Mer 20 Jan - 19:44
Je suis, aux yeux des autres, une jeune femme forte et silencieuse, une femme solitaire et mystérieuse, toujours humble et courtoise.
Je m'efforce, il est vrai, de me montrer polie et respectueuse, plus attentionnée sans doute avec ces dames qu'avec ces messieurs.
Je suis en effet calme et discrète, et ma douce voix ne s'élève que rarement.
Je ne suis naturellement pas étrangère à l'énervement ou à la frustration mais mes colères restent rares et silencieuses, aussi silencieuses que mes larmes, ces larmes qui coulent un peu trop facilement à mon goût.
Je suis, après tout, bien plus vulnérable qu'on ne le pense et sous cette peau dure défaillante, sur laquelle ne glissent pas forcément toutes les moqueries et insultes, se cache une jeune femme aux convictions vacillantes, rongée par une certaine forme de solitude.
Cela fait neuf ans maintenant que personne ne m'a prise dans ses bras, que personne n'a affirmé m'aimer - c'est là la moitié de ma vie.
Après avoir perdu ma famille, je suis successivement devenue une servante et une chasseuse, un outil loyal et commode dans la lutte contre les créatures.
Je ne suis, en revanche, jamais devenue une amie ou une amante.
Je désire ces relations mais n'ose jamais faire le premier pas, n'ose jamais aller vers les autres, ces autres qui n'osent pas m'approcher en retour, me trouvant sans doute ennuyeuse ou inaccessible du fait de mon caractère introverti.
Je continue d'espérer rencontrer un jour des gens qui arriveront à percer cette bulle dans laquelle je me suis enfermée et dont je n'arrive plus à sortir.
Je ne sais jamais comment réagir aux compliments ou encore aux marques d'affection, qui m'embarrassent énormément ; une gêne qui, bien souvent, me pousse à faire la sourde oreille ou à les rejeter.
On me dit débrouillarde, astucieuse ou encore déterminée, ce sont en tout cas là les qualités que m'attribuent ces frères d'armes qui arrivent à faire fi de ma condition de femme. Je ne sais si je suis digne de ces louanges et je n'y prête pas attention, me contentant simplement de faire de mon mieux pour mener mes missions à bien.
Je suis née en des temps incertains, durant la révolution néerlandaise, petite dernière d'une fratrie de quatre.
Johanna, ma sœur, a pris soin de moi dès mes premières années, nos parents n'ayant eu que peu de temps à me consacrer, trop occupés qu'ils étaient à assurer le pain quotidien, une noble tâche rendue plus complexe encore du fait de la situation politique du moment.
Johanna était douce, patiente et aimante ; c'est elle qui m'a éduquée, qui me réconfortait, partageait mes joies et me grondait quand je faisais des bêtises.
Je l'aimais énormément, plus encore que nos frères et nos parents.
Je n'avais, enfant, aucun rêve et aucune aspiration, absorbant les craintes et les incertitudes des adultes vis-à-vis de l'avenir comme une éponge sans pour autant comprendre ce qui les effrayait tant - la révolution, entamée des années plus tôt, était en train de s'enliser et nul ne pouvait prédire de quoi serait fait le lendemain.
Il ne me restait donc, à l'âge de huit ans, qu'une seule conviction concernant le futur : ma main serait offerte à un homme et je devrais porter ses enfants, un destin inéluctable auquel je m'étais déjà résignée.
Si mon engagement futur occupait déjà mes pensées à l'époque, c'est parce que ma sœur venait d'atteindre l'âge de mariage et ses obligations, qui seraient également les miennes, étaient devenues un sujet de conversation récurrent à la maison.
Johanna savait que son mariage à venir m'attristait, même si ce dernier n'était encore qu'un concept abstrait, même si je me gardais bien de lui en parler, et comme à son habitude, elle venait souvent me rassurer en affirmant qu'elle m'aimait, qu'elle nous aimait tous, que nous resterions toujours sa famille et qu'elle n'avait aucune intention de sortir de vos vies.
Nous étions loin de nous douter que le destin avait d'autres projets pour nous et qu'une tragédie allait bientôt s'abattre sur notre foyer.
Johanna, aussi jolie que gracieuse, a attiré l'attention de nombreux prétendants et ces derniers se sont empressés de faire des offres à notre père, déterminés à entrer dans ses bonnes grâces.
Père s'est montré particulièrement réceptif à l'un des soupirants, un marchand de bonne famille, et si ma sœur n'avait aucune affection pour ce dernier, qui avait près de trois fois son âge, elle n'a exprimé aucun mécontentement vis à vis de cette potentielle union. Johanna savait à quel point cette alliance serait bénéfique à notre famille et admettait volontiers que cet homme était aussi bienveillant et attentionné en privé qu'il ne l'était en public.
Pour elle, c'était amplement suffisant.
Personne n'y voyant d'inconvénients, leurs fiançailles furent annoncées.
Personne sauf Emmery de Goede.
Emmery, jeune homme charmant en apparence mais avec une attitude qu'on ne pouvait qualifier que de déplorable, était tombé follement amoureux de ma sœur et lui faisait la cour avec une insistance malaisante.
Il était venu nous rendre visite, comme tant d'autres, mais si sa fortune n'avait rien à envier à celle du marchand, son comportement avait fortement déplu à notre père : il est arrivé en conquérant et n'avait aucune once de respect ou de bon sens, parlant de ma sœur comme d'une propriété déjà acquise.
Père aimait Johanna et souhaitait qu'elle soit heureuse dans son ménage, un bonheur que ce jeune homme désagréable n'aurait jamais pu lui apporter, c'est pourquoi il a refusé ses offres pourtant alléchantes.
Emmery, furieux d'apprendre que ma sœur venait d'être promise à un autre, est venu frapper à notre porte le soir même, s'est invité à l'intérieur sans en avoir l'autorisation et s'est mis à agresser notre père verbalement, annonçant que personne ne se mettrait entre ma sœur et lui.
Père ne s'est pas laissé faire, le ton est monté et, finalement poussé à bout, refusant de se laisser insulter dans sa propre maison, s'est décidé à mettre notre.. invité.. dehors en usant de la force.
Quelques instants plus tard, cet horrible Emmery enjambait le cadavre de notre père et contournait ceux de Louis et Frederick, nos frères, qui avaient tenté de l'aider ; sans oublier celui de notre mère, qui avait tout fait pour sauver ses fils.
Je n'avais jamais vu un homme aussi fort et cruel, n'avais jamais vu une scène d'une telle violence - mes jambes s'en sont dérobées sous moi et je me suis mise à trembler comme une feuille, incapable de produire le moindre son.
Johanna, agenouillée à mes côtés et me serrant aussi fort que possible dans ses bras, en larmes, s'était mise à le supplier de me laisser la vie sauve, lui promettant même de le suivre s'il ne me faisait aucun mal.
Tu es la seule qui soit digne de mon amour, a-t'il répondu, sourire satisfait sur les lèvres. Je ferai de toi l'une des nôtres.
Il m'a arrachée des bras de ma sœur sans ménagement, annonçant qu'il allait l'emmener loin d'ici, de ce trou à rats, et l'a chargée sur son épaule comme un vulgaire sac de patates avant de disparaître dans les ténèbres de la nuit.
Je me suis péniblement remise sur mes jambes et me suis traînée jusque dans la rue où se rassemblaient des voisins curieux, alertés par les cris de ma sœur, cette sœur que je n'ai plus jamais revue.
C'est là que j'ai réalisé toute l'étendue du drame qui venait de se dérouler sous mes yeux, que j'ai réalisé que j'étais désormais seule au monde et que je me suis finalement mise à hurler et à pleurer.
Hurler jusqu'à ce que j'en perde la voix.
Pleurer jusqu'à épuisement.
Père était connu dans les environs comme un homme fort et courageux et mes frères étaient eux-même bien bâtis, c'est pourquoi personne n'a pris mon récit surréaliste au sérieux - comment accepter qu'un avorton en mal d'amour ait pu massacrer ces trois là ? Pour le commun des mortels, mon histoire ne tenait pas debout, n'était qu'une série de faits déformés et exagérés sous le prisme du traumatisme d'une enfant de huit ans, mais aux yeux de l'Église souterraine, c'était un témoignage gênant.
Ils m'ont bien vite mise sous silence et m'ont envoyée vivre dans un monastère, loin des oreilles indiscrètes, où l'on m'a éclairée sur l'existence des créatures, sur la vérité concernant le massacre de ma famille et sur le sort cruel réservé à ma sœur - elle avait sans doute été transformée en l'une des leurs.
C'est dans ce monastère hors de l'ordinaire qu'étaient entraînés de jeunes garçons aux arts de la guerre contre les créatures et je ne m'y sentais pas à ma place, seule enfant et seule fille au milieu de tous ces hommes et de toutes ces armes, mais je savais que mes protestations ne seraient jamais entendues.
Je savais aussi que je ne me sentirais plus jamais à ma place où que ce soit, je me suis donc résignée à faire ce que ces gens attendaient de moi : me taire et me rendre utile d'une manière ou d'une autre.
Le vingt-six Juillet 1581, l'année de mes dix ans, la révolution fit un grand pas en avant et l'Acte de La Haye fut rédigé : les régions néerlandaises, jusqu'alors partie du Saint-Empire Romain Germanique, déclarèrent leur indépendance et deviennent les Provinces-Unies des Pays-Bas.
Si la naissance de notre nouvelle nation fut célébrée dans les rues, elle fut en revanche fustigée par l'Église souterraine : ce revers politique allait engendrer toujours plus d'instabilité dont Vampires et Lycans, déjà enhardis, profiteraient pour gagner en puissance.
Pire encore, l'un des bénéfices apporté par la révolution était, officiellement, la liberté de culte et, officieusement, une mise sous silence du catholicisme en faveur du protestantisme - la guerre religieuse qui était sur le point commencer était sûre d'affaiblir leurs forces.
Je fus, à douze ans, convoquée dans les jardins du monastère, où les garçons s'entraînaient, et une lame fut placée entre mes mains délicates.
Finie la lessive, au revoir fourneaux et autres tâches ménagères, la situation ne cessait de s'empirer et le temps était venu pour moi de contribuer à l'effort de guerre d'une manière moins féminine.
Passer de servante à sœur d'arme n'avait pour moi rien de logique mais malgré le côté improbable de cette transition, je me suis contentée de faire ce que je faisais de mieux : acquiescer sans poser de questions.
Ce ne fut en revanche pas le cas des garçons et de certains instructeurs, qui ne virent pas l'arrivée d'un petit bout de femme dans leurs rangs d'un bon œil - la chasse aux créatures était un travail d'hommes et ma compagnie les offensait.
J'ai bien évidemment été moquée et malmenée, mes prouesses dans l'art de la bataille étant exactement celles qu'on attendait d'une frêle demoiselle, et nos séances d'entraînement étaient pour moi de terribles épreuves dont je sortais meurtrie, à bout de force et humiliée.
J'ai néanmoins tenu bon, n'en déplaise aux autres apprentis qui désiraient me voir retourner nettoyer leur linge sale, et si le chemin fut extrêmement difficile, il s'est avéré au fil des mois, des années, que j'avais un véritable talent.
J'étais bien consciente, petite et menue que j'étais, que je suis toujours, que ma force ne serait jamais qu'une modeste fraction de celle d'un homme mais mes autres qualités réussirent à compenser ma faiblesse et firent de ma lame l'une des plus redoutables du monastère : des déplacements silencieux, une agilité à toute épreuve, des mouvements souples et rapides, une technique exemplaire et juste ce qu'il faut d'imprévisibilité.
Tous ces rires dédaigneux qui m'étaient destinés s'étaient alors transformés en grognements de frustration.
Si blesser tous ces jeunes mâles dans leurs égos me procurait une certaine satisfaction, ce n'est pas cette satisfaction qui m'a poussée à m'accrocher et à faire tant d'efforts. Je croyais que si j'apprenais à me battre, je pourrais un jour retrouver Emmery et sauver Johanna.
J'étais si naïve.
À seulement quatorze ans, je fus réquisitionnée pour ma première battue - mes compagnons du monastère et moi avions pour mission d'assister de véritables chasseurs lors une traque hors du commun, celle d'une meute de Lycans.
Je n'étais pas encore prête à faire face aux réalités du terrain mais cette battue extraordinaire, la plus grande jamais organisée dans la région, allait donner la chasse à six créatures et tout homme disponible était tenu de participer.
Ce fut la plus longue journée de toute ma vie.
Au coucher du soleil, après des heures de traque et d'escarmouches, trois des créatures gisaient à nos pieds, le reste de la meute avait pris la fuite et les cris des chasseurs célébrant notre victoire retentissaient dans l'air.
Ces célébrations n'avaient pourtant aucune raison d'être à mes yeux : entre les décédés, les estropiés et les blessés, nous avions payé un sacré prix.
Je ne pouvais m'empêcher de penser à tous ceux que nous avions perdu et à ceux que nous continuerions de perdre au cour de la nuit, à ces compagnons du monastère qui n'avaient pas survécu à leur première mission ; ne pouvais qu'entendre les gémissements de souffrance des blessés, étouffés par les cris de victoire de ceux qui étaient encore en état de crier.
Agenouillée aux côtés d'un inconnu que la vie était en train de quitter, exténuée, poitrine en feu, pressant désespérément un tissu sur sa plaie béante, je n'ai pas pu retenir mes larmes, abondantes, intarissables.
Étais-ce vraiment ça, une victoire ?
On ne cessait, au monastère, de me raconter d'horribles histoires concernant les créatures, mais ces histoires, tout comme mes souvenirs, ne faisaient pas justice à la force et à la brutalité des Lycans que nous avions affrontés.
Comment avais-je pu croire que je pourrais vaincre Emmery ?
Ce jour là, j'ai réalisé ce qu'être un chasseur signifiait.
J'étais terrifiée.
Après cette amère battue, quelques chasseurs, satisfaits de ma performance, ont commencé à solliciter mon assistance sur le terrain et l'expérience que j'ai gagnée aux côtés de ces vétérans m'a permis de retrouver confiance en mes capacités, de faire face à ma peur des créatures.
À seize ans, j'étais ainsi devenue une assistante accomplie et mes supérieurs chantaient mes louanges, parlant de moi comme d'un élément très prometteur. Derrière ce potentiel qui attirait l'attention, derrière la chasseuse en devenir, se cachait pourtant une jeune demoiselle rongée par le doute et le désir, un doute et un désir qui me poussèrent à l'erreur et faillirent me coûter la vie.
Je me trouvais dans un bois, en bord d'étang, lame à la main, face à une jeune femme assise contre le tronc d'un arbre, une femme blessée qui ne paraissait pas beaucoup plus âgée que moi.
Il ne s'agissait pas là d'une dame ordinaire mais bien d'une Vampire, que nous avions prise en chasse mais qui a réussi à nous échapper, nous forçant à nous séparer afin de ratisser le petit bois dans lequel elle avait trouvé refuge.
Il s'agissait aussi, surtout, de la première femme que je prenais en chasse et ce fait suscitait en moi des émotions douloureuses et conflictuelles, une atroce distraction dont je n'arrivais pas à me débarrasser : cette créature, plus qu'une cible à mes yeux, représentait ce que ma sœur était devenue.
Je m'étais promise de ne pas laisser cet émoi interférer avec ma mission mais une fois face à la créature, ma sœur est revenue hanter mes pensées.
Pire encore, mes désirs s'étaient également manifestés ce soir là et je m'étais laissée charmer, sotte que j'étais, par ses courbes féminines et par les traits de son visage ; une préférence que je ne comprenais pas encore et qui, face à sa détresse, mêlée à mes doutes, me poussa à commettre une erreur.
J'aurais dû profiter de sa position vulnérable pour frapper.
J'aurais dû révéler mon emplacement aux chasseurs.
J'ai hésité.
Cette hésitation offrit à la créature en larmes une chance de plaider pour sa vie
Pitié, supplia-t-elle, une main tremblante tendue vers moi, je n'ai jamais voulu devenir l'une des leurs, ils m'ont transformée contre mon gré !
Je suis une victime, moi aussi !
Ces mots me firent énormément de mal, non seulement parce que ma sœur se trouvait dans l'exacte même situation mais aussi parce que c'était la première fois qu'une créature terrifiée me suppliait de lui laisser la vie sauve - c'était, au fond, comme si les rôles étaient renversés, comme si j'étais le monstre.
Qu'étais-je censée faire si je rencontrais Johanna ?
Qu'étais-je censée faire de cette créature ?
Perdue dans mes pensées, je n'ai pas remarqué que la créature s'était relevée et cette dernière, se rendant finalement compte que j'étais seule, profitant de ma distraction, s'est lancée sur moi et m'a asséné au visage un coup si violent que j'en ai lâché ma lame et me suis retrouvée au sol, complètement sonnée.
Lorsque j'ai retrouvé mes esprits, elle était assise à califourchon sur mon torse et ses mains étaient en train de se resserrer autour de mon cou.
Je me suis évidemment débattue, en vain comme on pouvait s'y attendre, et la Vampire, visage déformé par un sourire aussi large que fou, s'est mise à me crier dessus, à m'expliquer avec une satisfaction non dissimulée et que c'était là le destin réservé aux pathétiques humains qui osaient s'en prendre à elle.
Il avait suffit d'un instant de faiblesse pour faire tomber son masque.
Alors que je pouvais sentir ma vie s'échapper, paniquée, incapable de saisir la moindre bouffée d'air, des aboiements se firent entendre dans les environs, accompagnés de voix humaines. Par ici, criaient-ils. Dépêchez vous !
Réalisant qu'elle n'aurait jamais dû hausser la voix, de nouveau en proie à la terreur, jugeant que sa vie était plus importante que ma mort, la créature s'est enfuie sans demander son reste, s'enfonçant dans les ténèbres grandissantes de la nuit naissante.
Allongée sur le dos, à nouveau libre de respirer, honteuse de la manière dont je m'étais faite avoir, je me suis mise à contempler la pleine lune et les étoiles qui commençaient à apparaître dans le ciel crépusculaire, plus que consciente qu'il ferait bientôt trop sombre pour continuer la poursuite.
Pourtant, plus que la honte, c'est le désespoir qui s'était emparé de moi après cet échec cuisant : j'avais jusqu'ici toujours cru que je pourrais sauver ma sœur si j'arrivais à vaincre Emmery mais.. même si je les retrouvais un jour, peut-être était-ce déjà bien trop tard pour elle.
Johanna avait été changée, transformée, et, tout comme la femme qu'était autrefois cette Vampire, cette sœur aimante et attentionnée que j'avais tant aimée, que j'aime toujours autant, n'était peut-être déjà plus de ce monde.
J'ai réalisé, ce soir là, que même si je retrouvais Johanna, il me faudrait peut-être lui ôter la vie de mes propres mains.
Quelques semaines plus tard, toujours âgée de seize ans, je fus officiellement promue au rang de chasseuse et on me confia une nouvelle mission, une tâche plutôt étrange à n'en point douter : l'apprentissage du français, une langue plus que familière, largement pratiquée dans notre nation, principalement, mais pas seulement, par l'élite, les savants ou encore les marchands.
J'avais acquis, au fil des ans, de solides notions de français mais ces notions étaient loin d'être suffisantes : on exigeait de moi une maîtrise aussi parfaite que possible de cette langue, un ordre saugrenu auquel je me suis contentée d'acquiescer sans poser la moindre question.
Je saurais bien assez tôt.
Tu as été choisie, m'a-t-on annoncé le jour de mon dix-septième anniversaire.
Tu seras envoyée vivre à Paris.
Je me suis inclinée en guise de soumission, comprenant enfin d'où venait cette lubie de me faire apprendre une langue étrangère, et ces éclaircissements que je ne me permettais pas de réclamer me furent immédiatement offerts.
Il était important que je comprenne ce qu'on attendait de moi.
Comme le craignait l'Église souterraine, Vampires et Lycans étaient bel et bien devenus plus dangereux que jamais et ses propres forces avaient été touchées par cette guerre que menait le protestantisme contre le catholicisme.
Chaque année, de nombreux placards anti-catholiques voyaient le jour et de nouvelles villes décidaient d'interdire l'exercice public du catholicisme, ce qui permettait aux calvinistes de s'emparer de nos églises et monastères.
L'Église catholique ordinaire des Pays-Bas, sentant son pouvoir et son influence lui glisser entre les doigts, a donc décidé d'entrer en correspondance avec les Églises des états voisins afin d'obtenir leur support public, en espérant que ces alliances suffiraient à freiner la conquête protestante.
De tels agréments avaient un prix et des présents à caractère religieux étaient régulièrement envoyés vers ces nations.
L'Église souterraine, de son côté, faisant face à une crise sans précédent, est entrée en contact avec son homologue français, cherchant à établir une bonne relation avec ce dernier et à le convaincre de s'entraider face à la menace que représentent les créatures.
Il s'agissait dans un premier temps d'échanger sur leurs méthodes de chasse respectives, de s'échanger des connaissances ou encore des informations et, à terme, c'est en tout cas ce qu'espéraient mes supérieurs, d'obtenir des renforts sur le terrain, ne serais-ce qu'aux abords des frontières.
L'Église de France ne s'étant pas montrée complètement fermée à l'idée d'une collaboration, mes supérieurs ont donc entamé les négociations et il fut décidé qu'une Sainte Relique serait envoyée à Paris en gage de bonne foi.
Ce sera là un long et périlleux trajet, c'est pourquoi l'Église souterraine a décidé d'ajouter l'un de ses chasseurs à l'escorte - moi.
Elle doit arriver à bon port.
Une fois arrivée en France, je ne pourrai, contrairement aux autres membres du convoi, pas rentrer au pays ; pas tout de suite, peut-être jamais.
Avoir quelqu'un sur place pour représenter l'Église souterraine des Pays-Bas et faire le lien entre nos deux Églises ne pouvant qu'être bénéfique, la décision de mon séjour prolongé une fois la Relique transférée leur sembla toute naturelle.
Je devrai, une fois là-bas, obéir à l'Église souterraine française comme j'obéis à celle de mon pays et faire de mon mieux pour obtenir leurs sympathies.
Une tâche difficile sans une excellente maîtrise du français.
Il faudrait au moins deux ans avant le départ de la Relique, suffisamment de temps pour qu'un nouveau professeur de langue très strict, réfugié français, ne prenne mon éducation en main.
J'ai étudié de nombreuses heures chaque jour en sa compagnie durant ces deux dernières années, me suis faite frapper sur les doigts et les cuisses à chaque fois que je faisais une erreur ou que mon accent se montrait un peu trop prononcé à son goût ; étudié seule des heures encore chaque soir, à la lumière de la bougie, et me suis souvent endormie sur mes livres.
J'ai vécu ces deux années en français.
Je suis actuellement assise à l'arrière du chariot dans lequel se trouvent des textes sacrés, des œuvres d'art religieuses et, surtout, la Sainte Relique ; en route vers la France avec le reste du convoi.
Je mentirais si je disais ne pas être un peu perturbée, je quitte mon pays natal et je n'ai aucune idée de ce qui m'attends, après tout.
Ce voyage m'éloigne aussi de ma sœur, Johanna, et de cet exécrable Emmery, me laissant un goût amer d'inachèvement dans la bouche.
Quoi qu'il en soit, je ne peux pas me permettre de m’apitoyer sur mon sort.
Il est temps de me concentrer sur ma mission.
Sara van Helzen
Silence.
Je suis une jeune femme de dix-neuf ans, venue au monde un six Janvier à Den Haag, une ville mieux connue en France sous le nom de La Haye.
Den Haag appartenait alors au Saint-Empire Romain Germanique mais fait à présent partie des Provinces-Unies des Pays-Bas.
Fille d'artisans et enfant du peuple, je suis une humaine ordinaire ; aussi ordinaire, du moins, que puisse être une chasseuse au service de l'Église.
Den Haag appartenait alors au Saint-Empire Romain Germanique mais fait à présent partie des Provinces-Unies des Pays-Bas.
†
Fille d'artisans et enfant du peuple, je suis une humaine ordinaire ; aussi ordinaire, du moins, que puisse être une chasseuse au service de l'Église.
FEAT: OC @ banitya
Caractère
Je suis, aux yeux des autres, une jeune femme forte et silencieuse, une femme solitaire et mystérieuse, toujours humble et courtoise.
Je m'efforce, il est vrai, de me montrer polie et respectueuse, plus attentionnée sans doute avec ces dames qu'avec ces messieurs.
Je suis en effet calme et discrète, et ma douce voix ne s'élève que rarement.
Je ne suis naturellement pas étrangère à l'énervement ou à la frustration mais mes colères restent rares et silencieuses, aussi silencieuses que mes larmes, ces larmes qui coulent un peu trop facilement à mon goût.
Je suis, après tout, bien plus vulnérable qu'on ne le pense et sous cette peau dure défaillante, sur laquelle ne glissent pas forcément toutes les moqueries et insultes, se cache une jeune femme aux convictions vacillantes, rongée par une certaine forme de solitude.
Cela fait neuf ans maintenant que personne ne m'a prise dans ses bras, que personne n'a affirmé m'aimer - c'est là la moitié de ma vie.
Après avoir perdu ma famille, je suis successivement devenue une servante et une chasseuse, un outil loyal et commode dans la lutte contre les créatures.
Je ne suis, en revanche, jamais devenue une amie ou une amante.
Je désire ces relations mais n'ose jamais faire le premier pas, n'ose jamais aller vers les autres, ces autres qui n'osent pas m'approcher en retour, me trouvant sans doute ennuyeuse ou inaccessible du fait de mon caractère introverti.
Je continue d'espérer rencontrer un jour des gens qui arriveront à percer cette bulle dans laquelle je me suis enfermée et dont je n'arrive plus à sortir.
Je ne sais jamais comment réagir aux compliments ou encore aux marques d'affection, qui m'embarrassent énormément ; une gêne qui, bien souvent, me pousse à faire la sourde oreille ou à les rejeter.
On me dit débrouillarde, astucieuse ou encore déterminée, ce sont en tout cas là les qualités que m'attribuent ces frères d'armes qui arrivent à faire fi de ma condition de femme. Je ne sais si je suis digne de ces louanges et je n'y prête pas attention, me contentant simplement de faire de mon mieux pour mener mes missions à bien.
Histoire
Je suis née en des temps incertains, durant la révolution néerlandaise, petite dernière d'une fratrie de quatre.
Johanna, ma sœur, a pris soin de moi dès mes premières années, nos parents n'ayant eu que peu de temps à me consacrer, trop occupés qu'ils étaient à assurer le pain quotidien, une noble tâche rendue plus complexe encore du fait de la situation politique du moment.
Johanna était douce, patiente et aimante ; c'est elle qui m'a éduquée, qui me réconfortait, partageait mes joies et me grondait quand je faisais des bêtises.
Je l'aimais énormément, plus encore que nos frères et nos parents.
†
Je n'avais, enfant, aucun rêve et aucune aspiration, absorbant les craintes et les incertitudes des adultes vis-à-vis de l'avenir comme une éponge sans pour autant comprendre ce qui les effrayait tant - la révolution, entamée des années plus tôt, était en train de s'enliser et nul ne pouvait prédire de quoi serait fait le lendemain.
Il ne me restait donc, à l'âge de huit ans, qu'une seule conviction concernant le futur : ma main serait offerte à un homme et je devrais porter ses enfants, un destin inéluctable auquel je m'étais déjà résignée.
Si mon engagement futur occupait déjà mes pensées à l'époque, c'est parce que ma sœur venait d'atteindre l'âge de mariage et ses obligations, qui seraient également les miennes, étaient devenues un sujet de conversation récurrent à la maison.
Johanna savait que son mariage à venir m'attristait, même si ce dernier n'était encore qu'un concept abstrait, même si je me gardais bien de lui en parler, et comme à son habitude, elle venait souvent me rassurer en affirmant qu'elle m'aimait, qu'elle nous aimait tous, que nous resterions toujours sa famille et qu'elle n'avait aucune intention de sortir de vos vies.
Nous étions loin de nous douter que le destin avait d'autres projets pour nous et qu'une tragédie allait bientôt s'abattre sur notre foyer.
†
Johanna, aussi jolie que gracieuse, a attiré l'attention de nombreux prétendants et ces derniers se sont empressés de faire des offres à notre père, déterminés à entrer dans ses bonnes grâces.
Père s'est montré particulièrement réceptif à l'un des soupirants, un marchand de bonne famille, et si ma sœur n'avait aucune affection pour ce dernier, qui avait près de trois fois son âge, elle n'a exprimé aucun mécontentement vis à vis de cette potentielle union. Johanna savait à quel point cette alliance serait bénéfique à notre famille et admettait volontiers que cet homme était aussi bienveillant et attentionné en privé qu'il ne l'était en public.
Pour elle, c'était amplement suffisant.
Personne n'y voyant d'inconvénients, leurs fiançailles furent annoncées.
Personne sauf Emmery de Goede.
Emmery, jeune homme charmant en apparence mais avec une attitude qu'on ne pouvait qualifier que de déplorable, était tombé follement amoureux de ma sœur et lui faisait la cour avec une insistance malaisante.
Il était venu nous rendre visite, comme tant d'autres, mais si sa fortune n'avait rien à envier à celle du marchand, son comportement avait fortement déplu à notre père : il est arrivé en conquérant et n'avait aucune once de respect ou de bon sens, parlant de ma sœur comme d'une propriété déjà acquise.
Père aimait Johanna et souhaitait qu'elle soit heureuse dans son ménage, un bonheur que ce jeune homme désagréable n'aurait jamais pu lui apporter, c'est pourquoi il a refusé ses offres pourtant alléchantes.
Emmery, furieux d'apprendre que ma sœur venait d'être promise à un autre, est venu frapper à notre porte le soir même, s'est invité à l'intérieur sans en avoir l'autorisation et s'est mis à agresser notre père verbalement, annonçant que personne ne se mettrait entre ma sœur et lui.
Père ne s'est pas laissé faire, le ton est monté et, finalement poussé à bout, refusant de se laisser insulter dans sa propre maison, s'est décidé à mettre notre.. invité.. dehors en usant de la force.
Quelques instants plus tard, cet horrible Emmery enjambait le cadavre de notre père et contournait ceux de Louis et Frederick, nos frères, qui avaient tenté de l'aider ; sans oublier celui de notre mère, qui avait tout fait pour sauver ses fils.
Je n'avais jamais vu un homme aussi fort et cruel, n'avais jamais vu une scène d'une telle violence - mes jambes s'en sont dérobées sous moi et je me suis mise à trembler comme une feuille, incapable de produire le moindre son.
Johanna, agenouillée à mes côtés et me serrant aussi fort que possible dans ses bras, en larmes, s'était mise à le supplier de me laisser la vie sauve, lui promettant même de le suivre s'il ne me faisait aucun mal.
Tu es la seule qui soit digne de mon amour, a-t'il répondu, sourire satisfait sur les lèvres. Je ferai de toi l'une des nôtres.
Il m'a arrachée des bras de ma sœur sans ménagement, annonçant qu'il allait l'emmener loin d'ici, de ce trou à rats, et l'a chargée sur son épaule comme un vulgaire sac de patates avant de disparaître dans les ténèbres de la nuit.
Je me suis péniblement remise sur mes jambes et me suis traînée jusque dans la rue où se rassemblaient des voisins curieux, alertés par les cris de ma sœur, cette sœur que je n'ai plus jamais revue.
C'est là que j'ai réalisé toute l'étendue du drame qui venait de se dérouler sous mes yeux, que j'ai réalisé que j'étais désormais seule au monde et que je me suis finalement mise à hurler et à pleurer.
Hurler jusqu'à ce que j'en perde la voix.
Pleurer jusqu'à épuisement.
†
Père était connu dans les environs comme un homme fort et courageux et mes frères étaient eux-même bien bâtis, c'est pourquoi personne n'a pris mon récit surréaliste au sérieux - comment accepter qu'un avorton en mal d'amour ait pu massacrer ces trois là ? Pour le commun des mortels, mon histoire ne tenait pas debout, n'était qu'une série de faits déformés et exagérés sous le prisme du traumatisme d'une enfant de huit ans, mais aux yeux de l'Église souterraine, c'était un témoignage gênant.
Ils m'ont bien vite mise sous silence et m'ont envoyée vivre dans un monastère, loin des oreilles indiscrètes, où l'on m'a éclairée sur l'existence des créatures, sur la vérité concernant le massacre de ma famille et sur le sort cruel réservé à ma sœur - elle avait sans doute été transformée en l'une des leurs.
C'est dans ce monastère hors de l'ordinaire qu'étaient entraînés de jeunes garçons aux arts de la guerre contre les créatures et je ne m'y sentais pas à ma place, seule enfant et seule fille au milieu de tous ces hommes et de toutes ces armes, mais je savais que mes protestations ne seraient jamais entendues.
Je savais aussi que je ne me sentirais plus jamais à ma place où que ce soit, je me suis donc résignée à faire ce que ces gens attendaient de moi : me taire et me rendre utile d'une manière ou d'une autre.
†
Le vingt-six Juillet 1581, l'année de mes dix ans, la révolution fit un grand pas en avant et l'Acte de La Haye fut rédigé : les régions néerlandaises, jusqu'alors partie du Saint-Empire Romain Germanique, déclarèrent leur indépendance et deviennent les Provinces-Unies des Pays-Bas.
Si la naissance de notre nouvelle nation fut célébrée dans les rues, elle fut en revanche fustigée par l'Église souterraine : ce revers politique allait engendrer toujours plus d'instabilité dont Vampires et Lycans, déjà enhardis, profiteraient pour gagner en puissance.
Pire encore, l'un des bénéfices apporté par la révolution était, officiellement, la liberté de culte et, officieusement, une mise sous silence du catholicisme en faveur du protestantisme - la guerre religieuse qui était sur le point commencer était sûre d'affaiblir leurs forces.
†
Je fus, à douze ans, convoquée dans les jardins du monastère, où les garçons s'entraînaient, et une lame fut placée entre mes mains délicates.
Finie la lessive, au revoir fourneaux et autres tâches ménagères, la situation ne cessait de s'empirer et le temps était venu pour moi de contribuer à l'effort de guerre d'une manière moins féminine.
Passer de servante à sœur d'arme n'avait pour moi rien de logique mais malgré le côté improbable de cette transition, je me suis contentée de faire ce que je faisais de mieux : acquiescer sans poser de questions.
Ce ne fut en revanche pas le cas des garçons et de certains instructeurs, qui ne virent pas l'arrivée d'un petit bout de femme dans leurs rangs d'un bon œil - la chasse aux créatures était un travail d'hommes et ma compagnie les offensait.
J'ai bien évidemment été moquée et malmenée, mes prouesses dans l'art de la bataille étant exactement celles qu'on attendait d'une frêle demoiselle, et nos séances d'entraînement étaient pour moi de terribles épreuves dont je sortais meurtrie, à bout de force et humiliée.
J'ai néanmoins tenu bon, n'en déplaise aux autres apprentis qui désiraient me voir retourner nettoyer leur linge sale, et si le chemin fut extrêmement difficile, il s'est avéré au fil des mois, des années, que j'avais un véritable talent.
J'étais bien consciente, petite et menue que j'étais, que je suis toujours, que ma force ne serait jamais qu'une modeste fraction de celle d'un homme mais mes autres qualités réussirent à compenser ma faiblesse et firent de ma lame l'une des plus redoutables du monastère : des déplacements silencieux, une agilité à toute épreuve, des mouvements souples et rapides, une technique exemplaire et juste ce qu'il faut d'imprévisibilité.
Tous ces rires dédaigneux qui m'étaient destinés s'étaient alors transformés en grognements de frustration.
Si blesser tous ces jeunes mâles dans leurs égos me procurait une certaine satisfaction, ce n'est pas cette satisfaction qui m'a poussée à m'accrocher et à faire tant d'efforts. Je croyais que si j'apprenais à me battre, je pourrais un jour retrouver Emmery et sauver Johanna.
J'étais si naïve.
†
À seulement quatorze ans, je fus réquisitionnée pour ma première battue - mes compagnons du monastère et moi avions pour mission d'assister de véritables chasseurs lors une traque hors du commun, celle d'une meute de Lycans.
Je n'étais pas encore prête à faire face aux réalités du terrain mais cette battue extraordinaire, la plus grande jamais organisée dans la région, allait donner la chasse à six créatures et tout homme disponible était tenu de participer.
Ce fut la plus longue journée de toute ma vie.
Au coucher du soleil, après des heures de traque et d'escarmouches, trois des créatures gisaient à nos pieds, le reste de la meute avait pris la fuite et les cris des chasseurs célébrant notre victoire retentissaient dans l'air.
Ces célébrations n'avaient pourtant aucune raison d'être à mes yeux : entre les décédés, les estropiés et les blessés, nous avions payé un sacré prix.
Je ne pouvais m'empêcher de penser à tous ceux que nous avions perdu et à ceux que nous continuerions de perdre au cour de la nuit, à ces compagnons du monastère qui n'avaient pas survécu à leur première mission ; ne pouvais qu'entendre les gémissements de souffrance des blessés, étouffés par les cris de victoire de ceux qui étaient encore en état de crier.
Agenouillée aux côtés d'un inconnu que la vie était en train de quitter, exténuée, poitrine en feu, pressant désespérément un tissu sur sa plaie béante, je n'ai pas pu retenir mes larmes, abondantes, intarissables.
Étais-ce vraiment ça, une victoire ?
On ne cessait, au monastère, de me raconter d'horribles histoires concernant les créatures, mais ces histoires, tout comme mes souvenirs, ne faisaient pas justice à la force et à la brutalité des Lycans que nous avions affrontés.
Comment avais-je pu croire que je pourrais vaincre Emmery ?
Ce jour là, j'ai réalisé ce qu'être un chasseur signifiait.
J'étais terrifiée.
†
Après cette amère battue, quelques chasseurs, satisfaits de ma performance, ont commencé à solliciter mon assistance sur le terrain et l'expérience que j'ai gagnée aux côtés de ces vétérans m'a permis de retrouver confiance en mes capacités, de faire face à ma peur des créatures.
À seize ans, j'étais ainsi devenue une assistante accomplie et mes supérieurs chantaient mes louanges, parlant de moi comme d'un élément très prometteur. Derrière ce potentiel qui attirait l'attention, derrière la chasseuse en devenir, se cachait pourtant une jeune demoiselle rongée par le doute et le désir, un doute et un désir qui me poussèrent à l'erreur et faillirent me coûter la vie.
Je me trouvais dans un bois, en bord d'étang, lame à la main, face à une jeune femme assise contre le tronc d'un arbre, une femme blessée qui ne paraissait pas beaucoup plus âgée que moi.
Il ne s'agissait pas là d'une dame ordinaire mais bien d'une Vampire, que nous avions prise en chasse mais qui a réussi à nous échapper, nous forçant à nous séparer afin de ratisser le petit bois dans lequel elle avait trouvé refuge.
Il s'agissait aussi, surtout, de la première femme que je prenais en chasse et ce fait suscitait en moi des émotions douloureuses et conflictuelles, une atroce distraction dont je n'arrivais pas à me débarrasser : cette créature, plus qu'une cible à mes yeux, représentait ce que ma sœur était devenue.
Je m'étais promise de ne pas laisser cet émoi interférer avec ma mission mais une fois face à la créature, ma sœur est revenue hanter mes pensées.
Pire encore, mes désirs s'étaient également manifestés ce soir là et je m'étais laissée charmer, sotte que j'étais, par ses courbes féminines et par les traits de son visage ; une préférence que je ne comprenais pas encore et qui, face à sa détresse, mêlée à mes doutes, me poussa à commettre une erreur.
J'aurais dû profiter de sa position vulnérable pour frapper.
J'aurais dû révéler mon emplacement aux chasseurs.
J'ai hésité.
Cette hésitation offrit à la créature en larmes une chance de plaider pour sa vie
Pitié, supplia-t-elle, une main tremblante tendue vers moi, je n'ai jamais voulu devenir l'une des leurs, ils m'ont transformée contre mon gré !
Je suis une victime, moi aussi !
Ces mots me firent énormément de mal, non seulement parce que ma sœur se trouvait dans l'exacte même situation mais aussi parce que c'était la première fois qu'une créature terrifiée me suppliait de lui laisser la vie sauve - c'était, au fond, comme si les rôles étaient renversés, comme si j'étais le monstre.
Qu'étais-je censée faire si je rencontrais Johanna ?
Qu'étais-je censée faire de cette créature ?
Perdue dans mes pensées, je n'ai pas remarqué que la créature s'était relevée et cette dernière, se rendant finalement compte que j'étais seule, profitant de ma distraction, s'est lancée sur moi et m'a asséné au visage un coup si violent que j'en ai lâché ma lame et me suis retrouvée au sol, complètement sonnée.
Lorsque j'ai retrouvé mes esprits, elle était assise à califourchon sur mon torse et ses mains étaient en train de se resserrer autour de mon cou.
Je me suis évidemment débattue, en vain comme on pouvait s'y attendre, et la Vampire, visage déformé par un sourire aussi large que fou, s'est mise à me crier dessus, à m'expliquer avec une satisfaction non dissimulée et que c'était là le destin réservé aux pathétiques humains qui osaient s'en prendre à elle.
Il avait suffit d'un instant de faiblesse pour faire tomber son masque.
Alors que je pouvais sentir ma vie s'échapper, paniquée, incapable de saisir la moindre bouffée d'air, des aboiements se firent entendre dans les environs, accompagnés de voix humaines. Par ici, criaient-ils. Dépêchez vous !
Réalisant qu'elle n'aurait jamais dû hausser la voix, de nouveau en proie à la terreur, jugeant que sa vie était plus importante que ma mort, la créature s'est enfuie sans demander son reste, s'enfonçant dans les ténèbres grandissantes de la nuit naissante.
Allongée sur le dos, à nouveau libre de respirer, honteuse de la manière dont je m'étais faite avoir, je me suis mise à contempler la pleine lune et les étoiles qui commençaient à apparaître dans le ciel crépusculaire, plus que consciente qu'il ferait bientôt trop sombre pour continuer la poursuite.
Pourtant, plus que la honte, c'est le désespoir qui s'était emparé de moi après cet échec cuisant : j'avais jusqu'ici toujours cru que je pourrais sauver ma sœur si j'arrivais à vaincre Emmery mais.. même si je les retrouvais un jour, peut-être était-ce déjà bien trop tard pour elle.
Johanna avait été changée, transformée, et, tout comme la femme qu'était autrefois cette Vampire, cette sœur aimante et attentionnée que j'avais tant aimée, que j'aime toujours autant, n'était peut-être déjà plus de ce monde.
J'ai réalisé, ce soir là, que même si je retrouvais Johanna, il me faudrait peut-être lui ôter la vie de mes propres mains.
†
Quelques semaines plus tard, toujours âgée de seize ans, je fus officiellement promue au rang de chasseuse et on me confia une nouvelle mission, une tâche plutôt étrange à n'en point douter : l'apprentissage du français, une langue plus que familière, largement pratiquée dans notre nation, principalement, mais pas seulement, par l'élite, les savants ou encore les marchands.
J'avais acquis, au fil des ans, de solides notions de français mais ces notions étaient loin d'être suffisantes : on exigeait de moi une maîtrise aussi parfaite que possible de cette langue, un ordre saugrenu auquel je me suis contentée d'acquiescer sans poser la moindre question.
Je saurais bien assez tôt.
†
Tu as été choisie, m'a-t-on annoncé le jour de mon dix-septième anniversaire.
Tu seras envoyée vivre à Paris.
Je me suis inclinée en guise de soumission, comprenant enfin d'où venait cette lubie de me faire apprendre une langue étrangère, et ces éclaircissements que je ne me permettais pas de réclamer me furent immédiatement offerts.
Il était important que je comprenne ce qu'on attendait de moi.
Comme le craignait l'Église souterraine, Vampires et Lycans étaient bel et bien devenus plus dangereux que jamais et ses propres forces avaient été touchées par cette guerre que menait le protestantisme contre le catholicisme.
Chaque année, de nombreux placards anti-catholiques voyaient le jour et de nouvelles villes décidaient d'interdire l'exercice public du catholicisme, ce qui permettait aux calvinistes de s'emparer de nos églises et monastères.
L'Église catholique ordinaire des Pays-Bas, sentant son pouvoir et son influence lui glisser entre les doigts, a donc décidé d'entrer en correspondance avec les Églises des états voisins afin d'obtenir leur support public, en espérant que ces alliances suffiraient à freiner la conquête protestante.
De tels agréments avaient un prix et des présents à caractère religieux étaient régulièrement envoyés vers ces nations.
L'Église souterraine, de son côté, faisant face à une crise sans précédent, est entrée en contact avec son homologue français, cherchant à établir une bonne relation avec ce dernier et à le convaincre de s'entraider face à la menace que représentent les créatures.
Il s'agissait dans un premier temps d'échanger sur leurs méthodes de chasse respectives, de s'échanger des connaissances ou encore des informations et, à terme, c'est en tout cas ce qu'espéraient mes supérieurs, d'obtenir des renforts sur le terrain, ne serais-ce qu'aux abords des frontières.
L'Église de France ne s'étant pas montrée complètement fermée à l'idée d'une collaboration, mes supérieurs ont donc entamé les négociations et il fut décidé qu'une Sainte Relique serait envoyée à Paris en gage de bonne foi.
Ce sera là un long et périlleux trajet, c'est pourquoi l'Église souterraine a décidé d'ajouter l'un de ses chasseurs à l'escorte - moi.
Elle doit arriver à bon port.
Une fois arrivée en France, je ne pourrai, contrairement aux autres membres du convoi, pas rentrer au pays ; pas tout de suite, peut-être jamais.
Avoir quelqu'un sur place pour représenter l'Église souterraine des Pays-Bas et faire le lien entre nos deux Églises ne pouvant qu'être bénéfique, la décision de mon séjour prolongé une fois la Relique transférée leur sembla toute naturelle.
Je devrai, une fois là-bas, obéir à l'Église souterraine française comme j'obéis à celle de mon pays et faire de mon mieux pour obtenir leurs sympathies.
Une tâche difficile sans une excellente maîtrise du français.
Il faudrait au moins deux ans avant le départ de la Relique, suffisamment de temps pour qu'un nouveau professeur de langue très strict, réfugié français, ne prenne mon éducation en main.
J'ai étudié de nombreuses heures chaque jour en sa compagnie durant ces deux dernières années, me suis faite frapper sur les doigts et les cuisses à chaque fois que je faisais une erreur ou que mon accent se montrait un peu trop prononcé à son goût ; étudié seule des heures encore chaque soir, à la lumière de la bougie, et me suis souvent endormie sur mes livres.
J'ai vécu ces deux années en français.
†
Je suis actuellement assise à l'arrière du chariot dans lequel se trouvent des textes sacrés, des œuvres d'art religieuses et, surtout, la Sainte Relique ; en route vers la France avec le reste du convoi.
Je mentirais si je disais ne pas être un peu perturbée, je quitte mon pays natal et je n'ai aucune idée de ce qui m'attends, après tout.
Ce voyage m'éloigne aussi de ma sœur, Johanna, et de cet exécrable Emmery, me laissant un goût amer d'inachèvement dans la bouche.
Quoi qu'il en soit, je ne peux pas me permettre de m’apitoyer sur mon sort.
Il est temps de me concentrer sur ma mission.
Derrière l'écran
Pseudo ? Zadou
Âge ? Peut-être
Comment as-tu trouvé le forum ?
J'ai suivi un chaton °w°
Un petit mot ? Tartine
Pseudo ? Zadou
Âge ? Peut-être
Comment as-tu trouvé le forum ?
J'ai suivi un chaton °w°
Un petit mot ? Tartine
Mer 20 Jan - 19:46
ELLE EST DES NÔTREUUUUH.
Bienvenue officiellement chaton, très hâte de lire tout ça (oui, j'ai eu un syndrome du first à la youtube junky, fight me.)
Bienvenue officiellement chaton, très hâte de lire tout ça (oui, j'ai eu un syndrome du first à la youtube junky, fight me.)
Mer 20 Jan - 20:01
bonsoir et bienvenue !
et bien, petite sara, ton histoire est déjà alléchante, bien écrite et si triste ;w; pauvre petite, ça me donne envie de la protéger.
hâte de voir la suite en tout cas, du chemin qu'à pu prendre ce petit bout de femme ~
et bien, petite sara, ton histoire est déjà alléchante, bien écrite et si triste ;w; pauvre petite, ça me donne envie de la protéger.
hâte de voir la suite en tout cas, du chemin qu'à pu prendre ce petit bout de femme ~
Mer 20 Jan - 22:52
QUELLE PIPOU JE
Bienvenue officiellement du coup, il me tarde de découvrir la suite de ton histoire !
Bienvenue officiellement du coup, il me tarde de découvrir la suite de ton histoire !
Jeu 21 Jan - 8:57
BONSOIR !
Un style poignant pour une pauvre petite qui a déjà traversé beaucoup d'épreuves ;w; Elle va rejoindre la squad "must protect" ;w; Bienvenue parmi nous et puisses tu t'épanouir dans notre bande !
Un style poignant pour une pauvre petite qui a déjà traversé beaucoup d'épreuves ;w; Elle va rejoindre la squad "must protect" ;w; Bienvenue parmi nous et puisses tu t'épanouir dans notre bande !
Mer 27 Jan - 20:41
Coucou °w°
Merci à tout le monde pour vos messages, j'espère pouvoir vous rencontrer en RP une fois validé !
Merci à tout le monde pour vos messages, j'espère pouvoir vous rencontrer en RP une fois validé !
Jeu 28 Jan - 17:39
Bonjour la petite Sara !
Déjà laisse moi te souhaiter une nouvelle fois la bienvenue et t'adresser tous mes compliments pour cette fiche très bien écrite. Ce fut un plaisir à lire !
Il y a juste un petit détail à corriger (trois fois rien, rassures-toi) et je te donne ta couleur immédiatement !
En effet, dans ton histoire, tu parles d'une gêne que Sara représente aux yeux de l'Eglise ici :
Père était connu dans les environs comme un homme fort et courageux et mes frères étaient eux-même bien bâtis, c'est pourquoi personne n'a pris mon récit surréaliste au sérieux - comment accepter qu'un avorton en mal d'amour ait pu massacrer ces trois là ? Pour le commun des mortels, mon histoire ne tenait pas debout, n'était qu'une série de faits déformés et exagérés sous le prisme du traumatisme d'une enfant de huit ans, mais aux yeux de l'Église, c'était un témoignage gênant.
Ils m'ont bien vite mise sous silence et m'ont envoyée vivre dans un monastère, loin des oreilles indiscrètes, où l'on m'a éclairée sur l'existence des créatures, sur la vérité concernant le massacre de ma famille et sur le sort cruel réservé à ma sœur - elle avait sans doute été transformée en l'une des leurs.
C'est dans ce monastère hors de l'ordinaire qu'étaient entraînés de jeunes garçons aux arts de la guerre contre les créatures et je ne m'y sentais pas à ma place, seule enfant et seule fille au milieu de tous ces hommes et de toutes ces armes, mais je savais que mes protestations ne seraient jamais entendues.
Je savais aussi que je ne me sentirais plus jamais à ma place où que ce soit, je me suis donc résignée à faire ce que ces gens attendaient de moi : me taire et me rendre utile d'une manière ou d'une autre.
Il faudrait juste préciser qu'il est question ici de l’Église souterraine car la véritable Église serait plutôt intriguée mais surtout inquiétée pour une enfant comme Sara de raconter des choses pareilles (ils auraient même été capables de lui conseiller un exorcisme pour la guérir et qu'elle arrête de raconter des choses "insensées" à leurs yeux). D'où le fait qu'un membre de l’Église souterraine se serait dévoué pour prendre Sara en charge et à partir de ce moment là, plus de problème pour personne (ahah quelle blague ).
Voilà, ce petit détail arrangé, je te valide dans la foulée.
Jeu 28 Jan - 18:07
Bonjour o/
Merci pour les compliments o///o
Pas de soucis, j'ai rajouté un "souterraine" après l'Église !
Dans ma tête, c'était clair que ce n'était pas l'Église normale mais mes doigts ont été trop vite :d
Encore merci en tout cas !
Merci pour les compliments o///o
Pas de soucis, j'ai rajouté un "souterraine" après l'Église !
Dans ma tête, c'était clair que ce n'était pas l'Église normale mais mes doigts ont été trop vite :d
Encore merci en tout cas !