Parcimonie

   Pose beaucoup de questions – Besoin d’être au courant de ce qui se dit, ce qui se trame – Essaie de structurer ses journées mais finit toujours par dévier – (trop) diplomate – Ne comprend rien au romantisme – Ni même à ses propres émotions (à se demander si elle en a seulement, parfois) – Réfléchit parfois en parlant et peut changer d’avis au milieu de sa phrase – Fait attention à son image – Angoissée par le silence - Pose beaucoup de questions – Compréhensive – Culturellement élastique – Culpabilise facilement – Nerveuse – Thanatophobique – Pose beaucoup de questions – Absolument pas au point sur le contexte politique actuel – Ne se sent pas à sa place en tant que Reine – Et pourtant ce rôle lui va bien -  Se regarde longtemps dans son miroir avant d’oser sortir de ses appartements – Aime quand même lorsque l’on s’intéresse à elle – Peur de ne pas être aimée par les autres donc cherches aussi à leur plaire, quelque part – Maman à cheval sur les principes mais qui laisse de la liberté à ses enfants - Besoin de liberté et intellectualise ses émotions – Capable de bloquer les émotions qui ne vont pas avec ses idées – Très sociable de prime abord mais est plutôt froide et solitaire – Grand sens de la fraternité mais pas d’attachement – Vit pour une cause de liberté ou au moins une cause tout court – Veut la liberté d’avoir des temps de solitude – Indépendante – Horreur d’être enfermée sentimentalement parlant – Séduite par l’intellect et les idées exprimées – Dès que ça devient sérieux, elle fuit un peu – Adore les débats d’idées – Parle beaucoup, compare beaucoup, se disperse trop, curiosité sans limite, aucun esprit de synthèse – Souple intellectuellement – Apprend vite – Allergique aux idées figées – Aime se faire l’avocat du diable et prouver que le contraire de ce qui est avancé peut être aussi possible – Intellectuellement jeune.


   
   

  Née dans un écrin d’or alors même que le ventre de sa mère agaçait cette dernière de ne parvenir à enfanter, Victoire est accueillie comme l’enfant sacrée tant attendue par la française royauté. Auguste, son père, fait en sorte que le nourrisson ne manque de rien et veille personnellement à ce que les soins soient apportés avec rigueur.

Lorsque l’on apporte le bébé dans les bras de son grand-père, l’illustre Charles de France, on ne saurait dire lequel des deux est le plus fragile d’apparence. Mais le monarque règne encore parfaitement et il a dans le regard cette étincelle de fierté d’un aïeul accompli. Son temps est révolu désormais, Charles le sait plus que jamais. Il savoure pourtant chaque moment passé avec le bébé et ne cesse de féliciter son fils, grand gaillard blond aux yeux d’azure.


Victoire est une enfant charmante, docile et facile à vivre. Bien sûr, elle aime à jouer lorsque l’occasion lui est laissée et ne manque jamais une occasion d’entraîner son cousin Ambrose avec elle dans ses parties de cache-cache dans le palais où résonnent leurs rires. Mais elle sait qu’il y a un temps pour tout et ne rechigne pas à se mettre à ses leçons lorsque le moment vient. Ses précepteurs sont contents d’elle et ne manquent pas de le faire savoir au reste de la famille royale.

Mais s’il y a bien une personne avec qui Victoire aime à passer du temps, c’est son grand-père. Le monarque sait toujours se faire une place dans son emploi du temps des plus chargé pour raconter à sa petite-fille les exploits de son passé. C’est ainsi que Victoire rêve souvent de devenir elle aussi chevalier pour servir sous la bannière de sa patrie. Mais cette chimère n’est faite que pour en rester une et au fond elle le sait bien. Elle reste donc à sa place et écoute avec une oreille attentive les histoires du Roi.

Elle n’a que quatorze ans lorsque son grand-père décède et c’est pour elle un choc tout particulier. Car il était son héraut, son chevalier tout d’argent paré. Les légendes ne meurent jamais et Victoire, naïvement, avait nourri la pensée qu’il en allait de même pour les gens dont parlent ces fameuses légendes. La vérité rattrape cruellement la jeune demoiselle et lorsque le cercueil du Roi est enfin dans son caveau, elle part de l’Église en courant, préférant l’absence de monde pour se mettre à pleurer à chaudes larmes. Le silence pour seul compagnon, elle déverse toute sa peine, toute son incompréhension. La douleur est telle qu’elle a la sensation d’être transpercée de part en part de piques atroces.

Seule la présence d’un homme d’apparence bien portante la distrait de ses sanglots. Et lorsqu’il lui demande la raison de cet épanchement, elle ne peut que répondre avec ses mots maladroits, ses mots d’encore enfant malgré ce que l’on peut en dire.

« Mon grand-père est mort. »

C’est en incarnant la vérité sous ses propres mots qu’elle en réalise encore plus l’injustice latente. Les yeux de son grand-père, identiques aux siens, ne se rouvriront plus jamais.
Terrible.


L’année suivante, Victoire est envoyée dans le Saint-Empire Germanique. On la marie, à distance, avec un Prince-Electeur afin de renouer avec l'Empire des relations durables. Son mot à dire n’existe pas mais elle voit bien que cette union est quelque chose que son père tient à réaliser. Alors Victoire ploie, courbe l’échine devant un destin qu’on lui impose. Car c’est comme ça. Les codes, les étiquettes, elle doit les porter et les faire briller. Ses parents n’ayant malheureusement jamais eu d’autres enfants puisque le Seigneur a toujours interrompu les autres grossesses de sa mère avant un terme viable, Victoire est la seule personne à même de faire honneur à ses géniteurs.

Elle part avec un pincement au cœur en songeant qu’elle ne reverra plus ces bâtiments si familiers avant un long moment. Et Ambrose, oh Ambrose. Son cher cousin qu’elle regrette de n’avoir pu davantage serrer dans ses bras maintenant. Mais elle a quinze ans désormais, ce n’est plus l’âge de l’enfance. Il y a des règles et des protocoles à respecter. Elle y a été entrainée.

Le voyage est long et même si les dames de compagnie qui viennent avec elle tentent de la distraire, Victoire n’est accaparée que par des pensées autres. Elle se demande si son mari sera gentil. Elle espère qu’il sera de la même trempe que son père, lequel est d’une douceur unique avec sa mère. Elle ferme les yeux, Victoire, car elle n’a pas d’autres choix que de fantasmer une vie qu’on lui a déjà choisie.

Jean-Georges II de Brandebourg est un homme à l’allure particulière. Il a déjà cinquante ans lorsque Victoire n’en a que quinze et pourtant, elle se surprend à penser qu’il ne fait pas son âge. Il n’a certes plus l’allure vaillante du bellâtre qu’il fut durant ses jeunes années -lesquelles sont maintenant rendues au statut de tableaux sur les murs de la grande demeure Hohenzollern-, mais il n’est ni empâté, ni mal portant.

Mais surtout, il est d’une incroyable douceur malgré tout ce que l’on a pu dépeindre de lui. Homme pieu et croyant, il est d’une droiture irréprochable et avant même de parler à Victoire de leur mariage, il l’emmène faire le tour de son domaine, répondant sans ciller aux moindres questions de la jeune femme. Lorsque lors des soirées nobiliaires, certaines langues crachent du venin dans le dos de Victoire, il est là pour assurer les arrières de sa très jeune épouse.

Mais encore une fois la réalité la rattrape et vient un soir où il la convie à une discussion dans son aile privée.

« Vous savez ce que je me dois d’attendre de vous, n’est-ce pas ? »

Leurs yeux se croisent et les pétales d’or qui strient les pupilles de Jean ont quelque chose de rassurant.

« Oui, je le sais. »
« Je vous présente toutes mes excuses. »

Et pourtant, Victoire ne lui a jamais tenu grief de quoi que ce soit. Car jamais il ne l’a brusquée et jamais il ne l’a violentée. Bien au contraire.

Jean avait déjà des enfants, dont certains même plus âgés que leur nouvelle belle-mère. Tous destinés à reprendre la gérance de la maison, elle ne représentait pas une menace pour eux, mais il fallait tout de même, pour la forme et la sacralité du mariage, fournir de nouveaux héritiers. Lorsque Victoire tomba enceinte la première fois, ce fut si rapide que tout le monde fut surpris. Elle donna pourtant naissance après des heures de souffrance à un premier enfant bien portant. Jean avait fait congédier les nobles demeurant à sa Cour, ne souhaitant pas mettre Victoire dans un tel embarras devant tant d’yeux trop curieux. Parfois, bousculer les traditions avait du bon.

La jeune française fut aidée par ses servantes à devenir une mère accomplie et instillée du désir de bien faire. C’est durant cette même période que sa relation avec Jean, déjà très bonne, se renforça encore davantage. Malgré tout ce qui pouvait les séparer, ils tombèrent réellement amoureux.

La vie au sein de l’Empire se révèle bien plus facile que ce que Victoire s’était imaginé au départ. C’est maintenant dans la sainte maison Hohenzollern qu’elle se sent chez elle, à présent. Et les années qui se succèdent la conforte dans cette idée. Un deuxième enfant viendra bientôt compléter ce tableau de famille qu’elle cultive avec un soin tout particulier.


Alors qu’elle entame sa vingt-cinquième année, Victoire regarde, impuissante, les effets de la peste se propager tout autour d’elle. Toute l’Europe est touchée et aucune tranche de la population n’est épargnée.
Jean lui est brusquement arraché par cette vaste épidémie et elle n’a même pas la possibilité de rester auprès de lui pour les derniers sacrements. Le corps sera brûlé pour éviter toute contagion autre. C’est ainsi qu’elle fut jetée sans pitié dans la gueule du veuvage, statut qui la mettait plus que mal à l’aise. Car en l’absence de Jean, Victoire avait toutes les difficultés du monde à se faire respecter au sein des cercles d’influence germaniques. Mais pour protéger ses enfants, Victoire n’hésitait pas à décliner invitations et propositions de remariage. Elle voulait du temps.


C’est un maudit matin de Novembre qu’elle reçoit une lettre de son cher pays natal. Elle apprend que ses parents et bien d’autres de ses pairs n’ont pas réussi à sortir vivants de cette monstrueuse épidémie. Le deuil brutal est d’autant plus acide qu’il est accompagné d’incompréhensions. Car la missive précise qu’il lui faut retourner en France. Une lettre de son grand-père la désigne comme successeuse légitime. Et uniquement elle. Victoire ne comprend pas, mais elle sait que le sceau au bas de la lettre ne peut être feint. C’est la vérité et elle lui parait encore plus obscure que tous les songes qu’elle a fait jusqu’à lors.

Les requêtes sont pourtant claires et c’est ainsi qu’après moults chambardements, elle prit la route de la France avec ses deux enfants.

Accueillie dans un pays qu’elle ne reconnait plus, aux frontières plus fermées que jamais, Victoire se voit sacrée Reine de France à la Basilique de Reims, comme le veut la coutume. Mais lorsque l’on dépose la couronne sur sa tête, elle réalise à quel point le chemin qui l’attend et parsemé d’aiguilles.

Et pour la première fois elle aimerait fuir.
Mais elle ne le peut pas.
Car c’est là, la vie qu’on lui a choisie.