fut ravie de voir la mine radieuse de la demoiselle, espérant que le chapeau lui plairait. Elle pouvait se le permettre après tout, c’était elle qui les fabriquait maintenant. Zuicher ne se souvenait même plus de comment elle avait appris le métier mais c’était celui qui lui était resté le plus entre les mains en sept cent ans d’existence – presque – alors bon, mieux valait faire de son mieux pour le conserver.

« C’est donc vous qui avez peint toutes ces toiles ? Accepteriez-vous de me faire faire le tour de la galerie ? Que je puisse profiter un peu de votre présence, si cela ne vous pétri pas d’inconvénients, bien sûr. » Zuicher appréciait la présence de la demoiselle avec une réelle sincérité.

Elle n’avait même pas fait attention au jeune homme qu’elle avait éclipsé et se contentait maintenant de suivre sa propre attirance pour l’art sous toutes ses formes. Peut-être même repartirait-elle avec une toile ou deux, si certaines étaient à vendre.

Reclus dans son coin de la galerie, bien que son égo ait bel et bien été froissé – il ne le reconnaitrait cependant pas de lui-même, toutefois – Emmanuel ne pouvait dire qu’observer les peintures des paysages et des créations de sa consœur infant ne lui faisait pas de bien.

Au moins, cela avait le mérite d’être bien différent de l’entretien des cloches de Notre-Dame et de lui faire ressentir aussi des sentiments de nostalgie qu’il n’avait plus ressenti depuis fort longtemps. Serait-ce un champ de lavande qu’il voyait là ? Près de chez sa tante, dans le Sud, il y avait des tas de champs de cette sorte, alors il ne pu s’empêcher de faire un court parallèle entre son vécu et la toile.

Cependant, son observation fut brièvement interrompu par l’arrivée inopinée d’un chat dans ses jambes. Oh, tiens, il le reconnaissait. Quel était son nom, déjà ? Attila ? Mona-Lisa ? Prit d’un doute, le sonneur prit cependant le chat avec une certaine délicatesse et l’amena à hauteur de son visage. « Eh bien alors, toi. Tu sens l’odeur du métal des cloches ? »

Peut-être avait-il découvert une vocation féline. L’idée était bien improbable mais le fit rire tout de même.

Ravie d’avoir l’attention de la jeune femme, Zuicher ne perdit pas de temps pour s’imposer avec son charisme et sa présence dont beaucoup ne devinerait même pas l’existence tant elle prend soin de dissimuler cette partie d’elle. Ceci étant dit, un sujet bien neuf s’amarra à la conversation en cours et eut le mérite de faire sourire Zuicher, qui souffla par le nez d’attendrissement devant la minuscule boule de poils que Dahlia tenait dans ses mains.

« Voilà qui est bien commande. » dit-elle, venant prendre son menton entre deux doigts de sa main gauche. « Je ne sais pas si je vous l’avais déjà dit, Dahlia, mais j’héberge une jeune femme actuellement et je pense qu’un petit chat pourrait lui permettre de repartir du bon pied dans la vie. Après tout, ces petites bêtes cachent bien des ressources utiles à la vie avec les hommes. » D’un geste fluide, tendre et sans animosité, la vampire vint caresser le bout de la tête du chaton. « Il est adorable. Quel âge a-t-il ? A-t-il déjà un nom ? »

Dans l’idéal, elle réfléchirait à en prendre un elle-même où à amener Johanna ici si cela s’avérait être possible pour l’artiste. « J’ai moi-même eut un chat, il y a quelques années… » Geri lui manquait toujours autant. Et en plus ce chaton lui ressemblait. Comme quoi, le destin, parfois, joue bien des tours auxquels on ne s’attend pas.

Zuicher ne put retourner un ourlet à ses lèvres alors que le chaton faisait mine de presque d’endormir sous les caresses reçues. Adorable. Son compagnon à poil n’était pas de cette couleur mais il avait au moins autant de poils, ce qui lui rappelait des moments passés à devoir enlever tous les poils de sa garde-robe, un par un, lorsqu’il le fallait. Heureusement qu’elle avait la précision dans chacun de ses mouvements pour faire ce genre de chose vite et bien.

Elle remarqua immédiatement les rougeurs sur les joues de la jeune Dahlia et fit le lien avec l’homme qu’elle semblait regardée plus avant. Oh, tiens, elle ne l’avait même pas remarqué en arrivant. Il devait être particulièrement discret… Ou sans aucune présence, c’était tout à fait possible aussi.

Secouant un peu la tête, elle se remit sur le sujet qui l’intéressait le plus avec l’art, les chats. « Je vais y réfléchir. Puis-je passer, disons, dans un petit mois, une fois que j’aurais pris le temps de me faire à l’idée, pour peser le pour et le contre ? » En réalité elle était déjà sur le point de céder, mais elle n’était pas à un mois près. « Mon chat s’appelait Geri. C’était un norvégien encore plus poilu que celui-ci. Mais il savait être là pour moi quand nul n’en avait la compétence. »

C’était propre aux bêtes, ça. Zuicher ne savait mieux que personne, sans doute.

Le chaton remit sur ses pattes, il parti jouer avec ses frères et sœurs, sous l’œil presque attendri de Zuicher. Le sujet de la conversation changea de nouveau et cette fois, la vampire ne pu que sentir une fierté – mal placée mais présente tout de même – gonfler dans sa poitrine. « Exactement, c’était d’elle dont j’ai déjà fait mention la dernière fois. Voyez-vous, elle… N’aime pas sa propre existence, aussi j’aimerai lui montrer combien elle est belle et combien sa beauté n’a en rien été altérée par quoi que ce soit. Je sais qu’elle l’était déjà avant tous les bouleversements qui on eu lieu dans sa vie. Et puis… J’avoue également que j’aimerai lui donner l’opportunité de conserver quelques souvenirs heureux de cette époque, pour les années à venir. »

A la fois nébuleuse dans ses propos et claire dans son approche, Zuicher espérait que Dahlia ne lui ferait pas faux-bond dans cette collaboration – qui, avouons-le, était clairement intéressée, même si elle ne l’avait jamais nié. Toutefois, elle aurait bien besoin de l’entière attention de la jeune artiste, si une telle chose se mettait en branle. Aussi, malicieuse, Zuicher se laissa aller à un peu de titillage dont elle avait le secret. « Si vous souhaitez aller échanger quelques mots avec cet homme, voir régler vos affaires de cœurs avant que nous en discutions, c’est tout à fait envisageable, Dahlia. Ne vous en faites pas pour moi, je peux attendre que vous ayez fini. »

Un sourire entendu et le tour était presque joué. Après tout, elle avait d’autres tableaux à regarder, en attendant. Héhé.

Il admettait volontiers que la présence de ce chat lui avait permis de mettre de côté son orgueil blessé par la flamboyante présence de cette dame qi l’avait évincé de son échange avec la demoiselle di Croissanti. Pourtant, Emmanuel fut sincèrement ravi de constater le retour de la susnommée auprès de lui. Il n’allait pas rester très longtemps de toute manière, il ne voulait pas causer d’ennuis par sa simple présence. Mais bavarder un peu avec la jeune Dahlia lui apportait un peu de baume au cœur.

« Rassurez-vous, Mozarella ne m’a absolument pas dérangé, bien au contraire. » dit-il en reposant le félin sur le sol pour mieux se redresser par la suite. Nerveux, Emmanuel détourna le regard et vint se masser la nuque. « Et donc… Où trouvez-vous votre inspiration, pour vos tableaux paysagers ? Vous avez l’opportunité de beaucoup voyager ? Ou est-ce simplement votre instinct artistique qui vous permet des prodiges tels ? »

Emmanuel n’exagérait pas. Lui aussi, fut un temps, avait tenu un pinceau – sa tante Juliette avait tenu à ce qu’il sache peindre un peu pour parfaire sa noble éducation de l’époque. Il n’avait simplement pas poursuivi l’exercice. En réalité, cela ne lui manquait pas.

Quelle délicieuse enfant. Zuicher adorait titiller les points sensibles de toute jeune dame de cette époque, c’était plaisant, grisant même. Elle qui n’avait depuis longtemps plus de raison de rester en vie si ce n’est les reliques de son clans – elle incluse – retrouvait une certaine forme de gaîté auprès de Johanna, mais aussi auprès de Dahlia.

Elle ne manquerait pas de prendre au sérieux l’acceptation de la jeune femme au sujet de son « modèle » à peindre. Bon, maintenant, il allait simplement falloir qu’elle trouve une excuse pour justifier le fait que ladite modèle ne puisse être présente que de nuit.

Ah, qu’il était compliqué d’élaborer des stratégies de ce genre au pied levé… Bon, dans le pire des cas, Zuicher irait faire l’emplette de quelques infusions du zénith pour les donner à sa protégée. C’était prendre le risque qu’Emmery l’apprenne et ne tente quelque chose mais… Dans le pire des cas, la Torsdag assurerait sa protection elle-même s’il le fallait. Elle l’avait déjà fait une fois après tout.

Trop d’imagination… Mais comment un instructeur pouvait-il reprocher ce genre de chose ? A une personne dont la fibre artistique s’exprimait si bien, en plus de cela ? Cela dépassait l’entendement d’Emmanuel. Mais il ne voulait pas essayer de démêler l’indémêlable. Il secoua la tête et écouta attentivement Dahlia.

Mais d’un seul coup d’un seul, la demoiselle se fit presque… solennelle. L’infant concentra alors toute son attention sur sa comparse tandis qu’elle formulait ses propos et ne su vraiment quoi lui répondre immédiatement. « Euh… Eh bien, je… »

Il était un peu tiraillé par son éducation nobiliaire qui lui avait toujours inculqué de vouvoyer comme signe de respect. Il n’y avait bien qu’avec Nao, son père, Allister ou Lizbeth qu’il s’était permis de passer au tutoiement, plus par la force des choses que par réelle volonté, d’ailleurs.

« Mon ancienne éducation m’aurait interdit de franchir cette limite mais… J’imagine que je n’ai plus à en faire cas, désormais. » Il passa une main dans sa chevelure. « Je ne saurais garantir un résultat immédiat mais… Je ferais de mon mieux, Dahlia. »

Un sourire. Et la promesse était ainsi scellée. Car Emmanuel aimait à tenir ses promesses. Surtout auprès des gens qu’il aimait le plus au monde.

En y réfléchissant bien, Emmanuel se dit qu’il pouvait bien se faire un peu violence pour convenir aux exigences de la jeune dame qui lui faisait face – enfin, jeune dans un sens lycanthrope, bien sûr. Pas qu’il ait voulu lui manquer de respect ou autre mais… Bon, le voici qui s’embrouillait dans se sempiternelles auto-flagellations mentales n’ayant guère lieu d’être en ce temps et ce lieu.

Alors, doucement, Emmanuel, un instant redevenu Mezariel sans bien le sentir lui-même, retourna se saisir du ruban qu’il avait caché dans la poche de son pantalon et vint le placer, sans doute un peu trop hors du cadre des convenances, sur la chevelure de sa consœur infant. Puis, il assorti le tout d’un sourire. « D’accord, Dahlia, je promets de ne plus te vouvoyer, désormais. »

Quelque part, il se sentait presque… accompli. Il était cependant grand temps pour lui de partir, l’endroit était coquet mais accueillir trop de monde ne serait pas aisé, autant laissé sa place à un autre amateur d’art. « Je dois m’en retourner, mais je te retrouverai avec plaisir pour nos déjeuner, saches-le. » Dit-il en la gratifiant d’un baisemain.

Enfin, sorti de cet atelier aux ravissantes couleurs, Emmanuel avait l’impression que son cœur dansait dans sa poitrine.
C’était sans doute son imagination.

Il était temps pour Zuicher de s’en retourner à ses affaires, maintenant qu’elle avait eu ce qu’elle voulait et plus encore. Titiller une jeune demoiselle de la sorte était distrayant quelques instants, mais la vieille vampire savait qu’elle devait se donner constance et ne pas oublier ce qui importait.

Bien, elle avait trouvé où adopter un chat, avait obtenu l’acceptation de Dahlia pour peindre Johanna et s’était offert un peu moment de galéjades. La récréation s’était suffisamment étendue comme cela et ses responsabilités n’attendaient plus qu’une chose : remettre leurs griffes sur elle. Chose que Zuicher n’aurait jamais refusé.

Profitant que l’artiste du jour soit occupé avec un jeune homme – Zuicher ne démordrait pas que c’était là une romance discrète -, la suédoise s’éclipsa en lui offrant un signe protecteur de la main.

Cette petite irait loin, elle pouvait le pressentir.