Mer 16 Juin - 15:31
La fête du Printemps s’est terminée dans un grand éclat. Le ciel s’est déchiré, des litres d’eau ont été versés. Aimable, par réflexe, protège Béatrice de sa veste et les deux se sont élancés. Le Chevalier, sous la maladresse, a peut-être chuté dans la terre meuble – ce qui ne l’a pas empêche de se relever dans un rire bref. Un rire rauque, un rire rare. Le soulagement d’avoir vu Béatrice et Constantin en vie. Il avait eu peur pour eux.
Pour elle, c’était l’Ouroboros qui l’avait inquiété. Pour lui, c’était le courrier qu’il lui avait envoyé.
Et aujourd’hui, il vient le retrouver.
Il a des réponses à demander. S’assurer qu’il s’agit bien de lui, qu’il va bien, que tout va bien pour lui. Il était allé jusqu’à Evreux pour le sauver – il n’a rien trouvé. Rien, si ce n’eut été des lieux désolés. La peur au ventre, une angoisse sourde dans les veines, il l’avait cherché jusqu’à recevoir son deuxième courrier. Jusqu’à ses mots le soulagent de toutes ses peines : seul Dieu l’a vu pleurer, agenouillé devant l’autel, à le remercier pour cette lettre qu’il garde encore. Qu’il relit, lorsqu’il est pris de doutes.
Il l’a pourtant aperçu, à la fête du Printemps. Il regrette de ne pas être allé jusqu’à lui, ne serait-ce que pour échanger quelques mots. Un soupir s’arrache de ses lèvres.
Ses pas l’ont finalement mené jusqu’à cette bâtisse. L’impasse Saint Martin. Ce soir, l’air est humide. Il sent ce poids sur ses épaules. Celui de ses vêtements alourdi d’eau, d’une nervosité qu’il ne parvient à expliquer, d’une tension dans son corps et logée au sein de sa gorge. Son poing se referme et s’abat sur la porte, à 3 reprises – au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Il tend ensuite l’oreille.
Va-t-il entendre son pas ? Un son précipité, un bruit de course, ou seulement le silence ?
Quelques secondes semblent être des heures. La nervosité croisse, son cœur s’accélère, il est aux aguets. Il ravale sa salive, adressant une œillade dans son dos. Il croit avoir aperçu un mouvement – à moins que ce ne soit simplement l’Ouroboros qui rôde, dans l’ombre de son esprit. Inquiet, il se redresse dignement et patiente, croisant les bras dans son dos. Les yeux mi clos, il les referme lorsqu’un crachin brumeux s’abat sur son crâne.
L’eau imprègne ses cheveux, se faufile dans les marques de son visage, longe les traits abruptes. Il sent une goutte s’évader le long de son grand nez maintes fois cassé, une autre s’échapper de son œil, se loger dans une cerne, il la dégage d’un mouvement de main. Un soupir franchit ses lèvres. Il espère que Constantin se trouve là. Qu’il pourra le prendre dans ses bras. Cette pensée le fait rougir ; peut-on entretenir une telle tendresse pour un homme de foi ? Il est comme un frère. Comme un ami et plus encore. Ce n’est pas un amour comparable à ceux qu’il a pu connaître. C’est un sentiment différent. D’une pureté étrange, d’une clarté inhabituelle pour son cœur habitué à l’obscurité.
Les mains dans le dos, il pense au contenu de son premier courrier. Cette lettre où il parlait d’Evreux. Des dangers qu’il y avait rencontrés. Il avait eu peur pour sa vie. Au point d’en rédiger un testament. Que s’était-il passé là bas ? A cette pensée, ses sourcils viennent à se froncer. Les gouttes d’eau s’engouffrent dans les rides qui se creusent, il les ignore. L’a-t-on menacé ? Y penser lui arrache un grondement rauque. Depuis la réception de ce courrier, il a ressenti le besoin de le protéger. Un besoin viscéral. Celui de veiller sur lui et d’affronter tout ce qui le menacerait – morts, loups, hommes ou autres. Aucun démon ne saura le faire reculer.
Mais il n’a rien vu. Il ne sait pas. Il ne sait rien. Le silence et l’inconscience le plongent dans un état d’inquiétudes qu’il ne sait pas encore gérer. Il faut dire que sa récente promotion l’a quelque peu désarçonné. Et savoir que l’on s’attaque aux piliers de son humanité…
Aimable ressort songeusement le courrier que Constantin lui a envoyé. Ses yeux parcourent ses mots. Cherchent inlassablement des réponses ou des indices. Et soudain, un nom attire son attention. Béatrice. Béatrice. Un nom familier. Qu’il a déjà entendu. Où, déjà ? Il n’a pas le temps de réfléchir davantage. Un mouvement attire son regard.
Et la réponse s’impose. Elle se tient, devant ses yeux.
_... Béatrice ?...
Pour elle, c’était l’Ouroboros qui l’avait inquiété. Pour lui, c’était le courrier qu’il lui avait envoyé.
Et aujourd’hui, il vient le retrouver.
Il a des réponses à demander. S’assurer qu’il s’agit bien de lui, qu’il va bien, que tout va bien pour lui. Il était allé jusqu’à Evreux pour le sauver – il n’a rien trouvé. Rien, si ce n’eut été des lieux désolés. La peur au ventre, une angoisse sourde dans les veines, il l’avait cherché jusqu’à recevoir son deuxième courrier. Jusqu’à ses mots le soulagent de toutes ses peines : seul Dieu l’a vu pleurer, agenouillé devant l’autel, à le remercier pour cette lettre qu’il garde encore. Qu’il relit, lorsqu’il est pris de doutes.
Il l’a pourtant aperçu, à la fête du Printemps. Il regrette de ne pas être allé jusqu’à lui, ne serait-ce que pour échanger quelques mots. Un soupir s’arrache de ses lèvres.
Ses pas l’ont finalement mené jusqu’à cette bâtisse. L’impasse Saint Martin. Ce soir, l’air est humide. Il sent ce poids sur ses épaules. Celui de ses vêtements alourdi d’eau, d’une nervosité qu’il ne parvient à expliquer, d’une tension dans son corps et logée au sein de sa gorge. Son poing se referme et s’abat sur la porte, à 3 reprises – au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Il tend ensuite l’oreille.
Va-t-il entendre son pas ? Un son précipité, un bruit de course, ou seulement le silence ?
Quelques secondes semblent être des heures. La nervosité croisse, son cœur s’accélère, il est aux aguets. Il ravale sa salive, adressant une œillade dans son dos. Il croit avoir aperçu un mouvement – à moins que ce ne soit simplement l’Ouroboros qui rôde, dans l’ombre de son esprit. Inquiet, il se redresse dignement et patiente, croisant les bras dans son dos. Les yeux mi clos, il les referme lorsqu’un crachin brumeux s’abat sur son crâne.
L’eau imprègne ses cheveux, se faufile dans les marques de son visage, longe les traits abruptes. Il sent une goutte s’évader le long de son grand nez maintes fois cassé, une autre s’échapper de son œil, se loger dans une cerne, il la dégage d’un mouvement de main. Un soupir franchit ses lèvres. Il espère que Constantin se trouve là. Qu’il pourra le prendre dans ses bras. Cette pensée le fait rougir ; peut-on entretenir une telle tendresse pour un homme de foi ? Il est comme un frère. Comme un ami et plus encore. Ce n’est pas un amour comparable à ceux qu’il a pu connaître. C’est un sentiment différent. D’une pureté étrange, d’une clarté inhabituelle pour son cœur habitué à l’obscurité.
Les mains dans le dos, il pense au contenu de son premier courrier. Cette lettre où il parlait d’Evreux. Des dangers qu’il y avait rencontrés. Il avait eu peur pour sa vie. Au point d’en rédiger un testament. Que s’était-il passé là bas ? A cette pensée, ses sourcils viennent à se froncer. Les gouttes d’eau s’engouffrent dans les rides qui se creusent, il les ignore. L’a-t-on menacé ? Y penser lui arrache un grondement rauque. Depuis la réception de ce courrier, il a ressenti le besoin de le protéger. Un besoin viscéral. Celui de veiller sur lui et d’affronter tout ce qui le menacerait – morts, loups, hommes ou autres. Aucun démon ne saura le faire reculer.
Mais il n’a rien vu. Il ne sait pas. Il ne sait rien. Le silence et l’inconscience le plongent dans un état d’inquiétudes qu’il ne sait pas encore gérer. Il faut dire que sa récente promotion l’a quelque peu désarçonné. Et savoir que l’on s’attaque aux piliers de son humanité…
Aimable ressort songeusement le courrier que Constantin lui a envoyé. Ses yeux parcourent ses mots. Cherchent inlassablement des réponses ou des indices. Et soudain, un nom attire son attention. Béatrice. Béatrice. Un nom familier. Qu’il a déjà entendu. Où, déjà ? Il n’a pas le temps de réfléchir davantage. Un mouvement attire son regard.
Et la réponse s’impose. Elle se tient, devant ses yeux.
_... Béatrice ?...
Lun 19 Juil - 1:44
Can I pull you homeaway from the middle of the road ?
Si l’on omettait l’incident diplomatique qui avait manqué d’être provoqué par son partenaire, Béatrice devait avouer que la fête du printemps s’était correctement déroulée : mieux, en tout cas, que ce à quoi elle était normalement accoutumée. Pas de créatures pour troubler la tranquillité des jardins, pas de Constantin en quelque grand danger, pas d’apparition inopinée de membre de l’église souterraine pour lui gâcher la soirée... Et la vie d’un nouvel innocent.
Dans tous les cas, elle ne prenait pas très au sérieux l’engagement d’Aimable en tant que chevalier servant. Malgré son apparence tout ce qu’il y avait de plus féminine, Béatrice pouvait difficilement être qualifiée de demoiselle en détresse, et les missions à répétition imposées par l’église ne cessait d’attester de cet état de fait. Le genre d’histoire dans lesquelles elle trempait, celles véritablement dangereuses pour laquelle toute aide était bienvenue, ne devait jamais concerner le chevalier sous peine qu’il s’y perde à son tour.
Puisqu’elle le destin avait pris l’habitude de les placer sur la route de l’autre, nul doute qu’ils se recroiseraient tôt ou tard, mais au demeurant ils ne se connaissaient pas si bien : pas d’adresse où envoyer de lettre ou venir toquer pour proposer sa protection. La providence seule organiserait les prochaines retrouvailles et celle-ci prenait parfois son temps.
Elle avait presque oublié l’affaire, en cette soirée qui s’apparentait à toutes les autres. Alfred était à moitié endormi sur le divan tandis qu’elle lavait les dernières assiettes du dîner. Rangeant la dernière d’entre elles, elle s’aventura dans le salon à pas feutrés, essuyant ses mains sur un chiffon taché de gras. À l’exception des ronflements du vieillard et de la pluie qui battait contre les fenêtres closes, la maison baignait dans une tranquillité étourdissante qui pourrait presque se confondre avec une forme de paix si seulement Béatrice ne brûlait par tout temps.
Abandonnant son torchon sur une chaise, elle replaça prudemment la couverture sur le corps d’Alfred, celle-ci tombée du divan en même temps que lui dans les bras de Morphée. Il dormait déjà si peu qu’elle rechignait à le réveiller pour plutôt le diriger au lit.
C’est lorsqu’elle hésita à aller se coucher, elle aussi, ou lui tenir compagnie un instant de plus en feuilletant un livre qu’on toqua à la porte. Le bruit ne troubla pas le vieillard outre mesure qui continuait à bercer la pièce de sa respiration de plomb, mais elle, en revanche, était bien embêtée. Les visites aussi tardives n’étaient jamais de bonne augure.
Et de toute façon, elle comme Constantin n’en recevaient jamais. Un des enfants d’Alfred, alors ? Elle espérait que ce n’était rien de grave. Ou peut-être ce frère d’église, Ferdinand, qui lui semblait du genre à débarquer à l’improviste pour d’obscures raisons.
Enroulant un châle autour de ses épaules, elle poussa donc la porte pour tomber nez à nez avec un Aimable trempé jusqu’à l’os. Dire qu’elle en fut interdite relevait de l’euphémisme : elle songeait presque à refermer, puis ouvrir à nouveau pour vérifier qu’il ne disparaîtrait pas.
Qu’est-ce qu’il fabriquait ici ?
— Aimable ?
Elle cligna des yeux et pourtant il persistait.
— Comment est-ce que...
Dans tous les cas, elle ne prenait pas très au sérieux l’engagement d’Aimable en tant que chevalier servant. Malgré son apparence tout ce qu’il y avait de plus féminine, Béatrice pouvait difficilement être qualifiée de demoiselle en détresse, et les missions à répétition imposées par l’église ne cessait d’attester de cet état de fait. Le genre d’histoire dans lesquelles elle trempait, celles véritablement dangereuses pour laquelle toute aide était bienvenue, ne devait jamais concerner le chevalier sous peine qu’il s’y perde à son tour.
Puisqu’elle le destin avait pris l’habitude de les placer sur la route de l’autre, nul doute qu’ils se recroiseraient tôt ou tard, mais au demeurant ils ne se connaissaient pas si bien : pas d’adresse où envoyer de lettre ou venir toquer pour proposer sa protection. La providence seule organiserait les prochaines retrouvailles et celle-ci prenait parfois son temps.
Elle avait presque oublié l’affaire, en cette soirée qui s’apparentait à toutes les autres. Alfred était à moitié endormi sur le divan tandis qu’elle lavait les dernières assiettes du dîner. Rangeant la dernière d’entre elles, elle s’aventura dans le salon à pas feutrés, essuyant ses mains sur un chiffon taché de gras. À l’exception des ronflements du vieillard et de la pluie qui battait contre les fenêtres closes, la maison baignait dans une tranquillité étourdissante qui pourrait presque se confondre avec une forme de paix si seulement Béatrice ne brûlait par tout temps.
Abandonnant son torchon sur une chaise, elle replaça prudemment la couverture sur le corps d’Alfred, celle-ci tombée du divan en même temps que lui dans les bras de Morphée. Il dormait déjà si peu qu’elle rechignait à le réveiller pour plutôt le diriger au lit.
C’est lorsqu’elle hésita à aller se coucher, elle aussi, ou lui tenir compagnie un instant de plus en feuilletant un livre qu’on toqua à la porte. Le bruit ne troubla pas le vieillard outre mesure qui continuait à bercer la pièce de sa respiration de plomb, mais elle, en revanche, était bien embêtée. Les visites aussi tardives n’étaient jamais de bonne augure.
Et de toute façon, elle comme Constantin n’en recevaient jamais. Un des enfants d’Alfred, alors ? Elle espérait que ce n’était rien de grave. Ou peut-être ce frère d’église, Ferdinand, qui lui semblait du genre à débarquer à l’improviste pour d’obscures raisons.
Enroulant un châle autour de ses épaules, elle poussa donc la porte pour tomber nez à nez avec un Aimable trempé jusqu’à l’os. Dire qu’elle en fut interdite relevait de l’euphémisme : elle songeait presque à refermer, puis ouvrir à nouveau pour vérifier qu’il ne disparaîtrait pas.
Qu’est-ce qu’il fabriquait ici ?
— Aimable ?
Elle cligna des yeux et pourtant il persistait.
— Comment est-ce que...
Ven 6 Aoû - 11:10
Elle est là.
Solaire. Sa chevelure d’or irradie dans la pénombre, imprégnant sa prunelle d’une lumière blessante et captivante. Comme ce jour là. L’argent et l’or, mêlés dans un ciel sombre.
Ses yeux turquoise attirent spontanément son regard : la morsure de ses pupilles ouvre de récentes cicatrices. Aimable reste décontenancé alors qu’il sent ses plaies s’ouvrir. Une sensation familière suinte de ses blessures, son cœur putréfié exsude ses plus sombres vices, une haine viscérale, une jubilation démoniaque, une bile acide qui dissout ses viscères. L’Ouroboros gronde, ses mots sont des images qu’il ignore d’un battement de paupières, il ne veut, il ne doit pas les voir.
Pudiquement, sa main retrouve la croix protectrice, qu’il enserre précieusement entre ses doigts. Son pouce longe l’argent, retrouve les imperfections des gravures. Il se flagellera ce soir. Son sang coulera et, il l’espère, extravasera tout ce mal. Ses prières offertes à Dieu, son serment revient comme une bannière et face au monstre qui gronde au fond de sa tanière, le Chevalier se tient droit. Fier. Il l’espère.
Tenir la croix revient à soulever la pierre qui l’entraîne au fond des abysses, au fond de ce marais putride où tant de sang, de violence et d’immondices pourrissent. Sa lumière l’attire. Elle le rappelle à ces échanges qu’ils ont eus, cette étrange complicité qui se noue au fur et à mesure de leur rencontre, elle lui rappelle Constantin. Elle a complimenté ses yeux, elle l’a accueilli d’un sourire chaleureux. Elle lui a glissé quelques boutades. Elle l’a fait se sentir… comme l’homme qu’il voulait être. C’eut été par une simple invitation ou des questions…
Et à la fête du printemps… Oh, quel souvenir.
Quand le déluge était tombé sur ses épaules, Aimable avait laissé échapper un rire. Comme si l’eau qui ruisselait l’avait délaissé de son fardeau. C’était face aux gouttes d’eau qu’Aimable avait protégé Béatrice une première fois : l’abritant sous sa veste alors que, comme deux adolescents, ils s’étaient enfuis pour traverser les jardins en courant. Aimable avait failli entraîner Béatrice au sol lorsqu’une flaque d’eau traîtresse saisit sa jambe. Par miracle, le Chevalier était parvenu à se rattraper, jusqu’à ce que tous deux aillent s’abriter.
Aimable ne gardait que peu de souvenirs de leur séparation. Il ne se souvenait que de l’orage qui tonnait, dehors et de la pluie qui éveillait tous ses sens. La pluie lui rappelait tant de bons souvenirs.
Enfant, lorsqu’il s’échappait de la bâtisse pour affronter l’orage, à renfort de cris et de rire. Parfois, rejoins par ses frères ou ses sœurs. Ils se tenaient la main pour affronter les bourrasques et quand le ciel hurlait sa rage, eux souriaient. Aimable se sentait comme eux. Non. A cet instant, ils étaient comme lui. A subir les affres d’une colère qui n’était pas la leur. A endurer les bourrasques de vent, les hurlements d’une bête céleste, parfois, ses morsures quand la grêle s’abattait. Et parfois ! Il arrivait même que l’un d’eux le prenne dans ses bras. Aimable se sentait pour une fois protégé. Aimé. Malgré le chaos autour d’eux – au fond de lui.
C’était un jour de pluie où Eleanor l’avait embrassé la première fois. Abrités sous un arbre, glissée contre lui, ses yeux noisette avaient rencontré les siens. Il se souviendra toujours de ses mèches rousses plaquées contre sa peau nacrée, semblable à une poupée. Ses yeux emplis de malice, qui brillaient à chaque éclair, son nez retroussé, ses sourcils broussailleux, ses sourires francs qui dévoilaient ses dents. Ses fossettes et les douces imperfections de sa peau. Ses lèvres crevassées par l’avidité du soleil et ses baisers si passionnés qu’il laissait sur ses joues de grandes traces rouges, des morsures possessives qu’Aimable aurait voulu effacer. Elle s’était accrochée à lui. Avait-elle peur ? Instinctivement, Aimable avait refermé sur elle pour la protéger, il l’avait rapprochée de son torse. Courbé la nuque, s’attendant à la chute d’une pluie drue – ses lèvres avaient rencontré les siennes. Ses lèvres chaudes.
Ils Nous ont PRIS pour l’Orage.
La Voix tonne dans son esprit – à moins qu’un éclair n’est traversé le ciel ? Aimable jette un regard aux nuages, avant que la pluie ne le contraigne à baisser les yeux pour nettoyer ses paupières grossièrement, du plat de la main. Il s’ébroue légèrement, un mouvement d’épaules qui fait qu’une belle quantité d’eau se déloge de ses épaules solides pour retomber au sol – son manteau goutte bientôt plus que le ciel.
_ Souhaitez-vous m’accompagner pour affronter l’orage ? Demande-t-il.
Et pour une des rares fois, c’est au tour d’Aimable de se montrer malicieux. Un léger sourire, discret, éclaire ses traits usés, comme un rayon de soleil égaré. A croire que la lumière de la femme devant lui a su l’éclairer – guider le Chevalier parmi toute cette obscurité.
_ Puis-je entrer… ? Je m’excuse de l’heure tardive. Je cherchais… Constantin, avoue-t-il enfin, ses yeux revenant prudemment étudier les prunelles de Béatrice. Va-t-elle l’interroger sur les raisons de sa présence ?
Il est venu voir Constantin.
… Que fait-il ici ?
Un doute sinueux se faufile dans son esprit.
La nuit. Sa chevelure. Eclat d’argent et d’or mêlés. Blessure.
L’image se chasse d’un battement de paupières, pourtant, la sensation persiste, une sensation désagréable. Une boule dans la gorge, l’inquiétude s’éveille.
L’Ouroboros se tait-il ou Aimable refuse d’entendre ?
Il y a, dans son esprit, un silence inquiétant. Sa conscience a plaqué contre ses plaies des bandages épais : mais quelque chose continue à en suinter. Il n’a pas le courage de regarder.
C’est désagréable, c’est poisseux, c’est un poids qui revient sur sa nuque, des griffes qui se referment sur ses épaules alors que l’Ouroboros gronde au fond de sa tête. Un frisson lui échappe. Il doit rentrer. Il fait froid.
Doit-il vraiment rentrer ?
Sa lumière… Attire-t-elle l’homme ou le monstre en lui ?
Solaire. Sa chevelure d’or irradie dans la pénombre, imprégnant sa prunelle d’une lumière blessante et captivante. Comme ce jour là. L’argent et l’or, mêlés dans un ciel sombre.
Ses yeux turquoise attirent spontanément son regard : la morsure de ses pupilles ouvre de récentes cicatrices. Aimable reste décontenancé alors qu’il sent ses plaies s’ouvrir. Une sensation familière suinte de ses blessures, son cœur putréfié exsude ses plus sombres vices, une haine viscérale, une jubilation démoniaque, une bile acide qui dissout ses viscères. L’Ouroboros gronde, ses mots sont des images qu’il ignore d’un battement de paupières, il ne veut, il ne doit pas les voir.
Pudiquement, sa main retrouve la croix protectrice, qu’il enserre précieusement entre ses doigts. Son pouce longe l’argent, retrouve les imperfections des gravures. Il se flagellera ce soir. Son sang coulera et, il l’espère, extravasera tout ce mal. Ses prières offertes à Dieu, son serment revient comme une bannière et face au monstre qui gronde au fond de sa tanière, le Chevalier se tient droit. Fier. Il l’espère.
Tenir la croix revient à soulever la pierre qui l’entraîne au fond des abysses, au fond de ce marais putride où tant de sang, de violence et d’immondices pourrissent. Sa lumière l’attire. Elle le rappelle à ces échanges qu’ils ont eus, cette étrange complicité qui se noue au fur et à mesure de leur rencontre, elle lui rappelle Constantin. Elle a complimenté ses yeux, elle l’a accueilli d’un sourire chaleureux. Elle lui a glissé quelques boutades. Elle l’a fait se sentir… comme l’homme qu’il voulait être. C’eut été par une simple invitation ou des questions…
Et à la fête du printemps… Oh, quel souvenir.
Quand le déluge était tombé sur ses épaules, Aimable avait laissé échapper un rire. Comme si l’eau qui ruisselait l’avait délaissé de son fardeau. C’était face aux gouttes d’eau qu’Aimable avait protégé Béatrice une première fois : l’abritant sous sa veste alors que, comme deux adolescents, ils s’étaient enfuis pour traverser les jardins en courant. Aimable avait failli entraîner Béatrice au sol lorsqu’une flaque d’eau traîtresse saisit sa jambe. Par miracle, le Chevalier était parvenu à se rattraper, jusqu’à ce que tous deux aillent s’abriter.
Aimable ne gardait que peu de souvenirs de leur séparation. Il ne se souvenait que de l’orage qui tonnait, dehors et de la pluie qui éveillait tous ses sens. La pluie lui rappelait tant de bons souvenirs.
Enfant, lorsqu’il s’échappait de la bâtisse pour affronter l’orage, à renfort de cris et de rire. Parfois, rejoins par ses frères ou ses sœurs. Ils se tenaient la main pour affronter les bourrasques et quand le ciel hurlait sa rage, eux souriaient. Aimable se sentait comme eux. Non. A cet instant, ils étaient comme lui. A subir les affres d’une colère qui n’était pas la leur. A endurer les bourrasques de vent, les hurlements d’une bête céleste, parfois, ses morsures quand la grêle s’abattait. Et parfois ! Il arrivait même que l’un d’eux le prenne dans ses bras. Aimable se sentait pour une fois protégé. Aimé. Malgré le chaos autour d’eux – au fond de lui.
C’était un jour de pluie où Eleanor l’avait embrassé la première fois. Abrités sous un arbre, glissée contre lui, ses yeux noisette avaient rencontré les siens. Il se souviendra toujours de ses mèches rousses plaquées contre sa peau nacrée, semblable à une poupée. Ses yeux emplis de malice, qui brillaient à chaque éclair, son nez retroussé, ses sourcils broussailleux, ses sourires francs qui dévoilaient ses dents. Ses fossettes et les douces imperfections de sa peau. Ses lèvres crevassées par l’avidité du soleil et ses baisers si passionnés qu’il laissait sur ses joues de grandes traces rouges, des morsures possessives qu’Aimable aurait voulu effacer. Elle s’était accrochée à lui. Avait-elle peur ? Instinctivement, Aimable avait refermé sur elle pour la protéger, il l’avait rapprochée de son torse. Courbé la nuque, s’attendant à la chute d’une pluie drue – ses lèvres avaient rencontré les siennes. Ses lèvres chaudes.
Ils Nous ont PRIS pour l’Orage.
La Voix tonne dans son esprit – à moins qu’un éclair n’est traversé le ciel ? Aimable jette un regard aux nuages, avant que la pluie ne le contraigne à baisser les yeux pour nettoyer ses paupières grossièrement, du plat de la main. Il s’ébroue légèrement, un mouvement d’épaules qui fait qu’une belle quantité d’eau se déloge de ses épaules solides pour retomber au sol – son manteau goutte bientôt plus que le ciel.
_ Souhaitez-vous m’accompagner pour affronter l’orage ? Demande-t-il.
Et pour une des rares fois, c’est au tour d’Aimable de se montrer malicieux. Un léger sourire, discret, éclaire ses traits usés, comme un rayon de soleil égaré. A croire que la lumière de la femme devant lui a su l’éclairer – guider le Chevalier parmi toute cette obscurité.
_ Puis-je entrer… ? Je m’excuse de l’heure tardive. Je cherchais… Constantin, avoue-t-il enfin, ses yeux revenant prudemment étudier les prunelles de Béatrice. Va-t-elle l’interroger sur les raisons de sa présence ?
Il est venu voir Constantin.
… Que fait-il ici ?
Un doute sinueux se faufile dans son esprit.
La nuit. Sa chevelure. Eclat d’argent et d’or mêlés. Blessure.
L’image se chasse d’un battement de paupières, pourtant, la sensation persiste, une sensation désagréable. Une boule dans la gorge, l’inquiétude s’éveille.
L’Ouroboros se tait-il ou Aimable refuse d’entendre ?
Il y a, dans son esprit, un silence inquiétant. Sa conscience a plaqué contre ses plaies des bandages épais : mais quelque chose continue à en suinter. Il n’a pas le courage de regarder.
C’est désagréable, c’est poisseux, c’est un poids qui revient sur sa nuque, des griffes qui se referment sur ses épaules alors que l’Ouroboros gronde au fond de sa tête. Un frisson lui échappe. Il doit rentrer. Il fait froid.
Doit-il vraiment rentrer ?
Sa lumière… Attire-t-elle l’homme ou le monstre en lui ?
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