Debout derrière les hautes fenêtres qui donnent sur le jardin, elle attend silencieusement la sentence. Le temps est clair et lumineux. Bien loin de s'accorder avec son humeur, il correspond à la saison. Elle a le sentiment d'étouffer. Oppressée par la chaleur estivale, sa pensée ne parvient pas à s'évader. Comme enchaînée, elle ressasse et rejoue en boucle les sinistres paroles de l'aumônier qui l'a accueillie.
L'Évêque de Maguelone est mourant. Aucun soigneur, aucun médecin, ni aucun charlatan n'est venu contredire cette annonce. Alors elle reste là, à quelques pas seulement de la chambre où son mentor vit ses derniers instants.

Elle n'a pas dormi. Ou alors s'est-elle seulement assoupie le temps d'un cauchemar. Entre ses doigts, le chapelet aux grains argentés glisse au rythme de ses prières étouffées. Égoïstement, elle s'abandonne à sa propre détresse, mais chasse ses larmes d'un furieux revers de la main. L'heure n'est pas à l'abattement.
Ce n'est pas le soigneur de sa Majesté la Reine qui s'est déplacé, mais le médecin venu soulager les souffrances de son mentor a très bonne réputation. Il est arrivé avec son apprenti. Un jeune homme qu'elle n'a fait qu'apercevoir, mais qui l'a suivi comme une ombre jusqu'au chevet du religieux. Elle n'a pas souhaité les accompagner. Le chapelain toujours présent s'est chargé de les guider et de leur dresser le tableau de la maladie qui ronge la santé de l'Évêque.

Cependant, cela fait à présent un long moment qu'ils sont là. Le silence qui règne dans la trop grande bâtisse en devient pesant. Même habituée au calme, elle en vient à s'inquiéter. Le docte mouvement de ses doigts se suspend. Quelque chose a changé.

Comme guidée par un inexplicable pressentiment, elle se presse et quitte abruptement la place qui était la sienne depuis l'aube. Son pas devenu rapide, elle accroche les pans de sa robe et se dépêche de traverser le couloir pour rejoindre les appartements de son père d'adoption. Elle n'a toutefois pas le temps de s'annoncer que la porte s'ouvre. Devant elle, le chapelain sursaute. Il ne s'attendait pas à la trouver ici et n'est pas à l'aise en sa présence. Elle le sait quand bien même il s'efforce de n'en rien laisser paraître.

« Il souhaite vous voir. »

Le ton de sa voix est égal, mais cela ne la rassure pas. Elle s'oblige pourtant à demeurer calme et alors qu'elle aurait voulu le bousculer pour passer, elle s'entend répondre d'une voix sans saveur.

« Bien. »

Il s'efface et elle entre donc. Elle ne s'attendait pas à le trouver au sommet de sa forme, mais voir son mentor à ce point diminué la terrasse. D'une main fébrile, elle accroche le chambranle de la porte afin de se donner un peu de contenance. Elle a probablement l'air encore plus effrayant qu'à l'accoutumé. Sans sa coiffe de religieuse, ses cheveux lui tombent presque jusqu'aux reins. Leur couleur de neige mis en exergue par le noir de sa tenue, elle s'imagine avoir l'apparence éthérée d'un esprit. Une allure fantomatique que sa pâleur lunaire ne fait qu'accentuer, tandis que ses yeux mauves se posent sur le malade.

Elle ne l'a pas revu depuis cinq ans. Cinq longues années passées à fuir ce que les pontes de l'église souterraine voulaient lui faire subir en France. Elle a conscience de ce qu'il a dû endurer à cause d'elle, à cause de son échappée et de son insoumission. Pourtant, il ne lui en a jamais tenu rigueur.
Alors elle s'approche de lui et s'installe sur un siège laissé libre à côté de sa couche. Il a les yeux clos et sa respiration est devenue sifflante. Cependant, son visage demeure paisible et beau, sûrement à cause de son pouvoir de sorcier. Dans la pièce, le médecin s'affaire à rassembler ses ustensiles. Il a l'air grave et ne fait pas du tout attention à elle. Elle aurait pourtant aimé l'interroger. Se tournant vers son apprenti, il lui tend un flacon et lui adresse quelques mots dont elle ne fait que saisir la substance.

Il n'y a plus rien à faire.

Elle le savait, mais en prend soudainement conscience. Pinçant les lèvres, elle joint ses mains pour prier, mais la voix de son mentor l'amène à relever les yeux vers lui.

« Néphélie... Tu es venue. »

Les mots restent bloqués dans sa gorge nouée, alors la jeune femme acquiesce. Cependant, lorsque le religieux tend ses doigts ridés vers son visage, elle a un mouvement de recul. Ils ne sont pas seuls. D'ailleurs, son regard se rive à celui de l'apprenti toujours présent.