Aujourd’hui, Françoise avait reçu une lettre de son père qui lui avait dit que quelque chose arriverait pour elle, au manoir de Bellevallée. Etonnée, elle n’aurait su l’être davantage car son père ne lui offrait jamais rien. Du moins, rien qui ne soit pas désintéressé – en vue d’un mariage potentiel, par exemple.

Le mariage de la toute nouvelle Duchesse de Navarre s’était terminé deux jours auparavant et la jeune femme avait bien compris que cette montée en statut social avait fait grincer des dents à son paternel, aussi n’avait –elle rien ajouté de plus devant son ire lorsque ce dernier avait renversé une table dans le grand salon de la demeure.

Au moins, ainsi, elle avait évité de devenir la cible privilégiée de ses coups.

Le majordome de la famille vint la chercher, une goutte de sueur sur la tempe. « M-mademoiselle, je crois que le présent de v-votre père est arrivé dans le salon… »

Perplexe, Françoise sortie donc de sa chambre et aperçu alors une grande silhouette... noire ? Dans le hall d’entrée. Visiblement les domestiques étaient perdus quant à quoi faire. Bon, en l’absence de son père elle devait montrer l’exemple ! « B-Bonjour Monsieur… Mon père le marquis vous a remis un présent pour moi, c’est bien cela ? »

Pourquoi est-ce qu’alors, elle craignait le pire ?

Irréelle. Cette situation était vraiment irréelle pour Françoise. Et pourquoi diable son père n’était pas là au moment où elle aurait bien eu besoin que quelqu’un prenne les devants pour elle ?! Ce n’était certainement pas Georges, le majordome, ni Amelle la femme de chambre qui allaient s’essayer à faire de l’autorité sur cet… homme. Était-ce vraiment un homme, d’ailleurs ?

Toute prise qu’elle était dans ses pensées, Françoise fut pourtant piquée à vif par les propos de l’inconnu. « J-Je ne vous permets pas de vous adresser à moi de la sorte, malandrin ! » Poings fermés, phalanges blanches et paumes moites, elle regrettait presque de s’être emportée ainsi. Mais elle ne pouvait plus faire machine arrière, il en allait de son image. Et un peu de son égo, aussi. « Et puis d’abord, avant de m’adresser la parole, soyez propre sur vous ! Georges ! »

« O-Oui Mademoiselle ? » intervint, penaud, le fameux majordome.

« Emmenez ce rustre se laver convenablement pour enlever toute cette crasse sur sa peau et seulement après il pourra me parler ! Et passer lui des vêtements à sa taille également. » Il n’aura qu’à prendre de quoi le vêtir dans le grenier, les vieilles affaires d’Ignace devaient encore y être, surement ?

Ch-Chaton ?! Françoise manqua de s’étrangler à l’entente de ce mot là. « Je vous prie de faire preuve d’un peu de révérence ?! Je suis Marquise, fille de bonne famille, je mérite le respect ! » Mais la curiosité, bien vite, se mêlait à sa pointe de colère, laquelle n’a jamais su durer très longtemps.

« Pour commencer je vais m’assurer que vous ayez de quoi vous vêtir convenablement afin d’éviter que vous ne me portiez préjudice si l’on venait à vous voir en ma compagnie. » Malgré tout, les plans de son père lui échappaient toujours. Quel était le but final de cette manigance ?

Rapidement, elle héla le majordome de l’accompagner au grenier – pourquoi s’embêtait-elle à y aller elle-même, d’ailleurs ? - et lui demanda de chercher dans les vêtements les plus grands qui pouvaient encore traîner là. Ceci fait, Françoise redescendit avec son domestique et montra les tissus des doigts. « Enfilez ceci, ce devrait être à votre taille. Lorsque vous serez changé, vous n’aurez qu’à me rejoindre dans le salon de lecture, à l’étage. Je vous y attendrai. »

Elle en profiterait pour lire, en tout cas. Déjà elle remontait dans ce sanctuaire bien à elle.

Elle ne s’attendait pas à ce qu’il se change si vite, mais quelque part, la curiosité de Françoise avait été tant et si bien piquée par cet énergumène qu’elle avait été bien incapable de lire quoi que ce soit d’autres. Elle avait uniquement su se poser des questions à tort et à travers. Quelle idée avait bien pu piquer son père pour prendre une décision pareille ?! L’esclavage est formellement interdit ! Elle était outrée que son père ait pu s’octroyer ce passe-droit, Dieu savait comment, d’ailleurs.

Il faudrait déjà commencer par maquiller la vérité. A l’arrivée de l’homme, Françoise se tint droite, le regard sévère –enfin, c’était l’idée – et tâcha d’économiser ses paroles, comme le lui avait appris son géniteur. « Bien. En effet, Mademoiselle est le nom par lesquelles vous devrez vous référer à moi. »

Quant aux règles, eh bien… « Tout d’abord, sachez que vous ne devrez rien faire qui pourrait rendre ma situation compliquée. J’entends par là, tenez votre langue et ne parlez à personne de la noblesse de la sorte. Vous serez visiblement mon serviteur alors il vous faudra observer une tenue irréprochable. »

Mais Françoise n’était définitivement pas son père. Alors… « Je ne cautionne cependant pas le pourquoi vous êtes ici. Vous êtes un être humain, vous aussi, j’estime donc que vous méritez mon respect. Quel est votre nom, Monsieur ? »

Françoise était confuse. A la fois fascinée par une telle personne que son père avait acheté – yew, quel affreux mot lorsqu’il est question d’un être vivant… - et complètement outrée par le comportement de cette dernière. Mais puisqu’elle était une dame noble, il lui fallait se rendre utile et surtout, noble tant dans sa naissance que dans ses décisions. Puis que cet homme semblait manquer de connaissances sur le bon comportement à avoir et sur Paris plus généralement, elle se fera le devoir de l’éduquer convenablement.

Rien ne lui faisait peur, elle pouvait le faire ! Peut-être était-ce que son père attendait d’elle ? Oui, c’était sûrement ça ! Reprenant un sourire, elle s’éclaircit la voix avant de répondre. « Pour le moment, oui, ce sera tout ce que j’attends de vous. Je vous tiendrai informé immédiatement lorsque j'attendrai autre chose de vous. »

Puis alors qu’elle réfléchissait, elle se sentit comme obligée de poser une question. « Calice ? Comme un genre de graal ? Enfin… Comment écrivez-vous votre nom, Monsieur ? » Il lui semblait difficile de se figurer l’orthographe exacte. Et surtout, une interrogation. « Oh, mais… Savez-vous seulement lire ? »

Autant commencer par le début.

Françoise aurait dû s’en douter, mais la réponse de l’esclave – urgh, ce qu’elle haïssait ce terme-ci ! – la laissa pantoise. « Pardon, je pensais que l’on aurait au moins pu vous apprendre l’essentiel… » Douce Françoise, désillusionnée Françoise. La jeune femme se plaisait à penser que la vie en dehors des murs de cette demeure froide et aux trop sombres couleurs, sous l’influence de son père, était forcément meilleure en plusieurs aspects.

La réalité se rappelait à elle avec une grande cruauté.

« Je… je pourrais vous apprendre, si l’envie vous prend, de comprendre un peu le français. Des choses simples pour commencer, bien sûr ! » Il était évident que Françoise avait cette fibre de gentillesse profondément gravée en elle, mais son rythme de vie ne lui permettait tout simplement pas de l’exprimer comme elle l’aurait souhaité.

La pensée de son père l’ancra un peu plus dans une réalité bien amère. Mais elle se devait de préciser une chose. « J’ai… Une chose à rajouter, Calice… Si jamais vous entendez mon père me hurler dessus, je vous conjure de ne pas intervenir. » Qu’elle paie pour sa malheureuse existence passait encore. Mais Françoise n’aurait pas voulu éclabousser autrui de son incompétence.