Until the love runs out.

Tout en angles et en paradoxes.

Amicia semble presque timide, aux premiers abords. Elle dirait elle-même qu'elle est réservée, mais il y a une lueur dans ce regard clair qui démontre clairement une farouche volonté d'exister. Et presque immédiatement, alors qu'elle remarque elle-même cette flammèche de personnalité et de caractère qui s'allume dans sa poitrine, elle se force à la maîtriser, à la tarir, à l'étouffer.

Elle a trop peur - des réactions des autres, des conséquences. Sa confiance en ses capacités et son amour-propre sont fluctuants, résultats d'années passées à croire qu'elle était invisible aux yeux des autres.

Elle a peur de ne pas trouver sa place. Elle ne sait pas bien où elle se trouve, sa place, mais elle ne peut s'empêcher d'avoir peur de ne jamais la trouver, comme un rêve inaccessible qu'on croit pouvoir toucher mais qui nous échappe toujours, juste là au bout des doigts.

Alors elle sourit. Un léger sourire sur un joli minois, doux et détaché, qui cache ce qu'elle pense réellement, gardant ses pensées pour elle.

Peu de personnes l'ont vu rire franchement, se permettre d'être vive, spontanée, impulsive même - ils se comptent d'ailleurs sur les doigts de la main. Mais avec ces personnes, c'est un trésor de perspicacité, une personnalité joueuse, comme un petit oiseau qui piaille le matin pour encourager le soleil à se lever.

Elle est douce, Amicia. Presque trop loyale, presque trop démunie aussi face aux injustices du monde qui l'entoure. C'est un mélange touchant d'innocence, de naïveté, et de détermination qui cherche à pointer le bout de son nez.




Maman est morte en couche. 

C'était quelque chose de commun, à l'époque. La petite Amicia ne pouvait pas savoir à quel point cette simple injustice changerait le cours de sa vie. 

Son père, un petit nobliau avec très peu d'importance, un domaine de taille modeste et un lopin de terre, avait épousé la mère d'Amicia dans l'espoir de redorer le blason de la famille de De Pontfavier, terni par le manque de manières, et les distinctions inexistantes de ses ancêtres. Malheureusement, l'échec de ce premier mariage était évident, puisqu'aucun fils digne de ce nom n'était né.

Il pleura la défunte quelques semaines, et trouva une nouvelle conquête dans le mois qui suivi. Cette dernière lui donna deux fils dans les années qui suivirent, puis une plus jeune fille. La mère d'Amicia disparut des portraits et des mémoires. 

La petite Amicia vécut une enfance commune. Ses (demi) frères ne s'intéressaient pas beaucoup à elle, ayant d'autres chats à fouetter - notamment, courir après les chats, agacer les domestiques, et prétendre être des héritiers parfaits. Quand la petite dernière vient se rajouter au tableau familial, Amicia était déjà grande, presque onze ans. Son père la considérait à peine comme une invitée dans sa propre maison, et elle trouvait sa place plus facilement parmi les enfants de domestiques que parmi ses pairs. 

Parce qu'il fallait bien tout de même l'occuper, on se chargea vaguement de son éducation: elle apprit la couture, la broderie, l'élégance. Son père espérait tout de même pouvoir la marier, même s'il doutait fortement de l'utilité de la chose. Si ce plan échouait, somme toute pouvait-on espérer lui trouver une place d'accompagnement auprès de quelques dames plus fortunées qu'elle, par charité. 

Elle n'était pas maltraitée. Elle n'était pas bien heureuse non plus.

On l'ignorait beaucoup, elle était trop sage pour refuser d'apprendre, d'essayer de comprendre ce monde dont elle ne faisait pas vraiment partie, pas assez ambitieuse pour croire qu'elle y trouverait une place. 

Vint l'adolescence, les amourettes incongrues qu'on ne surveilla pas d'assez prêt, les baisers interdits échangés derrière le corps de ferme avec le fils du forgeron. Ce fils d'un artisan renommé qu'on reçu pour quelques jours au domaine. Qui la complimenta au point qu'elle en rougisse. Qui lui promit de revenir. Qui lui écrit des lettres que personne d'autre ne devait trouver, scandaleuses pour ses yeux de jeune fille en fleur, lui promettant un amour éternel et mille autres petites choses, pour peu qu'Amicia se réserve à lui.

Bien entendu, son père n'en savait rien. C'était son secret. Quelque chose qui n'appartenait qu'à elle. 

En même temps, on lui parla du distant cousin de sa mère, un soir, alors qu'elle n'avait plus entendu son nom depuis des années. Tout du moins, on en parla à table, brièvement. Il avait envoyé un courrier à son père pour s'enquérir de sa santé. Elle n'écoute que d'une oreille, ne comprenant pas très bien pourquoi un Monsieur De Sauveterre s'intéresserait à elle. 

Il n'y eut plus d'autres mentions de cet homme, même si elle soupçonnait que les rumeurs qu'elle entendait de la part des servants de la maison concernaient ses enfants, des jumeaux dont les aventures hérissaient les poils de la gouvernante. 

Les lettres de son promis, comme elle le considérait, se firent de moins en moins prometteuses et de plus en plus rares. 

C'est à l'aube de ses quinze ans qu'elle fomenta son premier plan pour remédier à cette situation.  

Les étapes de ce dernier étaient simples:
1. Réussir à apprivoiser l'un des chevaux de l'écurie, de préférence le plus robuste et docile, et en apprendre assez sur leurs fonctionnements pour pouvoir s'en occuper lors d'un long voyage.
2. "Emprunter" assez de nourriture non-périssable pour tenir quelques semaines, au moins. 
3. Se fournir en habits chauds. 
4. Trouver une excuse pour que la famille ne remarque pas son absence, ou ne pas se faire remarquer tout court.
5. S'enfuir retrouver son artisan renommé, qui l'attendait sans aucune doute comme il lui avait promis dans ses lettres.  

Ça ne lui semblait pas être la tâche la plus difficile, c'était même celle qui la motivait le plus, puisqu'elle lui permettrait peut-être enfin de commencer une vie un peu plus satisfaisante que celle qu'elle menait actuellement. Et puis, il était beau parleur, plutôt plaisant à regarder, et plus intéressant que les candidats que son père pourrait trouver pour elle.

Elle doutait fortement qu'il ne s'offusque de son départ, du moment qu'elle ne soit plus jamais associée à la famille De Pontfavier, et qu'elle se fasse oublier. Voire même lui serait-il reconnaissant de lui enlever du pied l'épine d'une aînée non-désirée, qui prenait la place de la véritable jeune fille de la maison. 

L'étape une lui posa quelques soucis pendant plusieurs mois, tant les chevaux de l'écurie étaient difficiles à approcher, mais elle finit par faire amie-amie avec une bête merveilleuse, un peu frêle mais qui avait la gentillesse de ne pas la mordre à chaque visite. Une saison s'écoula, ses seize ans approchant à grands pas.

Elle était en train de planifier l'étape trois lors d'une visite au marché en compagnie de sa belle-mère quand cette dernière lui facilita la vie en se procurant de nouvelles toilettes, un peu plus versatile que celles qu'elle possédait déjà. Tout semblait donc se dérouler à merveilles. Il ne lui restait plus que la nourriture et l'excuse, et elle commençait à penser qu'elle devrait se passer de cette dernière.

Elle fût cependant très surprise le lendemain alors que les nouvelles toilettes se retrouvèrent en compagnie de leur propriétaire dans un véhicule où on l'avait placé malgré ses protestations et sans plus d'explications. Lorsque la porte s'ouvrit à nouveau, elle se tenait devant le Marquis de Sauveterre. 

Il lui expliqua que bien qu'éloignée, elle était tout de même la cousine des jumeaux, et qu'il avait beaucoup apprécié lui-même dans son enfance les rapports qu'il avait eu avec sa propre cousine, la mère de la jeune fille. Que le père de cette dernière avait clairement exprimé l'envie qu'on lui trouve une situation, et que l'éducation qu'on lui avait donné lui offrait une place parfaite auprès des enfants du Marquis. Ce dernier espérait qu'Eulalie et Simon apprendrait du caractère plus doux, peut-être réservé qu'on lui avait décrit comme étant celui d'Amicia, de la petite noblesse qu'elle avait déjà fréquenté. 

Amicia pensa intérieurement en l'écoutant que c'était beaucoup lui en demander, mais bien entendu, elle n'en dit rien.  

Une année, donc. Une année de révérences à Son Altesse Royale, de livres dévorés en observant Simon et Eulalie se chamailler sur qui réussissait le salut le plus correct, à apprendre à positionner la causeuse qui embellirait le plus le visage d'Eulalie, à compter les oies et à chasser les têtards de la chambre de Simon, dont le lit était bien plus confortable que le sien. 

La nouvelle tombe, les jumeaux sont envoyés à la cour. Elle s'inquiète d'être laissée derrière, elle qui vient à peine de trouver une petite place aux côtés de ce duo incongru et soudé.

Malgré les plans fomentés pour la cacher dans leurs valises, le Marquis évite à Amicia de savoir s'il est possible de survivre plusieurs jours enfermée dans une malle à jupons: elle les suit à Paris, prenant sa place en tant que femme de chambre attitrée d'Eulalie.