Ce soir-là, Caelestis avait proposé d’aider les sentinelles qui zonaient en ville pour garder, notamment, la porte de Notre-Dame de Paris. Certes, il recevait d’ordinaire ses ordres de la part de l’Eglise Souterraine, mais puisqu’il demeurait pour l’heure sans affectation de mission, il s’était senti capable de venir en aide au plus nécessiteux. Et il lui semblait que les garants de la sécurité de Paris n’étaient pas les mieux lotis qu’il ait pu un jour rencontrer.

La lune était belle et haute dans le ciel. La nuit était calme et au final, à part faire le pied de grue devant les portes de la Cathédrale, il ne voyait pas trop quoi faire d’autre. Le moindre cri se répercuterait sans problème depuis les ruelles adjacentes alors il ne se faisait pas trop de souci à ce niveau-là. Il ne pourrait jamais protéger tout Paris mais au moins ce secteur était suffisant.

Son épée dans le dos, il ne pouvait qu’attendre, toujours, encore. Pourtant, il finit par voir la silhouette d’une jeune femme se détailler dans la nuit. Sous les rayons de lune, elle était comme sortie d’un livre saint. Sans dire qu’elle ressemblait aux portraits de la Sainte Vierge que Caelestis avait pu voir au court de sa vie, elle ne semblait pas, de prime abord, être hostile ou représenter une menace. « Tout va bien, Mademoiselle ? Êtes-vous perdue ? »

S’il pouvait aider, il le ferait.

Il crut détecter un accent, léger, dans les mots saccadés, prononcés par la demoiselle. Mais il ne s’en formalisa pas. Lui-même devait très probablement en avoir un, de par ses origines islandaises et du nombre d’années qu’il avait passées sur les routes de bien des pays, à la recherche de proies dissidentes à traquer.

La jeune femme semblait apeurée ou, du moins, perdue. Caelestis fut un peu sensible à cette apparente perdition et se permit de désigner la Cathédrale dans son dos pour ajouter un commentaire. « Si vous le souhaitez, vous pouvez passer quelques heures au sein de l’édifice, j’y monte la garde. » Il ne savait trop s’il devait continuer sur cette voie mais… « Je monte la garde, je ne bougerai donc pas d’ici avant au moins trois bonnes heures, si cela peut vous rassurer. » Et Caelestis ne désertait jamais une tâche ou une mission. Sauf si sa vie était en danger mais ce n’était pas le cas ici, fort heureusement.

« Les Saints sauront forcément vous aider dans ce qui vous ronge. » Ajouta-t-il dans une dernière tentative. Et si cette jeune femme essayait d’échapper à un geôlier ? Caelestis n’avait pas de preuves, mais le doute subsistait. Il y avait quelque chose d’étrange, chez cette incarnation de la beauté.

Caelestis était peut-être naïf sur bien des points du commun des mortels et peut-être même avait-il des lacunes dans la façon de se comporter correctement avec ses pairs d’un pays à l’autre. Néanmoins, il avait des connaissances autres pour compenser ces creux, ces manques. Il avait été formé à traquer et abattre les créatures de la nuit. Il savait donc reconnaître des comportements suspects – pour la majorité, en tous les cas. Mais pour autant, loin de lui l’idée de vouloir attaquer à vue un vampire ou un lycanthrope. Bien que cette vision des choses ne lui soit guère favorable au milieu de ses pairs de l’église souterraine, il ne dérogerait pas à sa règle personnelle : ne pas tuer les individus inoffensifs. Il avait vu à maintes reprises des humains commettre bien pire que certaines créatures. Pour cela, il savait nuancer son jugement.

Il acquiesça d’un signe de tête. « Bien sûr. Vous pouvez vous tenir où bon vous semble. Je ne bougerai pas d’ici, votre sécurité est donc assurée. » Même à l’extérieur de la Cathédrale puisque visiblement personne ne pourrait rien pour cette délicate fleur de l’ombre, à l’intérieur. Ceci orienta Caelestis dans sa tentative de comprendre ce qui se jouait devant ses yeux clairs.

Alors, il tenta le plus simplement du monde de mettre en branle sa théorie. Dans un souffle, une expiration, il plaça quelques mots. « Êtes-vous une louve ? Une vampire ? »

La question, soufflée discrètement, ne perturberait pas une oreille humaine. Mais il savait que les sens développées des créatures permettaient un prodige tel.

De surprise, d’abord, il écarquilla les yeux. Caelestis ne s’était pas attendu à viser juste, pour dire toute la vérité. Son métier, terriblement secret de part ce qui était impliqué par sa simple tenue de la chose, avait aiguisé les sens de sa méfiance guillerette – puisqu’il n’était pas question chez lui de paranoïa, comme ce pouvait être le cas chez d’autres chasseurs.

Pour la jeune femme visiblement tendue à sa question, il eut un sourire fin, lunaire. Affable. « Je ne vous ferais rien. » Vouvoiement conservé pour lui prouver qu’il ne cherche ni l’intrusion ni la bataille rangée. Mais il sait aussi que son épée peut mettre mal à l’aise, devines que Léhalel, s’il l’aime profondément, ne saura probablement jamais garder les âmes d’une angoisse sourde à sa simple vue. Caelestis se doit donc d’éclairci la chose.

« Je n’ai aucune raison de vous attaquer si vous n’être ni menaçante ni un danger volontaire pour qui que ce soit. » Il savait, le métis, que ces propos, qu’il avait déjà tenu face à d’autres chasseurs, ne lui valaient pas les meilleures appréciations parmi ses pairs. Pour autant il ne comptait pas changera vision des choses, persuadé que Dieu, dans sa grandeur, ne pouvait cesser d’aimer ses enfants en dépit d’une transformation ou d’une naissance hasardeuse.

Dieu est grand.

Plus grand que cette différence que tous encensent.

Face à cette muraille de mots qui ne semblent pas vouloir s’adoucir à l’entente de ses propres propos, Caelestis cligne des yeux, comme s’il ne parvenait pas à saisir entièrement l’essence de ce qui venait d’être prononcé. Les mots montent, grimpent à son échine pour enfin se faire compréhension pleine au sein de son esprit. Il comprend surtout que la seule femme semble terrifiée. Du moins, c’est l’image qu’il en a. Peut-être se trompe-t-il.

Mais l’homme veut avant tout se sentir utile à autrui, user de ses compétences pour aider plutôt que pour détruire. D’autant qu’il n’a pas à le faire. « De quoi avez-vous si peur, Mademoiselle ? » Il voudrait cerner l’angoisse pour l’aider à y voir plus clair. La lumière brille plus fortement si les ténèbres sont présentes, certes ; comme l’équilibre même de la vie. Mais il faut parfois souffler un peu sur les braises pour qu’elles rayonnent plus fort par la suite.

Vient le moment de répondre. « Je ne chasse que les menaces, comme je vous l’ai dit. » Inspiration, expiration.

« Je dois vous contredire sur ce point. Toutes les créatures ne sont pas mauvaises, certaines ont très bon cœur. Tout comme les humains, il est des comportements variés au sein de toutes les communautés. La race, le sang n’ont rien à voir là-dedans. » Un sourire. « Dieu aime toutes les âmes de manière égale. Et vous aussi, il vous aime. » C’est une certitude pour le blond, qui ne jure que par sa foi.

La peur était de ces sentiments communs à tous les êtres vivants. Et c’est dans cet aspect de la vie que Dieu pouvait devenir une présence rassurante afin d’aider les plus démunis à voir au-delà du malheur ; présent qui pouvait être amené à les entourer. Voir plus loin que la peine, que la peur. Car comme sa consœur colère, la peur pouvait être très mauvaise conseillère.

Caelestis le savait bien, pour en avoir payé le prix dans sa jeunesse.

Il avait déjà ôté une vie. Avant même de devenir chasseur pour l’église souterraine et de mettre sa force au service du Très-Haut pour punir les âmes plus revêches, qui ne souhaiteraient que malheurs et destruction autour d’elles. Ainsi se fait-il donc Michel combattant le Dragon, renvoyant Lucifer dans son Royaume des Enfers.

Pourtant, parmi les horreurs qui hantent son esprit, Caelestis est certain d’une chose, il n’a jamais rien vu qui ressemble au regard de cette jeune femme. Il ne saurait se l’expliquer clairement, avec des mots, mais elle ne lui évoque pas de menaces. « On ne vous a pas laissé le choix, n’est-ce pas ? »

C’est peut-être une question cruelle, une curiosité morbide, mais avant de s’engager sur une voie précise, le métis a besoin de savoir. Pour sauver quelqu’un, encore faut-il le connaître un minimum. Il essayera donc de s’atteler à cette tâche.

Jeune femme brisée se pose dans toute la lumière de sa souffrance devant les yeux clairs de l’Islandais. Un instant, Caelestis doute. Que faire ? Il ne souhaite pas apposer davantage de pression ou de peur sur les épaules de cette demoiselle.

Alors il quitte sa station debout, près de la porte de la Cathédrale te fait quelques pas dans sa direction. Là, posant un genou à terre pour la rejoindre rapidement dans sa contrition, le blond essaie de se faire aussi doux que possible. Retire la capeline qu’il porte sur une épaule et la dépose délicatement sur celles de la brune. « J’ignore ce qu’il vous a fait pour vous forcer en ce sens, mais… » Un sourire « Vous pouvez être fière de vous. Vous avez fait preuve d’une rare abnégation et c’est là tout à votre honneur. »
Il parle pour essayer d’apaiser ces maux, pour lui montrer qu’elle n’a rien de monstrueuse. Et puis…
« Caelestis. »

Il tourne la tête, interpellé. C’est un camarade de l’Eglise Souterraine. Il est prêt à dégainer son épée. « C’est une vampire ? »

demanda-t-il, plus pour confirmation que réelle interrogation. Mais Caelestis ne démordra pas de son axe de conduite. Lui aussi peut parler par les armes. Alors il se redresse et fait face. Dix mètres les séparent, mais ce serait là peu pour une attaque frontale. « C’est une enfant du Seigneur. »

Il est campé sur ses positions. Et, tout bas, délivre d’autres mots. « Mademoiselle, fuyez le plus vite possible si vous le souhaitez. Sinon, je peux vous raccompagner jusqu’à un endroit qui aura votre préférence. » Il ne la laisserait pas là.