Dim 6 Juin - 14:34
Paris est loin.
Paris et ses allées étroites, Paris et ses odeurs, Paris et son monde, Paris et ses prisons de pierres taillées.
Ici, la nature n’est plus disciplinée par l’homme. C’est elle qui impose ses lois.
Et c’est dans ce monde sauvage qu’Aimable a sa place.
Le chevalier tient les rênes de sa monture d’une main, ses yeux clairs s’élèvent vers le ciel et leur céleste s’unissent. En réponse, un vent frais s’engouffre dans sa cape et ébouriffe ses cheveux. La main d’une mère, qu’il accueille d’un rire bref. Les marques sur son derme sont celles du temps, semblables à celles façonnant les montagnes et les vallées. Sa peau est tannée par le soleil, ses traits, creusés comme les aspérités des flancs rocheux. Il se tient droit. Puissant et apaisé, comme ces montagnes qu’ils traversent. Et parfois, saisi d’un éclat de joie, le voilà qui s’élance au galop ! A l’image de ces torrents enragés et disciplinés, que leur monture traverse en piaffant. Ni maître, ni poussières, Aimable appartient à ce monde où les êtres vivent au gré des saisons, sous les seules disciplines de Dieu et d’une nature indomptable.
Les montagnes immenses ouvrent l’horizon, dévoilant des vallées lointaines dont les ombres se dessinent sous les rayons d’un soleil couchant. Les températures chutent, jusqu’à ce que leur âme leur échappe par bouffée de vapeur. Leurs doigts s’engourdissent, le froid, taquin, les mordille. La pente s’endurcit, testant leur volonté et la bravoure de leur monture. Aimable descend, et, assuré, tient les rênes pour guider sa jument, comptant sur June pour le suivre. Son pas chaloupé lui assure une montée lente mais régulière. Ses pieds évitent naturellement les pierres traîtresses, s’appuient sur des racines, quand sa main ne vient pas se saisir d’une branche pour le tirer vers l’avant. Les odeurs humides de la terre se mêlent aux fragrances douceâtres de mucus, les parfums des épicéas et un bien plus doux : l’odeur de la neige.
Au fur et à mesure de leur ascension, son manteau immaculé recouvre les pierres saillantes et les branches dénudées. Elle étouffe les sons sous son étreinte cotonneuse et d’une bourrasque, laisse quelques flocons les accompagner. Certains d’entre eux s’abandonnent dans leurs cheveux et Aimable accepte cette couronne enneigée d’un sourire reconnaissant. Bien que l’obscurité tombe, elle renvoie les derniers rayons d’un soleil mourant, à l’horizon. Combien de temps, de jours, ont-ils marché ? Pour autant, le Chevalier n’a guère eu l’air de se fatiguer.
Paris est si loin.
Si loin qu’Aimable en paraît totalement libéré. Ses épaules se sont redressées, ses yeux se sont levés, c’est avec fierté qu’il se dresse. A l’approche de quelques maisonnées, on salue avec grand respect le Chevalier, des mains et des sourires les accueillent, l’on vient même leur proposer le souper. Aimable, toujours, refuse avec politesse et échange quelques mots avec les villageois, avant de se remettre en marche. Ici, il est un De Bayard, un nom que l’on connaît jusqu’au plus bas de la vallée. L’on en profite pour lui confier quelques doléances – une fille à marier, la disparition d’un jeune garçon, des vaches blessées. Et parfois, ce sont des nouvelles qu’on vient lui offrir. La Marthe s’est mariée et a enfanté son premier garçon, les premières neiges sont tombées plus vite cette année, le curé n’a pas pu assurer la messe ce dimanche en raison d’un éboulement. Il écoute, avec patience, jusqu’à serrer les mains ou incliner la tête, reprenant sa marche sans jamais se fatiguer.
Son foyer approche. Le domaine De Bayard est perché au sommet d’un champ, à belle hauteur. Deux grandes bâtisses, l’une, face à la route, l’autre, tournée vers la forêt en contrebas. La jument hennit et Aimable, en réponse, accélère encore le pas. Ils passent devant la première demeure. Austère, ses volets sont déjà refermés et une grande porte en bois empêche quiconque d’entrer. Le chevalier contourne les murs de pierre et laisse sa main usée caresser leurs imperfections. Combien de mains ont-elles parcouru ces pierres pour y adresser leurs prières ? Ceux partis aux Croisades ou revenus d’une guerre, les familles qui les ont pleurés.
_ Nous arrivons.
Aimable ne sourit pas. Pourtant, ses yeux étincellent. L’ascension lui a fait perdre des années. Aussi vif qu’un chevreuil, il gravit avidement les derniers mètres.
Sa maisonnée est plus discrète que la première. Sur un étage, protégée d’un muret plus bas, il suffit de pousser un portail pour pénétrer dans la cour. Sur la droite, des bancs, un bel arbre aux branches lourdes de neige. Sur leur gauche, une étable où l’on entend le meuglement lointain d’une vache. A côté, une petite écurie où Aimable attache leur monture. Face à eux, la maison. Au rez-de-chaussée, une fenêtre laisse percevoir un faible éclat de lumière… Aimable approche de la porte en bois, surmontée d’une belle cloche en cuivre habituellement donnée au bétail. D’un mouvement, Aimable fait sonner la cloche et après quelques minutes, la porte s’ouvre.
La chaleur les saisit à bras le corps.
Provient-elle de l’âtre ou de la femme qui leur fait face ?
Dans son dos, un feu de bois émet quelques flammèches. Les étincelles se reflètent sur les longues mèches rousses, aux boucles embrasées, difficilement disciplinées. Sa silhouette découvre des courbes généreuses, une poitrine rebondie, un ventre tendre qui a déjà porté la vie, des hanches fertiles. A l’image de ses yeux bruns méchés d’émeraude, où la terre et la forêt s’entremêlent. Des sourcils broussailleux, un nez mutin et retroussé, une peau claire parcourue d’étincelles. Ses tâches de rousseur dessinent sur ses joues rondes, son cou et le commencement de ses épaules, bien des constellations qu’Aimable passe ses nuits à dessiner.
Le chevalier s’immobilise, le cœur si lourd d’amour qu’il se sent cloué sur place. Eleanor laisse échapper un rire, un rire cristallin qui résonne dans le silence de la cour ; d’un pas rapide, elle réduit la distance qui les sépare et s’abandonne dans les bras de son amant. Aimable referme précieusement ses bras sur elle, sur sa silhouette bien plus menue que la sienne.
_ Je suis rentré…
_ Je l’ai bien vu, mon agneau, s’amuse-t-elle. L’étreinte dure de longues minutes, où tous deux s’observent, se détaillent, s’aiment. D’un regard. Elle lève ses mains pour saisir ses joues, effleure sa lèvre inférieure du bout du pouce, avant de lui sourire.
_ Tu es toujours aussi beau.
Aimable rougit et, gêné, toussote.
_ M…Merci. Eleanor je… je te présente June.
_ June ! Le jeune homme prometteur ! Répond-t-elle, tournant ses yeux vers lui pour venir jusqu’à lui. De petite taille, Eleanor a pourtant bien hérité des montagnes et de la chaleur des alpes. Une véritable force anime le moindre de ses gestes et embrase son regard lorsqu’elle s’approche avec assurance. Elle détaille June avec la tendresse d’une mère, sans oser lui proposer sa main. Une main menue, usée par le travail, parcourue de discrètes cicatrices qu’une femme noble ne devrait pas avoir. Mais elle n’appartient pas à la haute noblesse. Elle est d’une famille qui a construit sa richesse.
_ C’est un grand plaisir de t’accueillir chez nous. J’espère que tu te plairas ici. Aimable m’a dit que tu voulais voir la neige… Tu seras gâté ! Aimable m’a aussi dit que tu ne venais pas de France, c’est assez dur à croire ! Enfin il faut dire que je n’ai jamais quitté la vallée. Entrez, venez donc ! Avez-vous mangé ? Venez donc vous restaurer !
Elle s’efface pour entrer, suivie par Aimable. Leur salon contient une table, un âtre où un feu flamboie. Une grande marmite finit de mijoter et l’on sent une odeur appétissante, une soupe qu’Eleanor s’empresse de leur servir dans de grands bols en bois. Sur la table se trouve une tomme, à la peau grisée et au cœur d’un or semblable aux reflets dans les cheveux de son épouse. Récupérant un couteau, c’est avec expérience qu’elle leur en coupe deux tranches, pour les servir.
_ Mangez, prenez des forces, invite-t-elle, Alors June ! La route n’a pas été trop dure ? C’est bien différent de vos rues dallées hein ?
Elle sourit avec malice, lui confiant avec douceur la belle tranche de fromage. Un fromage goûteux, à la chair crayonneuse et tendre à la fois, chaque bouchée rappelle les fragrances des fleurs d’été, de blés gorgés de soleil et la douceur de la terre. Eleanor repose une main sur l’épaule de son mari, qu’elle remonte jusqu’à caresser sa nuque. Tous deux échangent un regard qui vaut pour milles mots, avant qu’elle ne s’installe avec eux.
L’on sent l’odeur du bois, de la soupe, les lointaines odeurs du bétail et celle poussiéreuse de la pierre. Il y fait bon, le froid s’insinue dans les pierres pour observer la scène alors qu’en réponse, le feu craque et lâche quelques étincelles embrasées.
Paris et ses allées étroites, Paris et ses odeurs, Paris et son monde, Paris et ses prisons de pierres taillées.
Ici, la nature n’est plus disciplinée par l’homme. C’est elle qui impose ses lois.
Et c’est dans ce monde sauvage qu’Aimable a sa place.
Le chevalier tient les rênes de sa monture d’une main, ses yeux clairs s’élèvent vers le ciel et leur céleste s’unissent. En réponse, un vent frais s’engouffre dans sa cape et ébouriffe ses cheveux. La main d’une mère, qu’il accueille d’un rire bref. Les marques sur son derme sont celles du temps, semblables à celles façonnant les montagnes et les vallées. Sa peau est tannée par le soleil, ses traits, creusés comme les aspérités des flancs rocheux. Il se tient droit. Puissant et apaisé, comme ces montagnes qu’ils traversent. Et parfois, saisi d’un éclat de joie, le voilà qui s’élance au galop ! A l’image de ces torrents enragés et disciplinés, que leur monture traverse en piaffant. Ni maître, ni poussières, Aimable appartient à ce monde où les êtres vivent au gré des saisons, sous les seules disciplines de Dieu et d’une nature indomptable.
Les montagnes immenses ouvrent l’horizon, dévoilant des vallées lointaines dont les ombres se dessinent sous les rayons d’un soleil couchant. Les températures chutent, jusqu’à ce que leur âme leur échappe par bouffée de vapeur. Leurs doigts s’engourdissent, le froid, taquin, les mordille. La pente s’endurcit, testant leur volonté et la bravoure de leur monture. Aimable descend, et, assuré, tient les rênes pour guider sa jument, comptant sur June pour le suivre. Son pas chaloupé lui assure une montée lente mais régulière. Ses pieds évitent naturellement les pierres traîtresses, s’appuient sur des racines, quand sa main ne vient pas se saisir d’une branche pour le tirer vers l’avant. Les odeurs humides de la terre se mêlent aux fragrances douceâtres de mucus, les parfums des épicéas et un bien plus doux : l’odeur de la neige.
Au fur et à mesure de leur ascension, son manteau immaculé recouvre les pierres saillantes et les branches dénudées. Elle étouffe les sons sous son étreinte cotonneuse et d’une bourrasque, laisse quelques flocons les accompagner. Certains d’entre eux s’abandonnent dans leurs cheveux et Aimable accepte cette couronne enneigée d’un sourire reconnaissant. Bien que l’obscurité tombe, elle renvoie les derniers rayons d’un soleil mourant, à l’horizon. Combien de temps, de jours, ont-ils marché ? Pour autant, le Chevalier n’a guère eu l’air de se fatiguer.
Paris est si loin.
Si loin qu’Aimable en paraît totalement libéré. Ses épaules se sont redressées, ses yeux se sont levés, c’est avec fierté qu’il se dresse. A l’approche de quelques maisonnées, on salue avec grand respect le Chevalier, des mains et des sourires les accueillent, l’on vient même leur proposer le souper. Aimable, toujours, refuse avec politesse et échange quelques mots avec les villageois, avant de se remettre en marche. Ici, il est un De Bayard, un nom que l’on connaît jusqu’au plus bas de la vallée. L’on en profite pour lui confier quelques doléances – une fille à marier, la disparition d’un jeune garçon, des vaches blessées. Et parfois, ce sont des nouvelles qu’on vient lui offrir. La Marthe s’est mariée et a enfanté son premier garçon, les premières neiges sont tombées plus vite cette année, le curé n’a pas pu assurer la messe ce dimanche en raison d’un éboulement. Il écoute, avec patience, jusqu’à serrer les mains ou incliner la tête, reprenant sa marche sans jamais se fatiguer.
Son foyer approche. Le domaine De Bayard est perché au sommet d’un champ, à belle hauteur. Deux grandes bâtisses, l’une, face à la route, l’autre, tournée vers la forêt en contrebas. La jument hennit et Aimable, en réponse, accélère encore le pas. Ils passent devant la première demeure. Austère, ses volets sont déjà refermés et une grande porte en bois empêche quiconque d’entrer. Le chevalier contourne les murs de pierre et laisse sa main usée caresser leurs imperfections. Combien de mains ont-elles parcouru ces pierres pour y adresser leurs prières ? Ceux partis aux Croisades ou revenus d’une guerre, les familles qui les ont pleurés.
_ Nous arrivons.
Aimable ne sourit pas. Pourtant, ses yeux étincellent. L’ascension lui a fait perdre des années. Aussi vif qu’un chevreuil, il gravit avidement les derniers mètres.
Sa maisonnée est plus discrète que la première. Sur un étage, protégée d’un muret plus bas, il suffit de pousser un portail pour pénétrer dans la cour. Sur la droite, des bancs, un bel arbre aux branches lourdes de neige. Sur leur gauche, une étable où l’on entend le meuglement lointain d’une vache. A côté, une petite écurie où Aimable attache leur monture. Face à eux, la maison. Au rez-de-chaussée, une fenêtre laisse percevoir un faible éclat de lumière… Aimable approche de la porte en bois, surmontée d’une belle cloche en cuivre habituellement donnée au bétail. D’un mouvement, Aimable fait sonner la cloche et après quelques minutes, la porte s’ouvre.
La chaleur les saisit à bras le corps.
Provient-elle de l’âtre ou de la femme qui leur fait face ?
Dans son dos, un feu de bois émet quelques flammèches. Les étincelles se reflètent sur les longues mèches rousses, aux boucles embrasées, difficilement disciplinées. Sa silhouette découvre des courbes généreuses, une poitrine rebondie, un ventre tendre qui a déjà porté la vie, des hanches fertiles. A l’image de ses yeux bruns méchés d’émeraude, où la terre et la forêt s’entremêlent. Des sourcils broussailleux, un nez mutin et retroussé, une peau claire parcourue d’étincelles. Ses tâches de rousseur dessinent sur ses joues rondes, son cou et le commencement de ses épaules, bien des constellations qu’Aimable passe ses nuits à dessiner.
Le chevalier s’immobilise, le cœur si lourd d’amour qu’il se sent cloué sur place. Eleanor laisse échapper un rire, un rire cristallin qui résonne dans le silence de la cour ; d’un pas rapide, elle réduit la distance qui les sépare et s’abandonne dans les bras de son amant. Aimable referme précieusement ses bras sur elle, sur sa silhouette bien plus menue que la sienne.
_ Je suis rentré…
_ Je l’ai bien vu, mon agneau, s’amuse-t-elle. L’étreinte dure de longues minutes, où tous deux s’observent, se détaillent, s’aiment. D’un regard. Elle lève ses mains pour saisir ses joues, effleure sa lèvre inférieure du bout du pouce, avant de lui sourire.
_ Tu es toujours aussi beau.
Aimable rougit et, gêné, toussote.
_ M…Merci. Eleanor je… je te présente June.
_ June ! Le jeune homme prometteur ! Répond-t-elle, tournant ses yeux vers lui pour venir jusqu’à lui. De petite taille, Eleanor a pourtant bien hérité des montagnes et de la chaleur des alpes. Une véritable force anime le moindre de ses gestes et embrase son regard lorsqu’elle s’approche avec assurance. Elle détaille June avec la tendresse d’une mère, sans oser lui proposer sa main. Une main menue, usée par le travail, parcourue de discrètes cicatrices qu’une femme noble ne devrait pas avoir. Mais elle n’appartient pas à la haute noblesse. Elle est d’une famille qui a construit sa richesse.
_ C’est un grand plaisir de t’accueillir chez nous. J’espère que tu te plairas ici. Aimable m’a dit que tu voulais voir la neige… Tu seras gâté ! Aimable m’a aussi dit que tu ne venais pas de France, c’est assez dur à croire ! Enfin il faut dire que je n’ai jamais quitté la vallée. Entrez, venez donc ! Avez-vous mangé ? Venez donc vous restaurer !
Elle s’efface pour entrer, suivie par Aimable. Leur salon contient une table, un âtre où un feu flamboie. Une grande marmite finit de mijoter et l’on sent une odeur appétissante, une soupe qu’Eleanor s’empresse de leur servir dans de grands bols en bois. Sur la table se trouve une tomme, à la peau grisée et au cœur d’un or semblable aux reflets dans les cheveux de son épouse. Récupérant un couteau, c’est avec expérience qu’elle leur en coupe deux tranches, pour les servir.
_ Mangez, prenez des forces, invite-t-elle, Alors June ! La route n’a pas été trop dure ? C’est bien différent de vos rues dallées hein ?
Elle sourit avec malice, lui confiant avec douceur la belle tranche de fromage. Un fromage goûteux, à la chair crayonneuse et tendre à la fois, chaque bouchée rappelle les fragrances des fleurs d’été, de blés gorgés de soleil et la douceur de la terre. Eleanor repose une main sur l’épaule de son mari, qu’elle remonte jusqu’à caresser sa nuque. Tous deux échangent un regard qui vaut pour milles mots, avant qu’elle ne s’installe avec eux.
L’on sent l’odeur du bois, de la soupe, les lointaines odeurs du bétail et celle poussiéreuse de la pierre. Il y fait bon, le froid s’insinue dans les pierres pour observer la scène alors qu’en réponse, le feu craque et lâche quelques étincelles embrasées.
Mar 8 Juin - 21:07
Winter is here
Paris est si loin.
Capitale de lumières, elle a été tout ce dont il avait besoin pendant bien longtemps. Le lieu de son pèlerinage innommé. Cet endroit où tout devrait se retrouver. Où il espérait le retrouver. Mais Paris n’est plus ici. Paris est bien loin. Loin dans les terres, là où les vallons sont faits de blé et de douceur. Où les champs sont parés d’orge et de verdure tendre. Où les fleurs d’automne et les premières neiges d’hiver ne trouvent pas encore à s’accrocher pleinement aux toits des maisons. Paris n’est plus ici, mais pour la première fois, June n’a aucun regret. Aucun regret d’arpenter le chemin d’un nouveau monde. D’apprendre, en suivant les traces de son nouvel enseignant, de son nouveau maître, comment devenir plus grand et plus puissant.
Non, June ne croit pas que ses responsabilités pourraient lui apprendre davantage que ce qu’il parvient à deviner et lire dans les pas assurés d’un chevalier au corps forgé à même la roche des volcans d’un monde éteint. June téméraire et brillant s’efface dans les empreintes tantôt laissées par les sabots d’une monture fidèle, ou pas les bottes larges et assurées d’un homme qui connait cette route comme les éléphants retrouvent éternellement le lieu de leur origine. Comme un bourgeon n’oubliant jamais où sont ses racines pour pouvoir s’épanouir et produire les plus beaux fruits… Aimable est en ce chemin de foi une fleur qui retrouve ses atouts et ses bienfaits. Aimable dans son silence habituel, se révèle d’un jour nouveau à un disciple qui ne peut brûler que de plus d’admiration à chaque heure et chaque jour qui passe.
Ce chemin n’est pas sans embuche. Longue est la voie qui les guidera jusqu’à ces terres bénies qui ont vu grandir les membres d’une famille unie. Qui ont vu s’endurcir un homme qui dans les traits marqués par l’âge et la fatigue, s’adoucit à chaque foulée le ramenant à l’écrin de ses origines.
Les paysages sont bien différents de ceux de sa Suède natale. Pourtant la neige y est un réconfort qu’il ne peut nier. Rien n’a changé, presque, contre son cœur d’enfant. Là où sur sa monture de noir brodée, sa cape et ses gants protègent son corps du froid mordant qui ne trouve pas à démériter contre son âme. L’hiver est la saison de ses rêves, et ces montagnes, aussi harassantes et pénibles soient-elles à gravir, sont une ode à un univers qui laisse l’émeraude de son regard s’émerveiller. Rênes à la main, il guide son étalon sans crainte. Il n’a pas besoin de directions. Pas besoin de trouver où aller. Il sait car le chemin lui est ouvert par un guide éclairé de lumière. June s’il échange quelques mots, s’abreuve de ce silence quiet, et de voir dans la posture d’Aimable le poids d’un monde inconnu glisser comme les éboulis d’une neige douce glissant sous les chausses à leurs pieds. La gravité de cet homme s’effondre et s’affaisse à mesure de leur ascension. Et si June glisse et se relève, c’est avec l’admiration évidente qu’il est un homme devant lui dont le dos lui rappelle à chaque instant son désir d’être un jour celui qui sera ainsi aveuglément suivi. Celui qui, dans sa seule aura, peut guider un homme, comme cent et mille.
Et au bout du chemin, si Paris est bien loin, et si l’air est plus rare et crie à ses poumons brûlants le besoin de hurler à la liberté si durement retrouvée, c’est le cœur pris dans un étau qu’il ne saurait expliquer qu’il s’invite dans la couronne délicate d’un sommet enneigé. Là où en haut des alpages, en haut des sentiers escarpés, la pierre en des lignes si joliment dessinées, trace les ouvrages d’hommes nés bien avant lui. Des pères et seigneurs les ayant précédés. Ce mausolée est une entité vivante à elle seule, et s’il croit au divin et aux anges, il vit ici quelque chose qu’aucun texte biblique ne saurait retranscrire. Pensée blasphématoire qui reste pourtant rassurante contre son cœur lorsque le tintement d’une cloche, une fois les grilles d’une demeure passées, résonne en glas comme l’aumônier sonne la messe de Notre-Dame.
June, en retrait, laisse son regard parcourir tout ce qui se dessine à ses yeux. De cette étable discrète à ces murs et ces dalles creusées par le passage de ceux qui ont habité ces terres. Sur la promesse que derrière cette porte, il découvrira ce qu’Aimable détient de plus précieux, comme le cadet lui-même chérit le portrait d’un mirage contre son cœur.
Mais elle n’est pas un songe. Petite et douce en des lignes séduisantes, June sent ses joues chauffer à la vision d’une déesse échappée des monts d’un Olympe dissimulé aux frontières du royaume de France. Joues brûlées par le froid dissimulent ce sentiment ému qui prend son cœur alors qu’elle s’avance contre Aimable comme Dieu cueille les fleurs de son jardin. Avec une tendresse qui lui impose de détourner les yeux. Discret alors qu’il sait ne pas devoir interrompre des retrouvailles si durement méritées. Patient à l’idée qu’un jour peut-être son tour viendra également.
Les mots, il les entend et se refuse de les écouter. Offre par pudeur ce qu’il apprécierait lui-même se voir offrir si cet instant lui était offert. Et si les minutes paraîtraient longues à un étranger, ici, June se sent chez lui. Adopté au sein d’un foyer qui n’a rien de chez lui, et qui pourtant lui rappelle les sentiers tracés par Nanna, là où suivre ses pas était encore une tache si ardue du haut de ses quelques ans.
Mais l’idée n’ira jamais plus loin. Mèches andrinoples coursées de boucles délicates. Visage poupon contre des lignes d’Aphrodite, constellé de l’Ursa à Canis Major. Cette main qui ne lui est pas offerte, June s’en empare et d’une révérence due au titre de ceux auxquels il accorde un respect dépassant l’étiquette, il baise sa main et assure, la voix prise d’une émotion complexe.
« J’ai tant entendu parler de vous, ma Dame. Il m’est un délice d’enfin faire votre rencontre. Je vous prie d’accepter ma reconnaissance quant à m’accorder le droit de séjourner dans votre domaine. C’est avec humilité que j’espère pouvoir apprendre à vous connaître. »
Elle pétille du même éclat qu’il avait pu lire dans le regard de son mentor. June rougit à nouveau sous les compliments ainsi offerts sans relâche, et lorsqu’il n’a d’autre choix que de se laisser inviter dans une demeure aux atours chaleureux, c’est avec prudence qu’il passe le pas de la porte de la maison du bonheur. La chaleur est un délice contre ses membres, et c’est d’un mouvement prudent qu’il défait sa cape et veille à ne pas salir les sols des restants de neige contre ses vêtements et ses chausses. Mais elle s’en moque. Ne s’inquiète pas de ces trivialités et les attire jusqu’à la table où June hésite à s’asseoir en suivant le modèle de son hôte.
Pieds sous la table, la soupe leur est apportée, et… Et si la fragrance en est appétissante, June se trouve idiot à saliver à l’odeur de ce qui lui est secondement présenté. Le suédois accepte le fromage offert avec un regard curieux avant de tourner les yeux vers Aimable.
« Est-ce bien ce que je crois ? »
La fameuse. Celle dont ils avaient à plusieurs reprises parlé. Celle dont Aimable n’avait su tarir d’éloges. Serait-il inconvenant de –
Mais déjà, sans réellement attendre confirmation, c’est avec un appétit évident qu’il croque à pleines dents dans le laitage et… L’explosion de saveurs en bouche lui fait lâcher un soupir qui pourrait apporter la honte et le déshonneur à toute la famille van Heil, tant il est inconvenant de se comporter de la sorte à la table d’une famille noble. Et c’est après avoir mastiqué à quelques reprises qu’il le réalise, se redressant droit comme un pic avec une évidente gêne sur le visage.
« H-ho je- pardonnez-moi je… J-j’attendais de goûter à cette tomme depuis des mois et… Je suis navré, c’était inconvenant… »
Et sans même y réfléchir, jeune garçon rentre sa tête entre ses épaules, comme persuadé qu’il finirait grondé. Repose le fromage contre le bord de son assiette et prend la cuillère pour goûter la soupe qui… sans surprise lui fait doucement fermer les yeux. Tout est délicieux. Un repas chaud lui semblait lointain et pourtant si attendu. Il daigne doucement chercher le regard de l’épouse d’Aimable et murmure, intimidé.
« Vous êtes une merveilleuse cuisinière, ma Dame… Merci infiniment de m’offrir ce repas… »
Tout ici semble si réconfortant. Si détaché du temps. Mangeant tranquillement, il ose enfin répondre aux questions offertes.
« La neige n’est pas aussi facile à pratiquer qu’en Suède mais… Je dois admettre qu’il est bon de retrouver l’épais manteau blanc de l’hiver. Cette atmosphère apporte du baume à mon cœur et me rappelle mes terres natales. Je me sens comblé. »
Le repas est un soulagement qu’il ne pensait pas devoir nécessiter. Pourtant une fois la panse déjà davantage remplie, il repose sa cuillère et se surprend doucement, interrogeant les deux époux avec curiosité.
« Est-ce que… Richard et Isabeau ne sont pas ici… ? »
Curieux ? Oh, June l’est sans le moindre doute. Et rencontrer les deux enfants d’Aimable… ? Il doit avouer que cela lui tardait énormément.
Capitale de lumières, elle a été tout ce dont il avait besoin pendant bien longtemps. Le lieu de son pèlerinage innommé. Cet endroit où tout devrait se retrouver. Où il espérait le retrouver. Mais Paris n’est plus ici. Paris est bien loin. Loin dans les terres, là où les vallons sont faits de blé et de douceur. Où les champs sont parés d’orge et de verdure tendre. Où les fleurs d’automne et les premières neiges d’hiver ne trouvent pas encore à s’accrocher pleinement aux toits des maisons. Paris n’est plus ici, mais pour la première fois, June n’a aucun regret. Aucun regret d’arpenter le chemin d’un nouveau monde. D’apprendre, en suivant les traces de son nouvel enseignant, de son nouveau maître, comment devenir plus grand et plus puissant.
Non, June ne croit pas que ses responsabilités pourraient lui apprendre davantage que ce qu’il parvient à deviner et lire dans les pas assurés d’un chevalier au corps forgé à même la roche des volcans d’un monde éteint. June téméraire et brillant s’efface dans les empreintes tantôt laissées par les sabots d’une monture fidèle, ou pas les bottes larges et assurées d’un homme qui connait cette route comme les éléphants retrouvent éternellement le lieu de leur origine. Comme un bourgeon n’oubliant jamais où sont ses racines pour pouvoir s’épanouir et produire les plus beaux fruits… Aimable est en ce chemin de foi une fleur qui retrouve ses atouts et ses bienfaits. Aimable dans son silence habituel, se révèle d’un jour nouveau à un disciple qui ne peut brûler que de plus d’admiration à chaque heure et chaque jour qui passe.
Ce chemin n’est pas sans embuche. Longue est la voie qui les guidera jusqu’à ces terres bénies qui ont vu grandir les membres d’une famille unie. Qui ont vu s’endurcir un homme qui dans les traits marqués par l’âge et la fatigue, s’adoucit à chaque foulée le ramenant à l’écrin de ses origines.
Les paysages sont bien différents de ceux de sa Suède natale. Pourtant la neige y est un réconfort qu’il ne peut nier. Rien n’a changé, presque, contre son cœur d’enfant. Là où sur sa monture de noir brodée, sa cape et ses gants protègent son corps du froid mordant qui ne trouve pas à démériter contre son âme. L’hiver est la saison de ses rêves, et ces montagnes, aussi harassantes et pénibles soient-elles à gravir, sont une ode à un univers qui laisse l’émeraude de son regard s’émerveiller. Rênes à la main, il guide son étalon sans crainte. Il n’a pas besoin de directions. Pas besoin de trouver où aller. Il sait car le chemin lui est ouvert par un guide éclairé de lumière. June s’il échange quelques mots, s’abreuve de ce silence quiet, et de voir dans la posture d’Aimable le poids d’un monde inconnu glisser comme les éboulis d’une neige douce glissant sous les chausses à leurs pieds. La gravité de cet homme s’effondre et s’affaisse à mesure de leur ascension. Et si June glisse et se relève, c’est avec l’admiration évidente qu’il est un homme devant lui dont le dos lui rappelle à chaque instant son désir d’être un jour celui qui sera ainsi aveuglément suivi. Celui qui, dans sa seule aura, peut guider un homme, comme cent et mille.
Et au bout du chemin, si Paris est bien loin, et si l’air est plus rare et crie à ses poumons brûlants le besoin de hurler à la liberté si durement retrouvée, c’est le cœur pris dans un étau qu’il ne saurait expliquer qu’il s’invite dans la couronne délicate d’un sommet enneigé. Là où en haut des alpages, en haut des sentiers escarpés, la pierre en des lignes si joliment dessinées, trace les ouvrages d’hommes nés bien avant lui. Des pères et seigneurs les ayant précédés. Ce mausolée est une entité vivante à elle seule, et s’il croit au divin et aux anges, il vit ici quelque chose qu’aucun texte biblique ne saurait retranscrire. Pensée blasphématoire qui reste pourtant rassurante contre son cœur lorsque le tintement d’une cloche, une fois les grilles d’une demeure passées, résonne en glas comme l’aumônier sonne la messe de Notre-Dame.
June, en retrait, laisse son regard parcourir tout ce qui se dessine à ses yeux. De cette étable discrète à ces murs et ces dalles creusées par le passage de ceux qui ont habité ces terres. Sur la promesse que derrière cette porte, il découvrira ce qu’Aimable détient de plus précieux, comme le cadet lui-même chérit le portrait d’un mirage contre son cœur.
Mais elle n’est pas un songe. Petite et douce en des lignes séduisantes, June sent ses joues chauffer à la vision d’une déesse échappée des monts d’un Olympe dissimulé aux frontières du royaume de France. Joues brûlées par le froid dissimulent ce sentiment ému qui prend son cœur alors qu’elle s’avance contre Aimable comme Dieu cueille les fleurs de son jardin. Avec une tendresse qui lui impose de détourner les yeux. Discret alors qu’il sait ne pas devoir interrompre des retrouvailles si durement méritées. Patient à l’idée qu’un jour peut-être son tour viendra également.
Les mots, il les entend et se refuse de les écouter. Offre par pudeur ce qu’il apprécierait lui-même se voir offrir si cet instant lui était offert. Et si les minutes paraîtraient longues à un étranger, ici, June se sent chez lui. Adopté au sein d’un foyer qui n’a rien de chez lui, et qui pourtant lui rappelle les sentiers tracés par Nanna, là où suivre ses pas était encore une tache si ardue du haut de ses quelques ans.
Mais l’idée n’ira jamais plus loin. Mèches andrinoples coursées de boucles délicates. Visage poupon contre des lignes d’Aphrodite, constellé de l’Ursa à Canis Major. Cette main qui ne lui est pas offerte, June s’en empare et d’une révérence due au titre de ceux auxquels il accorde un respect dépassant l’étiquette, il baise sa main et assure, la voix prise d’une émotion complexe.
« J’ai tant entendu parler de vous, ma Dame. Il m’est un délice d’enfin faire votre rencontre. Je vous prie d’accepter ma reconnaissance quant à m’accorder le droit de séjourner dans votre domaine. C’est avec humilité que j’espère pouvoir apprendre à vous connaître. »
Elle pétille du même éclat qu’il avait pu lire dans le regard de son mentor. June rougit à nouveau sous les compliments ainsi offerts sans relâche, et lorsqu’il n’a d’autre choix que de se laisser inviter dans une demeure aux atours chaleureux, c’est avec prudence qu’il passe le pas de la porte de la maison du bonheur. La chaleur est un délice contre ses membres, et c’est d’un mouvement prudent qu’il défait sa cape et veille à ne pas salir les sols des restants de neige contre ses vêtements et ses chausses. Mais elle s’en moque. Ne s’inquiète pas de ces trivialités et les attire jusqu’à la table où June hésite à s’asseoir en suivant le modèle de son hôte.
Pieds sous la table, la soupe leur est apportée, et… Et si la fragrance en est appétissante, June se trouve idiot à saliver à l’odeur de ce qui lui est secondement présenté. Le suédois accepte le fromage offert avec un regard curieux avant de tourner les yeux vers Aimable.
« Est-ce bien ce que je crois ? »
La fameuse. Celle dont ils avaient à plusieurs reprises parlé. Celle dont Aimable n’avait su tarir d’éloges. Serait-il inconvenant de –
Mais déjà, sans réellement attendre confirmation, c’est avec un appétit évident qu’il croque à pleines dents dans le laitage et… L’explosion de saveurs en bouche lui fait lâcher un soupir qui pourrait apporter la honte et le déshonneur à toute la famille van Heil, tant il est inconvenant de se comporter de la sorte à la table d’une famille noble. Et c’est après avoir mastiqué à quelques reprises qu’il le réalise, se redressant droit comme un pic avec une évidente gêne sur le visage.
« H-ho je- pardonnez-moi je… J-j’attendais de goûter à cette tomme depuis des mois et… Je suis navré, c’était inconvenant… »
Et sans même y réfléchir, jeune garçon rentre sa tête entre ses épaules, comme persuadé qu’il finirait grondé. Repose le fromage contre le bord de son assiette et prend la cuillère pour goûter la soupe qui… sans surprise lui fait doucement fermer les yeux. Tout est délicieux. Un repas chaud lui semblait lointain et pourtant si attendu. Il daigne doucement chercher le regard de l’épouse d’Aimable et murmure, intimidé.
« Vous êtes une merveilleuse cuisinière, ma Dame… Merci infiniment de m’offrir ce repas… »
Tout ici semble si réconfortant. Si détaché du temps. Mangeant tranquillement, il ose enfin répondre aux questions offertes.
« La neige n’est pas aussi facile à pratiquer qu’en Suède mais… Je dois admettre qu’il est bon de retrouver l’épais manteau blanc de l’hiver. Cette atmosphère apporte du baume à mon cœur et me rappelle mes terres natales. Je me sens comblé. »
Le repas est un soulagement qu’il ne pensait pas devoir nécessiter. Pourtant une fois la panse déjà davantage remplie, il repose sa cuillère et se surprend doucement, interrogeant les deux époux avec curiosité.
« Est-ce que… Richard et Isabeau ne sont pas ici… ? »
Curieux ? Oh, June l’est sans le moindre doute. Et rencontrer les deux enfants d’Aimable… ? Il doit avouer que cela lui tardait énormément.
Mer 16 Juin - 11:47
Eleanor ne cache pas sa surprise quand le jeune homme embrasse sa main.
Stupéfaite, elle ouvre de grands yeux. Par réflexe, sa main menue se rétracte, comme par peur de dévoiler au garçon des plaies qu’une femme ne devrait pas avoir. L’usure du travail, les ongles fendus par le froid ou la pression des cordes, sa manie de se ronger la peau lorsqu’elle réfléchit. Sentir les lèvres du jeune homme effleurer sa peau la fait rougir et si certaines effarouchées s’enfuiraient, un rire la libère.
Ses paupières renferment une forêt farouche, où une biche s’évade d’un battement. Pour autant, quelques rayons d’un soleil couchant éclairent davantage l’étrange scène tapie dans ses prunelles. Une tendresse qu’aucun mot ne peut transcrire s’épanouit, c’est l’amour d’une mère, la chaleur d’un feu, elle repose ses deux mains sur les joues de June. Elle recueille précieusement ses pommettes nobles, ses mâchoires bien dessinées, effleurant ses pommettes du bout des doigts en le couvant du regard.
L’étiquette et les règles de bienséances sont balayées par sa spontanéité et sa bienveillance. Une tendresse si débordante qu’elle s’échappe en courbes généreuses, en sourires mutins, en ces gestes mêlant l’innocence d’une enfant à la sagesse d’une femme. Une femme qui a vu l’Ombre et qui a su l’aimer. L’aimer à s’en damner.
_ Aimable m’a tant parlé de toi, June. Je suis très heureuse de t’accueillir. Cette maison est la tienne.
Elle le relâche avant de s’évader. Son pas est léger, doté d’une énergie que ses enfants n’ont pas su vaincre – au contraire, c’est elle qui les use. Aimable lui engage le pas, courbant instinctivement l’échine pour passer le seuil de sa demeure. Le Chevalier affiche un sourire discret, du coin des lèvres. Pudique, sa joie s’exprime malgré sa timidité. Son regard suit son épouse, revient s’unir, franchement, aux yeux de June pour s’assurer que tout va bien. D’une main sur son épaule, il le convie à s’asseoir.
Eleanor virevolte, apportant les plats et les boissons, jusqu’à s’installer près d’eux dans un sourire comblé, sa main revenant régulièrement rejoindre celle d’Aimable pour entremêler ses doigts aux siens.
Les mariages arrangés laissent souvent peu de place à l’amour ou à la tendresse. Et pour autant, tous deux semblent s’aimer. La complicité s’échange d’un regard, la connivence se retrouve lorsqu’ils se sourient. Ils n’ont pas besoin de parler et pourtant, ils savent s’écouter. Avec elle, il se sent libéré.
Elle est l’une des femmes les plus fortes qu’il ait pu voir. A tenir toujours debout malgré l’adversité. Capable de sourire et de pleurer, de s’énerver et de rire, capable de danser comme une enfant lorsque la pluie tombe, ou de veiller sur lui lorsqu’il cauchemarde. Elle est là, puissante dans ses faiblesses et ses vulnérabilités, assumant ses peurs, ses tords, avec une assurance qu’il admire. Elle l’a arraché du marais dans lequel il s’enfonçait, à la force de mots, de patience et d’une émotion si puissante qu’il s’en sent submergé.
Il est heureux de la présenter à June. De l’inviter dans son domaine, là où il a grandi et là où ses enfants verront grandir leurs propres enfants.
Lorsque June l’interroge, la tendresse gagne les traits d’Aimable. Malgré la fatigue, les ridules s’effacent, son front se libère de ses rides, la tension abandonne ses traits, assez pour qu’un sourire éclaire son visage. D’un signe de tête, il encourage June à y goûter et Eleanor surveille la scène avec attention. Au soupir du jeune homme, un rictus plein de malice étire ses traits et un rire franchit les lèvres du couple. Celui d’Eleanor est comme une cascade, il rafraîchit le cœur et libère la tête. Celui d’Aimable est ce son animal que June a quelques fois perçu. Un grognement rauque et viscéral, si grave que son torse en frémit, un son qu’il étouffe d’un petit mouvement de tête.
_ Mange, ne t’inquiète pas, rassure-t-il dans un haussement d’épaules.
Eleanor hoche gravement la tête.
_ Je suis ravie que la tomme te plaise ! Celle-ci date de l’hiver dernier, elle est un peu crayeuse et manque peut-être de parfums. Tu n’auras qu’à revenir cet été pour goûter la tomme du printemps ! Elle est plus forte et plus crémeuse !
A son compliment, Eleanor semble touchée. Coquette, elle recoiffe une de ses mèches rubicondes.
_ Ne me remercie pas. C’est un plaisir pour moi de te faire goûter le fruit de notre travail.
_ Du tien, corrige Aimable.
_ Tu commences à t’y mettre. Tu dois seulement te convaincre que tirer les pis d’une vache ne va pas lui faire mal, glisse malicieusement Eleanor, adressant une œillade à son mari. Le Chevalier, en réponse, prend quelques rougeurs et détourne la tête en grattant sa nuque.
_ Et comment je ferai si je n’avais pas tes bras pour donner la paille aux vaches ou nettoyer l’écurie, hm ?
_ Tu sais très bien faire sans moi, reprend Aimable dans une petite moue.
_ Ca c’est sûr. Mais c’est encore meilleur avec toi, continue-t-elle, Si tu es curieux, je te montrerai comment on la prépare, propose-t-elle à June. Puis elle lève un doigt, A la condition que tu gardes ce secret pour toi.
A la mention de la Suède, le mari et l’épouse observent June avec une curiosité ravivée. Si Aimable respecte le silence de June sans oser s’avancer, Eleanor interroge.
_ Où se trouve la Suède ? Vers Paris ? Pourquoi êtes-vous venu en France ?
Si June eut aperçu un semblant de timidité, celle-ci est à présent envolée. Eleanor, contrairement à son mari, est une femme habituée à converser. Appartenant à la basse noblesse, elle et ses frères ont su construire leurs richesses. Un beau bétail, des fromages et du lait qu’ils vont vendre au marché, offrir aux Seigneurs des lieux pour obtenir leurs faveurs, Eleanor est une femme du peuple avant d’être celle d’un Chevalier. Elle apprécie discuter et être entourée, au contraire d’Aimable qui a tendance à s’effacer.
_ Richard et Isabeau se reposent, explique-t-elle en désignant l’étage au dessus de leur tête, Enfin, si Isabeau ne quitte pas son berceau pour aller ennuyer son frère. Evitons de les réveiller, dit celle qui parle le plus du lot. D’ailleurs, le sourire malicieux d’Aimable trahit la remarque informulée et, en réponse, Eleanor hausse les épaules.
_ Je parle pour toutes les fois où tu gardes le silence.
_ J’ai bien assez questionné June.
_ Ah oui ? Je suis contente que tu sortes de ta grotte. June doit être vraiment quelqu’un de bien pour que tu fasses cet effort. Comme moi.
_ Comme toi, répète Aimable alors que leurs mains s’unissent. Eleanor adresse un regard discret à June : cette fois, c'est une discrète reconnaissance qui éclaire son regard.
_ Tu pourras voir Richard et Isabeau demain. Je t'ai préparé une chambre à l'étage, si cela te convient. As-tu pris des affaires avec toi ?
Stupéfaite, elle ouvre de grands yeux. Par réflexe, sa main menue se rétracte, comme par peur de dévoiler au garçon des plaies qu’une femme ne devrait pas avoir. L’usure du travail, les ongles fendus par le froid ou la pression des cordes, sa manie de se ronger la peau lorsqu’elle réfléchit. Sentir les lèvres du jeune homme effleurer sa peau la fait rougir et si certaines effarouchées s’enfuiraient, un rire la libère.
Ses paupières renferment une forêt farouche, où une biche s’évade d’un battement. Pour autant, quelques rayons d’un soleil couchant éclairent davantage l’étrange scène tapie dans ses prunelles. Une tendresse qu’aucun mot ne peut transcrire s’épanouit, c’est l’amour d’une mère, la chaleur d’un feu, elle repose ses deux mains sur les joues de June. Elle recueille précieusement ses pommettes nobles, ses mâchoires bien dessinées, effleurant ses pommettes du bout des doigts en le couvant du regard.
L’étiquette et les règles de bienséances sont balayées par sa spontanéité et sa bienveillance. Une tendresse si débordante qu’elle s’échappe en courbes généreuses, en sourires mutins, en ces gestes mêlant l’innocence d’une enfant à la sagesse d’une femme. Une femme qui a vu l’Ombre et qui a su l’aimer. L’aimer à s’en damner.
_ Aimable m’a tant parlé de toi, June. Je suis très heureuse de t’accueillir. Cette maison est la tienne.
Elle le relâche avant de s’évader. Son pas est léger, doté d’une énergie que ses enfants n’ont pas su vaincre – au contraire, c’est elle qui les use. Aimable lui engage le pas, courbant instinctivement l’échine pour passer le seuil de sa demeure. Le Chevalier affiche un sourire discret, du coin des lèvres. Pudique, sa joie s’exprime malgré sa timidité. Son regard suit son épouse, revient s’unir, franchement, aux yeux de June pour s’assurer que tout va bien. D’une main sur son épaule, il le convie à s’asseoir.
Eleanor virevolte, apportant les plats et les boissons, jusqu’à s’installer près d’eux dans un sourire comblé, sa main revenant régulièrement rejoindre celle d’Aimable pour entremêler ses doigts aux siens.
Les mariages arrangés laissent souvent peu de place à l’amour ou à la tendresse. Et pour autant, tous deux semblent s’aimer. La complicité s’échange d’un regard, la connivence se retrouve lorsqu’ils se sourient. Ils n’ont pas besoin de parler et pourtant, ils savent s’écouter. Avec elle, il se sent libéré.
Elle est l’une des femmes les plus fortes qu’il ait pu voir. A tenir toujours debout malgré l’adversité. Capable de sourire et de pleurer, de s’énerver et de rire, capable de danser comme une enfant lorsque la pluie tombe, ou de veiller sur lui lorsqu’il cauchemarde. Elle est là, puissante dans ses faiblesses et ses vulnérabilités, assumant ses peurs, ses tords, avec une assurance qu’il admire. Elle l’a arraché du marais dans lequel il s’enfonçait, à la force de mots, de patience et d’une émotion si puissante qu’il s’en sent submergé.
Il est heureux de la présenter à June. De l’inviter dans son domaine, là où il a grandi et là où ses enfants verront grandir leurs propres enfants.
Lorsque June l’interroge, la tendresse gagne les traits d’Aimable. Malgré la fatigue, les ridules s’effacent, son front se libère de ses rides, la tension abandonne ses traits, assez pour qu’un sourire éclaire son visage. D’un signe de tête, il encourage June à y goûter et Eleanor surveille la scène avec attention. Au soupir du jeune homme, un rictus plein de malice étire ses traits et un rire franchit les lèvres du couple. Celui d’Eleanor est comme une cascade, il rafraîchit le cœur et libère la tête. Celui d’Aimable est ce son animal que June a quelques fois perçu. Un grognement rauque et viscéral, si grave que son torse en frémit, un son qu’il étouffe d’un petit mouvement de tête.
_ Mange, ne t’inquiète pas, rassure-t-il dans un haussement d’épaules.
Eleanor hoche gravement la tête.
_ Je suis ravie que la tomme te plaise ! Celle-ci date de l’hiver dernier, elle est un peu crayeuse et manque peut-être de parfums. Tu n’auras qu’à revenir cet été pour goûter la tomme du printemps ! Elle est plus forte et plus crémeuse !
A son compliment, Eleanor semble touchée. Coquette, elle recoiffe une de ses mèches rubicondes.
_ Ne me remercie pas. C’est un plaisir pour moi de te faire goûter le fruit de notre travail.
_ Du tien, corrige Aimable.
_ Tu commences à t’y mettre. Tu dois seulement te convaincre que tirer les pis d’une vache ne va pas lui faire mal, glisse malicieusement Eleanor, adressant une œillade à son mari. Le Chevalier, en réponse, prend quelques rougeurs et détourne la tête en grattant sa nuque.
_ Et comment je ferai si je n’avais pas tes bras pour donner la paille aux vaches ou nettoyer l’écurie, hm ?
_ Tu sais très bien faire sans moi, reprend Aimable dans une petite moue.
_ Ca c’est sûr. Mais c’est encore meilleur avec toi, continue-t-elle, Si tu es curieux, je te montrerai comment on la prépare, propose-t-elle à June. Puis elle lève un doigt, A la condition que tu gardes ce secret pour toi.
A la mention de la Suède, le mari et l’épouse observent June avec une curiosité ravivée. Si Aimable respecte le silence de June sans oser s’avancer, Eleanor interroge.
_ Où se trouve la Suède ? Vers Paris ? Pourquoi êtes-vous venu en France ?
Si June eut aperçu un semblant de timidité, celle-ci est à présent envolée. Eleanor, contrairement à son mari, est une femme habituée à converser. Appartenant à la basse noblesse, elle et ses frères ont su construire leurs richesses. Un beau bétail, des fromages et du lait qu’ils vont vendre au marché, offrir aux Seigneurs des lieux pour obtenir leurs faveurs, Eleanor est une femme du peuple avant d’être celle d’un Chevalier. Elle apprécie discuter et être entourée, au contraire d’Aimable qui a tendance à s’effacer.
_ Richard et Isabeau se reposent, explique-t-elle en désignant l’étage au dessus de leur tête, Enfin, si Isabeau ne quitte pas son berceau pour aller ennuyer son frère. Evitons de les réveiller, dit celle qui parle le plus du lot. D’ailleurs, le sourire malicieux d’Aimable trahit la remarque informulée et, en réponse, Eleanor hausse les épaules.
_ Je parle pour toutes les fois où tu gardes le silence.
_ J’ai bien assez questionné June.
_ Ah oui ? Je suis contente que tu sortes de ta grotte. June doit être vraiment quelqu’un de bien pour que tu fasses cet effort. Comme moi.
_ Comme toi, répète Aimable alors que leurs mains s’unissent. Eleanor adresse un regard discret à June : cette fois, c'est une discrète reconnaissance qui éclaire son regard.
_ Tu pourras voir Richard et Isabeau demain. Je t'ai préparé une chambre à l'étage, si cela te convient. As-tu pris des affaires avec toi ?
Sam 19 Juin - 18:54
Winter is here
Candeur et douceur semblent être deux maîtres mots de la maisonnée de Bayard. Des termes qui pourtant s’éloignent tant du chevalier qu’il a appris à connaître au cours des dernières saisons. June pourrait penser bien des choses, mais il se trouve coi et penaud devant la tendresse si démonstrative de deux individus s’aimant dans la chaleur d’un Seigneur protecteur qui semble ne vouloir que leur accorder la grâce de sa bénédiction divine.
Remercier le Seigneur pour ce repas n’aura jamais été si juste, tandis qu’il se laisse bercer par la chaleur rassurante d’une famille qui semble d’ores et déjà l’avoir adopté quand bien même il doute d’avoir pu faire la moindre chose pour le mériter. Mais l’hospitalité n’est pas un travers de cette famille, mais bel et bien une aubaine à laquelle il ne se pensait pas avoir le droit.
Redevable, il l’est, alors que les saveurs d’un repas chaud fait avec amour éclatent contre ses papilles. A combien de bonnes tables parisiennes avait-il soupé ? Même au Palais de Paris… Et pourtant, la simplicité d’un repas fait avec soin par une épouse aimante ne le laisse que rempli d’une sensation de manque qu’il ne saurait expliquer. Nostalgique, sûrement, d’un foyer l’accueillant à bras ouverts. D’une maisonnée où lorsque l’on verrait sa silhouette approcher, la joie déborderait par les fenêtres encastrées contre d’épais murs de pierre. Protégé de tout et tous. Un cocon perché dans la montagne. Là où la neige éternelle pique sur les sommets voisins. Oui, June regrette. Regrette sa Suède natale et se perd au repas chaud qui le distrait de ses sombres pensées d’un instant.
Mais bien fugace est la peine dans le cœur de cet étalon. Rapidement piqué dans sa curiosité à l’écoule des mots de la maîtresse de maison, June sourit à pleines dents et hoche la tête.
« Je n’ai découvert le réel goût des délices fromagers qu’en arrivant en France… Nous n’avons rien de si… Fort, dans mon royaume. »
Un point d’entrée tranquille à une question qui fait tendrement sourire le suédois.
« Il s’agit d’un tout autre pays, bien loin des frontières du royaume France. Un pays bien plus au nord, où les îlots de glace s’appellent fjords, et battent pavillon d’une contrée si froide qu’elle en paraîtrait inhospitalière. Il faudrait des jours pour s’y rendre… Mon père y est duc, dans les terres de l’ouest. »
Sans la moindre trace de moquerie ou de jugement, ces paroles il les prononce à grands renforts de gestes, illustrant d’une main le territoire français avant de placer la seconde là où la Suède se trouverait virtuellement sur une carte. Il espèce avoir été suffisamment clair…. Avant de réaliser à la remarque d’Eleanor qu’il… Parlait peut-être trop.
Rougit contre sa peau pâle d’hiver un soldat qui regrettait l’idée d’avoir pu perturber le sommeil de deux braves enfants.
« Pardonnez-moi. Je ne voulais pas incommoder votre maisonnée. »
Mais de toute évidence, la gêne n’existe pas sous ce toit. Et c’est un peu rassuré – et malgré tout gêné de l’affection si ouvertement présentée d’un homme qu’il connaît bien plus stoïque – qu’il continue son repas sans réellement s’offenser de la moindre chose. Peut-être ce soir se sentait-il embarrassé, mais demain serait un autre jour. Demain il serait à sa place au milieu de ces pâturages enneigés.
Relevant un regard curieux vers Eleanor, June hoche doucement la tête et affirme doucement.
« Il y avait bien longtemps que je n’avais pas ainsi parcouru de pareils paysages. Je me suis permis de venir équipé. »
Oh son paquetage était bien maigre, mais il ne manquerait que peu de choses en son sein. Ceci étant, dès qu’il remettrait la main sur ses affaires déposées dans l’entrée de la maison, il devrait se rappeler d’offrir à son hôte le présent qu’il avait tâché de lui apporter. Mais avant cela, il faudrait rendre honneur à ce repas…
Et il ne faut qu’une poignée de minutes goulues pour qu’il vienne à bout de ce qu’il qualifie sans honte de festin.
« Le repas était délicieux… » Et il rougira sûrement d’avoir gardé la tomme pour la fin, franc partisan de l’idée de toujours garder le meilleur pour la fin. June s’éclaircit la voix et observe les deux époux avant de demander doucement. « Ceci étant… Je ne veux pas être incourtois ici… Mais je ne suis pas le genre d’homme à apprécier être servi comme un noble lorsque je suis à la table d’une personne que j’estime autant que le chevalier de Bayard et vous-même… Permettez que je mette mes deux mains à votre disposition. »
Oui. Il ferait la vaisselle. Foi de van Heil.
Remercier le Seigneur pour ce repas n’aura jamais été si juste, tandis qu’il se laisse bercer par la chaleur rassurante d’une famille qui semble d’ores et déjà l’avoir adopté quand bien même il doute d’avoir pu faire la moindre chose pour le mériter. Mais l’hospitalité n’est pas un travers de cette famille, mais bel et bien une aubaine à laquelle il ne se pensait pas avoir le droit.
Redevable, il l’est, alors que les saveurs d’un repas chaud fait avec amour éclatent contre ses papilles. A combien de bonnes tables parisiennes avait-il soupé ? Même au Palais de Paris… Et pourtant, la simplicité d’un repas fait avec soin par une épouse aimante ne le laisse que rempli d’une sensation de manque qu’il ne saurait expliquer. Nostalgique, sûrement, d’un foyer l’accueillant à bras ouverts. D’une maisonnée où lorsque l’on verrait sa silhouette approcher, la joie déborderait par les fenêtres encastrées contre d’épais murs de pierre. Protégé de tout et tous. Un cocon perché dans la montagne. Là où la neige éternelle pique sur les sommets voisins. Oui, June regrette. Regrette sa Suède natale et se perd au repas chaud qui le distrait de ses sombres pensées d’un instant.
Mais bien fugace est la peine dans le cœur de cet étalon. Rapidement piqué dans sa curiosité à l’écoule des mots de la maîtresse de maison, June sourit à pleines dents et hoche la tête.
« Je n’ai découvert le réel goût des délices fromagers qu’en arrivant en France… Nous n’avons rien de si… Fort, dans mon royaume. »
Un point d’entrée tranquille à une question qui fait tendrement sourire le suédois.
« Il s’agit d’un tout autre pays, bien loin des frontières du royaume France. Un pays bien plus au nord, où les îlots de glace s’appellent fjords, et battent pavillon d’une contrée si froide qu’elle en paraîtrait inhospitalière. Il faudrait des jours pour s’y rendre… Mon père y est duc, dans les terres de l’ouest. »
Sans la moindre trace de moquerie ou de jugement, ces paroles il les prononce à grands renforts de gestes, illustrant d’une main le territoire français avant de placer la seconde là où la Suède se trouverait virtuellement sur une carte. Il espèce avoir été suffisamment clair…. Avant de réaliser à la remarque d’Eleanor qu’il… Parlait peut-être trop.
Rougit contre sa peau pâle d’hiver un soldat qui regrettait l’idée d’avoir pu perturber le sommeil de deux braves enfants.
« Pardonnez-moi. Je ne voulais pas incommoder votre maisonnée. »
Mais de toute évidence, la gêne n’existe pas sous ce toit. Et c’est un peu rassuré – et malgré tout gêné de l’affection si ouvertement présentée d’un homme qu’il connaît bien plus stoïque – qu’il continue son repas sans réellement s’offenser de la moindre chose. Peut-être ce soir se sentait-il embarrassé, mais demain serait un autre jour. Demain il serait à sa place au milieu de ces pâturages enneigés.
Relevant un regard curieux vers Eleanor, June hoche doucement la tête et affirme doucement.
« Il y avait bien longtemps que je n’avais pas ainsi parcouru de pareils paysages. Je me suis permis de venir équipé. »
Oh son paquetage était bien maigre, mais il ne manquerait que peu de choses en son sein. Ceci étant, dès qu’il remettrait la main sur ses affaires déposées dans l’entrée de la maison, il devrait se rappeler d’offrir à son hôte le présent qu’il avait tâché de lui apporter. Mais avant cela, il faudrait rendre honneur à ce repas…
Et il ne faut qu’une poignée de minutes goulues pour qu’il vienne à bout de ce qu’il qualifie sans honte de festin.
« Le repas était délicieux… » Et il rougira sûrement d’avoir gardé la tomme pour la fin, franc partisan de l’idée de toujours garder le meilleur pour la fin. June s’éclaircit la voix et observe les deux époux avant de demander doucement. « Ceci étant… Je ne veux pas être incourtois ici… Mais je ne suis pas le genre d’homme à apprécier être servi comme un noble lorsque je suis à la table d’une personne que j’estime autant que le chevalier de Bayard et vous-même… Permettez que je mette mes deux mains à votre disposition. »
Oui. Il ferait la vaisselle. Foi de van Heil.
Mer 23 Juin - 12:31
Le bois craque, dans l’âtre.
Ses étincelles apportent un peu de magie supplémentaire aux îlots de glace que décrit June. Eleanor l’écoute avec le sérieux d’un enfant, les sourcils froncés sous la concentration et les yeux écarquillés sous l’imagination. Elle n’a jamais quitté ses montagnes, et n’en a pas le désir… mais lorsque le jeune homme décrit des terres lointaines couvertes de neige, elle se découvre impatiente. D’ailleurs, elle tourne les yeux vers Aimable.
_ Nous irons voir les f… les forks ? Tente-t-elle d’articuler.
Aimable garde sa main nouée à la sienne et lui offre un sourire.
_ Je ne peux pas te le promettre. Mais je peux t’assurer que je ferai mon possible pour y aller.
Le sourire d’Eleanor s’étire encore ; satisfaite, elle ferme à demi les yeux et repose son épaule contre celle de son mari. Elle lui fait voir la beauté et la simplicité d’un monde qu’Aimable a appris à craindre. Son esprit n’est fertile que d’horreurs, de cauchemars et de massacres. En réponse, elle y sème la tendresse et ses rêves, au point où Aimable finit par espérer, lui aussi, contempler ces îlots de glace, ces terres couvertes de neige.
_ Ah ! Si les terres sont inhospitalières, cela ne rend les gens que plus chaleureux ! Affirme joyeusement Eleanor, avec son optimiste habituel, Votre Père accepterait de nous recevoir ?
Combien même ne pourront-ils jamais se rendre en Suède, la simple possibilité d’un voyage la ravit. Elle cligne soudain des paupières avant d’accorder un regard à son mari.
_ Tu aurais dû me dire qu’il était fils d’un Duc !
_ Qu’est-ce que ça aurait changé ? Glisse-t-il en haussant les épaules, Roi, Cardinal, Duc ou manant, tu les accueilles tous avec la même chaleur.
Eleanor rougit sous le compliment, avant de laisser échapper un rire.
_ Non ! Je demande plus de travail à certains ! N’est-ce pas Monsieur le Chevalier ?
Aimable laisse échapper un bref rire, qu’il étouffe pudiquement d’un haussement d’épaules. Il faut dire qu’Eleanor l’a toujours encouragé à mettre la main à la pâte pour les tâches de la maison. Entretenir le jardin, déblayer l’étable, traire les vaches ! La jeune femme a su convaincre l’adolescent timide à l’accompagner. Elle l’a fait gagner en assurance et c’est avec sa patience comme sa bienveillance qu’elle a su faire germer leur amour. Elle l’avait aimé dès le premier jour, mais lui, il avait dû apprendre à s’ouvrir.
_ Ne t’excuse pas, June, les enfants ont le sommeil profond. Ils se sont bien défoulés aujourd’hui, apaise d’ailleurs Eleanor d’un geste de la main, Dis moi, quels sont les plats qu’il faut manger en Suède ?
Gourmande, elle se mord la lèvre sous la curiosité.
_ J’espère que tu as su trouver tes marques à Paris et que tu te plais en France. Tu as beaucoup de courage ! Moi, je ne me fais pas à cette grande ville… J’aime mes montagnes, mes champs et mes prés, mes vaches et peut-être ma famille.
_ Peut-être ? Remarque Aimable en clignant des paupières.
_ Peut-être. Car vous êtes de sacrés polissons quand vous le voulez, souffle-t-elle en plissant les yeux. Aimable lève un sourcil et Eleanor, malicieuse, se contente de reprendre.
_ Je ne peux pas laisser une tarte dehors sans qu’il n’aille piocher dedans.
Le Chevalier, gêné, devient rouge vif et toussote dans son poing. S’il souhaitait préserver un tant soit peu de dignité… Eleanor se redresse pour commencer à débarrasser.
_ Je suis heureuse que vous ayez bien mangé. J’espérais que vous rentriez avant la nuit… Enfin ! Au moins vous voilà au chaud et en sécurité. Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, June, n’hésite pas… Nous avons des manteaux en laine bouillie, des gilets en laine, des gants, des bonnets… Nous ne manquons de rien ! J’ai même mis une brique chaude dans le lit que nous t’avons préparé pour que tu n’aies pas froid cette nuit.
A la proposition de June, Eleanor cligne des yeux. Elle adresse un regard à Aimable, puis repose les assiettes qu’elle allait débarrasser. La femme repose ses poings sur ses hanches généreuses et fronce alors les sourcils d’un geste autoritaire.
_ Montre moi donc tes mains, jeune homme. On va voir à quoi elles peuvent servir.
Si June obéit, elle les saisit entre ses mains potelées pour les détailler, jusqu’à les relâcher.
_ Des mains déjà usées par le travail ! Aimable, tu ne l’as pas ménagé ! Fait-elle mine de protester, avant de rire, Viens donc apporter la grande bassine d’eau jusqu’à la cheminée, nous allons faire la vaisselle ensemble et discuter ! Mais si tu es fatigué, je pourrais te conduire à ta chambre…
_ N’oublie pas de te reposer, souffle Aimable. Il sait que June s’est toujours démené au combat ou lors de ses entraînements, faisant fi de sa fatigue… Il pousse et repousse toujours ses limites. L’avoir avec lui, chez lui, est un étrange soulagement. La sensation qu’ici, ils pourront discuter sans être dérangés. Où il pourra, peut-être, s’ouvrir à lui sans crainte, sans… Enfin.
La famille de Bayard, malgré leur réputation d’âpres combattants, sont des cœurs plus accoutumés à l’adrénaline des batailles qu’aux joutes verbales. Les mots sont des armes qu’ils ne savent pas toujours manier et avec lesquels ils ont la fâcheuse manie de blesser – se blesser ou blesser les autres. Aimable espère que les murs et sa famille raconteront une part d’histoire que lui ne peut pas dire. Que June verra ces richesses que le Chevalier a pris tant d’années à dissimuler. Par peur de perdre ce sanctuaire et ces bénédictions. Son épouse, ses enfants, sa fratrie, son domaine… C’est ce qui constitue son humanité, c’est ce qui le sépare de l’Ouroboros, c’est ce qui définit Aimable.
Il ne veut pas être cette âme maudite, déchirée par deux êtres. Il ne veut pas que June retienne ça de lui. Pas celle d’un homme troublé, d’un fou, d’un type étrange à la tête déglinguée et à la chair malmenée.
Il est ce garçon né des montagnes, cet adolescent craintif qui a appris l’amour – à aimer et à s’aimer, à vivre. Une vie simple faite de plaisirs, d’inquiétudes et de problèmes qu’on résout à deux, rien n’est insurmontable, ce n’est qu’un mauvais moment à passer, dit toujours Eleanor. Elle lui a tant appris.
C’est avec tendresse qu’il voit Eleanor conduire June dans leur grande cuisine. Un plan de travail, une fenêtre ouverte pour laisser entrer le froid, quelques fruits et légumes entassés dans un panier, préservés par l’air froid. Des casseroles en cuivre suspendus et cette bassine glacée, emplie d’eau de puits, qu’elle saisit à pleines mains pour la confier à June. Elle, elle récupère un torchon, un qu’elle glisse sous son bras et un autre qu’elle vient lancer à Aimable. D’un mouvement, elle indique à June où poser la bassine : devant l’âtre. Elle lance un torchon à Aimable, récupère les assiettes pour aller les glisser dans l’eau de la bassine, avant de s’agenouiller devant en retroussant ses manches.
_ Je vous laisse sécher, les garçons. C’est moi qui nettoie ! Je suis la seule à le faire correctement !
Annonce-t-elle joyeusement en rattachant ses longs cheveux en hauteur, ignorant les quelques mèches sauvages qui tombent devant ses yeux. Elle se met à l’œuvre dans un sourire, frictionnant les assiettes en fredonnant.
_ Et toi June ? Qu’est-ce qui t’a impressionné, dans Paris ? Aimable m’a parlé d’un pont immense, qui traverse un très grand fleuve ! Et le Cardinal, de la Cathédrale… Ca a l’air d’être de beaux endroits.
Aimable s’installe près d’elle, attendant paisiblement à ce qu’elle lui confie l’assiette qu’elle est en train de laver. Elle est bavarde, mais lui, c’est ce qu’il apprécie. Elle a toujours des questions… Et sait comment mettre les autres à l’aise. Il essaye d’apprendre d’elle, mais sa nature réservée le rend encore maladroit.
Ses étincelles apportent un peu de magie supplémentaire aux îlots de glace que décrit June. Eleanor l’écoute avec le sérieux d’un enfant, les sourcils froncés sous la concentration et les yeux écarquillés sous l’imagination. Elle n’a jamais quitté ses montagnes, et n’en a pas le désir… mais lorsque le jeune homme décrit des terres lointaines couvertes de neige, elle se découvre impatiente. D’ailleurs, elle tourne les yeux vers Aimable.
_ Nous irons voir les f… les forks ? Tente-t-elle d’articuler.
Aimable garde sa main nouée à la sienne et lui offre un sourire.
_ Je ne peux pas te le promettre. Mais je peux t’assurer que je ferai mon possible pour y aller.
Le sourire d’Eleanor s’étire encore ; satisfaite, elle ferme à demi les yeux et repose son épaule contre celle de son mari. Elle lui fait voir la beauté et la simplicité d’un monde qu’Aimable a appris à craindre. Son esprit n’est fertile que d’horreurs, de cauchemars et de massacres. En réponse, elle y sème la tendresse et ses rêves, au point où Aimable finit par espérer, lui aussi, contempler ces îlots de glace, ces terres couvertes de neige.
_ Ah ! Si les terres sont inhospitalières, cela ne rend les gens que plus chaleureux ! Affirme joyeusement Eleanor, avec son optimiste habituel, Votre Père accepterait de nous recevoir ?
Combien même ne pourront-ils jamais se rendre en Suède, la simple possibilité d’un voyage la ravit. Elle cligne soudain des paupières avant d’accorder un regard à son mari.
_ Tu aurais dû me dire qu’il était fils d’un Duc !
_ Qu’est-ce que ça aurait changé ? Glisse-t-il en haussant les épaules, Roi, Cardinal, Duc ou manant, tu les accueilles tous avec la même chaleur.
Eleanor rougit sous le compliment, avant de laisser échapper un rire.
_ Non ! Je demande plus de travail à certains ! N’est-ce pas Monsieur le Chevalier ?
Aimable laisse échapper un bref rire, qu’il étouffe pudiquement d’un haussement d’épaules. Il faut dire qu’Eleanor l’a toujours encouragé à mettre la main à la pâte pour les tâches de la maison. Entretenir le jardin, déblayer l’étable, traire les vaches ! La jeune femme a su convaincre l’adolescent timide à l’accompagner. Elle l’a fait gagner en assurance et c’est avec sa patience comme sa bienveillance qu’elle a su faire germer leur amour. Elle l’avait aimé dès le premier jour, mais lui, il avait dû apprendre à s’ouvrir.
_ Ne t’excuse pas, June, les enfants ont le sommeil profond. Ils se sont bien défoulés aujourd’hui, apaise d’ailleurs Eleanor d’un geste de la main, Dis moi, quels sont les plats qu’il faut manger en Suède ?
Gourmande, elle se mord la lèvre sous la curiosité.
_ J’espère que tu as su trouver tes marques à Paris et que tu te plais en France. Tu as beaucoup de courage ! Moi, je ne me fais pas à cette grande ville… J’aime mes montagnes, mes champs et mes prés, mes vaches et peut-être ma famille.
_ Peut-être ? Remarque Aimable en clignant des paupières.
_ Peut-être. Car vous êtes de sacrés polissons quand vous le voulez, souffle-t-elle en plissant les yeux. Aimable lève un sourcil et Eleanor, malicieuse, se contente de reprendre.
_ Je ne peux pas laisser une tarte dehors sans qu’il n’aille piocher dedans.
Le Chevalier, gêné, devient rouge vif et toussote dans son poing. S’il souhaitait préserver un tant soit peu de dignité… Eleanor se redresse pour commencer à débarrasser.
_ Je suis heureuse que vous ayez bien mangé. J’espérais que vous rentriez avant la nuit… Enfin ! Au moins vous voilà au chaud et en sécurité. Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, June, n’hésite pas… Nous avons des manteaux en laine bouillie, des gilets en laine, des gants, des bonnets… Nous ne manquons de rien ! J’ai même mis une brique chaude dans le lit que nous t’avons préparé pour que tu n’aies pas froid cette nuit.
A la proposition de June, Eleanor cligne des yeux. Elle adresse un regard à Aimable, puis repose les assiettes qu’elle allait débarrasser. La femme repose ses poings sur ses hanches généreuses et fronce alors les sourcils d’un geste autoritaire.
_ Montre moi donc tes mains, jeune homme. On va voir à quoi elles peuvent servir.
Si June obéit, elle les saisit entre ses mains potelées pour les détailler, jusqu’à les relâcher.
_ Des mains déjà usées par le travail ! Aimable, tu ne l’as pas ménagé ! Fait-elle mine de protester, avant de rire, Viens donc apporter la grande bassine d’eau jusqu’à la cheminée, nous allons faire la vaisselle ensemble et discuter ! Mais si tu es fatigué, je pourrais te conduire à ta chambre…
_ N’oublie pas de te reposer, souffle Aimable. Il sait que June s’est toujours démené au combat ou lors de ses entraînements, faisant fi de sa fatigue… Il pousse et repousse toujours ses limites. L’avoir avec lui, chez lui, est un étrange soulagement. La sensation qu’ici, ils pourront discuter sans être dérangés. Où il pourra, peut-être, s’ouvrir à lui sans crainte, sans… Enfin.
La famille de Bayard, malgré leur réputation d’âpres combattants, sont des cœurs plus accoutumés à l’adrénaline des batailles qu’aux joutes verbales. Les mots sont des armes qu’ils ne savent pas toujours manier et avec lesquels ils ont la fâcheuse manie de blesser – se blesser ou blesser les autres. Aimable espère que les murs et sa famille raconteront une part d’histoire que lui ne peut pas dire. Que June verra ces richesses que le Chevalier a pris tant d’années à dissimuler. Par peur de perdre ce sanctuaire et ces bénédictions. Son épouse, ses enfants, sa fratrie, son domaine… C’est ce qui constitue son humanité, c’est ce qui le sépare de l’Ouroboros, c’est ce qui définit Aimable.
Il ne veut pas être cette âme maudite, déchirée par deux êtres. Il ne veut pas que June retienne ça de lui. Pas celle d’un homme troublé, d’un fou, d’un type étrange à la tête déglinguée et à la chair malmenée.
Il est ce garçon né des montagnes, cet adolescent craintif qui a appris l’amour – à aimer et à s’aimer, à vivre. Une vie simple faite de plaisirs, d’inquiétudes et de problèmes qu’on résout à deux, rien n’est insurmontable, ce n’est qu’un mauvais moment à passer, dit toujours Eleanor. Elle lui a tant appris.
C’est avec tendresse qu’il voit Eleanor conduire June dans leur grande cuisine. Un plan de travail, une fenêtre ouverte pour laisser entrer le froid, quelques fruits et légumes entassés dans un panier, préservés par l’air froid. Des casseroles en cuivre suspendus et cette bassine glacée, emplie d’eau de puits, qu’elle saisit à pleines mains pour la confier à June. Elle, elle récupère un torchon, un qu’elle glisse sous son bras et un autre qu’elle vient lancer à Aimable. D’un mouvement, elle indique à June où poser la bassine : devant l’âtre. Elle lance un torchon à Aimable, récupère les assiettes pour aller les glisser dans l’eau de la bassine, avant de s’agenouiller devant en retroussant ses manches.
_ Je vous laisse sécher, les garçons. C’est moi qui nettoie ! Je suis la seule à le faire correctement !
Annonce-t-elle joyeusement en rattachant ses longs cheveux en hauteur, ignorant les quelques mèches sauvages qui tombent devant ses yeux. Elle se met à l’œuvre dans un sourire, frictionnant les assiettes en fredonnant.
_ Et toi June ? Qu’est-ce qui t’a impressionné, dans Paris ? Aimable m’a parlé d’un pont immense, qui traverse un très grand fleuve ! Et le Cardinal, de la Cathédrale… Ca a l’air d’être de beaux endroits.
Aimable s’installe près d’elle, attendant paisiblement à ce qu’elle lui confie l’assiette qu’elle est en train de laver. Elle est bavarde, mais lui, c’est ce qu’il apprécie. Elle a toujours des questions… Et sait comment mettre les autres à l’aise. Il essaye d’apprendre d’elle, mais sa nature réservée le rend encore maladroit.
Dim 4 Juil - 22:21
Winter is here
June est certainement à sa place au sein de cette grande maison. Qu’importe la taille de la tablée ou le nombre de ses convives. Se sentir chez soi un peu partout, c’est un art qu’il cultive depuis son adolescence. Itinérant voyageur. Vagabond au titre et à la bourse pleine de promesses. Mais jamais auparavant ne s’est-il senti aussi vite accueilli dans une maison. Non pas pour son argent ou son nom, mais uniquement pour sa personne.
L’échange est léger, marqué d’affection, au premier titre des deux époux ici présents, mais tout autant lui est naturellement adressé. Et si le temps d’un très bref instant, le malaise manque de s’installer à la mention de son titre de noblesse, Aimable balaye cette idée d’une évidence qui finit d’arracher un rire au jeune suédois.
Les écouter ainsi échanger est révélateur, oui. D’autant plus que pour June, le chevalier de Bayard avait toujours été d’un calme olympien. Le voir ainsi évoluer dans la tranquillité relevait presque de l’incroyable. Combien d’entre eux, aux casernes, n’auraient pu croire la scène se déroulant devant eux ? Là où les traits tirés de fatigue, et le poids insurmontable d’un Atlas invisible, se délestaient sans que plus ne soit nécessaire que l’effleurement des mains de ces deux amants éhontés.
Et tout se passe à merveille. Des curiosités d’Eleanor à tout ce qui couvre le champ des possibles. Il se dit en silence que sa propre mère n’aura jamais été aussi accueillante. Peut-être aujourd’hui, après tant d’années, serait-il enfin pris dans cette famille comme étant un enfant chéri. Mais il n’est que le fils du milieu. L’héritier bâtard. Et depuis longtemps déjà cette vérité ne l’effleure pas. On ne peut blesser ce qui s’épanouit au-delà des croyances. Ouvert d’esprit est ce qui lui permet de rire doucement aux piques emplies de tendresse qui forment les boutades que l’un époux offre à sa douche. June est ici comme à la maison oui. Rendu témoin d’une affection sans faille comme s’il était le premier né d’une maisonnée à peine trouvée.
Pour cette raison, June comme un enfant sage – ou un bon petit soldat – se lève à la demande de la belle dame. Montre ses paumes aux renforts calleux, ses doigts couverts de cicatrices. Non, June n’a jamais fait les choses à moitié et son corps tout entier en est la preuve.
« Mes mains n’ont rien de celles d’un noble, vous m’en voyez navré. Et Aimable n’y est pour rien. Vraiment. »
Mais comme si tout ceci n’aurait pu moins lui importer, Eleanor en matriarche honorable retourne jouer son plus beau rôle, celui qui lui tient à cœur plus que tout. Les préparatifs, il s’y plie sans protester, restant, après coup, debout devant l’âtre un peu idiot… Puis finit par imiter Aimable, étouffant un bâillement contre le creux de son coude alors qu’il tend à son tour les mains pour sécher une assiette. La digestion commençait déjà ses merveilles.
« En réalité… Je ne suis pas certain d’avoir tant été impressionné par Paris, mais plutôt par sa royauté. La Famille de France a été particulièrement agréable à l’accueil d’un expatrié tel que ma personne… Sa Majesté est un important soutien aux relations entretenues entre nos royaumes, et je ne pourrais être plus reconnaissant. »
Ah, il n’avait pas voulu entrer dans des considérations politiques, mais il était compliqué d’avouer qu’il n’était pas réellement le genre d’homme à s’émerveiller du paysage. Enfin… C’est avec une rougeur non feinte qu’il avoue cependant.
« Je préfère nettement les monts enneigés que la capitale, s’il est question d’impressions et de goûts. Je – n’ai pas été forgé pour apprécier particulièrement le luxe, quand bien même j’ai été amené dans ce monde avec le privilège de pouvoir en bénéficier. »
Il n’est d’âge auquel le suédois n’a pas été réaliste quant à sa condition. Trop de fois a-t-il entendu sa propre mère lui souffler qu’il n’était qu’un moins que rien. Qu’un fils de souillon amené à prospérer par la seule bienveillance du Duc van Heil, son père. Peut-être n’a-t-il jamais manqué de rien, mais il n’est aucun doute quant à comprendre que si les mots n’auront jamais su le blesser, ils auront toute sa vie contribué à le forger. A le rendre meilleur.
« Mais tout ceci doit paraître bien abstrait, pardonnez-moi. »
C’est dans ce genre de circonstances qu’il réalise que bien des fois, il n’est pas totalement à sa place en son temps. Offre un sourire maladroit à Eleanor puis à Aimable et rajoute, plus doucement.
« Si je n’avais pas eu l’ambition d’être militaire, probablement penserai-je comme vous, Eleanor. Mes terres en Suède étaient à mon goût, et ma famille m’aurait amplement suffi. » Un demi sourire, un rêve qu’il chérit plus que tout, et il capte le regard d’Aimable, car ce secret est partagé. « Mais il est une personne que toute ma vie j’ai souhaité retrouver. Mon confort ne comptait plus. Il est des sacrifices que je suis prêt à réaliser s’il m’est permis d’à nouveau le rencontrer. »
Un rêve tendre. Une illusion. Une plaie béante qu’il maintient de ses deux mains depuis ce qui lui semble être la nuit des temps.
L’échange est léger, marqué d’affection, au premier titre des deux époux ici présents, mais tout autant lui est naturellement adressé. Et si le temps d’un très bref instant, le malaise manque de s’installer à la mention de son titre de noblesse, Aimable balaye cette idée d’une évidence qui finit d’arracher un rire au jeune suédois.
Les écouter ainsi échanger est révélateur, oui. D’autant plus que pour June, le chevalier de Bayard avait toujours été d’un calme olympien. Le voir ainsi évoluer dans la tranquillité relevait presque de l’incroyable. Combien d’entre eux, aux casernes, n’auraient pu croire la scène se déroulant devant eux ? Là où les traits tirés de fatigue, et le poids insurmontable d’un Atlas invisible, se délestaient sans que plus ne soit nécessaire que l’effleurement des mains de ces deux amants éhontés.
Et tout se passe à merveille. Des curiosités d’Eleanor à tout ce qui couvre le champ des possibles. Il se dit en silence que sa propre mère n’aura jamais été aussi accueillante. Peut-être aujourd’hui, après tant d’années, serait-il enfin pris dans cette famille comme étant un enfant chéri. Mais il n’est que le fils du milieu. L’héritier bâtard. Et depuis longtemps déjà cette vérité ne l’effleure pas. On ne peut blesser ce qui s’épanouit au-delà des croyances. Ouvert d’esprit est ce qui lui permet de rire doucement aux piques emplies de tendresse qui forment les boutades que l’un époux offre à sa douche. June est ici comme à la maison oui. Rendu témoin d’une affection sans faille comme s’il était le premier né d’une maisonnée à peine trouvée.
Pour cette raison, June comme un enfant sage – ou un bon petit soldat – se lève à la demande de la belle dame. Montre ses paumes aux renforts calleux, ses doigts couverts de cicatrices. Non, June n’a jamais fait les choses à moitié et son corps tout entier en est la preuve.
« Mes mains n’ont rien de celles d’un noble, vous m’en voyez navré. Et Aimable n’y est pour rien. Vraiment. »
Mais comme si tout ceci n’aurait pu moins lui importer, Eleanor en matriarche honorable retourne jouer son plus beau rôle, celui qui lui tient à cœur plus que tout. Les préparatifs, il s’y plie sans protester, restant, après coup, debout devant l’âtre un peu idiot… Puis finit par imiter Aimable, étouffant un bâillement contre le creux de son coude alors qu’il tend à son tour les mains pour sécher une assiette. La digestion commençait déjà ses merveilles.
« En réalité… Je ne suis pas certain d’avoir tant été impressionné par Paris, mais plutôt par sa royauté. La Famille de France a été particulièrement agréable à l’accueil d’un expatrié tel que ma personne… Sa Majesté est un important soutien aux relations entretenues entre nos royaumes, et je ne pourrais être plus reconnaissant. »
Ah, il n’avait pas voulu entrer dans des considérations politiques, mais il était compliqué d’avouer qu’il n’était pas réellement le genre d’homme à s’émerveiller du paysage. Enfin… C’est avec une rougeur non feinte qu’il avoue cependant.
« Je préfère nettement les monts enneigés que la capitale, s’il est question d’impressions et de goûts. Je – n’ai pas été forgé pour apprécier particulièrement le luxe, quand bien même j’ai été amené dans ce monde avec le privilège de pouvoir en bénéficier. »
Il n’est d’âge auquel le suédois n’a pas été réaliste quant à sa condition. Trop de fois a-t-il entendu sa propre mère lui souffler qu’il n’était qu’un moins que rien. Qu’un fils de souillon amené à prospérer par la seule bienveillance du Duc van Heil, son père. Peut-être n’a-t-il jamais manqué de rien, mais il n’est aucun doute quant à comprendre que si les mots n’auront jamais su le blesser, ils auront toute sa vie contribué à le forger. A le rendre meilleur.
« Mais tout ceci doit paraître bien abstrait, pardonnez-moi. »
C’est dans ce genre de circonstances qu’il réalise que bien des fois, il n’est pas totalement à sa place en son temps. Offre un sourire maladroit à Eleanor puis à Aimable et rajoute, plus doucement.
« Si je n’avais pas eu l’ambition d’être militaire, probablement penserai-je comme vous, Eleanor. Mes terres en Suède étaient à mon goût, et ma famille m’aurait amplement suffi. » Un demi sourire, un rêve qu’il chérit plus que tout, et il capte le regard d’Aimable, car ce secret est partagé. « Mais il est une personne que toute ma vie j’ai souhaité retrouver. Mon confort ne comptait plus. Il est des sacrifices que je suis prêt à réaliser s’il m’est permis d’à nouveau le rencontrer. »
Un rêve tendre. Une illusion. Une plaie béante qu’il maintient de ses deux mains depuis ce qui lui semble être la nuit des temps.
Jeu 8 Juil - 12:10
_ C’est bien, une Reine, pour gouverner la France !
Affirme Eleanor dans un grand sourire victorieux, gonflant la poitrine sous la fierté. Aimable esquisse un sourire attendri en réponse, se contentant d’essuyer l’assiette qu’elle vient de lui confier. Lui et sa fratrie ont grandi sous la protection et le commandement de leur seule mère – une femme austère, au sale caractère. Elle a forgé leur acier, faisant d’eux des lames reconnues et respectées. Malheureusement, à renforcer leur tranchant, elle a fait d’eux des âmes accoutumées au combat, privilégiant l’acte à la parole, la raison aux sentiments. Elle les a armés d’un bouclier, une forteresse les isolant des autres… Et d’eux-mêmes.
Eleanor, avec le temps, la patience et beaucoup d’amour, a su le convaincre d’abaisser ses armes. Comme June a su trouver sa voie jusqu’à cette forteresse. Il y sera toujours protégé : Aimable y veillera. Ses yeux se sont dirigés vers le jeune homme, qu’il couve de tendresse. Si June élève les yeux, lui baisse pudiquement les siens, préférant rassembler les couverts qu’ils ont séchés, puis empiler les assiettes qu’ils ont lavées.
_ J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour notre Reine. Ce doit être si difficile pour elle. Je suis heureuse qu’elle puisse compter sur des personnes de confiance et qu’elle t'ait accueilli comme il se doit !
Continue Eleanor. Une mèche rousse s’échappe de son foulard et, prévenant, Aimable la glisse derrière son oreille. Elle n’y prend pas garde, apparemment accoutumée à de telles attentions.
_ Ah ! Je suis bien heureuse d’entendre ça ! Tu vas te plaire ici, nous avons bien plus de neige que de luxe ! Enfin… Si ! Nous avons beaucoup de richesse ! Moi, deux beaux enfants, des vaches, des tommes, un chevalier et des mains qui ne demandent qu’à travailler !
Complimente-t-elle en adressant une œillade malicieuse à June.
_ Une des plus grandes richesses en ce monde est la bonté des hommes.
Son expression change légèrement. Ses yeux unis à ceux de June, elle semble vouloir lui transmettre un message qu’elle n’ose pas formuler. Une étrange nostalgie assombrit ses prunelles qui, pourtant, ne font que briller davantage de reconnaissance.
_ Et je suis sure que tu es l’un des plus beaux joyaux que la Reine a, dans son trésor.
Comment pourrait-elle lui dire tout ce qu’elle sait et ce qu’Aimable ne veut pas entendre ?
Elle ne connaît que trop bien son mari. Toutes ces années passées dans l’ombre de son frère et prisonnier de ses peurs, de ses doutes, de pensées qui l’effraient. L’Ouroboros ? Non, ce n’est pas ça qui lui fait le plus peur. Ce sont les marques sur son dos et la corde qu’elle a un jour trouvé. Dans le grenier des De Bayard. Elle n’aurait jamais dû fouiller ce jour là, ce n’était pas encore chez elle ! Mais Dieu l’avait guidée jusqu’à là et elle avait compris qu’elle devait agir pour le sauver.
C’est le seul sujet sur lequel elle ne l’a jamais fait parler. Mais Eleanor n’est pas une femme qui baisse les bras. Elle sait qu’elle a changé des choses – le regard d’Aimable n’est plus ce qu’il était autrefois. Les seules cordes qu’Aimable touche sont celles des vaches qu’il mène avec elle à ses côtés. Elle sait qu’il n’y pense plus, plus maintenant qu’il y a les enfants et qu’elle a besoin de lui ! Ah, Ulric a bien fait de partir, elle avait peur qu’Aimable ne fasse pas sa place à Paris, mais il commence à se faire des amis ! Il faut dire que son mari n’y met pas du sien… Elle a conscience des efforts que ce jeune a dû faire pour s’en approcher et pour l’apaiser !
Comment pourrait-elle lui exprimer la joie qu’elle ressent, à les voir tous les deux, à l’avoir avec eux ? Elle remerciera Dieu de les avoir fait se rencontrer et elle fera de son mieux pour que June se sente bien ! Peut-être même reviendrait-il ? Alors quand June s’excuse, le premier réflexe d’Eleanor est de lever la main pour effleurer sa joue.
Oh, sa joue ! Elle n’a plus les rondeurs de l’enfance. Une mâchoire bien dessinée, une pommette fermement dessinée, affinant ses traits et leur offrant une noblesse qu’elle a rarement eu l’occasion d’effleurer. Maternelle, elle effleure l’ossature de la pulpe de ses doigts ronds, comme pour résorber les marques d’une histoire qu’elle ne connaît pas. Espérant peut-être effacer une plaie qu’elle n’a pas vu – l’entendre s’excuser… Oh Aimable passe son temps à s’excuser et ça lui brise le cœur à chaque fois.
_ Ne t’excuse pas, sourit-elle, avant d’hausser les épaules, Je suis heureuse de t’écouter. Je ne m'y connais pas beaucoup en politique, tout cela me dépasse mais... Qu’il y a-t-il de plus concret qu’une montagne enneigée ? Ca se voit, ça se touche et ça s’entend même ! Le craquement du bois ou de la neige, les meuglements des vaches et les sons des oiseaux ! L’accueil chaleureux d’une famille qui n’est pas la sienne. Ne t’inquiète pas. Tout ce que tu dis… Est loin d’être abstrait. Cela te rend heureux. Et compte à tes yeux. C'est concret, ça.
Aimable, face à la scène, se sent déstabilisé. Elle le renvoie à bien des scènes qu’ils ont vécues, tous les deux. Eleanor rétracte sa main aussitôt, préférant saisir la bassine une fois vide pour la porter jusqu’à près de la porte. Elle la repose au sol, s’essuie sur son tablier, avant de revenir jusqu’à eux.
Aimable la suit du regard, jusqu’à ce que ses yeux retrouvent ceux de June. Un petit silence respectueux recueille ses paroles, avant qu’Aimable n’hoche la tête.
_ Tu retrouveras cette personne. J’en suis persuadé. Je t’aiderai… Au mieux de mes capacités, assure-t-il.
Eleanor sourit avec tendresse, offrant un regard empli de connivence à son mari. Elle a compris. Le rencontrer… Un homme donc ? Oh elle, ça ne la gêne pas. Mais elle se demande, avec malice, si Aimable a bien saisi le sens de ses mots – ou s’il sait déjà ? Va-t-il en rougir lorsqu’elle le lui demandera ? Amusée à cette idée, elle finit par s’approcher.
_ Viens jeune homme, je vais te conduire jusqu’à ta chambre. Aimable, je te laisse ranger les assiettes et les couverts, à leur place ! Demande-t-elle, attendant que June la suive.
_ Repose toi bien, June, si tu as besoin de quoi que ce soit, nous serons à côté.
Aimable se redresse de toute sa hauteur et, bourru, tend une main à June pour l’aider à se redresser. Il tapote maladroitement son épaule, en un remerciement qu’il ne formule pas, jusqu’à s’éloigner.
Eleanor grimpe l’échelle de meunier avec aisance, malgré l’obscurité. Il faut quelques secondes pour s’habituer : à l’étage, une meurtrière laisse passer quelques rayons lunaires.
La maison est à l’image des De Bayard.
Les murs de pierre sont des armures subissant inlassablement les assauts de l’hiver. Les toits inclinés sont des boucliers supportant le poids de la neige, qu’on entend s’effondrer dans un grondement enragé. Les rares ouvertures ne laissent passer que quelques éclats de lumière, de doux et persistants reflets lunaires. Ils se reflètent sur la peau de nacre, la chevelure flamboyante, le sourire qu’Eleanor adresse à June. Ils sont comme le feu qui pétille sous eux, des âmes solaires qu’Aimable conserve au fond de son être. Pour chasser les ombres – ses ombres.
Eleanor est vaillante. Sans hésiter, la voilà qui s’enfonce dans le couloir plongé en pleine obscurité. Sa main s’unit à celle de June pour le guider, en toute simplicité. Une main chaude, abîmée, qui préserve toute sa douceur de mère quand elle le conduit à sa chambre. Elle ouvre une porte en bois, dévoilant l’intérieur.
Un lit, assez grand, où de nombreux enfants ont dû se réunir il y a de cela quelques années. Un coffre en bois au pied du lit, gravé aux armoiries des De Bayard : des chevaliers en bois y affrontent des ennemis dont le temps a effacé les visages… A moins que les jeunes générations n’aient simplement gratté le bois, cherchant à y graver les figures d’un quelconque adversaire. Une grande armoire, dans un coin, a dû servir à bien des cachettes avant qu’on ne les emplisse de linge – cela n’empêche pas un chat de s’en extirper pour venir jusqu’à eux, longeant leurs jambes de sa queue. L’animal, farouche, s’échappe dans le couloir.
Eleanor a laissé le volet ouvert, il s’agit d’une des rares chambres dotées d’une fenêtre.
_ Nous n’avons pas beaucoup de bougies, explique-t-elle, ouvrant le lit pour récupérer une bassinoire qu’elle retire avec prudence, Tu n’auras pas froid ! Quand tu iras te coucher, tu n’auras qu’à fermer les volets !
Elle ouvre la bassinoire pour renverser les braises, dans un sceau d’eau, prévu près de la porte. La vapeur d’eau qui s’en dégage la fait pouffer avant qu’elle ne se saisisse du sceau pour le déposer dans le couloir.
Revenant près de June, elle joint songeusement ses mains contre son ventre rond, hésitant quelques secondes. Elle dirige ses yeux vers la fenêtre, observant la clarté de la cour et du ciel. Les monts enneigés. Un sourire éclaire ses traits.
_ L’amour est si puissant. C’est ce qui fait que Dieu pardonne toutes nos fautes. C’est ce qui nous fait vivre et en convainc d’autres de vivre.
Pour une fois, elle baisse les yeux, sans pour autant perdre son sourire.
_ Je ne te connais pas. Mais je sais assez de choses pour dire avec certitude que tu es un garçon très courageux, avec un cœur aimant. Tu arriveras à beaucoup de choses. Tu n’as peur ni des sacrifices, ni de l’effort. Aimable a beaucoup parlé de toi, tes mains parlent pour toi. L'affection qu'il te porte est probablement ce qui me parle le plus.
Elle s'amuse à ces mots. Puis elle s’approche de June pour prendre ses mains dans les siennes, gardant, toujours, la tête baissée.
_ Tu lui as beaucoup apporté. Merci pour tout ce que tu as fait pour lui. Je prierai pour que tu rencontres de nouveau cette personne que tu chéris tant. Et moi comme Aimable… Nous t’aiderons si nous en avons la possibilité. Repose-toi bien, June. Merci.
Elle sait ce que ça fait, de tenir une plaie à deux mains. Quand on manque de perdre un être aimé – quand on est séparés de lui. Quand on a peur de ne plus le revoir.
Ses mains potelées raffermissent leur étreinte sur ses mains calleuses. Comme si ça pouvait suffire à fermer la plaie. Ou à l’empêcher de saigner.
_ Nous serons présents pour toi comme tu l’as été pour nous. Que Dieu veille sur toi et tous ceux que tu aimes.
Elle le relâche et finalement, s’échappe prestement vers le couloir.
_ N’oublie pas de fermer les volets quand tu iras te coucher !
La maison est à l'image des De Bayard. Si difficile à atteindre. Si sauvage et isolée, derrière ses hauts murs. Si chaleureuse en son coeur. Ils y seront à l'abri, à l'abri du froid, à l'abri de l'hiver et des tempêtes. Tant que le feu brûlera, tant que ses lumières resteront, aucune ombre n'emportera cette demeure.
Affirme Eleanor dans un grand sourire victorieux, gonflant la poitrine sous la fierté. Aimable esquisse un sourire attendri en réponse, se contentant d’essuyer l’assiette qu’elle vient de lui confier. Lui et sa fratrie ont grandi sous la protection et le commandement de leur seule mère – une femme austère, au sale caractère. Elle a forgé leur acier, faisant d’eux des lames reconnues et respectées. Malheureusement, à renforcer leur tranchant, elle a fait d’eux des âmes accoutumées au combat, privilégiant l’acte à la parole, la raison aux sentiments. Elle les a armés d’un bouclier, une forteresse les isolant des autres… Et d’eux-mêmes.
Eleanor, avec le temps, la patience et beaucoup d’amour, a su le convaincre d’abaisser ses armes. Comme June a su trouver sa voie jusqu’à cette forteresse. Il y sera toujours protégé : Aimable y veillera. Ses yeux se sont dirigés vers le jeune homme, qu’il couve de tendresse. Si June élève les yeux, lui baisse pudiquement les siens, préférant rassembler les couverts qu’ils ont séchés, puis empiler les assiettes qu’ils ont lavées.
_ J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour notre Reine. Ce doit être si difficile pour elle. Je suis heureuse qu’elle puisse compter sur des personnes de confiance et qu’elle t'ait accueilli comme il se doit !
Continue Eleanor. Une mèche rousse s’échappe de son foulard et, prévenant, Aimable la glisse derrière son oreille. Elle n’y prend pas garde, apparemment accoutumée à de telles attentions.
_ Ah ! Je suis bien heureuse d’entendre ça ! Tu vas te plaire ici, nous avons bien plus de neige que de luxe ! Enfin… Si ! Nous avons beaucoup de richesse ! Moi, deux beaux enfants, des vaches, des tommes, un chevalier et des mains qui ne demandent qu’à travailler !
Complimente-t-elle en adressant une œillade malicieuse à June.
_ Une des plus grandes richesses en ce monde est la bonté des hommes.
Son expression change légèrement. Ses yeux unis à ceux de June, elle semble vouloir lui transmettre un message qu’elle n’ose pas formuler. Une étrange nostalgie assombrit ses prunelles qui, pourtant, ne font que briller davantage de reconnaissance.
_ Et je suis sure que tu es l’un des plus beaux joyaux que la Reine a, dans son trésor.
Comment pourrait-elle lui dire tout ce qu’elle sait et ce qu’Aimable ne veut pas entendre ?
Elle ne connaît que trop bien son mari. Toutes ces années passées dans l’ombre de son frère et prisonnier de ses peurs, de ses doutes, de pensées qui l’effraient. L’Ouroboros ? Non, ce n’est pas ça qui lui fait le plus peur. Ce sont les marques sur son dos et la corde qu’elle a un jour trouvé. Dans le grenier des De Bayard. Elle n’aurait jamais dû fouiller ce jour là, ce n’était pas encore chez elle ! Mais Dieu l’avait guidée jusqu’à là et elle avait compris qu’elle devait agir pour le sauver.
C’est le seul sujet sur lequel elle ne l’a jamais fait parler. Mais Eleanor n’est pas une femme qui baisse les bras. Elle sait qu’elle a changé des choses – le regard d’Aimable n’est plus ce qu’il était autrefois. Les seules cordes qu’Aimable touche sont celles des vaches qu’il mène avec elle à ses côtés. Elle sait qu’il n’y pense plus, plus maintenant qu’il y a les enfants et qu’elle a besoin de lui ! Ah, Ulric a bien fait de partir, elle avait peur qu’Aimable ne fasse pas sa place à Paris, mais il commence à se faire des amis ! Il faut dire que son mari n’y met pas du sien… Elle a conscience des efforts que ce jeune a dû faire pour s’en approcher et pour l’apaiser !
Comment pourrait-elle lui exprimer la joie qu’elle ressent, à les voir tous les deux, à l’avoir avec eux ? Elle remerciera Dieu de les avoir fait se rencontrer et elle fera de son mieux pour que June se sente bien ! Peut-être même reviendrait-il ? Alors quand June s’excuse, le premier réflexe d’Eleanor est de lever la main pour effleurer sa joue.
Oh, sa joue ! Elle n’a plus les rondeurs de l’enfance. Une mâchoire bien dessinée, une pommette fermement dessinée, affinant ses traits et leur offrant une noblesse qu’elle a rarement eu l’occasion d’effleurer. Maternelle, elle effleure l’ossature de la pulpe de ses doigts ronds, comme pour résorber les marques d’une histoire qu’elle ne connaît pas. Espérant peut-être effacer une plaie qu’elle n’a pas vu – l’entendre s’excuser… Oh Aimable passe son temps à s’excuser et ça lui brise le cœur à chaque fois.
_ Ne t’excuse pas, sourit-elle, avant d’hausser les épaules, Je suis heureuse de t’écouter. Je ne m'y connais pas beaucoup en politique, tout cela me dépasse mais... Qu’il y a-t-il de plus concret qu’une montagne enneigée ? Ca se voit, ça se touche et ça s’entend même ! Le craquement du bois ou de la neige, les meuglements des vaches et les sons des oiseaux ! L’accueil chaleureux d’une famille qui n’est pas la sienne. Ne t’inquiète pas. Tout ce que tu dis… Est loin d’être abstrait. Cela te rend heureux. Et compte à tes yeux. C'est concret, ça.
Aimable, face à la scène, se sent déstabilisé. Elle le renvoie à bien des scènes qu’ils ont vécues, tous les deux. Eleanor rétracte sa main aussitôt, préférant saisir la bassine une fois vide pour la porter jusqu’à près de la porte. Elle la repose au sol, s’essuie sur son tablier, avant de revenir jusqu’à eux.
Aimable la suit du regard, jusqu’à ce que ses yeux retrouvent ceux de June. Un petit silence respectueux recueille ses paroles, avant qu’Aimable n’hoche la tête.
_ Tu retrouveras cette personne. J’en suis persuadé. Je t’aiderai… Au mieux de mes capacités, assure-t-il.
Eleanor sourit avec tendresse, offrant un regard empli de connivence à son mari. Elle a compris. Le rencontrer… Un homme donc ? Oh elle, ça ne la gêne pas. Mais elle se demande, avec malice, si Aimable a bien saisi le sens de ses mots – ou s’il sait déjà ? Va-t-il en rougir lorsqu’elle le lui demandera ? Amusée à cette idée, elle finit par s’approcher.
_ Viens jeune homme, je vais te conduire jusqu’à ta chambre. Aimable, je te laisse ranger les assiettes et les couverts, à leur place ! Demande-t-elle, attendant que June la suive.
_ Repose toi bien, June, si tu as besoin de quoi que ce soit, nous serons à côté.
Aimable se redresse de toute sa hauteur et, bourru, tend une main à June pour l’aider à se redresser. Il tapote maladroitement son épaule, en un remerciement qu’il ne formule pas, jusqu’à s’éloigner.
Eleanor grimpe l’échelle de meunier avec aisance, malgré l’obscurité. Il faut quelques secondes pour s’habituer : à l’étage, une meurtrière laisse passer quelques rayons lunaires.
La maison est à l’image des De Bayard.
Les murs de pierre sont des armures subissant inlassablement les assauts de l’hiver. Les toits inclinés sont des boucliers supportant le poids de la neige, qu’on entend s’effondrer dans un grondement enragé. Les rares ouvertures ne laissent passer que quelques éclats de lumière, de doux et persistants reflets lunaires. Ils se reflètent sur la peau de nacre, la chevelure flamboyante, le sourire qu’Eleanor adresse à June. Ils sont comme le feu qui pétille sous eux, des âmes solaires qu’Aimable conserve au fond de son être. Pour chasser les ombres – ses ombres.
Eleanor est vaillante. Sans hésiter, la voilà qui s’enfonce dans le couloir plongé en pleine obscurité. Sa main s’unit à celle de June pour le guider, en toute simplicité. Une main chaude, abîmée, qui préserve toute sa douceur de mère quand elle le conduit à sa chambre. Elle ouvre une porte en bois, dévoilant l’intérieur.
Un lit, assez grand, où de nombreux enfants ont dû se réunir il y a de cela quelques années. Un coffre en bois au pied du lit, gravé aux armoiries des De Bayard : des chevaliers en bois y affrontent des ennemis dont le temps a effacé les visages… A moins que les jeunes générations n’aient simplement gratté le bois, cherchant à y graver les figures d’un quelconque adversaire. Une grande armoire, dans un coin, a dû servir à bien des cachettes avant qu’on ne les emplisse de linge – cela n’empêche pas un chat de s’en extirper pour venir jusqu’à eux, longeant leurs jambes de sa queue. L’animal, farouche, s’échappe dans le couloir.
Eleanor a laissé le volet ouvert, il s’agit d’une des rares chambres dotées d’une fenêtre.
_ Nous n’avons pas beaucoup de bougies, explique-t-elle, ouvrant le lit pour récupérer une bassinoire qu’elle retire avec prudence, Tu n’auras pas froid ! Quand tu iras te coucher, tu n’auras qu’à fermer les volets !
Elle ouvre la bassinoire pour renverser les braises, dans un sceau d’eau, prévu près de la porte. La vapeur d’eau qui s’en dégage la fait pouffer avant qu’elle ne se saisisse du sceau pour le déposer dans le couloir.
Revenant près de June, elle joint songeusement ses mains contre son ventre rond, hésitant quelques secondes. Elle dirige ses yeux vers la fenêtre, observant la clarté de la cour et du ciel. Les monts enneigés. Un sourire éclaire ses traits.
_ L’amour est si puissant. C’est ce qui fait que Dieu pardonne toutes nos fautes. C’est ce qui nous fait vivre et en convainc d’autres de vivre.
Pour une fois, elle baisse les yeux, sans pour autant perdre son sourire.
_ Je ne te connais pas. Mais je sais assez de choses pour dire avec certitude que tu es un garçon très courageux, avec un cœur aimant. Tu arriveras à beaucoup de choses. Tu n’as peur ni des sacrifices, ni de l’effort. Aimable a beaucoup parlé de toi, tes mains parlent pour toi. L'affection qu'il te porte est probablement ce qui me parle le plus.
Elle s'amuse à ces mots. Puis elle s’approche de June pour prendre ses mains dans les siennes, gardant, toujours, la tête baissée.
_ Tu lui as beaucoup apporté. Merci pour tout ce que tu as fait pour lui. Je prierai pour que tu rencontres de nouveau cette personne que tu chéris tant. Et moi comme Aimable… Nous t’aiderons si nous en avons la possibilité. Repose-toi bien, June. Merci.
Elle sait ce que ça fait, de tenir une plaie à deux mains. Quand on manque de perdre un être aimé – quand on est séparés de lui. Quand on a peur de ne plus le revoir.
Ses mains potelées raffermissent leur étreinte sur ses mains calleuses. Comme si ça pouvait suffire à fermer la plaie. Ou à l’empêcher de saigner.
_ Nous serons présents pour toi comme tu l’as été pour nous. Que Dieu veille sur toi et tous ceux que tu aimes.
Elle le relâche et finalement, s’échappe prestement vers le couloir.
_ N’oublie pas de fermer les volets quand tu iras te coucher !
La maison est à l'image des De Bayard. Si difficile à atteindre. Si sauvage et isolée, derrière ses hauts murs. Si chaleureuse en son coeur. Ils y seront à l'abri, à l'abri du froid, à l'abri de l'hiver et des tempêtes. Tant que le feu brûlera, tant que ses lumières resteront, aucune ombre n'emportera cette demeure.
Mer 14 Juil - 11:29
Winter is here
La vaisselle est glaciale sous ses doigts, à tel point qu’il en vient à se demander quel genre d’endurance une femme aux doigts élégants comme Eleanor a pu se constituer au gré des années. Est-ce la montagne ou sa force de caractère naturelle ? Est-ce Aimable, ou cela de tient-il qu’à elle ? A les écouter échanger, June croit sincèrement que si l’un a dû forger l’autre… Aimable se trouve être le métal battu à blanc. Forgé d’amour et de dévotion. De gratitude et de bienveillance. Un carcan bien étrange lorsque l’on pense qu’ils sont la main de la Justice. Qu’ils font verser le sang sans, parfois, remettre en question les ordres divins.
Distrait, June s’attèle à sa tâche en silence. Ecoute sans réellement entendre l’évidence, quelque chose qui fait mal sans qu’il puisse l’empêcher. Si le regret n’est pas présent, June s’impose en silence de ne plus faire mention de ceci. Oh, ce n’est pas une question de confiance, non. Simplement qu’il est des maux qui ne trouvent que peu de solutions. Des maux qui finissent impérativement par vous blesser, à défaut de pouvoir s’apaiser.
Un demi sourire étire ses lèvres et il hoche à peine la tête aux mots offerts. Comme si, à cet instant précis, il n’y croyait plus lui-même.
Sûrement est-ce à ce signal que la dame de Bayard prit comme signe de son imminente fatigue. June ne se laisse pas surprendre. Accepte la main offerte par Aimable et se redresse, baissant humblement la tête aux paroles de son mentor. Il hoche la tête et rajoute doucement, comme s’il voulait qu’Aimable soit le seul à l’entendre.
« Merci… »
S’agit-il d’une réaction, d’un constat ou d’une simple vérité ? Sûrement les trois à la fois, pourra-t-il deviner en croisant le regard du jeune duc. Mais il ne s’éternise pas. Suit silencieusement Eleanor après avoir récupéré son paquetage de voyage et se faufile là où elle se glisse avec la force de l’habitude. Rejoint les étages sans broncher, sans crainte. La pièce qui lui est attitrée est spacieuse et rassurante. Objectivement, il a passé l’âge d’être dorloté. Se sent un peu idiot d’être traité comme un membre de la noblesse lorsque dormir à la belle étoile lui apporte la même satisfaction. June croise le regard d’Eleanor et lorsqu’elle lui adresse gratitude et reconnaissance… c’est l’échine courbée d’humilité qu’il entend ses paroles sans daigner y répondre. Car il comprend que des choses lui échappent. Il comprend sans peine, également, qu’elle a compris plus qu’Aimable ne le laisse entendre lui-même. Elle parle du divin comme on mentionne un ami cher, et June, malgré lui, ne parvient à cette seconde, à se reconnaître dans cette ferveur.
« Je n’ai pourtant rien fait. » Balbutie-t-il l’air en peine. Car c’était bel et bien la vérité. Aimable lui avait tout apporté. Qu’avait-il fait, lui, enfant de l’opulence et de la chance ? Il est la démonstration même que l’on peut être béni de Dieu avant même d’avoir vu le jour.
June ravale ses doutes, ses peines et ses torts et relève les yeux sur la belle dame, lui souriant doucement.
« Je vous remercie de votre hospitalité… Il me tenait à cœur de vous rencontrer vous et vos enfants, et de découvrir vos terres. »
Adopté au sein d’une nouvelle famille. Fils illégitime d’un amour tendre qui se partage sans concession. Cette maison toute de pierre bâtie, ce fort des montagnes qui se tapit si précautionneusement entre les monts. De sommet en sommet, la France cache-t-elle autant de joyaux que les beautés que cette famille révèle si timidement ?
June rougit sous les doigts tendres d’Eleanor. Baisse les yeux par gêne autant que par prudence, protège son cœur de ce qu’il ne veut pas prendre l’habitude de vivre.
« Merci, Eleanor… »
Rajoute-t-il finalement alors qu’elle s’éloigne déjà, l’instant rompu. June se retrouve seul et immobile. De longues secondes. Inspire lentement et vient déposer ses affaires dans un coin de la pièce avant de grimper sur le marchepied lui donnant accès au volet de la pièce. Referme le lourd pan de bois et abandonne toute prétention alors qu’il ôte enfin ses vêtements, les pliant prudemment avant de se glisser sous l’épais édredon. L’odeur du linge frais persiste sur les textiles et malgré lui, il laisse échapper un soupir. Soulagement, fatigue et peine mêlés.
Un jour peut-être aura-t-il ce que ces deux époux heureux tiennent au creux de leurs mains. Un jour peut-être, pourra-t-il dignement rendre à Aimable ce qui lui a été offert depuis son arrivée à Paris. June, plus que jamais, se sent comme un enfant. Bordé par la tendresse et la candeur de ce qu’il ne mérite pas, mais obtient à la grâce de ceux qui d’un cœur généreux, lui tendent la main avant même qu’il n’ait réalisé en avoir besoin.
Distrait, June s’attèle à sa tâche en silence. Ecoute sans réellement entendre l’évidence, quelque chose qui fait mal sans qu’il puisse l’empêcher. Si le regret n’est pas présent, June s’impose en silence de ne plus faire mention de ceci. Oh, ce n’est pas une question de confiance, non. Simplement qu’il est des maux qui ne trouvent que peu de solutions. Des maux qui finissent impérativement par vous blesser, à défaut de pouvoir s’apaiser.
Un demi sourire étire ses lèvres et il hoche à peine la tête aux mots offerts. Comme si, à cet instant précis, il n’y croyait plus lui-même.
Sûrement est-ce à ce signal que la dame de Bayard prit comme signe de son imminente fatigue. June ne se laisse pas surprendre. Accepte la main offerte par Aimable et se redresse, baissant humblement la tête aux paroles de son mentor. Il hoche la tête et rajoute doucement, comme s’il voulait qu’Aimable soit le seul à l’entendre.
« Merci… »
S’agit-il d’une réaction, d’un constat ou d’une simple vérité ? Sûrement les trois à la fois, pourra-t-il deviner en croisant le regard du jeune duc. Mais il ne s’éternise pas. Suit silencieusement Eleanor après avoir récupéré son paquetage de voyage et se faufile là où elle se glisse avec la force de l’habitude. Rejoint les étages sans broncher, sans crainte. La pièce qui lui est attitrée est spacieuse et rassurante. Objectivement, il a passé l’âge d’être dorloté. Se sent un peu idiot d’être traité comme un membre de la noblesse lorsque dormir à la belle étoile lui apporte la même satisfaction. June croise le regard d’Eleanor et lorsqu’elle lui adresse gratitude et reconnaissance… c’est l’échine courbée d’humilité qu’il entend ses paroles sans daigner y répondre. Car il comprend que des choses lui échappent. Il comprend sans peine, également, qu’elle a compris plus qu’Aimable ne le laisse entendre lui-même. Elle parle du divin comme on mentionne un ami cher, et June, malgré lui, ne parvient à cette seconde, à se reconnaître dans cette ferveur.
« Je n’ai pourtant rien fait. » Balbutie-t-il l’air en peine. Car c’était bel et bien la vérité. Aimable lui avait tout apporté. Qu’avait-il fait, lui, enfant de l’opulence et de la chance ? Il est la démonstration même que l’on peut être béni de Dieu avant même d’avoir vu le jour.
June ravale ses doutes, ses peines et ses torts et relève les yeux sur la belle dame, lui souriant doucement.
« Je vous remercie de votre hospitalité… Il me tenait à cœur de vous rencontrer vous et vos enfants, et de découvrir vos terres. »
Adopté au sein d’une nouvelle famille. Fils illégitime d’un amour tendre qui se partage sans concession. Cette maison toute de pierre bâtie, ce fort des montagnes qui se tapit si précautionneusement entre les monts. De sommet en sommet, la France cache-t-elle autant de joyaux que les beautés que cette famille révèle si timidement ?
June rougit sous les doigts tendres d’Eleanor. Baisse les yeux par gêne autant que par prudence, protège son cœur de ce qu’il ne veut pas prendre l’habitude de vivre.
« Merci, Eleanor… »
Rajoute-t-il finalement alors qu’elle s’éloigne déjà, l’instant rompu. June se retrouve seul et immobile. De longues secondes. Inspire lentement et vient déposer ses affaires dans un coin de la pièce avant de grimper sur le marchepied lui donnant accès au volet de la pièce. Referme le lourd pan de bois et abandonne toute prétention alors qu’il ôte enfin ses vêtements, les pliant prudemment avant de se glisser sous l’épais édredon. L’odeur du linge frais persiste sur les textiles et malgré lui, il laisse échapper un soupir. Soulagement, fatigue et peine mêlés.
Un jour peut-être aura-t-il ce que ces deux époux heureux tiennent au creux de leurs mains. Un jour peut-être, pourra-t-il dignement rendre à Aimable ce qui lui a été offert depuis son arrivée à Paris. June, plus que jamais, se sent comme un enfant. Bordé par la tendresse et la candeur de ce qu’il ne mérite pas, mais obtient à la grâce de ceux qui d’un cœur généreux, lui tendent la main avant même qu’il n’ait réalisé en avoir besoin.
Mer 4 Aoû - 14:26
Aimable lève les yeux lorsqu’il l’entend descendre les escaliers. Eleanor, tout sourire, dévale les dernières marches et oubliant toute fatigue, se jette aux bras de son amant dans un rire qu’elle étouffe contre son torse. Sa joie est telle qu’Aimable se surprend à sourire, refermant tendrement ses bras solides autour de sa taille ronde, venant plonger son visage dans sa chevelure embrasée. Sa chaleur l’inonde tout entier.
A son image, le ciel s’emplit de lumière quand, à l’aube, le soleil s’extirpe d’entre deux sommets. Ses rayons glissent le long des pentes enneigées, dégringolant à vive allure jusqu’à emplir la vallée d’une lumière resplendissante. Son rire éveille quelques rares oiseaux, certains d’entre eux gazouillent sous la caresse d’une brise glacée. Taquin, un coq se moque, sous l’abri de la pierre. La maison s’éveille ! Elle s’ébroue, son plancher craque alors que les volets s’ouvrent. Elle s’échauffe, quand l’on ravive le feu d’une bûche ou d’un mouvement de tisonnier, son toit se débarrasse d’un tas de neige qui s’échappe d’un grondement étouffé.
Aimable est depuis bien longtemps réveillé. Il a passé un long moment pelotonné contre son épouse, le nez glissé contre sa poitrine, à écouter son cœur. Elle ronflait avec bonheur, ses mains enfoncées dans sa tignasse, à le maintenir contre elle avec une force qui n’a eu cesse de l’impressionner. Se dégager fut tout un concours de mouvements prudents, à veiller à s’extraire sans la bousculer, à défaire son étreinte sans la réveiller. Il a observé son visage, les petites imperfections de sa peau, où les discrètes traces d’une petite vérole se mêlaient à ses constellations. Il a effleuré les courbes de son corps, lové dans les draps épais, la silhouette sensuelle d’une cheville impunément dévoilée, qu’il a tendrement recouvert avant de se lever.
Il est le premier à avoir descendu l’escalier. A avoir ravivé le feu, avant de pousser la porte du salon pour rejoindre la cour. A son entrée dans l’étable, les vaches ont levé la tête à son approche, le saluant d’un mouvement de tête ou d’un meuglement. Aimable a retroussé ses manches, s’est saisi de la fourche et s’est chargé de leur donner du foin sec. Retrouver ces gestes familiers l’a fait sourire et parfois, il s’est même approché pour caresser le sommet de leur crâne, gratter le coin de leurs mâchoires ou reposer sa tête contre les leurs. Il apprécie Marguerite et son poil bouclé, entre ses cornes, ou encore, Tulipe et ses yeux si doux. Il a récupéré un sceau, un tabouret et se glissant derrière elles, s’est chargé de les traire.
Il n’a pas encore le talent de son épouse et à dire vrai, il a toujours la crainte de leur faire du mal. Les sourcils froncés sous l’effort, il a veillé à ne pas forcer sur leurs pis. Marguerite a poussé un soupir, en réponse, Aimable a tapoté son flanc avec affection.
_ Je sais, c’est long, a-t-il soufflé, Quelques mois à tenir puis vous pourrez gambader dans les prés.
Edelweiss a meuglé de mécontentement.
_ Un peu de patience… Comment pensez-vous que je fais, à Paris ? J’attends tout comme vous.
_ Si tu commences à te comparer aux vaches, mon mari, je vais m’inquiéter de qui s’occupe de te traire…, interrompit une voix malicieuse. Aimable a sursauté, décontenancé, il en rougit de malaise en se retournant.
_ Eleanor je…
Elle s’est penchée pour embrasser sa joue, récupérant le sceau entre ses mains.
_ Va donc voir tes fils, je m’occupe du reste. Merci de leur avoir donné du foin !
Aimable est alors rentré au salon, pour y voir Richard et Isabeau.
Richard approche de la dizaine. Il est le digne héritier des De Bayard. Grand et efflanqué, une tignasse brune, ses yeux sont d’un sérieux qu’un enfant n’a pas à avoir. Cette gravité, il l’a toujours eue sans que personne ne puisse se l’expliquer. Aimable s’en est inquiété : a-t-il hérité, lui aussi, d’un démon dont il n’ose pas parler ? Ses traits sont déjà matures, avec son nez droit, ses lèvres souvent pincées, ses yeux inquiets. Mais à la vue de son père, il retrouve l’innocence d’un enfant : un sourire s’épanouit sur son visage, faisant ressortir une joie si simple et si puissante à la fois qu’Aimable sent son cœur vaincu. Il tend les bras, Richard se relève, avec maladresse, il fait quelques pas avant de bondir dans les bras de son père qu’il enlace avec force.
_ Je suis heureux de te voir Papa ! Sourit il en enfouissant son visage contre son ventre, cherchant une caresse qu’Aimable accorde volontiers, plongeant ses doigts dans ses cheveux pour les ébouriffer.
_ Moi aussi mon grand. Comment est-ce que tu vas ?
Richard. Son premier né. Aimable finit par refermer ses bras sur sa taille pour le soulever. Richard rit. Oh, que donnerait-il à Dieu pour avoir la force de porter son fardeau invisible ? Pour chasser cette peur qui hante toujours son regard. Richard s’inquiète toujours de tout, du pire. Est-ce de lui qu’il tient ces inquiétudes ? La culpabilité lui serre le cœur, avant qu’il ne le repose.
_ Très bien ! Oncle Côme m’a fait travailler mon écriture, as-tu reçu mon courrier ?
_ Bien sûr. Je l’ai toujours avec moi, assure Aimable alors qu’ils se rapprochent de la table, Il me porte chance.
_ Maman m’a dit que tu avais invité un de tes amis, allons-nous pouvoir le voir ?
_ GROAH !
Voilà qu’une chevelure hirsute émerge de dessous la table pour se jeter dans les jambes de son père. Isabeau rit tant qu’il en perd son souffle : il lève ses yeux clairs vers son père, un sourire victorieux s’étalant sur ses joues rondes. Du haut de ses 2 ans, Isabeau fait déjà preuve d’une énergie endiablée, d’ailleurs, il ne se passe pas un jour sans qu’il n’aille faire une bêtise ou s’égratigner les genoux. Ses courts cheveux roux tombent devant ses yeux malicieux, son nez retroussé, ses bonnes joues, ses mains potelées s’accrochent au vêtement de son père avant qu’il ne fasse mine de s’enfuir quand Aimable se penche pour l’attraper.
_ Viens là petite canaille, pouffe-t-il en le soulevant à son tour. Si June n’a pas été encore réveillé, ce sont sûrement les éclats de rire et les cris de protestation d’Isabeau qui l’arracheront des bras de Morphée…
_ Qu’est-ce que tu as grandi…
NOS enFANtS ! Se Réjouit la VOIX.
Sa joie en écho à la sienne ne rend l’instant que plus beau, à ses yeux. Il se sent bien. Serein. Apaisé et en sécurité. Entouré de ces murs et de ceux qu’il aime. D’une lumière pouvant chasser son obscurité – il en est persuadé. Gardant Isabeau dans ses bras, il s’assit à table aux côtés de Richard, prenant une pomme, du fromage, du pain, coupant le tout en petits morceaux – ce qui devait être le petit déjeuner d’Aimable devient le repas de 3, alors que Richard et Isabeau piochent ce dont ils ont envie. Aimable ne proteste pas, se contente de surveiller d’un regard à ce qu’Isabeau ne porte pas de morceaux trop gros à sa bouche. Ce ne serait pas la première fois qu’il a les yeux plus gros que le ventre.
Quand June vient les rejoindre, Aimable élève les yeux et sourit, non sans fierté, heureux de lui présenter sa petite famille.
_ June… ! Je te présente Richard, mon aîné, sa main se repose sur l’épaule de son garçon, Et Isabeau.
Richard, timide, se dissimule légèrement contre l’épaule solide de son père pour observer avec prudence le nouveau venu.
_ Bonjour, salue-t-il avec respect, l’observant avec attention. Isabeau, lui, pousse un cri en tendant fièrement un morceau de fromage qu’il écrase goûlument contre ses lèvres – comme par peur que June ne vienne le lui voler. Aimable soupire et essuie du bout du pouce les miettes éparpillées sur les joues de son plus jeune, en un geste consterné.
_ Doucement, Isabeau… Comment a été ta nuit ? As-tu pu te reposer ? J’espère que tu n’as pas eu froid, reprend le Chevalier à l’adresse de June.
Bien qu’il soit inhabituel pour lui d’accueillir quelqu’un autre que sa famille entre ses murs, Aimable se sent à son aise. Il reste cet homme pudique, renfermé et discret, mais dont les murs ne sont plus aussi hauts : sa joie est perceptible, non plus tapie sous la gravité de ses traits. Et June a sa place, dans ce quotidien, dans ce monde qu’il a chéri. Dans ce monde qu’est le sien.
A son image, le ciel s’emplit de lumière quand, à l’aube, le soleil s’extirpe d’entre deux sommets. Ses rayons glissent le long des pentes enneigées, dégringolant à vive allure jusqu’à emplir la vallée d’une lumière resplendissante. Son rire éveille quelques rares oiseaux, certains d’entre eux gazouillent sous la caresse d’une brise glacée. Taquin, un coq se moque, sous l’abri de la pierre. La maison s’éveille ! Elle s’ébroue, son plancher craque alors que les volets s’ouvrent. Elle s’échauffe, quand l’on ravive le feu d’une bûche ou d’un mouvement de tisonnier, son toit se débarrasse d’un tas de neige qui s’échappe d’un grondement étouffé.
Aimable est depuis bien longtemps réveillé. Il a passé un long moment pelotonné contre son épouse, le nez glissé contre sa poitrine, à écouter son cœur. Elle ronflait avec bonheur, ses mains enfoncées dans sa tignasse, à le maintenir contre elle avec une force qui n’a eu cesse de l’impressionner. Se dégager fut tout un concours de mouvements prudents, à veiller à s’extraire sans la bousculer, à défaire son étreinte sans la réveiller. Il a observé son visage, les petites imperfections de sa peau, où les discrètes traces d’une petite vérole se mêlaient à ses constellations. Il a effleuré les courbes de son corps, lové dans les draps épais, la silhouette sensuelle d’une cheville impunément dévoilée, qu’il a tendrement recouvert avant de se lever.
Il est le premier à avoir descendu l’escalier. A avoir ravivé le feu, avant de pousser la porte du salon pour rejoindre la cour. A son entrée dans l’étable, les vaches ont levé la tête à son approche, le saluant d’un mouvement de tête ou d’un meuglement. Aimable a retroussé ses manches, s’est saisi de la fourche et s’est chargé de leur donner du foin sec. Retrouver ces gestes familiers l’a fait sourire et parfois, il s’est même approché pour caresser le sommet de leur crâne, gratter le coin de leurs mâchoires ou reposer sa tête contre les leurs. Il apprécie Marguerite et son poil bouclé, entre ses cornes, ou encore, Tulipe et ses yeux si doux. Il a récupéré un sceau, un tabouret et se glissant derrière elles, s’est chargé de les traire.
Il n’a pas encore le talent de son épouse et à dire vrai, il a toujours la crainte de leur faire du mal. Les sourcils froncés sous l’effort, il a veillé à ne pas forcer sur leurs pis. Marguerite a poussé un soupir, en réponse, Aimable a tapoté son flanc avec affection.
_ Je sais, c’est long, a-t-il soufflé, Quelques mois à tenir puis vous pourrez gambader dans les prés.
Edelweiss a meuglé de mécontentement.
_ Un peu de patience… Comment pensez-vous que je fais, à Paris ? J’attends tout comme vous.
_ Si tu commences à te comparer aux vaches, mon mari, je vais m’inquiéter de qui s’occupe de te traire…, interrompit une voix malicieuse. Aimable a sursauté, décontenancé, il en rougit de malaise en se retournant.
_ Eleanor je…
Elle s’est penchée pour embrasser sa joue, récupérant le sceau entre ses mains.
_ Va donc voir tes fils, je m’occupe du reste. Merci de leur avoir donné du foin !
Aimable est alors rentré au salon, pour y voir Richard et Isabeau.
Richard approche de la dizaine. Il est le digne héritier des De Bayard. Grand et efflanqué, une tignasse brune, ses yeux sont d’un sérieux qu’un enfant n’a pas à avoir. Cette gravité, il l’a toujours eue sans que personne ne puisse se l’expliquer. Aimable s’en est inquiété : a-t-il hérité, lui aussi, d’un démon dont il n’ose pas parler ? Ses traits sont déjà matures, avec son nez droit, ses lèvres souvent pincées, ses yeux inquiets. Mais à la vue de son père, il retrouve l’innocence d’un enfant : un sourire s’épanouit sur son visage, faisant ressortir une joie si simple et si puissante à la fois qu’Aimable sent son cœur vaincu. Il tend les bras, Richard se relève, avec maladresse, il fait quelques pas avant de bondir dans les bras de son père qu’il enlace avec force.
_ Je suis heureux de te voir Papa ! Sourit il en enfouissant son visage contre son ventre, cherchant une caresse qu’Aimable accorde volontiers, plongeant ses doigts dans ses cheveux pour les ébouriffer.
_ Moi aussi mon grand. Comment est-ce que tu vas ?
Richard. Son premier né. Aimable finit par refermer ses bras sur sa taille pour le soulever. Richard rit. Oh, que donnerait-il à Dieu pour avoir la force de porter son fardeau invisible ? Pour chasser cette peur qui hante toujours son regard. Richard s’inquiète toujours de tout, du pire. Est-ce de lui qu’il tient ces inquiétudes ? La culpabilité lui serre le cœur, avant qu’il ne le repose.
_ Très bien ! Oncle Côme m’a fait travailler mon écriture, as-tu reçu mon courrier ?
_ Bien sûr. Je l’ai toujours avec moi, assure Aimable alors qu’ils se rapprochent de la table, Il me porte chance.
_ Maman m’a dit que tu avais invité un de tes amis, allons-nous pouvoir le voir ?
_ GROAH !
Voilà qu’une chevelure hirsute émerge de dessous la table pour se jeter dans les jambes de son père. Isabeau rit tant qu’il en perd son souffle : il lève ses yeux clairs vers son père, un sourire victorieux s’étalant sur ses joues rondes. Du haut de ses 2 ans, Isabeau fait déjà preuve d’une énergie endiablée, d’ailleurs, il ne se passe pas un jour sans qu’il n’aille faire une bêtise ou s’égratigner les genoux. Ses courts cheveux roux tombent devant ses yeux malicieux, son nez retroussé, ses bonnes joues, ses mains potelées s’accrochent au vêtement de son père avant qu’il ne fasse mine de s’enfuir quand Aimable se penche pour l’attraper.
_ Viens là petite canaille, pouffe-t-il en le soulevant à son tour. Si June n’a pas été encore réveillé, ce sont sûrement les éclats de rire et les cris de protestation d’Isabeau qui l’arracheront des bras de Morphée…
_ Qu’est-ce que tu as grandi…
NOS enFANtS ! Se Réjouit la VOIX.
Sa joie en écho à la sienne ne rend l’instant que plus beau, à ses yeux. Il se sent bien. Serein. Apaisé et en sécurité. Entouré de ces murs et de ceux qu’il aime. D’une lumière pouvant chasser son obscurité – il en est persuadé. Gardant Isabeau dans ses bras, il s’assit à table aux côtés de Richard, prenant une pomme, du fromage, du pain, coupant le tout en petits morceaux – ce qui devait être le petit déjeuner d’Aimable devient le repas de 3, alors que Richard et Isabeau piochent ce dont ils ont envie. Aimable ne proteste pas, se contente de surveiller d’un regard à ce qu’Isabeau ne porte pas de morceaux trop gros à sa bouche. Ce ne serait pas la première fois qu’il a les yeux plus gros que le ventre.
Quand June vient les rejoindre, Aimable élève les yeux et sourit, non sans fierté, heureux de lui présenter sa petite famille.
_ June… ! Je te présente Richard, mon aîné, sa main se repose sur l’épaule de son garçon, Et Isabeau.
Richard, timide, se dissimule légèrement contre l’épaule solide de son père pour observer avec prudence le nouveau venu.
_ Bonjour, salue-t-il avec respect, l’observant avec attention. Isabeau, lui, pousse un cri en tendant fièrement un morceau de fromage qu’il écrase goûlument contre ses lèvres – comme par peur que June ne vienne le lui voler. Aimable soupire et essuie du bout du pouce les miettes éparpillées sur les joues de son plus jeune, en un geste consterné.
_ Doucement, Isabeau… Comment a été ta nuit ? As-tu pu te reposer ? J’espère que tu n’as pas eu froid, reprend le Chevalier à l’adresse de June.
Bien qu’il soit inhabituel pour lui d’accueillir quelqu’un autre que sa famille entre ses murs, Aimable se sent à son aise. Il reste cet homme pudique, renfermé et discret, mais dont les murs ne sont plus aussi hauts : sa joie est perceptible, non plus tapie sous la gravité de ses traits. Et June a sa place, dans ce quotidien, dans ce monde qu’il a chéri. Dans ce monde qu’est le sien.
Sam 9 Oct - 18:29
Winter is here
Les rêves ne l’ont pas trouvé, pas cette nuit, comme bien d’autres. Morphée est un amant sévère et strict, prend à ses bras ceux qui bienheureux cherchent le repos. Étire au travers des nuits des souffles paisibles et alanguis, des soupirs et des cris, là où le sable d’un marchand malhonnête s’invite à écraser de son soulier la piété d’une douce nuit. Mais pas de douleur à ses émeraudes embrumées, lorsque le jour ou la vie l’arrachent à ses songes inexistants.
Le cocon brûlant des draps et édredons contre sa peau est une salvation innommée contre ses joues légèrement rougies par le froid. Là où aucune chaleur ne saurait protéger les corps et les âmes. Mais lui ne craint rien. Pas le froid ni la neige. Ne peut réprimer un petit sourire lorsqu’après s’être longue étiré comme l’un de ces chats rôdant éperdument au sein de Paris, il se roule et se dissimule, créature fraîchement retournée à l’étreinte rassurante d’une chaleur qui n’est qu’à lui et lui seul.
Sûrement qu’en d’autres temps, il aurait abusé de cette quiétude pour retrouver l’oisiveté perdue des barraques militaires. Mais ce n’était ni son tempérament, ni même ses habitudes. Aucune intention n’est là à ce titre, et il s’extirpe vivement des draps pour s’étirer pleinement. Grimpe à nouveau pour ouvrir les grands volets et… Ah, la couche de neige s’étant déposée sur l’abattant en bois manque de le faire glapir de surprise lorsqu’une partie tente de s’immiscer dans la pièce mais des années en Suède avaient su l’habituer à ce genre de situations. Un rire et l’air glacial de l’extérieur ravive ses sens. Le soleil est déjà levé, encore bas contre l’horizon mais rien ne saurait ternir son enthousiasme.
Et que faire lorsque l’heure est telle qu’il n’oserait pas déranger ses hôtes ? Quelle drôle de question. Ôtant l’épaisse couche de vêtement couvrant son dos, il frissonne et ignore la chair de poule qui s’invite contre sa peau avant de prestement se laisser tomber au sol, enchaînant séries d’exercices avec aisance, son souffle s’emportant en volutes blanches de condensation dans la chambre où la chaleur prend sa fuite la plus sordide.
Combien de temps ? Bien assez pour perdre de vue les minutes qui passent. Suffisamment pour que le soleil d’est baigne d’une lueur chaude le carré dans lequel il s’entraînait avec acharnement, sueur contre sa peau incapable de refroidir son corps chauffé à blanc.
C’est pourtant des rires enjoués qui le tirent de sa bulle. Accroupi au sol, le souffle court et le corps fortifié par l’effort, June repousse la sueur contre son front du dos de la main et expire plus lentement pour calmer son cœur. Une poignée de secondes et le voilà à se redresser, parant à l’idée d’un bain en allant collecter un peu de neige sur le rebord de se fenêtre pour se débarbouiller. Oh la sensation est toujours aussi brutale que dans ses souvenirs, mais une fois essuyé contre une tunique salie par leur voyage, il se sent déjà bien plus présentable.
Fenêtre refermée, lit tiré au carré et portant une tenue bien plus présentable, il descend des combles et rejoint l’étage inférieur pour se diriger vers la salle à manger où de toute évidence, la vie semble aller bon train. Un sourire éclaire ses traits alors que le père de famille le remarque.
« La nuit a été très agréable, merci à toi et Eleanor pour votre accueil. »
Contenté et surtout rendu intimement curieux par les deux figures inconnues se tenant aux bras et jambes d’Aimable, June ne sait réprimer un sourire absolument conquis. Enfin il pouvait rencontrer ces deux angelots dont leur père lui avait tant parlé.
N’approchant pas immédiatement pour donner le temps aux enfants de jauger de sa personne, il ne se moque pas du réflexe d’Isabeau de protéger son repas, répondant doucement au bonjour de Richard en opinant humblement du chef. Une fois fait, il approche doucement du cadet de s’accroupit à ses côtés, un sourire amusé sur le minois.
« Et tu dois être Isabeau. Ton père m’a beaucoup parlé de toi… Et du fromage de ta maman. Ne t’en fais pas, je n’ai vraiment pas l’intention de te voler ta part. »
Oui il pense pouvoir aisément se sentir à sa place dans cette demeure qui n’est ni la sienne, si celle de sa famille. Mais ce foyer tout entier semble disposé à faire du jeune suédois l’un des leurs. S’installant finalement à la table, il est disposé à casser la croûte en bonne compagnie.
« J’ai profité des premières heures du jour pour m’entraîner. L’air de la montagne est vivifiant, rien ne pouvait me rendre plus enthousiaste à engager cette journée du bon pied. » Il se permet d’imiter le repas des enfants et demande d’un air distrait. « Peut-être pourrai-je même m’entraîner à l’épée avec les valeureux enfants du brave chevalier de Bayard ? »
Une tentative ouverte à la bonne humeur et à inviter les enfants à ne pas le prendre pour un intrus. Qu’importe ce que les prochaines heures et prochains jours apporteraient, il voulait en profiter le plus possible. Et si sa famille lui manque, à ainsi siéger à la tablée d’une autre, il veut simplement remplir son cœur des belles choses de la vie.
Car nul ne sait ce que l’avenir pourra lui réserver.
Le cocon brûlant des draps et édredons contre sa peau est une salvation innommée contre ses joues légèrement rougies par le froid. Là où aucune chaleur ne saurait protéger les corps et les âmes. Mais lui ne craint rien. Pas le froid ni la neige. Ne peut réprimer un petit sourire lorsqu’après s’être longue étiré comme l’un de ces chats rôdant éperdument au sein de Paris, il se roule et se dissimule, créature fraîchement retournée à l’étreinte rassurante d’une chaleur qui n’est qu’à lui et lui seul.
Sûrement qu’en d’autres temps, il aurait abusé de cette quiétude pour retrouver l’oisiveté perdue des barraques militaires. Mais ce n’était ni son tempérament, ni même ses habitudes. Aucune intention n’est là à ce titre, et il s’extirpe vivement des draps pour s’étirer pleinement. Grimpe à nouveau pour ouvrir les grands volets et… Ah, la couche de neige s’étant déposée sur l’abattant en bois manque de le faire glapir de surprise lorsqu’une partie tente de s’immiscer dans la pièce mais des années en Suède avaient su l’habituer à ce genre de situations. Un rire et l’air glacial de l’extérieur ravive ses sens. Le soleil est déjà levé, encore bas contre l’horizon mais rien ne saurait ternir son enthousiasme.
Et que faire lorsque l’heure est telle qu’il n’oserait pas déranger ses hôtes ? Quelle drôle de question. Ôtant l’épaisse couche de vêtement couvrant son dos, il frissonne et ignore la chair de poule qui s’invite contre sa peau avant de prestement se laisser tomber au sol, enchaînant séries d’exercices avec aisance, son souffle s’emportant en volutes blanches de condensation dans la chambre où la chaleur prend sa fuite la plus sordide.
Combien de temps ? Bien assez pour perdre de vue les minutes qui passent. Suffisamment pour que le soleil d’est baigne d’une lueur chaude le carré dans lequel il s’entraînait avec acharnement, sueur contre sa peau incapable de refroidir son corps chauffé à blanc.
C’est pourtant des rires enjoués qui le tirent de sa bulle. Accroupi au sol, le souffle court et le corps fortifié par l’effort, June repousse la sueur contre son front du dos de la main et expire plus lentement pour calmer son cœur. Une poignée de secondes et le voilà à se redresser, parant à l’idée d’un bain en allant collecter un peu de neige sur le rebord de se fenêtre pour se débarbouiller. Oh la sensation est toujours aussi brutale que dans ses souvenirs, mais une fois essuyé contre une tunique salie par leur voyage, il se sent déjà bien plus présentable.
Fenêtre refermée, lit tiré au carré et portant une tenue bien plus présentable, il descend des combles et rejoint l’étage inférieur pour se diriger vers la salle à manger où de toute évidence, la vie semble aller bon train. Un sourire éclaire ses traits alors que le père de famille le remarque.
« La nuit a été très agréable, merci à toi et Eleanor pour votre accueil. »
Contenté et surtout rendu intimement curieux par les deux figures inconnues se tenant aux bras et jambes d’Aimable, June ne sait réprimer un sourire absolument conquis. Enfin il pouvait rencontrer ces deux angelots dont leur père lui avait tant parlé.
N’approchant pas immédiatement pour donner le temps aux enfants de jauger de sa personne, il ne se moque pas du réflexe d’Isabeau de protéger son repas, répondant doucement au bonjour de Richard en opinant humblement du chef. Une fois fait, il approche doucement du cadet de s’accroupit à ses côtés, un sourire amusé sur le minois.
« Et tu dois être Isabeau. Ton père m’a beaucoup parlé de toi… Et du fromage de ta maman. Ne t’en fais pas, je n’ai vraiment pas l’intention de te voler ta part. »
Oui il pense pouvoir aisément se sentir à sa place dans cette demeure qui n’est ni la sienne, si celle de sa famille. Mais ce foyer tout entier semble disposé à faire du jeune suédois l’un des leurs. S’installant finalement à la table, il est disposé à casser la croûte en bonne compagnie.
« J’ai profité des premières heures du jour pour m’entraîner. L’air de la montagne est vivifiant, rien ne pouvait me rendre plus enthousiaste à engager cette journée du bon pied. » Il se permet d’imiter le repas des enfants et demande d’un air distrait. « Peut-être pourrai-je même m’entraîner à l’épée avec les valeureux enfants du brave chevalier de Bayard ? »
Une tentative ouverte à la bonne humeur et à inviter les enfants à ne pas le prendre pour un intrus. Qu’importe ce que les prochaines heures et prochains jours apporteraient, il voulait en profiter le plus possible. Et si sa famille lui manque, à ainsi siéger à la tablée d’une autre, il veut simplement remplir son cœur des belles choses de la vie.
Car nul ne sait ce que l’avenir pourra lui réserver.
- HRP:
- Coucou Aimable !
Désolé mille fois du délai qu'il m'a fallu pour écrire ce rp.
J'avoue peiner à lier ce flashback à l'évolution actuelle du forum et me remettre dans l'état d'esprit dans lequel il devait être il y a plusieurs années de l'heure actuelle. Est-ce que tu verrais un inconvénient à clôturer ce rp pour éventuellement en faire un autre ultérieurement placé dans le présent ?
Encore désolé, j'espère que mon post te conviendra malgré tout et que tu auras suffisamment d'éléments pour clôturer sans te brider. Bisous !
Mar 2 Nov - 10:44
June attire toute l’attention : les prunelles curieuses des enfants sont levées vers lui. Emplies de cette sauvagerie étrange que seuls ont les enfants : une méfiance alliée à une curiosité qui les pousse à l’imprudence.
La présence de leurs parents leur offre la sécurité nécessaire pour leur permettre de s’approcher. Richard ressemble tellement à son père, quand, les mains maladroitement glissées le long de ses flancs, il s’avance d’un pas, de deux, se retourne pour chercher un soutien. La timidité le fait incliner la tête, du coin des yeux, il détaille attentivement June et joint nerveusement les mains contre son ventre quand le jeune homme s’accroupit. Richard, peu téméraire, se recule discrètement et se réfugie près de son père.
Isabeau, du haut de ses 3 ans, n’a guère la raison de son frère. Le bambin aux joues rondes affiche sa victoire d’un sourire rayonnant. Sa main s’échappe de la poigne de son père pour effleurer la joue de June, ses yeux noisette rencontrant ses prunelles émeraude. Cet échange semble ravir Isabeau qui tourne ensuite les yeux vers son père.
_ Il a des yeux verts ! Verts comme la forêt ! C’est beau !
L’aveu est d’une franchise si spontanée qu’Aimable laisse échapper un rire bref, rapidement étouffé derrière ses lèvres serrées.
_ Hm. En effet.
Finalement, l’homme redépose Isabeau au sol et l’enfant, son repas terminé, va se jeter sur son frère pour le bousculer. Richard, moins enclin aux jeux maladroits de son frère, préfère s’écarter et lui prend la main pour le conduire devant le feu de bois, où se réchauffer. Là, se trouvent quelques uns de leurs rares jeux. Des figurines en bois, taillées par Ulric et Aimable : quelques chevaux, des bonshommes…
Permettant à leur hôte quelques secondes de repos.
_ T’entraîner de bon matin ? Grimace légèrement Aimable en massant sa nuque, Ah, peut-être devrai-je t’imiter… Ca décoincerait mes articulations rouillées…
La nuit. Ses muscles sont si tendus pour Le retenir qu’il s’éveille chaque matin, le corps courbaturé. Rompu par la douleur et les cauchemars qu’il doit endurer. Courir… Il le faisait autrefois. Quand il sentait cette énergie folle dans ses veines. A présent, l’usure de son corps le rattrapait. Il n’avait qu’une trentaine d’années, et il était bientôt plus souffrant que ne l’était Ulric. Un soupir ennuyé franchit ses lèvres mais rapidement, Eleanor vient reposer une main sur son épaule. Ses doigts remontent jusqu’à sa nuque et, en réponse, il lève les yeux vers elle pour lui sourire faiblement.
Cette nuit a été différente des autres. Sans qu’il n’en comprenne la raison… la Voix semble apprécier June. L’avoir à ses côtés fait que son repos… A été un vrai repos cette fois, assez pour qu’il ne sente déjà plus la fatigue du voyage. Il devrait remercier Dieu de lui avoir permis… De le rencontrer.
A l’invitation, Isabeau se saisit déjà de son épée en bois pour la dresser fièrement.
_ En garde ! Assène-t-il et, en réponse, Eleanor repose ses mains sur ses hanches généreuses.
_ Où est-ce que se battent les Chevaliers ? Dans le salon ?
_ Ah ! Non ! Dehors ! Reprend Isabeau.
_ Bien. Dehors, répète simplement Eleanor, Et qu’est-ce qu’on met pour aller dehors ?
_ Son gilet, répond Richard. L’aîné récupère un manteau de laine qu’il enfile tant bien que mal à Isabeau. Le plus jeune, dans un rire, finit par s’enfuir dehors. Richard s’habille à son tour, dirigeant son regard vers June puis son père.
_ Irons-nous prier ?
Aimable sort de ses pensées d’un battement de paupières.
_ Oh, oui, bien sûr. Tu pourras montrer le chemin de la chapelle à June.
Richard, alors, sourit avec une joie si sincère que ses yeux en brillent.
_ Bien. Je vais préparer les bâtons pour monter !
Richard sort à son tour et l’espace de quelques secondes, seuls sont perçus les crépitements du feu. Le soupir digne d’un vieux chien d’Aimable, qui, enfin, relâche ses épaules. Ici, il se sent bien. Eleanor propose à June un épais verre de lait blanc, encore chaud de la traite. Tout sourire, elle glisse une main dans sa tignasse brune puis tourne les yeux vers son époux.
_ Je vous ai préparé ce qu’il faut, glisse-t-elle avec connivence.
Aimable sourit à son tour et adresse un regard malicieux à June, du coin des yeux.
_ J’imagine que s’il s’est entraîné ce matin, il est assez échauffé pour grimper la montagne avec moi…, gronde-t-il avec affection, Ca ne vaudra peut-être pas la beauté de la Suède mais… Je serais heureux de te montrer les paysages de nos montagnes.
Ses terres. Il aime ses vallées, ses flancs escarpés. Les forêts sombres, épaisses, qui s’effacent en bois plus espacés, les ruisseaux prisonniers du gel et qui, malgré tout, continuent de couler. Le linceul immaculé, qui recouvre toute une vie prête à germer.
Un peu plus tard, June peut batailler avec Isabeau et Richard, bientôt aidé par Aimable. Et combien même n’y eut-il pas de victoire, tous ont gagné l’occasion de rire. Richard l’a ensuite mené jusqu’à la chapelle possédée par les De Bayard, située en hauteurs de leur domaine : une chapelle où une dizaine de personnes peuvent se tenir.
Les De Bayard l’ont construite il y a de cela des générations… Comme l’en attestent les tombes situées à proximité. L’intérieur est étrangement chaleureux tout en étant austère, avec les vieux bancs en bois usé et l’unique croix qui se trouve à son extrémité. Les seules fenêtres sont des meurtrières, d’où s’arrachent quelques pans de lumière. La prière dure longtemps, Richard et Aimable restent à genoux devant l’autel.
Puis Eleanor récupère les enfants, confie à son époux un baluchon empli de vivres. Et Aimable invite June à le suivre. Il le conduit au travers des champs couverts de neiges. Le mène parmi les arbres et effleure du bout des doigts les écorces. Parfois, il arrive que certains soient marqués, à une hauteur bien supérieure à celle d’un simple homme – un ours s’y serait-il frotté ? Aimable, en tous cas, ne ralentit pas le pas. Il sait où il le mène.
Ce n’est que quelques heures plus tard, après une longue ascension, qu’Aimable s’arrête. D’un geste de la main, il invite June à le dépasser, le visage éclairé d’un sourire prudent.
Devant eux, un plateau neigeux. Immense. Qui surmonte, sous eux, les flancs rocheux, les sommets épineux des épicéas, la plongée des vallées. Ils sont entourés de neige. Aimable hésite et s’approche timidement d’un pas, il laisse son épaule effleurer celle de June avec tendresse.
_ Je sais que rien ne remplace… Son chez-soi. Je sais que le tien est loin. Et je… peut-être qu’il te manque parfois.
Aimable laisse planer un silence, puis prend songeusement un peu de neige entre ses doigts abîmés.
_ … Mes terres seront… un des foyers où tu pourras toujours trouver refuge.
C’est une promesse.
Puis il écrase le peu de neige qu’il a dans la main sur le crâne de June. Et s’enfuit comme un adolescent dans un rire amusé.
Nul ne sait ce que l’avenir pourra leur réserver.
Mais Dieu lui a offert un instant de bonheur.
La présence de leurs parents leur offre la sécurité nécessaire pour leur permettre de s’approcher. Richard ressemble tellement à son père, quand, les mains maladroitement glissées le long de ses flancs, il s’avance d’un pas, de deux, se retourne pour chercher un soutien. La timidité le fait incliner la tête, du coin des yeux, il détaille attentivement June et joint nerveusement les mains contre son ventre quand le jeune homme s’accroupit. Richard, peu téméraire, se recule discrètement et se réfugie près de son père.
Isabeau, du haut de ses 3 ans, n’a guère la raison de son frère. Le bambin aux joues rondes affiche sa victoire d’un sourire rayonnant. Sa main s’échappe de la poigne de son père pour effleurer la joue de June, ses yeux noisette rencontrant ses prunelles émeraude. Cet échange semble ravir Isabeau qui tourne ensuite les yeux vers son père.
_ Il a des yeux verts ! Verts comme la forêt ! C’est beau !
L’aveu est d’une franchise si spontanée qu’Aimable laisse échapper un rire bref, rapidement étouffé derrière ses lèvres serrées.
_ Hm. En effet.
Finalement, l’homme redépose Isabeau au sol et l’enfant, son repas terminé, va se jeter sur son frère pour le bousculer. Richard, moins enclin aux jeux maladroits de son frère, préfère s’écarter et lui prend la main pour le conduire devant le feu de bois, où se réchauffer. Là, se trouvent quelques uns de leurs rares jeux. Des figurines en bois, taillées par Ulric et Aimable : quelques chevaux, des bonshommes…
Permettant à leur hôte quelques secondes de repos.
_ T’entraîner de bon matin ? Grimace légèrement Aimable en massant sa nuque, Ah, peut-être devrai-je t’imiter… Ca décoincerait mes articulations rouillées…
La nuit. Ses muscles sont si tendus pour Le retenir qu’il s’éveille chaque matin, le corps courbaturé. Rompu par la douleur et les cauchemars qu’il doit endurer. Courir… Il le faisait autrefois. Quand il sentait cette énergie folle dans ses veines. A présent, l’usure de son corps le rattrapait. Il n’avait qu’une trentaine d’années, et il était bientôt plus souffrant que ne l’était Ulric. Un soupir ennuyé franchit ses lèvres mais rapidement, Eleanor vient reposer une main sur son épaule. Ses doigts remontent jusqu’à sa nuque et, en réponse, il lève les yeux vers elle pour lui sourire faiblement.
Cette nuit a été différente des autres. Sans qu’il n’en comprenne la raison… la Voix semble apprécier June. L’avoir à ses côtés fait que son repos… A été un vrai repos cette fois, assez pour qu’il ne sente déjà plus la fatigue du voyage. Il devrait remercier Dieu de lui avoir permis… De le rencontrer.
A l’invitation, Isabeau se saisit déjà de son épée en bois pour la dresser fièrement.
_ En garde ! Assène-t-il et, en réponse, Eleanor repose ses mains sur ses hanches généreuses.
_ Où est-ce que se battent les Chevaliers ? Dans le salon ?
_ Ah ! Non ! Dehors ! Reprend Isabeau.
_ Bien. Dehors, répète simplement Eleanor, Et qu’est-ce qu’on met pour aller dehors ?
_ Son gilet, répond Richard. L’aîné récupère un manteau de laine qu’il enfile tant bien que mal à Isabeau. Le plus jeune, dans un rire, finit par s’enfuir dehors. Richard s’habille à son tour, dirigeant son regard vers June puis son père.
_ Irons-nous prier ?
Aimable sort de ses pensées d’un battement de paupières.
_ Oh, oui, bien sûr. Tu pourras montrer le chemin de la chapelle à June.
Richard, alors, sourit avec une joie si sincère que ses yeux en brillent.
_ Bien. Je vais préparer les bâtons pour monter !
Richard sort à son tour et l’espace de quelques secondes, seuls sont perçus les crépitements du feu. Le soupir digne d’un vieux chien d’Aimable, qui, enfin, relâche ses épaules. Ici, il se sent bien. Eleanor propose à June un épais verre de lait blanc, encore chaud de la traite. Tout sourire, elle glisse une main dans sa tignasse brune puis tourne les yeux vers son époux.
_ Je vous ai préparé ce qu’il faut, glisse-t-elle avec connivence.
Aimable sourit à son tour et adresse un regard malicieux à June, du coin des yeux.
_ J’imagine que s’il s’est entraîné ce matin, il est assez échauffé pour grimper la montagne avec moi…, gronde-t-il avec affection, Ca ne vaudra peut-être pas la beauté de la Suède mais… Je serais heureux de te montrer les paysages de nos montagnes.
Ses terres. Il aime ses vallées, ses flancs escarpés. Les forêts sombres, épaisses, qui s’effacent en bois plus espacés, les ruisseaux prisonniers du gel et qui, malgré tout, continuent de couler. Le linceul immaculé, qui recouvre toute une vie prête à germer.
Un peu plus tard, June peut batailler avec Isabeau et Richard, bientôt aidé par Aimable. Et combien même n’y eut-il pas de victoire, tous ont gagné l’occasion de rire. Richard l’a ensuite mené jusqu’à la chapelle possédée par les De Bayard, située en hauteurs de leur domaine : une chapelle où une dizaine de personnes peuvent se tenir.
Les De Bayard l’ont construite il y a de cela des générations… Comme l’en attestent les tombes situées à proximité. L’intérieur est étrangement chaleureux tout en étant austère, avec les vieux bancs en bois usé et l’unique croix qui se trouve à son extrémité. Les seules fenêtres sont des meurtrières, d’où s’arrachent quelques pans de lumière. La prière dure longtemps, Richard et Aimable restent à genoux devant l’autel.
Puis Eleanor récupère les enfants, confie à son époux un baluchon empli de vivres. Et Aimable invite June à le suivre. Il le conduit au travers des champs couverts de neiges. Le mène parmi les arbres et effleure du bout des doigts les écorces. Parfois, il arrive que certains soient marqués, à une hauteur bien supérieure à celle d’un simple homme – un ours s’y serait-il frotté ? Aimable, en tous cas, ne ralentit pas le pas. Il sait où il le mène.
Ce n’est que quelques heures plus tard, après une longue ascension, qu’Aimable s’arrête. D’un geste de la main, il invite June à le dépasser, le visage éclairé d’un sourire prudent.
Devant eux, un plateau neigeux. Immense. Qui surmonte, sous eux, les flancs rocheux, les sommets épineux des épicéas, la plongée des vallées. Ils sont entourés de neige. Aimable hésite et s’approche timidement d’un pas, il laisse son épaule effleurer celle de June avec tendresse.
_ Je sais que rien ne remplace… Son chez-soi. Je sais que le tien est loin. Et je… peut-être qu’il te manque parfois.
Aimable laisse planer un silence, puis prend songeusement un peu de neige entre ses doigts abîmés.
_ … Mes terres seront… un des foyers où tu pourras toujours trouver refuge.
C’est une promesse.
Puis il écrase le peu de neige qu’il a dans la main sur le crâne de June. Et s’enfuit comme un adolescent dans un rire amusé.
Nul ne sait ce que l’avenir pourra leur réserver.
Mais Dieu lui a offert un instant de bonheur.
- Spoiler:
- Ne sois désolé de rien, y'a aucun problème ! Je suis contente qu'on ait pu conclure ce petit rp, je vais poster dans les rp terminés et je te retrouve par MP !