Oh, Paris ! Ça faisait longtemps que je n'y avais pas mis les pieds, occupée que j'étais à voyager dans d'autres régions, et voici que je la retrouve changée. Les vieux taudis que j'avais l'habitude d'occuper durant mes séjours ont cédé leur place à cette nouvelle « avenue des compagnons, » un endroit sûr et sain sans commune mesure avec le coupe-gorge qu'il était autrefois. Il me faudra donc trouver de nouveaux coins où passer la nuit gratuitement, peut-être tenter de profiter de l'hospitalité d'inconnus ou simplement dormir à la belle étoile sur un toit ou l'autre.

Si une partie de moi est un peu triste de constater qu'une partie de la ville ait pour ainsi dire « disparu, » je n'en reste pas moins impatiente de découvrir ce que ces quartiers ont à offrir. Tous les commerces ne sont pas ouverts, preuve que ces changements sont récents, mais je ne doute pas une seconde que tous auront trouvé un propriétaire d'ici mon prochain passage.
Il me tarde de voir ça.

Un établissement en particulier a en tout cas retenu mon attention : les bains de ce bon vieux Asclépios, ancien Dieu d'un truc ou l'autre. Les thermes, donc. Se baigner avec des inconnus, en voilà une idée amusante ! Je me suis laissée tenter, évidemment, et me voici en train de me diriger vers le bassin, cheveux attachés et débarrassée de tous mes vêtements - sans oublier débarrassée des dernières pièces qui traînaient encore dans ma bourse. Le bassin mixte et non
celui réservé aux dames ; nos ancêtres se baignaient ensemble sans s'embêter du sexe des uns et des autres, après tout, et ce serait tout de même bien triste de se priver d’interactions avec ces messieurs pour des histoires d'anatomie.

Oh, évidemment que je savais que j'attirerais les regards discrets des hommes en choisissant de me joindre à eux mais ça ne me dérange pas un seul instant, parce que je n'ai jamais été pudique et parce que ça fait partie du jeu - c'est ce qui arrive lorsqu'on mêle le social à l'intime. Non, ce qui m'embête, ce ne sont pas ces yeux qui se sont tournés vers moi mais le fait qu'il n'y ait actuellement que des mâles dans le bassin, surtout des vieux et des vieillissants, et que ces derniers soient peu nombreux.
Ugh.. je m'imaginais un bassin plein de monde, plein d'hommes et de femmes de tous âges occupés à rire et discuter, quelque chose d'un peu plus.. bruyant et dynamique, je suppose ? Il n'est pas encore tout à fait huit heures du matin, c'est encore assez tôt ; peut-être que le bassin va seulement se remplir, que les murmures se transformeront alors en vraies conversations ?

Dans tous les cas, je décide de fermer les yeux et de profiter de l'eau chaude et relaxante -quel bonheur- tout en gardant l'oreille tendue, au cas où quelques paroles échangées attiseraient ma curiosité ou qu'une personne intéressante ferait son entrée dans le bain - ce serait dommage que ma petite aventure aux thermes s'avère être aussi calme et ennuyante.

Ce sont de longues minutes d'un calme terriblement ennuyeux qui s'écoulent avant qu'une main ne vienne se poser sur mon épaule, une main appartenant à une femme dont le teint et l'accent sentent bon les contrées lointaines.
Ce bain devient enfin intéressant, dirait-on.

Bonjour m'dame !

Je salue la dame avec un large sourire aux lèvres et une myriade de questions en tête mais elle ne semble pas vouloir mettre plus d'un orteil dans le bassin à cause de la température de l'eau, qu'elle ne trouve pas idyllique.

Vraiment ?

Elle est très bonne, pourtant ; est-ce vraiment utile de changer de bassin juste parce qu'elle est à priori un peu meilleure chez les femmes ? Son attitude me rappelle en tout cas mon ainée, qui accordait une grande importance au bain et veillait toujours à ce que nos domestiques s'appliquent dans la préparation de ces derniers. Elle demandait à ce que la température soit parfaite, à ce que l'eau soit parfumée avec des herbes et des fleurs et, de manière générale, à ce que l'ambiance soit bonne. Un bain, répétait-elle souvent, est tant fait pour se décrasser que pour se relaxer, d'où l'importance de ces choses.
Ma sœur me manque, ma famille tout entière me manque et, soyons honnête, le luxe dont je jouissais au château me manque également ; je rêve parfois de pouvoir rentrer chez moi après l'une de mes aventures et me faire choyer par nos domestiques, dormir dans mon lit douillet et manger à ma faim.
Ça n'arrivera malheureusement jamais.
Je n'y suis plus la bienvenue...

Je baisse la tête, jusqu'ici levée vers mon interlocutrice, et observe ces vieux croutons inintéressants qui partagent mon bain avant de lâcher un soupir : si la madame tient vraiment à changer de bassin, je n'ai vraiment aucun intérêt à rester ici, bien au contraire.

Pourquoi pas !

Je me hisse hors de l'eau sans chercher à cacher mon corps et fait un signe de la main à ces messieurs pour leur dire au revoir en sachant très bien que mon départ risque d'en frustrer plus d'un - bien fait pour eux, ça leur apprendra à ne rien avoir d'intéressant à raconter. Reste maintenant à suivre ma nouvelle amie du moment et essayer d'en tirer des tas d'histoires.

T'as une jolie peau, m'dame, tu viens d'où ?

Ah, oui, maintenant que j'y pense, se présenter avant de partir à la pêche aux informations aurait peut-être été une bonne idée...

Au fait, je m'appelle Éléonore et toi ?

Quant au vouvoiement, j'ai oublié son existence il y a des années.

Ainsi donc, madame est ottomane.. on m'a enseigné des choses sur cet empire mais il me faut avouer ne pas avoir été très attentive durant mes cours et c'est à peine si je me souviens de son emplacement géographique.
Je m'ennuyais durant mes cours, voilà tout ; puis c'est pas ma faute si écouter un vieux barbu réciter monotonement des tas d'informations sur des empires lointains m’assommait.. la culture et l'histoire d'un pays, ça ne s'apprend pas dans de vieux livres, ça se vit ! Et maintenant que je ne suis plus une humaine comme les autres, que j'ai tout le temps du monde devant moi, j'ai l'intention de voyager aux quatre coins du monde même si je ne me sens pas encore tout à fait prête à m'aventurer en dehors de ma France natale.
Certaines entraves m'y enchaînent encore.

Hélène et moi arrivons aux bains de ces dames. Hélène.. c'est courant comme nom chez les ottomans, d'ailleurs ? Je m'imaginais que leurs noms étaient.. hé bien.. différents ? Bref, nous arrivons donc aux bains des dames et madame se découvre enfin, dévoilant un physique plutôt agréable malgré la présence de quelques cicatrices - je me demande quelles histoires se cachent derrière ces dernières. Il me faut avouer avoir eu de la chance à ce niveau : mes horribles brûlures se sont effacées durant ma transformation ; pas toutes, en revanche, car certaines étaient plus graves, mais même ces dernières se sont effacées au cours de ces huit dernières années. Il ne m'en reste désormais aucune.

Madame est insatisfaite de la température de l'eau, pourtant censée être bien meilleure de ce côté-ci, et critique le manque de savoir faire français en terme de bains, ce que je ne peux pas vraiment lui reprocher puisque que chez nous, le savon n'est pas aussi populaire que le parfum.
Je saute dans l'eau, que je trouve suffisamment chaude à mon goût, contente de recevoir un compliment même si j'aurais préféré que ce dernier ne soit pas suivi par des remontrances vis à vis de mon attitude.

Ils ont essayé.

Maman a essayé, en tout cas, parce que papa nous a vite quitté ; mes frères et sœurs ont essayé aussi, certains plus que les autres, mais aucun n'a réussi. Ils avaient leurs raisons, bien sûr, et certaines de ces raisons étaient sans doute très bonnes mais la vie est bien trop belle et intéressante pour se limiter de la sorte. Homme ou femme, noble ou gueux, tout le monde devrait pouvoir vivre sa vie comme il l'entend, qu'importe ce qu'en pense notre société.

Ça ne m'a jamais intéressé, ce qui est correct ou non pour une femme.

Un message clair accompagné d'un haussement d'épaule, qu'importe si elle trouve ma réaction frustrante ou incommodante : une énième leçon de bonne conduite ne fera qu'entrer dans une oreille et sortir de l'autre.

Quelque chose me dit que ça ne t'intéresse pas toujours non plus.

Mes yeux se baladent sans aucune discrétion sur ses cicatrices, témoins d'une vie mouvementée qui me poussent à me demander si elle respecte tant que ça le fémininement correct et démangent mon insatiable curiosité.

Comment t'as eu tes cicatrices ?

Je me rapproche de l'ottomane, assez pour que nos épaules se touchent et que mon regard émeraude vienne s'ancrer dans le sien, mon large sourire et mon soudain enthousiasme en disant long sur mes priorités : j'aime savoir, surtout si les récits arrivent à me tenir en haleine et à me faire rêver.

Des aventures ?!

Ou un mari violent, qui sait, mais ce genre de possibilité ne me vient jamais en tête avant de poser mes questions.
Oups ?

Hélène avoue ne pas toujours se plier aux règles et normes stupides que nous imposent les hommes et la société, ce qui m'aurait arraché un sourire satisfait si ses mots n'étaient pas empreints de regrets.
Si la mention d'une divinité étrangère me laisse indifférente, je fais d'ailleurs comme si je n'avais rien entendu, son amertume éveille ma mélancolie et mes propres regrets.. je me demande ce qu'aurait dit mon père à moi s'il avait vécu à mes côtés ? Aurait-il eu honte de moi, lui aussi ? Qu'importe ce que pensent mes proches, vivre ma vie à ma manière est tout ce qui compte ; ais-je un jour pensé, mais les choses sont loin d'être aussi simples et leurs regards pleins de déception me hantent toujours, tout comme les flammes de cette nuit-là.
Fuir mon mariage fut-elle vraiment la bonne décision.. ?
Aurais-je dû sacrifier mon bonheur ?
Tch.

Je voulais entendre des histoires fascinantes, moi, pas ressasser le passé alors que madame s'enfonce dans le bain pour y déprimer.. heureusement que ma question vis à vis de ses cicatrices arrive à lui rendre son enthousiasme !

Une chute à cheval, commence-t-elle en m'envoyant de l'eau au visage avec sa jambe ; exactement ce que ma mère redoutait lors de mes leçons d'équitation.
Tu veux finir comme ton père, s'énervait-elle souvent en me voyant faire des cabrioles et autres figures amusantes.. elle me trouvait bien trop franche, trop sauvage, et m'interdisait catégoriquement de monter comme un homme.
Inutile de dire que j'étais souvent punie mais ces punitions n'avaient rien de comparable à des coups de fouet, est-ce un châtiment normal dans son pays ?
Au pire, mon frère me donnait de bonnes claques bien senties.
Pauvres cousins !

Son faucon lui a entaillé le bras au cours d'une chasse, continue-t-elle, ce qui signifie que madame est plutôt noble, avant de désigner cette vilaine cicatrice à sa hanche, qu'elle explique avoir été causée par un.. tir de balle ?! Lors d'une embuscade, après avoir voulu assaillir un navire marchand ? Excitée comme une puce, j'en oublie que quelques autres dames se relaxent un peu plus loin et m'exclame sans retenue :

T'es une pirate ?!

Pirate et noble.. ? Je dois avoir mal compris quelque chose mais qu'importe ! C'est exactement ce genre d'histoire que j'aime entendre, que j'aimerais vivre. Pour une femme, elle semble effectivement avoir vécu des tas de choses mais contrairement à moi, son corps garde les marques de ces expériences - ce qui semble d'ailleurs l'intriguer un peu.
Je n'arrive à retenir un rire amusé en l'entendant suspecter que je sois fille de noble.. madame est perspicace mais même si j'ai envie de la surprendre en lui annonçant qu'elle vient de pincer une Bourbon, je sais que c'est une très, très mauvaise idée ; surtout maintenant que je sais qu'elle fait partie de la cour.
Ça veut dire qu'elle côtoie Victoire, uh.
Victoire et les autres..

Crois-moi, aucun noble ne voudrait de moi dans sa famille ! J'ai un don pour
    me sortir des problèmes, voilà tout.

J'ai surtout un don pour me mettre dans les problèmes, disent certains, mais vu que je ne suis plus tout à fait humaine,  je ne crains plus grand chose.
Par contre, je n'ose pas imaginer comment se seraient terminées certaines de mes mésaventures si j'étais restée une jeune femme frêle et fragile..
D'ailleurs, encore récemment..

Ah ! Par exemple, un duc m'a récemment agressée sans raison valable ! Il m'a
    fait mal, m'a traitée de catin et menacé de me faire des choses horribles.

Quant à savoir quelles choses exactement, venant d'un homme à une femme, certaines d'entre-elles ne sont pas très compliquées à deviner - je n'ai pas du tout oublié comment il aurait aimé me retrouver dans une ruelle, ce dépravé. Ugh..

Je ne me souviens pas de son nom mais c'était un duc étranger, un suédois.

Haklaxon.. van Kasson.. un suédois qui aime sa sœur et les fleurs et sûrement pas grand chose d'autre, voilà.

Hé bien je lui ai tenu tête et comme tu peux le voir, je m'en suis sortie sans la
    moindre égratignure.

Je croise les bras sous ma poitrine et lève le menton, sourire aux lèvres, plutôt satisfaite de la manière dont cette histoire s'est terminée : à la taverne, à tout raconter à qui voulait bien l'entendre et croyez moi, plein de gens ont écouté ! Mmh ? Oui, bon, les choses ne se sont pas exactement déroulées comme je les raconte mais ce n'est pas grave, ce vilain bonhomme le mérite bien.

Heureusement, tous les hommes ne sont pas aussi rustres et grossiers que ce duc.. j'ai d'ailleurs passé un bon moment à la taverne avec un très charmant garçon ce soir là, nous avons bien rigolé et il m'a offert quelques verres. Mmh. Je me demande quel genre d'hommes intéressent une femme comme Hélène, tiens ! J'imagine qu'une dame de sa trempe, qui attaque des marchands et des galions, a dû avoir une vie amoureuse très mouvementée.

Sourire en coin et yeux brillants, je décide d'investiguer.

Tiens, tu as aussi eu des aventures.. tu sais.. avec des hommes ?

Trop curieuse, moi ?
Jamais !

Le récit de ma mésaventure semble beaucoup surprendre Hélène, qui connait un duc suédois nommé van Heil. Impossible, s'exclame-t-elle, certaine que ce dernier serait incapable de se comporter aussi grossièrement, mais toutes ces horreurs que j'ai entendues ce jour là ne sont pas le fruit de mon imagination. S'agirait-il de deux nobles différents aux origines communes ? Possiblement. Le nom van Heil ne me dit rien du tout et je suis prête à parier que mon vilain bonhomme se nommait autrement. Plutôt que de continuer de nager dans un incertain gênant, autant lui fournir une description du goujat.
Au moins nous en aurons le cœur net !

Mmh.. c'était un monsieur jamais content aux cheveux blancs.

Sa main se referme ensuite sur la mienne et madame m'offre un compliment, une louange qui m'arrache un petit sourire satisfait : évidemment, que je suis brave ! Ça a toujours été le cas, même si ma famille me disait plutôt téméraire. Quant à mon.. don.. héhé, si elle savait ! Quoi qu'il en soit, elle m'affirme avoir été mariée, au passé.. son mari nous aurait-il quittés ? J'allais évidemment lui demander mais voici qu'elle ose se rire de ma question.

Pas du tout !

Je ris de bon cœur et me venge de sa taquinerie en lui envoyant un peu d'eau au visage : j'ai déjà côtoyé assez d'hommes pour savoir comment ces derniers fonctionnent, après tout, je n'ai besoin d'aucune leçon sur le sujet !

Je me demandais juste quel genre d'hommes font battre le cœur d'une pi.. uh..
Oups, ce mot est proscrit.  D'une fille d'officier maritime au service du sultan.

Difficile toutefois d'ignorer sa mention du devoir des femmes et de l'honneur familial, cet honneur que j'ai bafoué en fuguant la veille de mon mariage.
Je suis désolée, François, maman, tout le monde.
Je suis désolée, mais...

J'ai faillis être mariée aussi, tu sais.

C'est une histoire dont je n'aime pas parler, que je garde habituellement pour moi, mais en l'instant présent, en compagnie de cette ottomane capable de me comprendre et dans l'intimité du bain, j'ai la soudaine envie de la partager.
Pas dans son entièreté, évidemment, des bribes tout au plus.

J'ai essayé de m'y résoudre, j'ai vraiment essayé mais...

Entre mon intonation soudainement moins enjouée et mes yeux baissés, elle n'aura sans doute aucun mal à comprendre que les choses ne se sont pas très bien passées, peut-être même saura-t-elle deviner comment j'ai échappé à ma responsabilité, deviner mes remords et la colère des miens. Je relève la tête et offre un nouveau sourire à l'ottomane, un sourire sans doute un peu forcé mais je n'aime pas me montrer morne et encore moins vulnérable.

Bah ! J'aurais fait une très mauvaise mère, de toute manière !

Avoir des enfants n'a jamais fait partie de mes envies mais si je m'étais mariée j'aurais bien été forcée de porter la descendance de mon cher mari. L'idée de tomber enceinte en elle-même ne me rebute pas mais mes enfants n'auraient à mes yeux été que de nouvelles chaînes, de nouvelles entraves à ma liberté.
J'aurais vraiment, vraiment été une mauvaise mère

Parles-moi de tes enfants ! Ils t'en font voir de toutes les couleurs, je parie ?

Tiens, puisque madame a rempli son rôle et a honoré sa famille en enfantant, je me demande comment sont ses gosses.. s'ils lui ressemblent, je suis prête à parier qu'ils lui en font voir des vertes et pas mûres à chaque jour qui passe !
Je me demande s'ils l'ont suivie jusqu'en France, tiens.

Que c'est drôle de voir l'ottomane embarrassée à cause d'une simple question vis à vis de ses goûts en matière d'hommes ! Je n'aurais jamais imaginé qu'une femme comme elle réagirait de la sorte face au sujet des amours, au contraire, j'étais sûre que ça ne la troublerait aucunement, qu'elle serait sincère et sans doute même amusée ; mais voilà, c'est moi qui suis amusée maintenant !
Quant à savoir si elle est sincère, c'est une autre histoire.. honorable, patriote et pieux ? Qui sait, peut-être est-ce vraiment là son idéal masculin mais je ne peux m'empêcher de trouver sa réponse ennuyeuse.
Où sont les détails croustillants ?!

S'ensuivent alors mes aveux et son réconfort, même si mes parents n'espèrent plus rien en ce qui me concerne ; parce que mon père est mort, parce que ma mère me croit morte et.. ah.. je me demande si elle pense parfois à moi, si elle aimerait que je sois encore en vie ? Parents et enfants souhaitent uniquement que l'on fasse de notre mieux, affirme Hélène, mais à ce niveau, je pense avoir déçu ma maternelle. Si elle n'a jamais été méchante avec moi, au contraire, la pauvre ne cessait de me demander de faire des efforts, ce que je promettais en vain. Elle ne l'a jamais affirmé mais elle a sûrement abandonné tout espoir en moi bien avant mon.. erm.. accident...
Mmmh.. à bien y réfléchir, je crois que oui : malgré ma désobéissance, malgré mes bêtises et crises de colère, je suis sûre qu'elle préfèrerait me savoir en vie.
Ça me fait plaisir et m'attriste à la fois, parce que je suis forcée au secret si je veux continuer de vivre ma vie comme je l'entends mais qu'elle souffre encore à cause de moi.. enfin, à cause de François et moi.
Je serais sans doute une mauvaise mère.
Je suis assurément une mauvaise fille.

Tu as raison.

Hélène croit en tout cas être une mauvaise mère aux yeux de son enfant mais l'entendre parler de son fils m'arrache un sourire : on peut déceler sa fierté et son amour pour ce garçon dans ses mots et je n'ose imaginer à quel point son bout de chou doit lui manquer.
Oh.. !

J'ai encore des tas d'aventures à vivre en France, c'est donc encore un peu tôt pour y songer sérieusement, mais tu sais.. j'aimerais visiter ton pays un jour.

Je ne suis effectivement pas encore prête à quitter mon pays et ce n'est pas un voyage que je peux entreprendre sans mon alpha mais si je pouvais réussir à le convaincre de m'y accompagner un jour, j'en serais très heureuse.
Il y a toutefois une raison pour laquelle je raconte ceci à madame, une raison qui, j'ose l'espérer, saura lui mettre un peu de baume au cœur.

Qui sait, peut-être que j'y rencontrerai ton fils.

Un sourire taquin se dessine sur mes lèvres.

Je lui dirai que sa mère pense à lui tous les jours.

Hélène semble en tout cas avoir quelques questions à me poser, elle aussi, et les réponses à ces dernières me semblent à la fois simples et complexes.

Je vis.. comment dire.. ici et là, sur la route, là où me mènent mes pas ; parfois on me laisse dormir dans un lit ou une étable, parfois je dors à la belle étoile.
Je viens souvent sur Paris.

J'aime voyager aux quatre coins du monde mais mes pas me ramènent assez souvent sur Paris : c'est une ville que j'apprécie, pleine de bons souvenirs.

Je me protège toute seule et je me débrouille comme je peux pour manger, je peux même chasser s'il le faut ! Puis en cas de besoin, j'ai un très bon ami sur qui je sais que je pourrai toujours compter.

Un.. très bon ami, oui, un homme multi-centenaire nommé Boris qui a changé et sauvé ma vie en me transformant, mon maître, à la tête de notre meute, que je ne supporte pas de quitter trop longtemps et vers qui je reviens sans cesse. Entre nous, amitié est tout sauf le bon terme, notre lien est extrêmement fort et n'a rien de commun avec les relations humaines habituelles.

Et toi alors, tu vis où ?

Sur Paris, j'imagine, mais savoir où la trouver si j'ai un jour envie de la saluer serait une assez bonne idée, je trouve !

Hélène doit s'en aller, arrachée à notre conversation par une servante, par ses obligations.. dommage, j'aurais aimé continuer notre échange...
Madame me fait toutefois une offre intéressante avant de se retirer, un travail semble-t-il, et ma curiosité est titillée. Il me faudrait me rendre au palais, par contre, et l'idée de tomber sur la Reine au hasard d'un couloir n'a rien de très amusante.. mmh.. non, même ainsi, aucune chance d'être reconnue : je n'avais pas plus de neuf ans la dernière fois que je l'ai aperçue.
Je n'ai donc aucune raison de refuser .
Parfait.

Promis, que j'affirme en réponse à sa mise en garde, merci à toi et à bientôt !

Je lui offre un dernier sourire et lui fait un petit signe de la main en guise d'au revoir avant de fermer les yeux et me détendre dans l'eau chaude ; juste cinq.. allez, dix minutes, parce que j'ai juré de ne pas rester au bain trop longtemps.
Je reviendrai, en tout cas, ç'aura été une bonne expérience.