Elle n’aspirait à rien.

Pas de rêves de grandeur, pas de responsabilités : elle était comme toutes les autres filles, belle et coquette, souriante (quoiqu’elle riait un peu trop), et finirait comme elles alors : au bras d’un mari très occupé, qui serait bon si pas aimant, à trouver son bonheur dans celui de ses enfants Lorsque, plutôt qu’un beau prince, son fiancé s’avéra être un vicomte avec presque le triple de son âge, elle ne s’en perturba pas : parce que devant l’hypothétique famille qu’elle accoucherait un jour, elle aimait la sienne avant tout, et Dieu sait que les Botherel méritait ce coup de chance.

Tout ça pour dire qu’elle n’aspirait à rien ; avec sa certitude que ce serait le nom de son frère plutôt que le sien qu’on évoquerait dans 30 ans, autour de la grande table, enivrés de vin et de souvenirs. Elle serait avec lui alors, là, juste à sa droite, comme un adjudant, un bébé dans les bras, et elle serait heureuse et la vie partout s’immiscerait dans cette immense maison à la famille nombreuse.

Dieu, il faut croire, ne l’entendait pas de cette oreille.
À force, Béatrice le penserait presque sourd.

Alors soit. Elle serait chasseuse.

Soit.

Elle, et son goût des belles choses, les belles robes, les belles chaussures, les belles couleurs de fard. Elle, et son rire qui fait fleurir les bourgeons — mais ses jardins sont morts en même temps que ses parents. Elle, pourquoi elle, pourquoi elle ? C’était Oscar le belliqueux. Oscar, le beau chevalier. Oscar l’aîné aussi, Oscar qui saurait quoi faire.

Elle ne sait rien alors elle écoute. Elle ne sait rien alors elle obéit. Elle ne sait rien mais prétend le contraire, se pare d’arrogance et de venin parce qu’il vaut toujours mieux ça que la colère et la tristesse qui se déchirent dans un cri. Elle ne sait rien sinon qu’il faut courir, alors elle court, elle fuit, et elle est triste un peu sans doute mais préfère ne pas y penser.

En bref :

Quelques mots sur le pouvoir :

— Les choses, pourtant, commençaient bien. Elle naît deuxième enfant du baron Botherel et première de ses filles. En tout, ils seront six frères et sœurs s’étalant sur toutes les tranches d’âge, dans cet ordre : Oscar, Béatrice, Castia, Félix, Théodora et Doceneus. Dieu, alors, lance un dé qui tombe sur deux. C’est à la petite Béatrice qu’échoue sa merveille.

— On comprend vite qu’elle ne sera pas tout à fait comme les autres. C’est une petite fille compliquée, aux émotions volatiles : l’anxiété de Papa lui pèse sur le cœur, les maux de tête de Maman deviennent contagieux, la mouche qui pique Oscar pour qu’il se lève du pieds gauche ne fait jamais qu’une victime. Elle est agacée quand on s’ennuie, piquante quand on s’envenime, triste quand on se blesse.

— Elle grandit dans une voie toute tracée, comme une rose et son tuteur : elle sera une jeune fille, puis une femme, puis une épouse, puis une mère. On l’éduque en conséquence et Béatrice s’applique à donner l’exemple au reste de sa famille.

— Elle réalise qu’elle n’est pas normale et l’idée la terrifie. Plutôt que de chercher à comprendre pourquoi, elle rejette son pouvoir, ce qui n’arrange rien. Alors jeune, elle demeure souvent obligée de fuir le regard des autres pour trouver un répit à son don.

— Il s’avère aussi qu’elle n’est pas très talentueuse dans les disciplines féminines. Pire encore, lorsque son père lui propose de s’essayer à l’épée, il découvre avec étonnement que c’est elle qui a hérité de ses facilités dans les arts de la guerre. Béatrice est horrifiée, Oscar est jaloux, et leur père rit à gorge déployée de cette nouvelle ironie de Dieu.

— Ce n’est pas le début d’une vocation : il se passe même l’exacte contraire. La perspective de se rouler dans la boue dans une armure plus lourde qu’elle ne l’enchante guère, elle qui rêve de belle princesse plutôt que de chevaliers bagarreurs, et elle travaille d’autant plus dur à être une fille modèle sur tous les plans. Elle ne tient absolument pas à sortir du lot, jugeant que son pouvoir lui mène déjà suffisamment la vie.

— Lorsque vient son premier bal, elle est prête à s’illustrer. Cependant, la foule, avec ses pensées qui fusent, ses sentiments de surface, ses désirs secrets, lui est beaucoup trop dure à supporter et elle doit s’éclipser dans les dix premières minutes.

— Elle aimerait mourir de honte mais ses parents se montrent très patients avec elle. Qu’ils soient persuadés d’avoir une fille agoraphobe plutôt que sorcière ne change pas grand chose au sentiment que cela inspire à Béatrice : elle est touchée par le soutien de sa famille et, pour la première fois, cherche à maîtriser son pouvoir pour ne plus en être la victime.

— Elle apprend à faire sourde oreille aux murmures qui lui vrillent les tympans, aux sentiments qui lui dansent devant les yeux. Si elle restera absente des bals de grande envergure, les petites réceptions ne lui seront plus une épreuve mais un plaisir. Sous les conseils de son frère, elle arbore un masque de fausse assurance jusqu’à ce que celui devienne vrai. En même temps qu’elle grandit, elle prend confiance.

— Cependant, après la naissance de son dernier frère, la santé de sa mère se détériore. Les médecins coûtent cher et les finances familiales en pâtissent. Si sa mère se rétablit, on ne peut pas en dire autant du lustre des Botherel. Pourtant, Béatrice n’a jamais levé la tête aussi haute.

— À la surprise générale, un vicomte lui demande sa main juste alors qu’elle entre en âge d’être mariée. C’est une chance inespérée, une chance que ses parents refusent : protecteurs de leurs filles, ils s’inquiètent de son bonheur et désire la voir épouser un homme qui lui plaît. Cela suffit à convaincre Béatrice de faire le bon choix : elle accepte la proposition du Vicomte, jugeant cela un maigre sacrifice pour le bien de sa famille.

— Peu de temps après, elle remarque un changement chez ses parents : si, à table, ils restent tout sourire, son pouvoir n’est pas dupe : l’atmosphère autour d’eux est trouble. Craignant que cela ait un lien avec son mariage prochain, Béatrice préfère ne pas soulever le sujet.

— Un soir où elle traîne un peu plus tard que d’habitude à la table à manger, ils discutent à demi-mots. Béatrice réaffirme son choix et ses parents lui disent être fiers d’elle, qu’elle est une bonne fille, une fille forte. Un compliment qu’elle prend très à cœur, et auquel il lui faudra s’accrocher pour les épreuves à venir.

— La nuit même, la garde royale tambourine à leur porte. Ses parents et son frère sont arrêtés en premier : Béatrice n’a pas le temps de leur glisser un regard. Terrifiée, elle serre ses frères et sœurs dans ses bras jusqu’à ce qu’on les sépare à leur tour. Des gardes, elle ne parvient à comprendre que la pitié, même elle n’en saisit pas l’origine.

— Elle est jetée dans une geôle sans plus de contexte, mais parvient à glaner que le chef d’accusation contre ses parents et son frère est très grave.

— Comprenant ce que cela implique, elle s’empresse de prendre contact avec l’église pour qu’elle plaide en leur nom. Elle marchande avec sa vie, ne pouvant rien offrir d’autre pour faire pencher la balance. C’est en cherchant naïvement à négocier un sort clément pour ses parents et Oscar qu’on lui apprend leur mort. Elle ne voit pas leurs cadavres et l’emplacement de leur sépulcre est tenu secret.

— Elle pleure tellement qu’elle craint d’avoir épuisé les larmes de toute une vie. Pourtant, il lui faut honorer sa promesse à l’Église. Elle est déménagée dans un monastère pour y être entraînée : sa nature de sorcière lui évite les expérimentations. On ne dissimule pas le dédain qu’on a pour elle là-bas. Tous se demandent ce qu’elle fait là, fille de baronne parmi les soldats, et elle la première.

— On lui glisse une épée dans ses mains délicates et on lui dit qu’elle doit se battre. La petite prodige ne l’est plus et ne veut plus l’être : plus que tout, elle désire survivre, doit survivre, pour ne pas laisser ses frères et sœurs seuls au monde. Qu’aucun d’eux ne ressentent ce qu’elle ressent de la mort d’Oscar.

— Elle s’accroche bon gré mal gré, mais surtout mal gré. Si elle prend un air déterminé, se pare d’une armure caustique et impénétrable, une fois seule, elle réalise qu’elle n’est pas encore asséchée de peine comme elle le craignait. Peut-être l’aurait-il mieux valu.

— Ses anniversaires défilent et elle les passe seule. À défaut d’être compétente, elle est docile, cache sa rébellion et sa rage derrière des sarcasmes qui servaient autrefois à faire rire. On l’autorise à écrire à ses frères et sœurs à condition de n’y mettre qu’un ramassis de mensonge. Mais cela lui convient.

— On travaille son don, jugé utile dans la vigilance et la traque à défaut de l’offensive. Cela reste un secret ouvert que ses chances de survie seront minces sur le terrain, ce qu’elle réalise elle-aussi : Mais elle se jure de survivre jusqu’à comprendre pourquoi. Quelle est la question que, cette nuit horrible, elle aurait dû poser. Quelle pensée lui aurait-il fallu tirer de ses parents ?

— Jusqu’alors uniquement assistante dans les larges groupes de chasseurs, on lui fait savoir que son heure est venue en même temps que sa majorité : Elle doit devenir une traqueuse à part entière. L’idée ne l’enchante pas et ce n’est pas faute d’avoir saboté ses performances. Mais elle n’est pas au bout de ses surprises : elle devra également quitter le monastère pour l’honneur de servir le Grand Cardinal (Plait-il ?) de le protéger de lui-même (Quoi ? Mais il a quel âge ?) avec ce pouvoir donné de Dieu (Je ne suis pas sûre de comprendre ?).

Ne nous décevez pas.