La chasse. Une activité que Victoire exécrait au moins autant que le poids de sa couronne. Pourtant elle devait bien s’y plier afin d’entretenir de bonnes relations avec les seigneurs qui lui étaient fidèles – et les autres, bien sûr. Encore une corvée pour la Reine qui aurait préféré se faire fumée pour retourner au château pour étudier des documents en tout genre plutôt que d’être là, juchée sur un canasson dont elle ne savait que faire.

Non pas qu’elle ne sache pas comment monter à cheval mais elle avait toujours trouvé la technique des deux jambes du même côté très inconfortable ; aussi elle n’avait jamais vraiment pratiqué cette noble activité qu’autrement de ses obligations en tant que princesse. Mais elle avait quelques jeunes années, à l’époque. Jean ne l’avait jamais obligée à monter si elle ne le voulait pas. Ils avaient fait, certes, quelques balades ensemble mais rien qui nécessitait un galop ou même un trot. Ces moment-là, Victoire les regrettait avec toujours d’amertume alors que les jours passaient sur ce maudit trône.

A peine concentrée sur sa tâche, Victoire ne put que laisser un cri lui échapper alors que son destrier, prit de peur du fait d’un renard passé bien trop près de ses pattes solides, se cabrait pour ensuite partir au galop. La Reine fit donc la première chose qui lui passa par la tête : s’accrocher le plus fortement possible aux rênes de la bête et prier pour que cette dernière ne tarde pas à s’arrêter dans sa course folle. Victoire n’avait pas la force nécessaire dans les bras pour ordonner à cet étalon baie de s’arrêter instamment. Il lui faudra patienter, alors. Et son cœur battait la chamade comme ce n’avait été que rarement le cas.

Fort heureusement, l’animal eut le bon réflexe de s’arrêter en hennissant à l’arrivée impromptue d’un autre cavalier sur sa gauche. Victoire reprit sa respiration non sans difficulté et se redressa sur son assise vivante. Ses lèvres, tremblantes, tardèrent à répondre à son homologue. Une femme. Chevauchant comme un homme. Ces détails insignifiants, retardèrent pourtant les mots de Victoire au sortir de sa gorge. Lorsqu’elle réalisa le moment gênant qui prenait place, elle reprit son rôle et son statut de Souveraine. Il ne fallait pas jeter le déshonneur après une simple chevauchée folle. « Bonjour à vous. Merci pour cette intervention, j’ignore si mon cheval se serait arrêté de sitôt si vous n’aviez pas été là. » Faisant avancer son étalon, Victoire se rapprocha de l’inconnue. « Je suis Victoire de France, et vous êtes ? » Chaque chose en son temps.

La surprise était sans aucun doute ce qui définissait le mieux cette réaction de la part du cavalier – ou plutôt, de la cavalière – faisant face à Victoire. La reine, déjà intriguée par une telle personne, se trouva cependant froissée par les termes employés par Stanislava afin de définir sa manière de monter à cheval. Allons bon, qui était cette étrangère pour prétendre pouvoir faire la leçon à la Reine d’un pays entier ?

« Je vous demande pardon ? C’est pourtant bien ainsi que l’on éduque les femmes à monter. Vous le sauriez si vous aviez eu un minimum d’éducation, ce qui ne semble être guère le cas. » Mais le piquant, l’acerbe, Victoire ne savait l’utiliser sur le long terme et déjà les mots paraissaient lui brûler la langue pour l’agressivité qu’ils portaient en eux. Pourtant elle ne voulait pas de laisser avoir et tomber dans la facilité de s’excuser. Elle ne devait pas le faire. Elle était la reine. Il lui fallait donc agir en conséquence. « Par ailleurs… n’êtes-vous pas gênée de monter ainsi alors que votre condition suggérerait une autre méthode ? »

En dépit de tout le reste, Victoire était intriguée. Déjà des centaines de questions lui agitait l’esprit et de par sa nature profonde, de par son essence, elle avait besoin de réponses.

Ainsi donc il existait des femmes capables de monter comme un homme sans en être incommodées. Victoire sentit l’envie poindre sous sa peau, comme un petit picotement insignifiant, de vouloir essayer cette pratique, elle aussi. Mais avec sa toilette du jour, tout cela n’annoncerait rien de pratique, pour sûr. Alors, comment faire ? Ses yeux se relevèrent vers Stanislava et remarqua à ce moment-là que non contente de montre comme un homme, elle portait un pantalon. C’était une surprise supplémentaire pour la Reine.

Mais elle n’eut guère loisir de s’épancher en de nouvelles questions puisque celle de Stanislava la réveilla brutalement de son étrange torpeur consciente. « Oh, je… » Effectivement, maintenant qu’elle pouvait regarder alentours, pas un seul garde à portée de regard. Son cheval avait dû prendre la fuite d’une manière étincelante pour les avoir semés eux et ses acolytes nobles.

Pourtant, alors que le silence régnait, des voix dans le lointain éclatèrent, criant son nom. Au même moment, Victoire vit un renard épuisé s’écrouler sur le côté du sentier. Les chasseurs n’étaient plus très loin et son premier réflexe, en cédant presque à la panique, Victoire apostropha Stanislava. « S‘il vous plait, pouvez-vous prendre ce renard ? Je voudrais m’éloigner juste un peu ! »

Après elle reviendrait.
Après, elle serait de nouveau Reine.

« NON ! » s’insurgea la Reine en comprenant qu’il était trop tard pour ce renard. Trop tard cependant, le mal était fait et elle ne put que soupirer. « Bon sang, je ne voulais pas le faire tuer mais le tirer des crocs de ces imbéciles et leurs chiens de chasse ! Le manque de compréhension est-il à ajouter à votre tableau ?! » Les rênes étaient serrées dans ses gants en cuir.

Peu de temps après, d’autres cavaliers les rejoignirent et Victoire soupira de nouveau. Elle qui espérait pouvoir leur échapper, ne serait-ce que pour quelques instants, c’était raté. Ce sera une leçon comme une autre qu’elle devra retenir pour la suite : ne jamais essayer de fuir ses responsabilités, elles reviennent vous cueillir avec l’énergie du désespoir.

« Majesté ! » Et voici le Duc amateur de chasse qui s’approche. « Vous nous avez fait nous faire un sang d’encre. » Toujours dans l‘exagération, évidemment. Mais Victoire ne pouvait se départir du masque de la souveraine touchée par ces mots, n’est-ce pas ? « Mes sincères excuses. Heureusement, cette personne ici présente m’a aidé à arrêter mon cheval. En plus de vous dérober la victoire de la chasse. »

Ses yeux verts reviennent vers Stanislava, curieuse, en certains points, de voir quelle serait la réaction de la dame en face d’elle.

« Très bien, garder le renard, puisque visiblement vous en avez grand besoin. » Trancha Victoire, encore dépitée de l’incompréhension née entre elle et l’autre femme. Malheureusement, elle ne pouvait revenir sur les évènements qui s’étaient déroulés alors mieux valait se contenter de l’instant. Toutefois, ceci ne parut pas plaire à tout le monde.

« Comment ?! Après tous les efforts que nous avons mis dans la traque de cet animal, nous devrions le laisser à une misérable ?! » s’insurgea le Duc, ce qui eut le mérite de faire hausser les sourcils de Victoire. Eh bien, quelle véhémence. Et tout cela pour une simple peau de renard ? Etait-ce vraiment dû à la perte du trophée qu’il s’indignait de la sorte ? Victoire s’interrogeait réellement sur les enjeux alors en jeu. « Et que suggérez-vous, Duc ? Un duel loyal entre vous et Dame Stanislava ici présente pour laver l’affront ? »

Ses yeux verts redescendirent vers la susnommée afin de guetter une réaction, n’importe quoi qui pourrait justifier d’un élan de revanche d’avoir été insultée de la sorte. Au fond, elle ne l’admettrait surement pas, mais Victoire était fort curieuse de voir si le répondant de la roturière se limitait seulement aux bêtes de la forêt. Ou pas.

Voyant que la situation commençait à dégénérer, Victoire chercha dans les confins de son esprit une manière ou une autre de se tirer de ce mauvais pas. Elle ne pouvait décemment pas laisser le Duc faire comme bon lui semblait mais… Tout semblait compliqué. Le noble s’insurgea d’autant plus des propos tenus par Stanislava et quelque part, Victoire était à la fois captivée et charmée par cette boule de dédain, d’arrogance. Elle qui n’avait jamais connu cela en face de sa propre personne se sentait se froisser autant qu’elle était ravie. Quelle étrange sensation que voici.

Finalement, les rênes de sa monture parfaitement serrée entre ses mains gantées, Victoire osa lancer quelques paroles dans l’air. « Eh bien messires… » Elle jeta un regard vers Stanislava « Et vous aussi. » Inspiration, expiration, elle devait tenir la ligne sur laquelle elle s’était elle-même lancée sans réelle préparation. Et c’était bien plus difficile que ce qu’elle s’était imaginé. « Je… Pourquoi ne pas dissiper ce malentendu par un duel dans les normes ? Je pourrais en être l’arbitre et ainsi tout le monde serait ravi de la finalité. » Les autres nobles regardèrent la Reine comme si elle ne pouvait parler sérieusement. Elle songea même à rétropédaler, en toute honnêteté. Pourtant, son silence troublé semble lui apporter raison et le Duc céda. « Bien… Si la Reine propose, ce ne peut qu’être une bonne idée. » Tout sans sa voix sonnait aux accords contraires, mais pour l’heure, Victoire était simplement satisfaite de cela.

Ne restait plus qu’à attendre Stanislava, maintenant.

Elle espérait pouvoir faire redescendre les tensions – enfin, en quelque sorte… - en instaurant un duel. Et puis elle avait parfois vu des choses similaires être réglées de la sorte durant son séjour au sein de l’Empire Romain Germanique. Ce devait donc être une façon comme une autre de procéder en termes royaux, non ?

Apparemment, non.

Car tout le monde paraissait contrarié. Victoire déglutit en se demandant si elle n’avait pas commis une erreur de plus dans son jugement. Pourtant le Duc descendit de son cheval. De mauvaise grâce, oui. Mais il descendit tout de même. La Reine ne pouvait plus faire comme si de rien n’était ou revenir sur ses positions. C’aurait été avouer une faiblesse et elle ne pouvait se le permettre. Pas maintenant.

Alors elle prit une profonde inspiration, incertaine jusqu’aux bouts de ses doigts. Puis, elle proposa son barème. « Au premier à terre, de manière loyale. Pas de coup en traître ou de coup fourré, il faut savoir rester digne pour rayonner en haute société. » Une phrase toute faite venue des tréfonds de ses souvenirs. Jean lui avait un jour dit une chose pareille. Et elle se disait que même mort, son défunt mari pourrait toujours la guider vers le bon chemin. Peut-être.

Si elle était assez chanceuse pour cela.

C’est le souffle coupé que Victoire posa ses yeux sur le duel qui s’était déroulé sous ses yeux. Tout avait été si rapide que c’était bien la curiosité plus que la peur qui avait pris le dessus. La reine sentait son cœur battre à tout allure, comme s’il allait sortir de sa poitrine. Stanislava était une guerrière émérite. Même en ne connaissant rien au champ de la guerre, Victoire pouvait l’affirmer sans sourciller ou sans même songer qu’elle pourrait faire erreur. Non, pas cette fois.

Et elle en demeurait fascinée comme jamais.

Le Duc mit à terre, Victoire vit bien que ce dernier n’allait pas accepter si facilement sa défaite, mais elle le somma de ne pas poursuivre ses mots davantage. « Il suffit, Messire le Duc. Les règles étaient telles et elles ont défini votre défaite. Relevez-vous, vous vous êtes bien battu malgré tout. » Elle n’aurait peut-être pas dû ajouter le ‘malgré tout’ qui ne faisait certainement que rehausser la frustration de son comparse noble, mais après tout, Victoire avait encore beaucoup à apprendre.

« Nous pouvons rentrer au château, je pense. » fit-elle, maintenant que les esprits étaient visiblement calmés – du moins, en apparence. Et puis, l’audace. « Stanislava, nous accompagneriez-vous ? J’aimerais m’entretenir avec vous sur quelques points. » Car sa curiosité, elle, n’avait en rien été apaisée.

Maintenant que les choses étaient rentrées dans un ordre un tant soit peu supportable et sans que tout ne menace de dégénérer ouvertement, Victoire appréciait la simple pensée de retourner au palais afin de poursuivre ses devoirs du jour. Néanmoins, la fascination qui la prenait toute entière face à Stanislava ne l’avait pas quitté.

Alors, profitant de la présence de l’autre femme prêt d’elle, Victoire laissa ses yeux fureter sur la façon dont la cavalière était assise, bien différemment d’elle. Peut-être un jour parviendrait-elle a chevaucher de la sorte. Mais l’heure n’était pas réellement à l’hypothèse d’un futur où rien n’était encore certain. « Je… » Elle cherchait ses mots, ne sachant par où commencer tant ses interrogations allaient et venaient en remous sous sa chevelure blonde. « Vous combattez depuis longtemps ? J’ai trouvé votre maîtrise, ma foi… Impressionnante. »

Et Victoire ne connaissait rien à l’art de la guerre si ce n’est que c’était ordinairement réservé aux hommes et à leur glorieux destin qui était de mourir sur le champ de bataille à la première occasion. Elle n’enviait pas ce triste sort. Son grand-père lui avait déjà narré ses expériences de guerre et ce n’était en rien enviable aux yeux de la Souveraine. Malgré tout, savoir qu’une femme avait défait un homme – noble, de surcroit – la mettait un peu en joie.

Et puis si ainsi elle n’avait plus à supporter la vantardise du Duc…

Elle se souvenait qu’un jour, alors qu’elle était encore petite fille déambulant dans les couloirs du Palais de Paris, elle avait vu son père échanger quelques coups d’estoc durant un entrainement à l’épée avec un maître d’armes du château. En dépit de son statut et de ses enseignements rigoureux, Auguste avait ce jour-ci perdu la face et il avait ri. Victoire fut précisée que même après des années d’entrainements acharnés, on ne devenait jamais réellement aguerri à toutes les situations. Elle avait conservé cet adage personnel dans un coin de sa tête. De savoir qu’il n’avait fallu que vingt ans à Stanislava pour en arriver à ce niveau l’intéressait d’autant plus.

Mais alors que l’autre jeune femme lui prit la main pour y déposer un baiser, Victoire sentit un frisson lui parcourir la colonne vertébrale.

Prestement, elle reprit ses phalanges de l’étreinte de la rousse et bégaya quelques excuses. « Je- Par tous les Saints, vous n’y pensez pas ! Se battre jamais n’a été affaire de femme. Vous êtes une exception, tout simplement, cela ne signifie pas que mon devoir peut se distraire si facilement. » Tout de même, c’aurait été un comble ! Elle s’écartait déjà suffisamment en montant sur le trône alors si elle devait poursuivre sur cette voie…

Le rouge sur ses joues la trahissait doublement.

Victoire avait senti son cœur s’emballer aux propos et aux gestes de l’étrange femme qui chevauchait maintenant à côté d’elle. Pourtant elle n’avait pas de honte à retrancher derrière un sourire aimable, loin de là. C’était tout simplement la première fois qu’on lui parlait si ouvertement en étant pas un membre officiel de l’Etat. Et quelque part, elle se sentait étrangement protégée aux côtés de Stanislava.

C’est ainsi que ses pensées fusèrent encore une fois, lui donnant des idées neuves. « Je… Je réfléchirais à votre proposition. Mais ne formez pas trop d’espoirs à ce sujet. Comme je vous l’ai dit, une femme digne de ce nom et… de mon rang, plus encore, se doit d’avoir ses propres champs de compétences. Et se battre n’en fait pas partie. »

En revanche, on lui avait conseillé de s’octroyer les services d’un ou plusieurs gardes du corps pour parer à toute éventualité. Et si ces fameux gardes du corps n’étaient pas dans l’armée régulière, c’était une sécurité de plus. « Je me demandais… A tout hasard, vendez-vous vos services ? »

Les yeux verts de Victoire se posent sur Stanislava sans rien laisser paraitre de son trouble. Car si la rousse répond par la négative… Que pourrait-elle répondre face à cela ?

Victoire était toute intriguée par ce qu’allait répondre Stanislava et même si elle tâchait de ne rien laisser paraitre, elle était impatiente de connaître les propos de la rousse. Seulement… Eh bien tout comme elle l’avait fait auparavant, l’étrangère dévia immédiatement ses paroles pour se diriger vers de l’intolérable. Cette femme ne pouvait pas être croyante, c’était impossible ! Tenir de telles obscénités…. Victoire s’en sentait troublée et outrée en même temps.

« Je … ! » Elle se pinça l’arête du nez. Ses joues s’étaient empourprées et sa première pensée alla vers les autres nobles qui l’accompagnaient. Heureusement, aucun d’entre eux n’avait tourné de regard dans sa direction pour l’heure. Son honneur était visiblement encore sauf et elle devait mettre à profit ce temps supplémentaire que lui donnait le Seigneur tout puissant. « Vraiment, vous devriez tenir votre langue, parfois. Dieu pardonne les péchés mais tout de même, ce n‘est pas raison suffisante pour dire de telles choses. Où avez-vous donc grandit pour vous permettre cela ? »

Mais le principal sujet qui intéressait Victoire n’était pas là. Elle redressa son regard, droit devant elle. « En vérité, je me demandais si un emploi de garde du corps pourrait vous intéresser. » C’était sans doute un peu prématuré et surtout, elle n’avait rien demandé à personne, pour le coup. Mais Victoire songeait qu’il valait mieux un garde du corps qui lui soit entièrement dévoué.

Et puis, elle ne put s’empêcher de penser à ce que son grand-père lui avait un jour raconté, au sujet de son propre garde du corps. Quel était son nom, déjà ?