Un silence lourd et malaisant s'installe suite à ma question, une non-réponse qui confirme mes craintes et certitudes : oui, ma sœur doit vraiment se marier et rien de ce que je pourrais dire ou faire ne pourra changer cette vérité.
Je ne dis et ne fais donc rien, gorge toujours serrée et tête tournée histoire de ne pas avoir à la regarder ; pas parce que je la boude mais parce que je risque de me mettre à pleurer si je vois son visage et que je refuse de lui imposer mes larmes, pas quand c'est elle qui est le plus à plaindre.

Les secondes s'écoulent, chacune plus silencieuse que la précédente, jusqu'à ce que ma sœur ne vienne enfin briser l'insoutenable en pointant les cieux du doigt. Curieuse, je ne peux m'empêcher de lever les yeux vers les étoiles, vers sa constellation favorite que je peine à reconnaître.

Comment elle s'appelle ?

Il me faut tout de même admettre que malgré mon intérêt, les étoiles ont bien du mal à me mettre du baume au cœur, même avec Johanna à mes côtés.
De nouvelles secondes s'écoulent et voici que ma sœur arrive enfin à mettre des mots sur le silence que nous avons enduré un peu plus tôt, sur son destin et le mien ; des mots que j'ai déjà entendu de nombreuses fois, de sa bouche comme de celle de notre mère. Toutes les femmes doivent épouser un homme et porter ses enfants, ainsi va la vie depuis la nuit des temps, ainsi continuera la vie jusqu'à la fin des temps - c'est comme ça que c'est écrit, après tout.
Mais moi, je ne veux pas me marier.

Non. Pas du tout.

Je le lui avoue mais je suis sûre qu'elle connaissait déjà ma réponse avant de me poser la question, elle semble toujours se douter de mes secrets et de mon état d'esprit, après tout : impossible de lui cacher quoi que ce soit.
Je ne veux aucunement me marier, c'est la vérité, mais au bout d'un nouveau moment de silence, je me décide tout de même à lui affirmer :

Je me marierai sans faire d'histoires, tu sais ?

Je suis tout à fait consciente de notre place dans la société et des attentes des hommes, et même si je n'apprécie rien de tout cela, j'ai bien compris que je ne pourrai jamais y échapper, moi non plus.. peut-être étais-ce là le véritable but de sa question, d'ailleurs ? M'aider à réaliser qu'un jour, ce sera mon tour ?
Mais ça, j'en suis déjà consciente ; j'y pense aussi souvent que je pense à son mariage à elle et je me suis déjà résignée à faire ce qu'on attend de moi sans la moindre protestation. Johanna, elle a encaissé sans broncher. Je suis certaine qu'elle souffre de toute cette histoire mais elle ne dit rien et je sais qu'elle fera tout pour remplir ses devoirs de femme sans se plaindre.
Elle est forte comme ça, ma grande sœur.
Je serai forte, moi aussi.

Je ferai tout bien avec mon mari, même s'il est tout vieux comme le tiens.

C'est que son potentiel fiancé le plus prometteur est au moins aussi vieux que notre papa.. je trouve ça un peu étrange mais bon, papa a l'air de bien l'aimer, ce doit donc être un homme bien.

C'est juste...

Je me retourne vers elle et ancre le bleu de mes yeux dans celui des siens, ne supportant plus de l'éviter plus longtemps, et mes larmes se mettent à couler.

Je ne veux pas.. que tu t'en ailles...

Un premier sanglot coupe ma phrase en deux, d'autres viennent se loger dans la suivante, rendant mes envies et besoins d'enfant, pourtant si simples, bien difficiles à exprimer ; ces envies que je garde pour moi depuis que notre mère m'a demandé de grandir un peu, les qualifiant de caprices.

Je veux.. continuer de.. vivre avec toi.. toujours...

Je cache mes yeux sous mes bras, parce que je suis laide quand je pleure mais aussi parce que je me trouve bête et nulle de lui offrir un tel spectacle alors que je m'étais promise de ne pas me laisser aller devant elle. Je ne veux pas que Johanna me voie dans cet état, ne veux pas rendre les choses encore plus difficiles pour elle, mais mes larmes et sanglots refusent de cesser.
Quand pourrons-nous nous voir ?
Une fois par mois ?
Par an ?