La nuit venait de tomber et avec elle les menaces d’un soleil trop présent. Enfin, pas vraiment pour Zuicher mais pour ses camarades non sang-pur. Comme c’était le cas de Johanna, notamment. La blafarde tâchait de s’occuper de la demoiselle aussi bien que possible, même si elle se doutait que rien, jamais, ne pourrait lui faire pleinement accepter sa nature. Quoi de plus normal lorsque l’on ne voulait pas devenir vampire et que l’on y était forcée ? De ce qu’elle en savait, les meutes de lycans avaient au moins l’avantage de vous faire sentir pleinement membre d’une unité plus grande que votre propre personne. Ce n’était pas le cas des vampires. Non pas que Zuicher eut un jour jalousée les lycans, mais ils avaient parfois quelques avantages qu’elle leur enviait de par leur praticité.

Ce soir, il était grand temps d’emmener Johanna se nourrir. Mais Zuicher savait mieux que personne qu’il était compliqué pour la demoiselle d’accepter du sang humain. Elle pouvait le comprendre. C’est précisément pour cela qu’une autre solution avait trouvé refuge dans ses réflexions. Elle devait en parler à la concernée immédiatement.

Ça tombait bien, il y avait plusieurs choses au sujet desquelles elle souhaitait parler à son assistante. Et si cela pouvait permettre à Johanna de lui faire pleinement confiance, alors Zuicher ne ménagerait pas ses efforts pour bien faire.

Pénétrant dans le sous-sol de son atelier, ses yeux vairons s’adaptèrent à l’absence de lumière. « Johanna ? Es-tu réveillée ? » Elle pourrait patienter si ce n’était pas le cas. La nuit était encore jeune, après tout. Comme elle.

Zuicher savait que Johanna ne voulait pas entendre parler de son régime alimentaire. Mais c’était une nécessité et la vampire devait bien admettre qu’en plusieurs siècles d’existence, elle n’avait jamais eu à se confronter à une pareille façon de penser. Et pourtant, au fond, elle comprenait. C’était absurde, mais elle pouvait s’imaginer la chose. Zuicher n’était pas née humaine, on ne lui avait rien arraché si ce n’est sa liberté en finissant par la mettre à la tête du clan. Mais ce n’était en rien comparable avec ce qu’il avait fait à Johanna.

Elle tenterait la manière douce dans un premier temps. Et si cela s’avérait nécessaire, elle sévirait. Mais jamais avec des coups, elle n’était pas lui. Mais il était inutile que Johanna s’attache à elle plus que de raison. Zuicher n’était en rien une finalité pour la jeune vampire, elle ne voulait pas que les choses en arrivent là. C’aurait été trop dommageable.

Elle s’approcha de son apprentie chapelière. « Tu es belle. » une vérité. Zuicher ne ment pas lorsqu’elle n’y ait pas contrainte. Présentement, ces propos reflètent parfaitement sa façon de penser. Enfin, elle se permets de prendre une main de la demoiselle dans les siennes et y dépose quelques écus. « Je pense avoir trouvé une solution pour allier ta soif et ton dégout de devoir tuer quelqu’un pour te nourrir. » La suédoise ne garde pas le suspense longtemps, elle n’a jamais aimé cela elle-même.

« Des gens dans les bas quartiers ont acceptés de me fournir un peu de leur sang en échange d’argent. La couronne de ce pays les a abandonné au point que certains prostituent leurs enfants. Cette solution leur permet de ne pas en arriver là tout en te permettant à toi aussi de survivre. » Un échange de bon procédé. D’autant que les choses n’étaient au beau fixe pour personne.

La matriarche vint ensuite planter son regard plus fermement dans celui de Johanna. « Je ne te demande pas de faire de cette solution une chose définitive. Juste un compromis, le temps que l’on trouve une solution plus adaptée pour toi. » Et qui sait, lui rendre son humanité, peut-être ? Zuicher avait entendu des rumeurs mais aucune preuve tangible à sa portée pour étudier la chose de plus près. Sans rien dire, donc, elle faisait des recherches. C’était sa façon de faire.

Elle se souvint une seconde trop tard que Johanna n’aimait pas le contact physique et retira prestement sa main. « Mes excuses. » C’était à raison que cette phobie avait pris germes dans le corps de cette belle demoiselle. Emmery le lui avait appris par la force. Rien que cette pensée fit serrer le poing de Zuicher, jusqu’à rendre ses jointures blanches, encore plus que sa peau normale.

Mais elle ne voulait pas penser à Emmery maintenant. Il n’était pas le centre de la conversation. Elle sourit pourtant, aux mots de Johanna. Zuicher savait que même si Johanna acceptait de boire, ce n’était pas réellement une volonté en soit. Une sorte de reconnaissance envers elle, sans doute ? Peut-être. Mais sa psyché, toujours humaine, elle, souffrait de cette situation. Il était inutile de faire perdurer cette torture indéfiniment, deux ans étaient déjà suffisamment long pour une vie n’ayant pas toujours connu les affres de l’éternité.

Zuicher s’éloigna un instant, montrant le dos à Johanna. Elle ne la craignait pas. « Parce que tu n’as rien demandé de ce qui t’es arrivée. Tu es une victime et mon devoir est de t’aider, en tant que cheffe de clan, à revenir vers des circonstances qui te conviendrait mieux. » Même si pour le moment, cela ne donnait rien sinon une poursuite de chimère. « J’estime avoir aussi ma part de responsabilité, là-dedans. » Si elle avait été plus suspicieuse envers Emmery, elle ne l’aurait jamais laissé enlever cette enfant, cette innocente. Mais elle lui avait fait confiance, en la mémoire de ses parents. Elle ne pouvait blâmer personne sinon sa propre naïveté. De surcroit… « Et je crois que quelque part, tu me rappelle un peu ma dernière fille. » La plus rebelle de toute la fratrie que Zuicher avait mis au monde plus par obligation que réelle envie.

Mais, pourtant, elle avait aimé ses enfants. Dommage que plus aucun d’entre eux ne soit là pour en témoigner, à présent. « Assfridr aussi aurait donné n’importe quoi pour ne plus être vampire. Je ne l’ai pas compris assez vite cependant et j’ai dû faire face aux conséquences. Je ne souhaite plus revivre pareille horreur. » A demi-mots, un deuil encore loin d’être effectif.

La douleur de Johanna est perceptible et quelque part, picote même le cœur de la vieille Zuicher. Elle ne ressent plus les choses avec la même intensité. Peut-être par désillusion ou peut-être par un ancien choix de ne plus vouloir ressentir quoi que ce soit de trop pernicieux, de trop visible. Pour ne pas être une proie facile, pour ne pas se faire attaquer si aisément.

Ses paroles vibrent de vérité et Zuicher n’a pas le cœur à lui mentir. Johanna mérite bien mieux que cela. « Nous sommes tous le bourreau de quelqu’un. Cela ne fait pas de toi un problème pour autant, Johanna. » Zuicher est consternée par cette métamorphose qui n’aurait jamais dû arriver. Vraiment, elle aurait dû se méfier, à force de n’avoir plus de nouvelles d’Emmery, de la sorte. Elle aurait dû aller au-devant de lui et là, là… Là peut-être aurait-elle pu découvrir Johanna encore humaine, encore pleine de vie.

Pas une poupée qui pleure.

« Ça... Il n’y a que toi qui peut le décider, Johanna. » Elle inspire. « Assfrid aimait à penser que l’on pouvait se détacher des responsabilités que nous octroie… Ou nous oblige notre naissance. » Quelque part, elle était d’accord avec elle. Elle aurait aussi aimé à le dire à sa fille, de son vivant. « Peut-être que si tu utilisais tes nouvelles capacités pour protéger une autre vie, alors tu verrais qu’il n’y a pas que du négatif, dans l’affaire. »

Peut-être…

Parfois, Zuicher se demande si elle n’aurait pas mieux fait de mettre un terme à la vie de cette demoiselle qui lui fait face au moment même où le venin d’Emmery se distillait dans ses veines. Peut-être aurait-elle satisfait le plus grand nombre, son ancien membre de clan faisant exception. La mort était-elle une libération ? Zuicher l’ignorait. Il lui semblait pourtant que ce n’était pas si loin encore qu’elle arborait son armure viking pour combattre aux côtés de son frère, de ses pairs les premiers vampires. Se disant que les walkyries viendraient les chercher s’ils tombaient au combat.

Que reste-t-il de ces croyances ? Rien.

Rien sinon la nécessité de vivre plus par contrainte que par envie. Mais Zuicher sait parfaitement ce qui la maintient encore en ce monde. Les dernières bribes de son clan. Déjà qu’elle a échoué à protéger Emmery et sa sœur, comme elle l’avait promis à leur mère… L’encre de ses fautes n’est tenue à l’écart que par la présence de ses derniers fidèles. Elle n’est pas mieux que les autres, Zuicher. Loin de là.

« Moi. » Elle ne cille par en délivrant ces quelques mots. « Tu pourrais me protéger, moi. » La phrase semble incongrue mais la vampire la pense. « Je n’ai objectivement pas le pouvoir de survivre à tout. Si tu gardais un œil sur mon dos, je me sentirais plus sereine… Du moins, jusqu’à ce que l’on ait trouvé une solution pour toi. »

Johanna, Johanna. Ne pleure pas, Johanna.
Elle le fera pour toi.