« Mais aller là, soyez pas chiens, laissez-moi entrer ! »
« Et puis quoi encore ? Fiches le camp d'ici, le miséreux. »
« Sadie est là-dedans et il m’attend ! »

Bon, il aura eu beau tambouriner des « SADIIIIIIIIIIIIIIE ! » et autres joyeusetés du genre, la seule chose qu’Urbain aura réussi à obtenir, c’est de se faire jeter par-dessus les marches du bâtiment et finir en roulé-boulé sur le sol poussiéreux de Paris.

Aussitôt, il se releva, ne faisant aucun commentaire sur combien les gardes étaient souples te réactifs et se contenta d’épousseter ses vêtements déjà bien en souffrance pour piailler à tue-tête. « C’est ça hein ! Scusez-moi d’être pauvre surtout ! »

Contrarié, il n’aurait pas pu l’être davantage. Il avait eu vent de rumeurs comme quoi le buffet des lieux était divin et il n’aurait pas dit non à chaparder deux ou trois choses pour le plaisir simple d’y goûter. Après tout, même s’il mangeait à sa faim maintenant, on ne changeait pas les habitudes d’un chien errant si facilement.

« Bon, bah puisque c’est comme ça, j’vais aller trainer ailleurs ! » déclara-t-il, comme si cela pouvait intéresser qui que ce soit.

Ses pas, finalement, le menèrent vers le Palais Royal où il réussit à entrer sans trop de problème. La Reine étant au bal – il avait entendu beaucoup de gens en parler -, les gardes du palais étaient un peu plus relâchés. Parfait. L’idée simple de pouvoir juste aller marcher dans les couloirs de marbre était une récompense en soit.

Et s’il pouvait dégoter deux ou trois choses à revendre par la suite, c’était encore mieux. Ça va, quoi, la Reine avait plein de trucs dont elle ne se servait plus, il en était persuadé ! Partager n’avait jamais tué personne.

Après quelques portes poussées et des esquives parfaites pour ne pas se faire voir par les domestiques, Urbain fini sa marche dans une grande pièce où se trouvait ce qui semblait être… Une couronne. Non, c’était LA couronne de France ! Même Urbain avait su faire le rapprochement. Les perles et pierres précieuses de la tiare lui donnèrent immédiatement envie d’aller la voir de plus près.

… Et pourquoi pas de faire sauter une ou deux pierreries… Personne n’y verrait rien, il promettait de ne pas prendre les plus voyantes ! Canif en main et c’était parti pour essayer de déloger une pierre rouge.

Il hésite encore alors que ses pas le conduisent inéluctablement vers la sortie du palais ; le bal est un évènement qu’il ne vaut mieux pas manquer. Surtout lorsque l’on est prince de France. D’autant plus encore que son absence pourrait n’être que trop remarquée. Et si on venait critiquer son absence auprès de la reine ?

Il secoue la tête ; il se refuse à inquiéter sa mère avec des frivolités pareilles.
Pas après ce qu’il s’est passé. Il frémit encore alors que ses oreilles se remémorent le cri de sa tendre mère déchirant la quiétude de la nuit. Il angoisse.

Terriblement.

A tel point que la moindre petite chose le met en alerte.
Un grincement de porte dans la nuit, une voix dans son dos. Basile ne sent pas en sécurité. Il a peur. Pour lui, mais surtout pour sa mère, sa sœur, sa famille. Et si un assassin se terrait au détour du couloir ? Et si un pot de fleur s’écrasait sur lui alors qu’il passe sous une fenêtre ?

Basile essaie de faire bonne figure, mais c’est difficile.

Aussi, lorsqu’il entend du bruit dans la pièce à côté de lui, il sursaute.
L’argenté regarde autour de lui, pris de panique, et franchit la porte la plus proche pour se cacher. Quel idiot avait-il fait de dire aux gardes de le rejoindre en bas. Il aurait mieux fait de se faire escorter.

Il soupire. Nouveau bruit. Derrière lui cette fois. Il se fige un instant avant de déglutir et de se retourner lentement.
Quand il aperçoit un garçon un peu plus loin, tout du moins vu sa carrure et son allure, il retrouve sa respiration. Soulagé.

Qu’est-ce qu’un enfant pourrait lui faire ?
Et il finit par réaliser qu’il ne devrait pas être ici. Pas seul en tout cas. Et pas penché sur la couronne de sa mère. Son petit cœur s’affole ; il faut agir.

« E-Eh ! Qu’est-ce que tu fais ici ? » Il s’approche avec un courage dont il ignore la source, s’arrête à quelques mètres pour constater le larcin. « Mais… tu… tu ne devrais pas faire ça… Ce n’est pas bien et… Dieu te voit alors… »

Mal assuré pour un prince.

Tout concentré qu’il était sur sa tentative de forfait, Urbain n’avait pas entendu l’autre garçon s’approcher – erreur fatale et si bête ! Aussi, lorsqu’une première fois la voix se leva derrière lui, il répondit avec un aplomb tout digne de lui lorsqu’il répondait à ses copains de la rue. « Ça se voit pas ? J’essaie de prendre un truc ou deux… »

Et lorsqu’il réalisa que ça ne pouvait être ni Tristan ni personne de son entourage habituel, Urbain fit parcouru d’un frisson de la tête au pied. « Aaaaah ! »

Il sauta de son perchoir et fit quelques pas en arrière. Ses mains étaient désespérément vides. Il s’était fait avoir en beauté !
Serrant les dents, il fronça les sourcils pour essayer de se défendre, au moins verbalement. « Oui bah Dieu il m’a laissé entrer ici, c’est pas pour rien non plus d’abord ! » A argument idiot, réponse toute aussi idiote, sans doute aucun.

Et puis, les yeux d’Urbain détaillèrent un peu mieux le nouvel arrivant. « Eh… Mais t’es l’imbécile qui s’est mis en travers de mon chemin lors de la Fête du Printemps ! Qu’est-ce que tu fiches ici d’abord ?! »

Son cri le fait sursauter et il recule mécaniquement, comme s'il s'attendait à se faire sauter dessus.
Basile se souvient du récit d'un chevalier expliquant qu'un brigand poussait des cris en attaquant ; une action que beaucoup qualifie de stupide mais, qui, en réalité, peut s'avérer bien pensée. La surprise générée par un cri peut faire baisser la garde de l'adversaire ou détourner son attention.

Mais le garçon, pas plus vieux que lui, ne semble pas enclin à l'attaquer. Pourvu que cela dure.
L'explication avancée par le roux fait cligner les yeux du prince.

« Si Dieu est bel et bien celui qui t'a ouvert les portes de ce lieu, je doute que ce soit pour causer quelques larcins... »

Il sursaute quand le roux le reconnaît. Et à bien y penser, son visage lui revient en mémoire.

« Mais je ne me suis pas... » Il secoue la tête. « Je suis le prince de France. Et toi qui es-tu ? C-comment es-tu entré ? »

Il sait qu'il n'a, à priori, rien à craindre d'un enfant de son âge, mais avec les récents évènements, si même un enfant est capable de s'aventurer jusqu'à la couronne, c'est qu'il y a un sérieux souci de sécurité. Et ça le terrorise.

« T-Tu ne devrais vraiment pas être ici... qu'est-ce que tu cherches ? »

Mais non.
Mais non………………
Mais non !
MAIS NON !

Il ne pouvait pas avoir le Prince de France en face de lui, c’était impossible ! Toute la famille royale était censée être à la fête d’August-machinchose, là, où il n’avait même pas pu passer les premières marches.

Pourtant, c’est forcément quelqu’un d’important pour être ainsi au palais royal. Alors, cachant son coutelât dans son dos (comme si cela pouvait l’aider), la première idée d’Urbain est de… simplement gueuler comme un putois et de crier à l’imposteur. « Tu-Tu mens ! Un Prince de France, ça resterait pas tout seul d-d’abord ! » Eh, ça marchait sur les chiens errants d’où il habitait avant avec sa mère, pourquoi pas là ? « Je donne pas mon nom à un menteur, nah ! »

Vite, continuez à se trouver un alibi. « Et euh…  Je cherchais rien je m’ennuyais, c’est tout ! »

Rien de plus, rien de moins.

Basile sursaute, ayant un mouvement de recul alors que l’enfant se met à hausser le ton. Il n’a pas peur mais le fait de l’entendre presque hurler le fait un peu perdre ses moyens. Il déglutit et regarde mécaniquement autour de lui, comme si c’était lui le fautif.

« D-du calme enfin ! »

Et au triste constat qu’il fait au sujet de sa solitude, le jeune prince ne peut que se pincer les lèvres, baissant les yeux. Oui, il est seul. Il se sent seul. Mais il ne peut pas se montrer faible, ce n’est pas ce qu’on attend d’un prince de France. Il doit être à la hauteur.

Basile redresse la tête, puisant dans un courage pourtant maigre afin de rejoindre l’enfant et poser sa main sur sa bouche. Son index est pressé sur ses propres lèvres pour lui intimer le silence. Comme si sa main ne suffisait pas à le faire taire. Mais le prince panique, ne réfléchit pas.

Si son maître d’armes le voyait…

« N-ne crie pas, ou les gardes vont venir t’attraper ! »

Le cœur tambourinant, il semble retenir un instant son souffle, les yeux rivés sur la porte dans la crainte de la voir s’ouvrir. Et il ignore totalement ce qui le pousse à agir de la sorte alors que le roux s’apprêtait à dégrader la couronne de sa mère.

Il pose son regard sur lui, incertain de la suite des évènements.

« Je ne suis pas un menteur… » Il semble vexé mais triste à l’idée qu’on le prenne pour un imposteur. « Tu tues souvent l’ennui en t’infiltrant dans le palais, toi ? Tu prends beaucoup de risques pour t’occuper… C’est qui le menteur ? » Il regarde la couronne de sa mère, puis lui. « Le vol est un crime puni de mort… En tant que prince, je suis contraint de te dénoncer… »

Mais il a peur de le faire. Réaliser qu’il pourrait causer la mort de quelqu’un de son âge, ça le terrorise.

… Ah. Bon, visiblement, sa vaine tentative n’avait pas fonctionné. C’était très embêtant, ça. Ça marchait bien avec les gamins de la rue mais pas avec lui. Il était vraiment prince, alors ?! Urbain commença à regretter tout ce qu’il avait fait jusque-là. « C’est que… »

Il avait l’air de bien connaître les tenants et les aboutissants de toutes les règles stupides édictées au Palais, en tout cas. Tout correspondait, c’était encore plus embêtant, du coup. « Je peux pas mourir ! Je dois m’occuper de ma mère et prendre soin d’elle ! T’as pas le droit de me condamner alors que j’ai rien volé, d’abord ! » Essayer, ça ne veut pas dire réussir et s’il n’a pas réussi, techniquement il n’est coupable de rien, pas vrai ?

Il allait tenter une autre approche, la négociation. « Si… Si j’te donne mon prénom, tu veux bien faire comme s’il ne s’était rien passé ? En échange, je promets de sortir de la salle et de m’en aller si tu veux. » Ah ça, pour essayer, il essayait…

Basile s’en veut d’avoir recours à un tel discours ; la triste réalité de sa condition ne l’en frappe que davantage. Un jour il sera certainement amené à condamner des vies, et cette simple pensée l’ébranle. Plus encore quand le roux l’accuse de vouloir le tuer sans raison. Comment fait sa mère pour discerner le vrai du faux ? Condamner un innocent serait une véritable tragédie.
Est-ce que les représentants de la loi appliquent justement les décrets royaux ? Ou en abusent-ils ? Basile l’ignore, et ça l’effraie d’autant plus.

Le jeune prince s’apprête à répondre enfin à son vis-à-vis mais sa proposition le fait cligner des yeux. Il ne peut réprimer un petit sourire bienveillant et soulagé. Il peut bien fermer les yeux ; après tout, rien n’a été dérobé. Et il n’a concrètement rien dans les mains qui puissent attester d’un vol.

« J’accepte ta proposition. Mais je ne peux pas te laisser sortir tout seul… Si les gardes te voient, ils risquent de t’attraper. Au mieux, tu seras jeté dehors, mais je crains qu’ils ne t’enferment dans les geôles. » Il risque un coup d’oeil vers lui. « Et… j’ai cru comprendre que tu ne pouvais pas laisser ta mère de côté. »

Lui aussi serait capable de prendre des risques s’il s’agissait de prendre soin de sa tendre mère.

Il réfléchit déjà à l’itinéraire le plus approprié pour le faire sortir sans trop attirer l’attention.
Peut-être aurait-il plus de chance tout seul qu’accompagné du prince. Mais Basile craint qu’il ne s’égare, volontairement ou non.

« Nous pouvons rejoindre les quartiers des domestiques, tu devrais sortir plus aisément par là. »

Il finit par hésiter un moment.
Basile a de nombreuses fois entendus les adultes s’échanger des faveurs. Un service pour un service, c’est toujours utile. Mais le prince peut-il seulement s’amuser à demander des faveurs au premier venu ? Il ne sait même pas quoi demander. Que pourrait-il obtenir d’un garçon qui doit certainement voler pour pouvoir acheter de quoi manger ? Dieu le punirait de vouloir profiter d’un des sujets de sa mère.

« J’espère que l’envie de t’infiltrer ici une troisième fois ne te reprendra pas… »

« Pfff, ça va j’ai bien compris que les lieux étaient pas amusants de toute façon, j’y remettrais plus les pieds sans bonnes raisons, nah ! » Bon, il fait les durs, joue les grands sans peur mais en réalité, Urbain est soulagé. Il commençait déjà à sentir une sueur froide le long de son dos.

« Mais… Merci quand même. » Visiblement, l’argument de sa mère avait fait mouche. Alors comme ça même les petits princes pouvaient se laisser amadouer par ce genre de discours ? Urbain se sentit un peu plus sympathisant pour son vis-à-vis. S’il comprenait qu’une maman c’est précieux, c’est que ce n’était pas un mauvais bougre alors !

« Tu veux bien me guider, du coup ? » Il préférait. Et puis être vu avec le prince pourrait lui faire un bon bouclier, par la même occasion. Rangeant son coutelât, Urbain se rapprocha de Basile… Et constata avec horreur que le damoiseau était plus grand que lui. Bon, pas de beaucoup, mais même ! Son égo le prit mal.

C’était pas juste !

Le palais, pas amusant ?
Oui, sans doute. Basile ne peut pas vraiment le nier. C'est un environnement bien cruel, à bien y regarder. Les songes du prince s’égarent un bref instant : ce garçon et lui ont-ils seulement la même définition de ce qui est amusant ou non ?

Basile est peut-être riche d’argent, de vêtements, de tout ce qui est matériel, mais son comparse semble riche d’autre chose. De liberté sans doute.
Il le sort de sa légère torpeur par ses remerciements ; Basile en est surpris mais ne peut s’empêcher d’afficher un sourire bienveillant.

Il a pu aider quelqu’un.
Mais il ne pourrait le faire avec tout le monde, c’en est certain.

« Certainement. Suis-moi. »

Quand il s’approche, Basile s’apprête à s’élancer mais en voyant sa mine, il reste interdit. C’est fugace, et avec le manque de luminosité, il n’est pas certain de ce qu’il a vu ; l’enfant en face de lui serait-il… agacé ? Non, ce doit être autre chose. Mais Basile ne parvient pas à mettre le doigt dessus.

« Est-ce qu’il y a un problème ? »

Le prince penche la tête sur le côté en l’observant de plus prêt. Ses yeux s’arrêtent naturellement sur la balafre qui déchire son visage enfantin. Il déglutit alors, ses pensées l’amenant forcément à imaginer la douleur qu’il a dû ressentir à ce moment-là. Peut-il seulement demander ce qu’il a eu ? Est-ce correct ?

Il réalise soudain un détail alors qu’il reprend sa marche pour le guider à travers les couloirs.

« Oh, mais j’y pense… tu ne m’as toujours pas dit ton nom. Je vais devoir t’en trouver un sinon. »

L’idée l’amuserait assez, à vrai dire.

Urbain ne se fit pas prier pour suivre docilement le prince. Mais lorsque ce dernier lui posa une question sur son état d’esprit, il ne put s’empêcher de sortir les crocs et essayer, sinon de mordre, au moins de japper très fort. « Nah, tout va BIEN ! » Ne jamais montrer à l’autre que l’on a une contrariété ou que l’on a peur.

Un peu pareil pour les bêtes sauvages, son père lui avait toujours dit de ne jamais tourner le dos à une bête sous peine de se faire dévorer. Donc, ne pas montrer ses faiblesses, en somme. Il supposait que ça s’appliquait aussi aux nobles puisque c’est ça qui lui avait permis de survivre jusqu’ici.

Il se rendit compte alors, pas tout seul encore une fois, qu’il avait oublié d’honoré sa promesse. « Urbain. Et toi ? » Il connaissait son rang, mais pas son nom. Ça le mettait en position de faiblesse quelque part, mais peu importe. Il avait accepté le négoce et ne reviendrait pas dessus.

Toutefois, les yeux du petit prince sur sa cicatrice ne lui avaient pas échappé.« Ahah, tu veux que j’te raconte comme c’t’arrivé ?! Tu vas avoir vraiment très peur ! » Il gonfla ses poumons, comme pour se donner une constance.

Basile n'insiste pas quand il se fait -presque- aboyer dessus.
Il tend les mains en signe d'abandon pour appuyer sa volonté de ne pas le questionner davantage à ce sujet. Bien que le roux se soit calmé et ait rangé son petit couteau, il n'en demeure pas moins armé. D'autant qu'il ignore ses capacités dans le maniement de ce couteau. S'il a commis beaucoup de larcins, il doit être bien habile...

« Urbain... c'est un prénom que je n'avais encore jamais entendu je crois. » Il tourne la tête vers lui, quelque peu surpris qu'il ne connaisse pas son nom. Mais il n'est pas vexé pour autant. « Basile. »

Il se sent un peu rougir de honte lorsqu'Urbain remarque son coup d'oeil sur sa cicatrice et lui en fait part. Basile fait une petite grimace, prêt à s'excuser pour son indiscrétion. Mais Urbain propose plutôt d'en parler, à sa grande surprise. N'est-il pas complexé ? Visiblement non... Dire que, lui, est parfois complexé lorsqu'il doit parler des circonstances de sa blessure à la jambe...
Décidément, Urbain lui enseigne bien des choses, mine de rien...

« T-très peur ? » Il secoue la tête pour se donner du courage. « Qui t'a fait ça ? Est-ce que tu as encore mal ? Raconte-moi ! »

Fier comme un jeune coq, Urbain est tout content de l’effet qu’il provoque chez ce fameux Basile. « Eheh, crois-moi mon gars, tu t’attendras pas à la finalité ! »

Il s’éclaircit ensuite la gorge et commence à narrer rapidement le contexte de sa mésaventure. « C’était y’a… Quatre ans j’crois. Mon père m’avait emmené avec lui en mission car ma mère devait se reposer et on est parti près d’Orléans. Mon père devait protéger quelque chose… Ou quelqu’un, j’me souviens plus bien. Mais je m’ennuyais. J’ai fait un tour près de là où on était logé et j’ai vu une très grande demeure, magnifique ! Le genre de chose qui fait rêver quoi ! C’était une maison de nobles. J’ai juste voulu aller jeter un coup d’œil dans les jardins. » il jette un regard amusé à Basile, guettant sa réaction.

« Mais un domestique m’a vu et il a jeté les chiens de la propriété sur moi, GNARK ! L’un d’eux a planté ses crocs dans ma joue et voilà comment j’en suis arrivé là ! » Il n’a plus mal aujourd’hui mais il sait bien que sa cicatrice laisse perplexe pas mal de monde. « Heureusement, une jolie dame m’a soigné… » Il se demandait s’il la rêverait un jour, d’ailleurs. « Je l’épouserai un jour ! »

Un coq.

Basile est attentif à l'histoire d'Urbain ; à l'image d'un enfant en rencontrant un autre, toute son attention est tournée vers lui. Et bien qu'il continue à le guider dans les couloirs qu'il connaît comme sa poche, il n'est pas bien prudent quant à l'éventualité d'être vu ou de bousculer quelqu'un.
Captivé par son récit, lorsqu'il évoque Orléans, il se dresse mentalement une liste de tous les nobles y possédant demeure ou terres. Lorsqu'Urbain évoque les jardins et son désir d'aller visiter, Basile ne peut réprimer un petit sourire. Il est foncièrement le même à ce niveau. Toujours très curieux.

Il sursaute quand il imite la morsure du chien et son regard, horrifié, se pose sur le visage mutilé du garçon. Les images du désastre s'imposent d'elles-mêmes à son esprit riche d'imagination.

« Quelle horreur... ! I-il aurait pu t'arracher le visage ! » Il se sent aussi triste qu'embêté. « T-tu vois, ce n'est pas prudent de t'aventurer chez les gens comme ça... »

Urbain évoque alors une dame l'ayant soigné. Basile redresse la tête, clignant les yeux. Le prince énumère les différents éléments apportés par le roux et l'observe avec beaucoup de surprise et de curiosité.

« Oh... elle était comment ? Je la connais peut-être. » D'autant qu'une femme en mesure de soigner une blessure pareille, ça ne doit pas courir les rues. « Peut-être que c'était ma cousine Diane... ? »

Le monde serait vraiment petit dans ce cas.

Il était ravi, mais alors totalement ravi de l’effet qu’il avait sur son vis-à-vis. Comme ça, il passait pour une personne sans peur et qui pouvait bien se battre avec n’importe quel cabot des enfers sans rien craindre des conséquences !

… Bon, évidemment, il avait passé les détails au sujet des larmes et des pleurs qui lui avait peut-être échappé après la confrontation avec des chiens-là, mais après tout, l’autre n’avait jamais demandé de détails… détaillés. Il garderait donc ça pour lui, point final. « Eh oui ! Mais bon, heureusement que j’ai du courage à revendre ! »

Non, ce n’était pas du mensonge.

Toutefois, Basile surprit Urbain par ses questions. Il eut un doute. « Comment ça ta cousine ?! C’pas possible, j’étais pas sur un territoire royal ! » Bon, techniquement la France entière est un territoire royal, mais pour Urbain, c’était toujours très pragmatique. Il n’avait pas vu de symbole de couronne alors forcément, ce n’était pas un endroit de la royauté, point final.

Mais puisqu’il aimait lui-même se souvenir de la belle dame, il laissa un grand sourire dérider son visage et tordre sa cicatrice. « Elle était blonde avec de beaux cheveux longs, des yeux bleus et une douceur d’ange ! » Il continua à détailler ses souvenirs avec précisions – du moins autant que possible, jusqu’à terminer avec un élément qui pour lui avait son importance. « … Et elle avait une poitrine énoooorme ! »

Bon, l’exagération ne faisait pas de mal, surtout si c’était pour se vanter. C’est qu’il commençait à y prendre goût, à susciter l’intérêt de Basile.

Basile est surpris par l'exclamation d'Urbain et regarde autour d'eux, un peu affolé à l'idée que ses cris puissent alerter inutilement la garde. Le jeune prince plaque sa index sur sa propre bouche et attend un peu, retenant sa respiration comme si cela pouvait faciliter son écoute des alentours.

Il expire, une fois certain de ne pas avoir entendu les cliquetis des armures se rapprocher. Il regarde Urbain, effaré de le voir si… insouciant ?

« Attention enfin… »

Aux descriptions du garçon, Basile hoche doucement la tête ; la description colle parfaitement aux traits de Diane. Mais quand Urbain évoque la taille de la poitrine de sa cousine, Basile s’empourpre violemment et panique un peu, agitant les mains dans le vide pour le faire taire pour finalement les plaquer sur ses oreilles.

Seigneur, quelle impudence !

« C-c’est bon, c’est bien elle ! M-Mais par pitié, ne… ne parle pas aussi légèrement de sa poi-… » Il vire pivoine. « D-de ça ! C-ce n’est pas respectueux e-et… Seigneur, pardonnez-moi ces pensées impies. »

Le prince joint ses mains dans un signe de prière, souhaitant sincèrement ne pas être puni pour avoir parlé et songé aux formes voluptueuses de sa cousine. Basile regarde Urbain qui… ne semble pas bien gêné lui. Comment fait-il pour aborder un tel sujet sans même rougir de honte ?

« D-Diane est la dame de compagnie de Mère, et aussi notre cousine a-alors… je te prierai d’être plus courtois. S-surtout si elle t’a soigné ! »  Finalement, Basile réalise une chose et regarde alors Urbain. « On dirait que tu as l’art et la manière de te faire secourir par les nobles… Tu fais tant de bêtises que ça ? »

Il n’ose pas le formuler mais il a la question sur le bord de ses lèvres : sa mère ne s’inquiète-t-elle pas ?

Ohlalala mais ce qu’il était susceptible, celui-là ! Les princes étaient tous comme ça ? Ou c’était que lui ? Urbain le regarda avec un air dépité. « Oh ça va, retire une bûche, je ne faisais que des compliments, c’tout. » C’est vrai ça, son père faisait bien souvent des compliments pareils à sa mère ! Bon… Il est vrai que cette dernière lui filait surtout des coups de torchons en représailles, mais ça ne l’empêchait pas de rire un peu quand même en dépit de sa volonté à vouloir faire croire le contraire.

« C’est bon, je ne dirais plus rien si c’est ça, pfff ! » Lui ? Vexé ?  Absolument pas ! « Et pour ta gouverne, je ne me fais pas souvent sauver par des nobles. Ce soir c’était juste parce que j’ai manqué de discrétion. J’ai retenu la leçon, point ! » Et comme il ne pouvait pas s’empêcher de sur-enchérir, il rompit bien vite son serment de lui-même. « De toute manière, le meilleur, c’est Sadie et il est même pas noble ! » Au service d’un noble, peut-être, mais ça ne comptait pas !

Son regard se posa ensuite sur les lieux alentours. « On est bientôt arrivés à l’aile des domestiques ? » Il ne l’avait pas perdu exprès au moins, hein ?

Urbain ronchonne, et Basile le regarde du coin de l’œil.
C’est un garçon très… simple et très spontané. Il l’envie un peu à vrai dire. Cet enfant respire la liberté. Bon et peut-être autre chose mais Basile ne préfère pas s’attarder sur ces détails. Urbain est aussi plutôt bavard ; la seconde qui suit sa volonté d’être discret, il en remet une couche.

Basile imagine déjà toute la fatigue qu’il pourrait ressentir après une journée entière à ses côtés. Mais ce n’est pas comme s’ils allaient se revoir, pas vrai ?
Ce qui remet en question la faveur qu’il lui devra pour l’avoir tiré du château sans passer par la case geôle et punition corsée.

Basile hausse les épaules à ses propres songes ; est-ce que ça a vraiment de l’importance au fond ? Urbain n’était pas armé de mauvaises intentions s’il souhaitait pouvoir aider sa mère par la suite. Dieu lui pardonnera, c’est sûr.

« Sadie ? Ce n’est pas un nom de fille ça ? »

Sa remarque suivante lui fait relever le nez quant à leur position.
Basile observe autour de lui et hoche la tête.

« Oui, on est bientôt arrivés. » Dans le fond, il ne sait pas très bien s’il a envie de le laisser partir. Il n’a pas l’air bien méchant après tout. Juste exubérant. Bien plus que lui en tout cas, mais ce n’est pas bien compliqué. « Je ne pourrais pas t’accompagner très loin dehors. Tu te souviens par où tu es entré ? Je pourrais te montrer le chemin mais je n'aurai pas le droit d’aller plus loin. »

Rapidement, à la mention du nom de Sadie, Urbain s’agace. « Mais pas du tout ! T’es trop bête ! Pffff. Sadie c’est pas une fille d’abord, il est grand, il est fort et c’est lui le meilleur, c’est tout ! Je paris qu’aucun garde de ta mère ne lui arrive à la cheville, nah ! » A-t-il seulement conscience de la portée de ses mots ? Probablement pas. Urbain a toujours vécu comme ça, sans prendre le temps de s’arrêter sur la trop forte bien présence. Il vit comme le faisait son père, après tout.

Les couloirs se faisaient un peu moins richement décodé, ce qui encouragea Urbain à penser que Basile lui disait la vérité. « T’inquiètes donc pas pur moi, je gère ! Je suis déjà rentré par les jardins alors trouver mon chemin ne sera pas bien compliqué. »

Mais quelque chose interpellait le garçon des rues. « Tu voudras que je revienne ? Pour jouer avec toi la nuit ? » Après tut, l’escalade ça n’avait plus de secret pour lui. « Bon, faudra que ça corresponde aux venues du prince à Paris, mais moi ça me gêne pas. J’pourrais même te présenter mes copains, si marcher te fais pas peur ! » Après tout, avec un peu de bonne volonté…

Basile retrousse légèrement le nez face aux propos d’Urbain ; il ignore tout bonnement qui est ce Sadie, mais il doute qu’il soit plus fort que Scar ou Aimable. Ses références en matière de force. Bien qu’ils soient encore nombreux parmi les chevaliers.
Mais il ne pipe pas un mot ; ce serait bien puéril et inutile, pas vrai ? Et il se doit d’être mature.

Aux commentaires suivants, Basile ne peut réprimer un sourire en coin ; Urbain semble aimer se faufiler où il n’a pas le droit d’aller. Le prince envie quelque peu ce courage qu’il n’a pas. A moins que ce ne soit pas une question de courage… ?

Basile se résigne déjà à l’idée de voir partir Urbain, pour ne plus jamais le revoir. Mais c’est sans compter sur la proposition du roux. Le prince relève le nez, surpris mais en même temps touché. Compte tenu de son titre, on se refuserait sans doute volontiers à l’inviter de crainte que quelque chose tourne mal.

« Tu… tu ferais ça ? Mais… c’est dangereux pour toi, et… et si jamais tu te fais attraper et que je l’ignore ? Je ne voudrais pas que… » Il s’arrête, se mordille la lèvre. « Oui… ça me ferait plaisir que tu reviennes. »

Il rougit, un peu honteux d’avouer à demi-mot qu’il n’a finalement aucun ami. Son courage soudain titille sa malice et il affiche un petit sourire.

« E-et puis tu m’en dois une, tu te rappelles ? Il faudra tenir ta parole, promis ? »

Et il lui tend la main. Une promesse enfantine.
Non, une promesse d’hommes.

A vrai dire, il n’avait pas pensé une seconde que Basile accepterait sa proposition. Qui, au sein de la haute-noblesse – le prince Aydos faisant figure d’exception – accepterait de trainer avec une personne du peuple ? Urbain s’était préparé à une réponse négative pour mieux filer rapidement avant de risquer de se faire prendre comme un rat.

Mais Basile accepta. Et remis même sur le tapis qu’Urbain lui en devait une, ce qui ne manqua guère de faire rire l’adolescent. « Ahah ! j’t’aime bien en fait, tu m’fais rire, ru parles comme les gens du port ! » C’était un peu vrai, après tout.

Mais en voyant cette main devant lui, le roux ne put s’empêcher de la saisir et la secouer –sans doute trop – vigoureusement. Ça lui rappelait comment son père acceptait des contrats et il était trop heureux de pouvoir l’imiter. « Ahah ! Très bien alors, à charge de revanche ! »

Et à ces mots, il partit rejoindre les montants des barrières pour les escalader comme un écureuil avant de sauter par-dessus le haut du métal et d’atterrir sur ses pieds de l’autre côté. Un vrai travail d’athlète ! Avant de quitter définitivement les lieux, il fit un signe de main à Basile. « A plus tard ! »

Et le voici parti.