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Dim 17 Oct - 22:03
Dîner aux chandelles |
De leurs retrouvailles, il se souvenait de tout. Son esprit avait fait le choix de ne pas omettre le moindre détail de cette soirée. Et alors qu’il pensait que cela l’agacerait profondément qu’un fantôme du passé soit revenu dans sa vie, bien au contraire, l’idée n’était pas déplaisante puisqu’il s’agissait d’Iso. Enfin, du Prince Isandro d’Espagne. Depuis qu’il s’était invité chez lui, Laurent se manifestait davantage, bien que Guillaume désire plus que tout le brider. Il ne pouvait décemment pas perdre le contrôle face à lui, à cause d’un simple homme étranger. Pourtant, les nuits où il rêvait et s’en souvenait, bien souvent il voyait le teint hâlé de l’espagnol, son sourire plein de chaleur et ses yeux remplis de désirs. Il se réveillait souvent halenant, le corps en sueur, se détestant de subir ce Laurent qu’il avait créé de toute pièce et qui avait su plaire au Prince. Et quand bien même son retour dans sa vie était source d’angoisses et de souffrances, une part de lui répétait inlassablement dans son esprit ce qu’il était pour lui selon ses dires : un allié.
Le Duc était apparu bien trop faible à son goût, il fallait se rattraper, dominer le Prince, lui rappeler qui il était devenu et qui il n’était plus. Alors, aussi surprenant que cela puisse paraître, il fit un pas vers lui en lui envoyant une invitation, pour un dîner dans ses appartements parisiens. Il savait qu’il resterait un certain temps à la cour, après le bal d’Augustine, histoire de se remettre de ses émotions avant de retourner se cacher dans ses terres de Bourgogne. Et quelles émotions ! Sa main à couper que le Prince voudrait d’ailleurs qu’il lui parle en long en large et en travers de cet événement qu’il avait raté. Voilà donc une bonne occasion de l’inviter, dans les règles de l’art, plutôt que de le voir débarquer au moment le moins propice, sous prétexte qu’il est un invité royal de la France et qu’il mérite les meilleurs égards. Et puis, étrangement, écrire cette missive à son adresse ne lui parut pas aussi éprouvant que toutes les autres lettres qu’il écrivait quotidiennement… Satané Laurent, beaucoup trop présent !
C’était le fameux soir. A dix-neuf heure précise, l’Espagne envahirait la Bourgogne. Cette dernière s’était préparée à la guerre. Rizo n’avait rien oublié de leurs échanges, le soir des retrouvailles. Il savait comment charmer « son allié ». Alors ses instructions avaient été nombreuses et particulières. Néanmoins, plus rien ne pouvait surprendre ses serviteurs, habitués à ses coups d’éclats comme à ses longs moments de solitude, à ne pas vouloir être dérangé sous aucun prétexte. Ainsi, lorsqu’il leur demanda de créer un chemin à l’aide d’un luxueux tapis rouge qui mènerait jusqu’à leur table pour le dîner, personne ne crut à une blague. Ils accueillaient un Prince qui avait mis le doigt sur l’hospitalité douteuse du Duc… Ce dernier s’était senti vexé, quand bien même il se réconfortait en se répétant que l’espagnol s’était invité chez lui sans le prévenir et qu’il était épuisé… Tout comme ce soir. Le bal d’Augustine l’avait vampirisé, entre les poules qui caquetaient, la présence de Titi, la danse catastrophique avec Sa Majesté, la stupidité de sa nouvelle voisine ottomane, la nouvelle de l’ouverture des frontières à la Suède… La crise de nerfs n’était pas très loin !
Jusqu’au dernier moment, il était resté assoupi dans son bain, dans l’espoir de retrouver des forces. Il se sentait encore plus groggy, ce qui n’arrangea pas ses affaires. Avec lenteur, mais beaucoup de soin, il s’était vêtu et coiffé. Ses boucles étaient particulièrement jolies ce soir et il les regarda presque avec regret. Sans doute, elles donneront envie à Isandro de les tripoter. Si l’espagnol en avait envie, il ne se priverait pas pour le faire. Cette idée fit rire Laurent mais agaça profondément Guillaume, qui soupira et quitta sa chambre, dans l’attente de son invité. Il vérifia avec ses domestiques que le vin coulerait à flot, à la demande du Prince, que les mets seraient exquis et une représentation parfaite de ce que l’on fait de mieux en Bourgogne et puis… Il n’avait pas oublié les fameuses pâtisseries qui lui feraient plaisir. Un frisson le parcouru. Ce n’était pas simplement Laurent qui avait parlé dans son esprit, mais Guillaume, en chœur. Vite, vite, il fallait songer à autre chose !
- N’oubliez pas d’inviter le Chevalier d’Almendra à souper dans le petit salon. Hors de question qu’il attende de nouveau Son Altesse dans les rues de Paris.
Ce n’était que la troisième fois qu’il répétait cet ordre, mais inlassablement les serviteurs hochèrent la tête, signe qu’ils avaient compris. Un dernier regard dans le miroir pour arranger ses cheveux et l’on annonça l’arrivée du Prince. Ce dernier fut mené jusqu’à la pièce où ils passeraient la soirée en tête-à-tête, comme deux alliés, comme deux amis. Quel effet ferait le tapis rouge sous ses pieds, cette belle attention rien que vous lui ?
- Votre Altesse, merci d’avoir accepté mon invitation. L’accueillit le Duc, avant de claquer des doigts pour que l’on débarrasse le Prince de tout ce dont il n’aurait pas besoin pour dîner.
Le Duc était apparu bien trop faible à son goût, il fallait se rattraper, dominer le Prince, lui rappeler qui il était devenu et qui il n’était plus. Alors, aussi surprenant que cela puisse paraître, il fit un pas vers lui en lui envoyant une invitation, pour un dîner dans ses appartements parisiens. Il savait qu’il resterait un certain temps à la cour, après le bal d’Augustine, histoire de se remettre de ses émotions avant de retourner se cacher dans ses terres de Bourgogne. Et quelles émotions ! Sa main à couper que le Prince voudrait d’ailleurs qu’il lui parle en long en large et en travers de cet événement qu’il avait raté. Voilà donc une bonne occasion de l’inviter, dans les règles de l’art, plutôt que de le voir débarquer au moment le moins propice, sous prétexte qu’il est un invité royal de la France et qu’il mérite les meilleurs égards. Et puis, étrangement, écrire cette missive à son adresse ne lui parut pas aussi éprouvant que toutes les autres lettres qu’il écrivait quotidiennement… Satané Laurent, beaucoup trop présent !
C’était le fameux soir. A dix-neuf heure précise, l’Espagne envahirait la Bourgogne. Cette dernière s’était préparée à la guerre. Rizo n’avait rien oublié de leurs échanges, le soir des retrouvailles. Il savait comment charmer « son allié ». Alors ses instructions avaient été nombreuses et particulières. Néanmoins, plus rien ne pouvait surprendre ses serviteurs, habitués à ses coups d’éclats comme à ses longs moments de solitude, à ne pas vouloir être dérangé sous aucun prétexte. Ainsi, lorsqu’il leur demanda de créer un chemin à l’aide d’un luxueux tapis rouge qui mènerait jusqu’à leur table pour le dîner, personne ne crut à une blague. Ils accueillaient un Prince qui avait mis le doigt sur l’hospitalité douteuse du Duc… Ce dernier s’était senti vexé, quand bien même il se réconfortait en se répétant que l’espagnol s’était invité chez lui sans le prévenir et qu’il était épuisé… Tout comme ce soir. Le bal d’Augustine l’avait vampirisé, entre les poules qui caquetaient, la présence de Titi, la danse catastrophique avec Sa Majesté, la stupidité de sa nouvelle voisine ottomane, la nouvelle de l’ouverture des frontières à la Suède… La crise de nerfs n’était pas très loin !
Jusqu’au dernier moment, il était resté assoupi dans son bain, dans l’espoir de retrouver des forces. Il se sentait encore plus groggy, ce qui n’arrangea pas ses affaires. Avec lenteur, mais beaucoup de soin, il s’était vêtu et coiffé. Ses boucles étaient particulièrement jolies ce soir et il les regarda presque avec regret. Sans doute, elles donneront envie à Isandro de les tripoter. Si l’espagnol en avait envie, il ne se priverait pas pour le faire. Cette idée fit rire Laurent mais agaça profondément Guillaume, qui soupira et quitta sa chambre, dans l’attente de son invité. Il vérifia avec ses domestiques que le vin coulerait à flot, à la demande du Prince, que les mets seraient exquis et une représentation parfaite de ce que l’on fait de mieux en Bourgogne et puis… Il n’avait pas oublié les fameuses pâtisseries qui lui feraient plaisir. Un frisson le parcouru. Ce n’était pas simplement Laurent qui avait parlé dans son esprit, mais Guillaume, en chœur. Vite, vite, il fallait songer à autre chose !
- N’oubliez pas d’inviter le Chevalier d’Almendra à souper dans le petit salon. Hors de question qu’il attende de nouveau Son Altesse dans les rues de Paris.
Ce n’était que la troisième fois qu’il répétait cet ordre, mais inlassablement les serviteurs hochèrent la tête, signe qu’ils avaient compris. Un dernier regard dans le miroir pour arranger ses cheveux et l’on annonça l’arrivée du Prince. Ce dernier fut mené jusqu’à la pièce où ils passeraient la soirée en tête-à-tête, comme deux alliés, comme deux amis. Quel effet ferait le tapis rouge sous ses pieds, cette belle attention rien que vous lui ?
- Votre Altesse, merci d’avoir accepté mon invitation. L’accueillit le Duc, avant de claquer des doigts pour que l’on débarrasse le Prince de tout ce dont il n’aurait pas besoin pour dîner.
Lun 18 Oct - 0:22
Le retour depuis le duché de Septimanie s’est fait sans encombre, Isandro laissant le soin à l’un des officiels accompagnant le convoi d’écrire une missive au Ministre Perez pour lui faire un compte-rendu de la situation. Après quelques questions posées au Prince, celui-ci a dû apposer quelques phrases encourageantes, Isandro trouvant Agnès de Saint-Louis « agréable ». Le fond de sa pensée il s’abstient bien de la dire et apprécie avoir pu échanger véritablement seul à seul avec la concernée. C’est lorsque les regards ne sont pas pesants que les gens se dévoilent le plus et ce qu’il a vu lui plaît. Originale, elle n’a pas hésité à faire la conversation et a fait preuve de plusieurs traits d’esprit. S’il doit l’épouser il ose croire qu’il ne s’ennuiera pas à ses côtés.
Dès qu’il est revenu à la capitale, toutefois, ces pensées ont été reléguées dans un coin. Ce petit espace dans son cerveau occupé par tout ce qui est « nécessaire », « attendu », « obligatoire ». La partie d’Isandro d’Espagne en représentation, bon fils de son père, prince en mission sur le territoire français. Une facette qu’il sait jouer quand il le doit. En attendant de plus amples nouvelles à ce sujet (ce qui ne saurait tarder de ce qu’il a compris), il compte bien profiter de ce que Paris a à lui offrir et des salons de la Cour. S’il n’y est pas toujours bienvenu il ne se laisse aucunement intimider et aime voir la tête de certains se crisper à son arrivée quand d’autres le dévisagent avec une curiosité avide. Il s’en amuse et regrette vraiment ne pas pouvoir gérer son emploi du temps comme il l’entend ! Si cela ne tenait qu’à lui il aurait décalé sa venue en Septimanie pour participer à ce fameux bal d’Augustine dont il a beaucoup entendu parler ces dernières semaines. S’il n’avait pas eu à rencontrer sa promise, sachez bien qu’il y serait allé, brillant et charmant comme jamais !
A peu de chose près cela n’a guère été possible et il est revenu sur Paris trois jours après le fameux bal. De ce qu’on lui a dit, la duchesse de Châtillon fait figure d’originale à la Cour de France avec sa soirée ouverte à tous, sans distinction de naissance. Une curiosité à laquelle il aurait tant aimé participer… En attendant, il a eu de quoi se consoler. Quelques heures après son retour dans son logement gracieusement prêté par la couronne (qui ne se verrait pas d’offenser un prince d’Espagne), un serviteur lui a confié une missive. Le simple sceau a suffi à lui redonner du baume au cœur : le Duc de Bourgogne !
Ainsi, Guillaume s’est langui de lui ? Le souvenir de leur précédent échange lui revient sans mal en mémoire et c’est avec un large sourire sur les lèvres qu’Isandro s’est appliqué à lire le contenu de la missive. Une invitation. Une invitation en bon et due forme, à venir diner dans ses appartements. La perspective provoque un fourmillement d’excitation chez le prince. Cet homme est de ceux dont il refuserait d’être séparé à nouveau (même si la décision ne lui appartient pas, il le sait bien). Déjà, des pensées plus ou moins chastes traversent son esprit et il secoue la tête pour les chasser au mieux. A la tournure de la missive, le duc l’invite de manière officielle. A-t-il quelque chose derrière la tête ? La curiosité et l’impatience du prince vont l’occuper les quelques jours le séparant du dîner en question. Il les occupe en entrevues avec des représentants de la couronne pour des questions de transports de marchandises et des accords portuaires. Rien de bien drôle. Heureusement le jour en question arrive assez vite, de même que les produits qu’il a fait venir depuis la Bretagne où de nombreux marchands espagnols sont affrétés.
C’est vêtu comme un Prince – c’est le cas de le dire – qu’il chevauche au côté du Chevalier d’Almendra jusqu’au bâtiment occupé par le Duc. Un moyen de transport risqué, seulement Isandro n’est pas connu pour son goût des carrosses. S’il peut chevaucher, il ne s’en prive pas. C’est d’ailleurs nettement plus rapide ainsi pour arriver bâtiment du Ruban saphir, où résident bien d’autres nobles. Vu l’heure son arrivée est nettement moins discrète que la précédente mais il s’en moque. Il est l’allié du Duc de Bourgogne, que cela soit su ou non, que cela plaise ou non.
Une fois le pied à terre, le Chevalier ouvre les sacoches en cuir accrochées à sa monture et récupère un panier et une bouteille. Puis les chevaux sont amenés par deux jeunes garçons aux étables. Face à la grande porte donnant sur un vaste hall Isandro a un temps d’arrêt et lève la tête. Guillaume réside au dernier étage de ce bâtiment tout en architecture à la française. Un sourire s’installe sur son visage tandis que ses yeux restent rivés sur l’imposante façade.
« Su Alteza, va a llegar tarde ...
- Es porque no esperaba que me invitara tan rápido.
- Siempre haces una fuerte impresión, mi príncipe.
- ¡Adulador! Pero tienes razón, Diego, no hagas esperar a nuestro anfitrión. » (1)
Ils arrivent assez rapidement jusqu’à la porte des appartements du Duc et des serviteurs les accueillent à toute hâte. Cette fois, Isandro comprend bien vite qu’on est loin de la visite à l’improviste de la dernière fois. Tandis qu’il s’avance dans la pièce son regard est rapidement attiré par un tapis rouge et luxueux au sol. Cette vision le fait sourire alors qu’il capte l’échange entre une jeune femme penaude et son chevalier.
« Messire le Chevalier, son Éminence le Duc a tenu à ce que vous puissiez dîner et demeurer au salon tout le temps qu’il faudra. »
L’homme de confiance d’Isandro a une hésitation mais le prince acquiesce d’un signe de la tête, appréciant l’intention envers son chevalier. Un autre serviteur s’avance pour récupérer les objets que détient Diego, celui-ci les lui cède tout en précisant, dans un français nettement moins clair que celui d’Isandro : « Faites très atención. »
Finalement, le prince est invité à suivre le tapis rouge jusqu’à la pièce où aura lieu le repas. Cheminant à grandes enjambées, Isandro ne peut nier que ce cérémonial lui plaît, par le simple fait qu’il a été demandé par Laur-Guillaume. Sa cape rouge foncé claque sur ses talons tandis qu’il marche et assez rapidement il arrive devant une salle dont les portes s’ouvrent à son approche. Au lieu des deux battants : Guillaume. Plus beau que jamais il l’attend et le salue finalement, avec élégance.
« Monsieur le Duc. Comment aurais-je pu refuser ? » Très naturellement sa voix reprend l’intonation toute particulière qu’il a auprès de cet homme tandis que ses yeux glisses sur les boucles blondes qui encadrent joyeusement son visage.
Aidé par un serviteur Isandro défait sa cape et laisse apercevoir sa tenue. Il l’a choisi avec soin. Un long gilet aux motifs floraux brodés d’or et une chemise blanche en satin aux grandes manches bouffantes. Il s’y sent bien et élégant à la fois. Tout ce qu’il lui faut en présence de Guillaume de Bourgogne. Il voit alors un serviteur qui pose sur la table les deux présents qu’il a apporté et fait remarquer : « Un assortiment d’oranges et melons d’Espagne. Des fruits gorgés de soleil et de saveurs, tu m’en diras des nouvelles. » Le tutoiement prend naturellement place quand il s’agit de parler à Rizo.
Il s’approche ensuite de la bouteille sombre qui ne paie pas de mine, de prime abord : « Si cela n’a pas changé, je sais que tu préfèreras ceci aux meilleurs vins d’Espagne. C’est un jus de raisin de Valencia. »
(1) « Votre Altesse, vous allez être en retard...
- C'est que je ne m'attendais pas à ce qu'il m'invite si vite.
- Vous faites toujours forte impression, mon prince.
- Flatteur ! Mais tu as raison, Diego, ne faisons pas attendre notre hôte. »
Dès qu’il est revenu à la capitale, toutefois, ces pensées ont été reléguées dans un coin. Ce petit espace dans son cerveau occupé par tout ce qui est « nécessaire », « attendu », « obligatoire ». La partie d’Isandro d’Espagne en représentation, bon fils de son père, prince en mission sur le territoire français. Une facette qu’il sait jouer quand il le doit. En attendant de plus amples nouvelles à ce sujet (ce qui ne saurait tarder de ce qu’il a compris), il compte bien profiter de ce que Paris a à lui offrir et des salons de la Cour. S’il n’y est pas toujours bienvenu il ne se laisse aucunement intimider et aime voir la tête de certains se crisper à son arrivée quand d’autres le dévisagent avec une curiosité avide. Il s’en amuse et regrette vraiment ne pas pouvoir gérer son emploi du temps comme il l’entend ! Si cela ne tenait qu’à lui il aurait décalé sa venue en Septimanie pour participer à ce fameux bal d’Augustine dont il a beaucoup entendu parler ces dernières semaines. S’il n’avait pas eu à rencontrer sa promise, sachez bien qu’il y serait allé, brillant et charmant comme jamais !
A peu de chose près cela n’a guère été possible et il est revenu sur Paris trois jours après le fameux bal. De ce qu’on lui a dit, la duchesse de Châtillon fait figure d’originale à la Cour de France avec sa soirée ouverte à tous, sans distinction de naissance. Une curiosité à laquelle il aurait tant aimé participer… En attendant, il a eu de quoi se consoler. Quelques heures après son retour dans son logement gracieusement prêté par la couronne (qui ne se verrait pas d’offenser un prince d’Espagne), un serviteur lui a confié une missive. Le simple sceau a suffi à lui redonner du baume au cœur : le Duc de Bourgogne !
Ainsi, Guillaume s’est langui de lui ? Le souvenir de leur précédent échange lui revient sans mal en mémoire et c’est avec un large sourire sur les lèvres qu’Isandro s’est appliqué à lire le contenu de la missive. Une invitation. Une invitation en bon et due forme, à venir diner dans ses appartements. La perspective provoque un fourmillement d’excitation chez le prince. Cet homme est de ceux dont il refuserait d’être séparé à nouveau (même si la décision ne lui appartient pas, il le sait bien). Déjà, des pensées plus ou moins chastes traversent son esprit et il secoue la tête pour les chasser au mieux. A la tournure de la missive, le duc l’invite de manière officielle. A-t-il quelque chose derrière la tête ? La curiosité et l’impatience du prince vont l’occuper les quelques jours le séparant du dîner en question. Il les occupe en entrevues avec des représentants de la couronne pour des questions de transports de marchandises et des accords portuaires. Rien de bien drôle. Heureusement le jour en question arrive assez vite, de même que les produits qu’il a fait venir depuis la Bretagne où de nombreux marchands espagnols sont affrétés.
C’est vêtu comme un Prince – c’est le cas de le dire – qu’il chevauche au côté du Chevalier d’Almendra jusqu’au bâtiment occupé par le Duc. Un moyen de transport risqué, seulement Isandro n’est pas connu pour son goût des carrosses. S’il peut chevaucher, il ne s’en prive pas. C’est d’ailleurs nettement plus rapide ainsi pour arriver bâtiment du Ruban saphir, où résident bien d’autres nobles. Vu l’heure son arrivée est nettement moins discrète que la précédente mais il s’en moque. Il est l’allié du Duc de Bourgogne, que cela soit su ou non, que cela plaise ou non.
Une fois le pied à terre, le Chevalier ouvre les sacoches en cuir accrochées à sa monture et récupère un panier et une bouteille. Puis les chevaux sont amenés par deux jeunes garçons aux étables. Face à la grande porte donnant sur un vaste hall Isandro a un temps d’arrêt et lève la tête. Guillaume réside au dernier étage de ce bâtiment tout en architecture à la française. Un sourire s’installe sur son visage tandis que ses yeux restent rivés sur l’imposante façade.
« Su Alteza, va a llegar tarde ...
- Es porque no esperaba que me invitara tan rápido.
- Siempre haces una fuerte impresión, mi príncipe.
- ¡Adulador! Pero tienes razón, Diego, no hagas esperar a nuestro anfitrión. » (1)
Ils arrivent assez rapidement jusqu’à la porte des appartements du Duc et des serviteurs les accueillent à toute hâte. Cette fois, Isandro comprend bien vite qu’on est loin de la visite à l’improviste de la dernière fois. Tandis qu’il s’avance dans la pièce son regard est rapidement attiré par un tapis rouge et luxueux au sol. Cette vision le fait sourire alors qu’il capte l’échange entre une jeune femme penaude et son chevalier.
« Messire le Chevalier, son Éminence le Duc a tenu à ce que vous puissiez dîner et demeurer au salon tout le temps qu’il faudra. »
L’homme de confiance d’Isandro a une hésitation mais le prince acquiesce d’un signe de la tête, appréciant l’intention envers son chevalier. Un autre serviteur s’avance pour récupérer les objets que détient Diego, celui-ci les lui cède tout en précisant, dans un français nettement moins clair que celui d’Isandro : « Faites très atención. »
Finalement, le prince est invité à suivre le tapis rouge jusqu’à la pièce où aura lieu le repas. Cheminant à grandes enjambées, Isandro ne peut nier que ce cérémonial lui plaît, par le simple fait qu’il a été demandé par Laur-Guillaume. Sa cape rouge foncé claque sur ses talons tandis qu’il marche et assez rapidement il arrive devant une salle dont les portes s’ouvrent à son approche. Au lieu des deux battants : Guillaume. Plus beau que jamais il l’attend et le salue finalement, avec élégance.
« Monsieur le Duc. Comment aurais-je pu refuser ? » Très naturellement sa voix reprend l’intonation toute particulière qu’il a auprès de cet homme tandis que ses yeux glisses sur les boucles blondes qui encadrent joyeusement son visage.
Aidé par un serviteur Isandro défait sa cape et laisse apercevoir sa tenue. Il l’a choisi avec soin. Un long gilet aux motifs floraux brodés d’or et une chemise blanche en satin aux grandes manches bouffantes. Il s’y sent bien et élégant à la fois. Tout ce qu’il lui faut en présence de Guillaume de Bourgogne. Il voit alors un serviteur qui pose sur la table les deux présents qu’il a apporté et fait remarquer : « Un assortiment d’oranges et melons d’Espagne. Des fruits gorgés de soleil et de saveurs, tu m’en diras des nouvelles. » Le tutoiement prend naturellement place quand il s’agit de parler à Rizo.
Il s’approche ensuite de la bouteille sombre qui ne paie pas de mine, de prime abord : « Si cela n’a pas changé, je sais que tu préfèreras ceci aux meilleurs vins d’Espagne. C’est un jus de raisin de Valencia. »
(sa tenue)
début août 1590
(1) « Votre Altesse, vous allez être en retard...
- C'est que je ne m'attendais pas à ce qu'il m'invite si vite.
- Vous faites toujours forte impression, mon prince.
- Flatteur ! Mais tu as raison, Diego, ne faisons pas attendre notre hôte. »
Lun 18 Oct - 22:34
Dîner aux chandelles |
Il ne ressentit pas l’envie de lui faire l’affront d’être lui-même et donc désagréable, à faire la liste de toutes les excuses qu’il aurait pu trouver pour ne pas venir ce soir, mais se pointer un autre à l’improviste. A la place, il détailla du regard la tenue du Prince. Élégant, avec des touches de soleil sur son gilet et des tissus nobles. En comparaison, comme à son habitude, Guillaume paraissait bien sérieux et dans la retenue, vêtu de sombre et de lacet, couvrant parfaitement son corps. Peut-être aurait-il dû faire des efforts en présence de « son allié », mais justement, il craignait qu’un coude dévoilé serait un encouragement à toutes les débauches possibles et imaginables de la part de l’espagnol.
L’un de ses serviteurs posa sous ses yeux des présents du Prince qui les lui présenta aussitôt, profitant de l’occasion pour déjà mettre un terme aux mondanités et le tutoyer. Bien que certains de ses domestiques pouvaient l’entendre parler, le Duc ne s’en formalisa pas. Il savait fort bien qu’ils mettraient cela sur le dos de pratiques étrangères, du sang chaleureux des méditerranéens et tout ce genre de clichés qui arrangeaient fort bien le blond. Il regarda avec envie les fruits. Le Prince devait se souvenir de l’appétit de moineau de son Rizo, préférant picorer des fruits et légumes, plutôt que se goinfrer de barbaque en sauce. Le geste était attentionné. Néanmoins, ce qui lui provoqua une petite sensation de plaisir, c’était bien le fait que dans cette bouteille ne se trouvait pas la moindre trace d’alcool.
- Alors tu t’en souviens…
Son regard s’était perdu dans le vide, tandis qu’avec lenteur, sa main rejoignit la poche de son pantalon. Il y trouva l’objet qu’il avait délibérément placé ici, en s’habillant, songeant à le sortir plus tard pour le montrer à Isandro. Mais ce n’était pas le moment qu’il avait imaginé, alors il le laissa à sa place, pour plus tard.
- Merci pour ces présents, je note qu’ils sont personnalisés.
Quelques instants simplement, il accrocha ses prunelles à celles de l’espagnol, laissant les mots en suspend faire leur travail dans son esprit. Et puis il brisa ce lien et avec un visage plus détendu, presque amical, il se tourna vers les deux jeunes domestiques qui attendaient un signe de leur Duc.
- Nous ferons honneur aux présents de Son Altesse ce soir. Préparez les fruits pour le dessert, quant à la bouteille, laissez-la à table.
L’un était en train de ramasser les fruits pour les mener en cuisine, tandis que l’autre servait au Prince un vin tout droit venu des terres bourguignonnes, avant de déboucher la bouteille offerte ce soir pour son Duc. Durant ce temps, ce dernier invita d’un geste de la main l’espagnol à prendre place, juste en face de lui.
- Assieds-toi, je t’en prie. Dit-il de manière neutre, ce qui était presque amical de sa part, surtout si l’on considérait l’abandon total des vouvoiements lorsqu’il lui parlait directement. Même avec son faussaire préféré, il n’allait pas jusqu’à souiller sa langue en le tutoyant…
Puisqu’il lui avait des remarques piquantes sur sa manière de le recevoir, il attendit que le fessier du Prince soit sur sa chaise pour que lui-même s’asseye. Guillaume regardait sa coupe se remplir et il indiqua au serviteur de ne revenir que pour le plat, qui nécessitait un service, contrairement aux entrées simples à picorer, pour qu’ils puissent converser sans être interrompus. Le jeune homme rejoignit son acolyte en cuisine et le Duc s’empara de son verre, qu’il leva en direction du Prince.
- A ta santé, Prince Isandro.
Et en même temps que lui, il trempa ses lèvres dans son verre. Iso ne s’était pas fichu de lui et s’était parfaitement souvenu de son aversion pour l’alcool. A vrai dire, jamais il n’avait vu Rizo ne serait-ce qu’humer le parfum d’un bon vin. Personne d’autre, non plus. Son dégoût ne l’empêchait pourtant pas d’en fournir à profusion à qui le désirait, pour montrer les qualités de la Bourgogne et de ses vignobles. Ce n’était qu’une affaire personnelle cette haine pour les alcools. Il n’allait pas en priver les autres. En tout cas, le goût en bouche de son présent lui inspira un voyage sur la péninsule ibérique et… très rapidement il chassa cette idée. Et puis quoi encore, son avenir, c’était la tête de la France et rien d’autre !
- Délicieux. Dit-il en reposant son verre. Manges à ta guise, j’ai demandé à ce que tout soit facile à grignoter, pour que nous ne soyons pas interrompus à chaque fin de phrase par un ballet de plat sous notre nez.
La table était garnie de diverses spécialités de France et plus particulièrement de Bourgogne, évidemment : jambon persillé, charcuteries saupoudrées de truffes, sauces à la moutardes de Dijon, il y avait même des escargots cuisinés, tout comme des aliments plus simples tels que des crudités... Le Duc laissa tout le loisir à son invité de garnir son assiette de ce qui lui ferait envie. Quant au blondinet, il n’avait pas faim, pour changer, ainsi il préféra chipoter sur une miche de pain pour le moment et ainsi garder de la place pour les fruits d’Isandro. Et de temps à autre, il retournait au contenu de son verre avec plaisir.
- J’ai entendu parler de ton voyage ? Comment était-ce ?
On pourrait presque croire que tout cela était naturel, néanmoins, la voix d’Edouard ne pouvait s’empêcher de lui chuchoter que c’était loin d’être le cas. Qu’il avait invité son bourreau à sa table, qu’il prenait à tout moment le risque de le froisser et que le Prince révèlerait à Sa Majesté la supercherie derrière Guillaume… Et la voix de Laurent prenait toujours le dessus, avec fermeté, pour lui souffler les deux mêmes mots : ton allié.
L’un de ses serviteurs posa sous ses yeux des présents du Prince qui les lui présenta aussitôt, profitant de l’occasion pour déjà mettre un terme aux mondanités et le tutoyer. Bien que certains de ses domestiques pouvaient l’entendre parler, le Duc ne s’en formalisa pas. Il savait fort bien qu’ils mettraient cela sur le dos de pratiques étrangères, du sang chaleureux des méditerranéens et tout ce genre de clichés qui arrangeaient fort bien le blond. Il regarda avec envie les fruits. Le Prince devait se souvenir de l’appétit de moineau de son Rizo, préférant picorer des fruits et légumes, plutôt que se goinfrer de barbaque en sauce. Le geste était attentionné. Néanmoins, ce qui lui provoqua une petite sensation de plaisir, c’était bien le fait que dans cette bouteille ne se trouvait pas la moindre trace d’alcool.
- Alors tu t’en souviens…
Son regard s’était perdu dans le vide, tandis qu’avec lenteur, sa main rejoignit la poche de son pantalon. Il y trouva l’objet qu’il avait délibérément placé ici, en s’habillant, songeant à le sortir plus tard pour le montrer à Isandro. Mais ce n’était pas le moment qu’il avait imaginé, alors il le laissa à sa place, pour plus tard.
- Merci pour ces présents, je note qu’ils sont personnalisés.
Quelques instants simplement, il accrocha ses prunelles à celles de l’espagnol, laissant les mots en suspend faire leur travail dans son esprit. Et puis il brisa ce lien et avec un visage plus détendu, presque amical, il se tourna vers les deux jeunes domestiques qui attendaient un signe de leur Duc.
- Nous ferons honneur aux présents de Son Altesse ce soir. Préparez les fruits pour le dessert, quant à la bouteille, laissez-la à table.
L’un était en train de ramasser les fruits pour les mener en cuisine, tandis que l’autre servait au Prince un vin tout droit venu des terres bourguignonnes, avant de déboucher la bouteille offerte ce soir pour son Duc. Durant ce temps, ce dernier invita d’un geste de la main l’espagnol à prendre place, juste en face de lui.
- Assieds-toi, je t’en prie. Dit-il de manière neutre, ce qui était presque amical de sa part, surtout si l’on considérait l’abandon total des vouvoiements lorsqu’il lui parlait directement. Même avec son faussaire préféré, il n’allait pas jusqu’à souiller sa langue en le tutoyant…
Puisqu’il lui avait des remarques piquantes sur sa manière de le recevoir, il attendit que le fessier du Prince soit sur sa chaise pour que lui-même s’asseye. Guillaume regardait sa coupe se remplir et il indiqua au serviteur de ne revenir que pour le plat, qui nécessitait un service, contrairement aux entrées simples à picorer, pour qu’ils puissent converser sans être interrompus. Le jeune homme rejoignit son acolyte en cuisine et le Duc s’empara de son verre, qu’il leva en direction du Prince.
- A ta santé, Prince Isandro.
Et en même temps que lui, il trempa ses lèvres dans son verre. Iso ne s’était pas fichu de lui et s’était parfaitement souvenu de son aversion pour l’alcool. A vrai dire, jamais il n’avait vu Rizo ne serait-ce qu’humer le parfum d’un bon vin. Personne d’autre, non plus. Son dégoût ne l’empêchait pourtant pas d’en fournir à profusion à qui le désirait, pour montrer les qualités de la Bourgogne et de ses vignobles. Ce n’était qu’une affaire personnelle cette haine pour les alcools. Il n’allait pas en priver les autres. En tout cas, le goût en bouche de son présent lui inspira un voyage sur la péninsule ibérique et… très rapidement il chassa cette idée. Et puis quoi encore, son avenir, c’était la tête de la France et rien d’autre !
- Délicieux. Dit-il en reposant son verre. Manges à ta guise, j’ai demandé à ce que tout soit facile à grignoter, pour que nous ne soyons pas interrompus à chaque fin de phrase par un ballet de plat sous notre nez.
La table était garnie de diverses spécialités de France et plus particulièrement de Bourgogne, évidemment : jambon persillé, charcuteries saupoudrées de truffes, sauces à la moutardes de Dijon, il y avait même des escargots cuisinés, tout comme des aliments plus simples tels que des crudités... Le Duc laissa tout le loisir à son invité de garnir son assiette de ce qui lui ferait envie. Quant au blondinet, il n’avait pas faim, pour changer, ainsi il préféra chipoter sur une miche de pain pour le moment et ainsi garder de la place pour les fruits d’Isandro. Et de temps à autre, il retournait au contenu de son verre avec plaisir.
- J’ai entendu parler de ton voyage ? Comment était-ce ?
On pourrait presque croire que tout cela était naturel, néanmoins, la voix d’Edouard ne pouvait s’empêcher de lui chuchoter que c’était loin d’être le cas. Qu’il avait invité son bourreau à sa table, qu’il prenait à tout moment le risque de le froisser et que le Prince révèlerait à Sa Majesté la supercherie derrière Guillaume… Et la voix de Laurent prenait toujours le dessus, avec fermeté, pour lui souffler les deux mêmes mots : ton allié.
Lun 25 Oct - 1:01
C’est sans doute précipité mais Isandro se sent heureux. De toutes les invitations auxquelles il a pu être convié, rares sont celles qui lui ont ainsi réchauffé le cœur et donné l’impression d’être véritablement pris en considération dans ce pays ni véritablement allié ni officiellement ennemi au sien (Dieu soit loué). De par son tempérament il n’a jamais vraiment réussi à dissimuler son ressenti et en cet instant le sourire qui brille sur ses lèvres est franc et entier. Le Duc n’aurait pas pu lui faire plus plaisir qu’en l’invitant chez lui aussi vite et avec un tel accueil. On n’est plus dans le simple passage à l’improviste et Isandro est du genre à apprécier les intentions parsemées de luxe.
La tenue de son hôte, toute en sobriété et en touches sombres, aurait pu lui déplaire s’il ne savait pas déjà que cela est sa façon d’être, tout simplement. Guillaume – ou Laurent – n’a jamais été dans l’excentricité et l’opulence. Désormais Duc cela ne semble pas près de changer. Tant pis, Isandro préfère se plonger dans les yeux du bourguignon et les mots qui s’échappent de ses lèvres pour le remercier. Il parait touché par les attentions du prince qui balaie cela d’un simple : « Comment aurais-je pu l’oublier ? » Un serviteur remplit déjà le verre de l’espagnol qui observe cela d’un œil curieux tout en s’asseyant. L’étiquette qu’il lit rapidement lui plaît bien. « Un Côte de Beaune ? Tu fais partie de ces hommes étonnants qui se refusent le plaisir de l’ivresse, mon cher, et pourtant tes terres regorgent de crus divins. » S’il se retient de le dire, Isandro n’en pense pas moins. Quand ils se voyaient à Dijon, le blond n’avait pas besoin de vin pour paraitre ivre. Ivre d’extase et de sentiments qu’il donne l’impression de vouloir désespérément taire, désormais, tout à son ambition et ses rêves de gloire sans limite.
Le Duc s’assied après lui et un serviteur sert pour ce dernier un verre du jus de raisin que le Prince vient d’apporter. Les couleurs des deux verres se confondent presque. Une fois les serviteurs retirés, les voici tous les deux seuls et Isandro en profite pour détailler son vis-à-vis qui lève son verre. Il en fait de même. « A ta santé, Guillaume Duc de Bourgogne. » L’appellation n’est pas encore pleinement naturelle dans son esprit mais gagne du terrain. Il se doit d’admettre que c’est grâce à ce subterfuge et au culot de l’autre homme que le hasard les a fait se recroiser. S’il doit le nommer Guillaume pour que cela continue, il le fera.
Comme il s’y attendait, le vin qu’il a légèrement fait tourner dans son verre est équilibré, les arômes plaisants et reste bien en bouche. « Cela fait longtemps que je n’avais pas eu l’occasion de boire un Côte de Beaune. Il est très bon. » Le Duc n’a pas fait semblant. Sur la table, des plateaux de différentes choses qui font la réputation de la gastronomie française : charcuterie, fromages et autres mets en petites bouchées. Le regard pétillant d’Isandro, grand gourmand, glisse d’un plat à un autre avec envie. Il pique un bout de jambon qu’il porte rapidement à ses lèvres puis garnit son assiette d’un peu tout.
« Tu sais, Guillaume, si je ne te connaissais pas j’aurais tendance à croire que tu cherches à m’impressionner. Il agrippe ses yeux et termine sa phrase dans un éclat de rire. Ce n’est pas encore tout à fait ça mais… tu es en bonne voie ! » Il prend deux grandes gorgées de vin et hoche la tête aux questions de son hôte. S’il s’attendait à ce que ce sujet arrive dans la conversation, il n’aurait pas songé à ce que ce soit aussi vite.
« Je me demande bien ce qui me vaut l'honneur de cette invitation, Rizo. Je t'ai manqué en mon absence, c'est ça ? » Il dit cela avec un large sourire et finit par répondre en toute transparence à la question qui lui a été posée.
« Et, oui, je suis allé en Septimanie, à Saint-Louis, rencontrer la dénommée Agnès. C’est la belle-fille et protégée du Duc. Une femme qui gagnerait à avoir quelques courbes en plus, si tu veux mon avis mais qui est… sacrément intéressante. » C’est ce qui lui vient spontanément. « Je ne savais pas à quoi m'attendre et, par chance, elle a de l’esprit, cela se voit bien vite, et joue la carte de la réserve alors qu’elle aurait bien plus à dire. La vie n'a pas été clémente avec elle semble-t-il. C'est une originale, aussi, sur certains points. » Il dit cela d’un ton neutre et porte un morceau de fromage à la bouche avant de demander : « Tu la connais ? Elle ne m’a pas fait l’effet d’une grande adepte de la Cour. »
Quelque chose qui changera peut-être, selon ce qui se passe dans les temps à venir. « Bien entendu, tout un convoi arrivé des côtes espagnoles est venu pour l’occasion. Le sacro-saint des courtisans et autres représentants de mon père… Enfin, je crois que le Duc et sa protégée ont gagné des points auprès du Ministre Perez. » Et par là-même, le Roi d’Espagne.
Isandro prend une nouvelle gorgée de vin puis soupire. « Le reste ne dépend guère de moi… » Même s’ils prétendent le contraire. Il n’est toutefois pas là pour plomber l’ambiance. La perspective de ce mariage est une chose, la présence de son Rizo, de l’autre côté de la table, en est une autre.
« Mais dis-moi plutôt, qu’ai-je raté en mon absence ? Ce bal de la Agustín ? »
La tenue de son hôte, toute en sobriété et en touches sombres, aurait pu lui déplaire s’il ne savait pas déjà que cela est sa façon d’être, tout simplement. Guillaume – ou Laurent – n’a jamais été dans l’excentricité et l’opulence. Désormais Duc cela ne semble pas près de changer. Tant pis, Isandro préfère se plonger dans les yeux du bourguignon et les mots qui s’échappent de ses lèvres pour le remercier. Il parait touché par les attentions du prince qui balaie cela d’un simple : « Comment aurais-je pu l’oublier ? » Un serviteur remplit déjà le verre de l’espagnol qui observe cela d’un œil curieux tout en s’asseyant. L’étiquette qu’il lit rapidement lui plaît bien. « Un Côte de Beaune ? Tu fais partie de ces hommes étonnants qui se refusent le plaisir de l’ivresse, mon cher, et pourtant tes terres regorgent de crus divins. » S’il se retient de le dire, Isandro n’en pense pas moins. Quand ils se voyaient à Dijon, le blond n’avait pas besoin de vin pour paraitre ivre. Ivre d’extase et de sentiments qu’il donne l’impression de vouloir désespérément taire, désormais, tout à son ambition et ses rêves de gloire sans limite.
Le Duc s’assied après lui et un serviteur sert pour ce dernier un verre du jus de raisin que le Prince vient d’apporter. Les couleurs des deux verres se confondent presque. Une fois les serviteurs retirés, les voici tous les deux seuls et Isandro en profite pour détailler son vis-à-vis qui lève son verre. Il en fait de même. « A ta santé, Guillaume Duc de Bourgogne. » L’appellation n’est pas encore pleinement naturelle dans son esprit mais gagne du terrain. Il se doit d’admettre que c’est grâce à ce subterfuge et au culot de l’autre homme que le hasard les a fait se recroiser. S’il doit le nommer Guillaume pour que cela continue, il le fera.
Comme il s’y attendait, le vin qu’il a légèrement fait tourner dans son verre est équilibré, les arômes plaisants et reste bien en bouche. « Cela fait longtemps que je n’avais pas eu l’occasion de boire un Côte de Beaune. Il est très bon. » Le Duc n’a pas fait semblant. Sur la table, des plateaux de différentes choses qui font la réputation de la gastronomie française : charcuterie, fromages et autres mets en petites bouchées. Le regard pétillant d’Isandro, grand gourmand, glisse d’un plat à un autre avec envie. Il pique un bout de jambon qu’il porte rapidement à ses lèvres puis garnit son assiette d’un peu tout.
« Tu sais, Guillaume, si je ne te connaissais pas j’aurais tendance à croire que tu cherches à m’impressionner. Il agrippe ses yeux et termine sa phrase dans un éclat de rire. Ce n’est pas encore tout à fait ça mais… tu es en bonne voie ! » Il prend deux grandes gorgées de vin et hoche la tête aux questions de son hôte. S’il s’attendait à ce que ce sujet arrive dans la conversation, il n’aurait pas songé à ce que ce soit aussi vite.
« Je me demande bien ce qui me vaut l'honneur de cette invitation, Rizo. Je t'ai manqué en mon absence, c'est ça ? » Il dit cela avec un large sourire et finit par répondre en toute transparence à la question qui lui a été posée.
« Et, oui, je suis allé en Septimanie, à Saint-Louis, rencontrer la dénommée Agnès. C’est la belle-fille et protégée du Duc. Une femme qui gagnerait à avoir quelques courbes en plus, si tu veux mon avis mais qui est… sacrément intéressante. » C’est ce qui lui vient spontanément. « Je ne savais pas à quoi m'attendre et, par chance, elle a de l’esprit, cela se voit bien vite, et joue la carte de la réserve alors qu’elle aurait bien plus à dire. La vie n'a pas été clémente avec elle semble-t-il. C'est une originale, aussi, sur certains points. » Il dit cela d’un ton neutre et porte un morceau de fromage à la bouche avant de demander : « Tu la connais ? Elle ne m’a pas fait l’effet d’une grande adepte de la Cour. »
Quelque chose qui changera peut-être, selon ce qui se passe dans les temps à venir. « Bien entendu, tout un convoi arrivé des côtes espagnoles est venu pour l’occasion. Le sacro-saint des courtisans et autres représentants de mon père… Enfin, je crois que le Duc et sa protégée ont gagné des points auprès du Ministre Perez. » Et par là-même, le Roi d’Espagne.
Isandro prend une nouvelle gorgée de vin puis soupire. « Le reste ne dépend guère de moi… » Même s’ils prétendent le contraire. Il n’est toutefois pas là pour plomber l’ambiance. La perspective de ce mariage est une chose, la présence de son Rizo, de l’autre côté de la table, en est une autre.
« Mais dis-moi plutôt, qu’ai-je raté en mon absence ? Ce bal de la Agustín ? »
début août 1590
Lun 25 Oct - 20:24
Dîner aux chandelles |
Le Duc n’était pas peu fier que toutes ses attentions plaisent au Prince et que ce dernier ne se prive pas pour le lui faire comprendre. Est-ce qu’il était simplement fier car il défendait son honneur et ses qualités d’hôtes ? Ou bien est-ce que voir le plaisir dans le regard de l’espagnol lui provoquait également… du plaisir ?
Impossible, je suis une coquille vide.
Il avait faillit penser à voix haute, ce qui le déstabilisa. La violence de ses pensées le dérangea, pourtant, ce n’était pas très différent de ce qu’il pensait de lui-même habituellement. Ce n’était pas non plus insensé dans la mesure où toutes émotions, tout chagrin, toute joie, tout était masqué, enfermé, oublié. Pourtant, ici, ce soir, Guillaume ressentait une pointe de plaisir et c’était tout bonnement troublant. Il ne l’expliquait pas. C’était comme si une partie de lui échappait à son contrôle. Une partie qu’Isandro avait ravivé en revenant dans sa vie, sans le menacer, sans mauvaises intentions, avec la promesse d’une alliance. Cette fameuse partie, sous le joug du Prince, à quel point grandirait-elle ?
- Oui, la Bourgogne est gâtée par ses vignobles. Enfin, je n’ai jamais vérifié.
Le vin, oui c’est ça, un sujet de la plus haute importance. Plus important encore que cette histoire de plaisir qu’il chassa de son esprit. Il n’appréciait pas être dérouté et ne plus se contrôler. Il fallait passer à autre chose, ne pas donner plus de place à ça.
Visiblement émerveillé par les mets disponibles sur la table, Isandro ne se laissa pas prier pour se servir, tandis que l’hôte était toujours en train de faire des petites boulettes de mie de pain. Amusé par sa remarque, il lui sourit d’un petit air narquois :
- T’impressionner ? Mais pour quoi faire ?
Un moment de complicité entre eux deux. Un échange de regards sur la même longueur d’onde. Bref, mais exquis. Court, car le Prince réussit à repousser dans ses retranchements le Duc en évoquant la possibilité d’un manque. Presque rageusement, il jeta une boulette de pain dans son assiette et perdit le sourire. Qu’il ne se fasse pas de fausse idée. Il avait à peine rêvé de lui à plusieurs reprises et s’était réveillé le corps suant… Oh. Jamais il ne lui dirait. Isandro se délecterait bien trop d’une telle information, ce serait épouvantable.
Constatant peut-être le revirement sur le visage du Duc, l’espagnol lui parla donc de son voyage en Septimanie. Il n’avait pas la moindre idée de qui il lui parlait mais il en retint un élément : c’était une originale, selon ses dires et donc elle lui plaisait. D’autres auraient retenu que ses courbes n’étaient pas suffisamment pulpeuses pour l’affoler, mais ce genre de détails n’était jamais pris en compte par Guillaume, l’homme froid et sans attirance. Le plus important restant bien le fait qu’elle avait tapé dans l’œil d’Isandro d’une façon ou d’une autre et que ce n’était certainement pas innocent. Le Duc desserra sa mâchoire pour lâcher sa réponse.
- Je n’ai jamais entendu parler d’elle.
Étonnamment, la conversation ne semblait pas plaire au Prince qui fit le choix de changer de sujet. Peut-être qu’ils reviendraient sur cette Agnès de Saint-Louis au cours de la soirée. Mais il était évident qu’il en entendrait parler plus tard… Il est naturel qu’un Prince soit marié et cela serait sans doute un bonus pour les relations avec la France. Néanmoins, cette idée, Guillaume n’était pas certain de l’apprécier.
- Tu as raté le moment où j’ai craqué ma chemise et me suis retrouvé couvert de honte. On m’en a prêté une qui n’était pas du tout de mon goût, rouge, ignoble. Je pourrai même te la montrer si tu veux rire un bon coup, je compte la rendre à son propriétaire.
Il… grimaça. C’était sorti tout seul. Le sentiment de honte revint au galop et c’était fort déplaisant. Il tenta de se rincer le gosier avec le jus de raison offert par Iso, mais rien à faire, il n’oublierait jamais ce grand moment de déshonneur qui le hanterait jusque son dernier souffle...
Impossible, je suis une coquille vide.
Il avait faillit penser à voix haute, ce qui le déstabilisa. La violence de ses pensées le dérangea, pourtant, ce n’était pas très différent de ce qu’il pensait de lui-même habituellement. Ce n’était pas non plus insensé dans la mesure où toutes émotions, tout chagrin, toute joie, tout était masqué, enfermé, oublié. Pourtant, ici, ce soir, Guillaume ressentait une pointe de plaisir et c’était tout bonnement troublant. Il ne l’expliquait pas. C’était comme si une partie de lui échappait à son contrôle. Une partie qu’Isandro avait ravivé en revenant dans sa vie, sans le menacer, sans mauvaises intentions, avec la promesse d’une alliance. Cette fameuse partie, sous le joug du Prince, à quel point grandirait-elle ?
- Oui, la Bourgogne est gâtée par ses vignobles. Enfin, je n’ai jamais vérifié.
Le vin, oui c’est ça, un sujet de la plus haute importance. Plus important encore que cette histoire de plaisir qu’il chassa de son esprit. Il n’appréciait pas être dérouté et ne plus se contrôler. Il fallait passer à autre chose, ne pas donner plus de place à ça.
Visiblement émerveillé par les mets disponibles sur la table, Isandro ne se laissa pas prier pour se servir, tandis que l’hôte était toujours en train de faire des petites boulettes de mie de pain. Amusé par sa remarque, il lui sourit d’un petit air narquois :
- T’impressionner ? Mais pour quoi faire ?
Un moment de complicité entre eux deux. Un échange de regards sur la même longueur d’onde. Bref, mais exquis. Court, car le Prince réussit à repousser dans ses retranchements le Duc en évoquant la possibilité d’un manque. Presque rageusement, il jeta une boulette de pain dans son assiette et perdit le sourire. Qu’il ne se fasse pas de fausse idée. Il avait à peine rêvé de lui à plusieurs reprises et s’était réveillé le corps suant… Oh. Jamais il ne lui dirait. Isandro se délecterait bien trop d’une telle information, ce serait épouvantable.
Constatant peut-être le revirement sur le visage du Duc, l’espagnol lui parla donc de son voyage en Septimanie. Il n’avait pas la moindre idée de qui il lui parlait mais il en retint un élément : c’était une originale, selon ses dires et donc elle lui plaisait. D’autres auraient retenu que ses courbes n’étaient pas suffisamment pulpeuses pour l’affoler, mais ce genre de détails n’était jamais pris en compte par Guillaume, l’homme froid et sans attirance. Le plus important restant bien le fait qu’elle avait tapé dans l’œil d’Isandro d’une façon ou d’une autre et que ce n’était certainement pas innocent. Le Duc desserra sa mâchoire pour lâcher sa réponse.
- Je n’ai jamais entendu parler d’elle.
Étonnamment, la conversation ne semblait pas plaire au Prince qui fit le choix de changer de sujet. Peut-être qu’ils reviendraient sur cette Agnès de Saint-Louis au cours de la soirée. Mais il était évident qu’il en entendrait parler plus tard… Il est naturel qu’un Prince soit marié et cela serait sans doute un bonus pour les relations avec la France. Néanmoins, cette idée, Guillaume n’était pas certain de l’apprécier.
- Tu as raté le moment où j’ai craqué ma chemise et me suis retrouvé couvert de honte. On m’en a prêté une qui n’était pas du tout de mon goût, rouge, ignoble. Je pourrai même te la montrer si tu veux rire un bon coup, je compte la rendre à son propriétaire.
Il… grimaça. C’était sorti tout seul. Le sentiment de honte revint au galop et c’était fort déplaisant. Il tenta de se rincer le gosier avec le jus de raison offert par Iso, mais rien à faire, il n’oublierait jamais ce grand moment de déshonneur qui le hanterait jusque son dernier souffle...
Mar 26 Oct - 21:15
La droiture de Guillaume est fascinante par bien des aspects. Tantôt il semble se forcer, tantôt… pas du tout. Dans tous les cas, c’est comme un argument de plus pour qu’Isandro soutienne son regard et cherche à savoir de quelle manière il pourrait fissurer un peu tout ça. Ce visage trop fermé, ces yeux trop sévères et cette tenue toute en sobriété. Pour l’alcool, toutefois, il ne lui ferait pas l’affront de le forcer. C’est un sujet sur lequel il l’avait déjà taquiné, à l’époque, pensant simplement être face à un homme qui se préserve ou veut rester en bonne santé. Mais non, cette hygiène de vie à l’encontre de des embrumes du vin et de tout autre liquide menant à l’ivresse semble venir d’au-delà.
Alors il n’insiste pas et le fixe un instant comme s’il était face à la plus grande source de curiosité qui soit (ce qui n’est pas nécessairement faux dans son esprit). Il laisse quand même entendre un « Tu ne sais pas ce que tu rates. » sur le ton de la plaisanterie. S’il n’aime pas le vin Laurent – Guillaume. Guillaume, Guillaume, Guillaume. – n’est pas sans saveur. Au contraire.
Et quand il veut, il sait être un hôte exemplaire, décidément. Les mets qui ornent cette table sont exquis et Isandro laisse aller sa gourmandise, répondant à la remarque du blond avec un léger rire entre deux bouchées. « C’est vrai que tu n’as même pas besoin de ça. »
Impressionné, le prince l’est, et pour bien des raisons. Cet homme né de rien à su se faire un nom de lui-même, franchissant les obstacles sur sa route et souhaitant en franchir d’autres encore là où un grand nombre se seraient arrêtés. Si Isandro n’était pas revenu dans sa vie, il aurait sans doute fait en sorte de renier définitivement ce qu’il a été, un temps. Si l’espagnol ne s’était pas précipité vers lui pour lui rappeler cette période, il aurait certainement réussi à l’effacer pleinement de sa mémoire. Et pourtant… il se tient droit, aujourd’hui, et n’a pas à rougir.
Désormais, l’attrait du prince pour Guillaume n’est plus seulement dû à l’opposition de deux mondes et de deux tempéraments. Il vient également de ce qu’ils sont devenus et de la façon dont ils gravitent l’un auprès de l’autre. Se revoir était une évidence, pour Isandro. Si le blond ne l’avait pas invité, il l’aurait fait. Ou il serait venu à l’improviste, une fois encore. Admettre l’existence de son Rizo, dans la même ville, c’est vouloir s’y confronter, forcément.
Si la discussion dévie sur le sujet de sa promise, curieuse brune au fin fond d’un manoir à Saint-Louis, c’est simplement en réponse à la question qui lui est faite. Il en parle avec un intérêt modéré. Si cette femme doit entrer pleinement dans sa vie, il ne sera pas de ces maris qui se détournent. Il n’a pas été ainsi lors de son premier mariage, il ne le sera pas pour le second, quoi qu’il se passe. Même si son père change d’avis au dernier moment pour l’affubler du pire phénomène qui soit. Isandro apprécie l’humain dans toute sa complexité et sa diversité. Il saurait faire sourire un buffle, a-t-on dit de lui. Il ne travestira pas qui il est pour autant. Il ne changera pas son mode de vie de libertin et n’abreuvera pas la croyance de l’autre en mensonges absurdes et sans limite.
C’est pourquoi, d’une certaine façon, cette Agnès de Saint-Louis est un sujet sans l’être véritablement. Il en parle comme il en parlerait de quiconque qui croise sa route et possède un tant soit peu d’esprit. Tandis qu’il brosse le portrait de la femme en question, il croit lire chez le blond une forme de crispation. Quand au fait qu’il la connaisse, la réponse est négative.
« Dis-moi, mon bon Rizo… est-ce la seule perspective que je puisse me remarier qui te renfrogne à ce point ? Tu m’interroges, je te réponds. N’est-ce pas ainsi que ça marche ? » Son intonation est légère mais ses mots visent, précis.
Il n’a pas pour volonté de s’appesantir là-dessus pour autant. Le mariage le privera de certaines libertés dont il est très heureux de jouir, jusqu’à présent. Alors il questionne à son tour sur ce fameux bal qu’il regrette tant d’avoir raté. Les occasions de se mêler joyeusement à tout ce beau monde ne sont pas si fréquentes que ça, et lorsqu’ils arrivent il n’est pas rare qu’on le regarde comme un larron de foire. Pour certains ce serait un calvaire, pour lui c’est un grand jeu durant lequel il invente ses propres règles afin de faire rire les uns et crisper d’autant plus les autres. A ce bal d’Augustine, il a perdu une chance de plus d’accroitre sa réputation de prince dévergondé et intenable.
Quand les mots du Duc se font entendre, il s’attendait à tout… sauf à ça ! Il manque de s’étouffer avec un bout de fromage qu’il venait d’entamer et se frappe la poitrine, les yeux ronds. Il lui faut quelques secondes pour que ça passe, une larme perlant au creux de ses yeux. Puis c’est plus fort que lui : un rire. Un rire sonore et franc.
« Mon cher Duc, tu ne cesseras de m’épater ! » Il se redresse les yeux étincelants plongés dans ceux de son vis-à-vis de l’autre côté de la table. « C’est toi qu’ils auraient dû nommer le… el Joya (1) là, comme vous dites ! Dios, qu’est-ce que j’aurais aimé être là ! J’aurais réclamé à ce qu’on me donne toutes les camisas (2) restantes, pour que tu restes torse nu tout le reste de la soirée ! »
Rien que l’imaginer… un autre rire le prend. Ce Duc, si droit dans sa tunique haute fermée par des lacets, si désespérément rigide en toutes circonstances, la chemise déchirée au beau milieu d’une salle de bal ! « Mais, je ne suis pas d’accord, le rouge est une belle couleur ! Vêtu de rouge avec tes boucles d’or… je n’ose croire que cela t’allait si mal que ça ! » C’est l’espagnol qui parle, cela va de soi. « Et… comment est-ce arrivé ? Je veux tout savoir. Et si besoin, je peux aussi te prêter le tailleur qui m’a été recommandé, ici à Paris. Tu dois avoir la garde-robe d’un Duc, et plus encore ! »
(1) le Joyau
(2) chemises
Alors il n’insiste pas et le fixe un instant comme s’il était face à la plus grande source de curiosité qui soit (ce qui n’est pas nécessairement faux dans son esprit). Il laisse quand même entendre un « Tu ne sais pas ce que tu rates. » sur le ton de la plaisanterie. S’il n’aime pas le vin Laurent – Guillaume. Guillaume, Guillaume, Guillaume. – n’est pas sans saveur. Au contraire.
Et quand il veut, il sait être un hôte exemplaire, décidément. Les mets qui ornent cette table sont exquis et Isandro laisse aller sa gourmandise, répondant à la remarque du blond avec un léger rire entre deux bouchées. « C’est vrai que tu n’as même pas besoin de ça. »
Impressionné, le prince l’est, et pour bien des raisons. Cet homme né de rien à su se faire un nom de lui-même, franchissant les obstacles sur sa route et souhaitant en franchir d’autres encore là où un grand nombre se seraient arrêtés. Si Isandro n’était pas revenu dans sa vie, il aurait sans doute fait en sorte de renier définitivement ce qu’il a été, un temps. Si l’espagnol ne s’était pas précipité vers lui pour lui rappeler cette période, il aurait certainement réussi à l’effacer pleinement de sa mémoire. Et pourtant… il se tient droit, aujourd’hui, et n’a pas à rougir.
Désormais, l’attrait du prince pour Guillaume n’est plus seulement dû à l’opposition de deux mondes et de deux tempéraments. Il vient également de ce qu’ils sont devenus et de la façon dont ils gravitent l’un auprès de l’autre. Se revoir était une évidence, pour Isandro. Si le blond ne l’avait pas invité, il l’aurait fait. Ou il serait venu à l’improviste, une fois encore. Admettre l’existence de son Rizo, dans la même ville, c’est vouloir s’y confronter, forcément.
Si la discussion dévie sur le sujet de sa promise, curieuse brune au fin fond d’un manoir à Saint-Louis, c’est simplement en réponse à la question qui lui est faite. Il en parle avec un intérêt modéré. Si cette femme doit entrer pleinement dans sa vie, il ne sera pas de ces maris qui se détournent. Il n’a pas été ainsi lors de son premier mariage, il ne le sera pas pour le second, quoi qu’il se passe. Même si son père change d’avis au dernier moment pour l’affubler du pire phénomène qui soit. Isandro apprécie l’humain dans toute sa complexité et sa diversité. Il saurait faire sourire un buffle, a-t-on dit de lui. Il ne travestira pas qui il est pour autant. Il ne changera pas son mode de vie de libertin et n’abreuvera pas la croyance de l’autre en mensonges absurdes et sans limite.
C’est pourquoi, d’une certaine façon, cette Agnès de Saint-Louis est un sujet sans l’être véritablement. Il en parle comme il en parlerait de quiconque qui croise sa route et possède un tant soit peu d’esprit. Tandis qu’il brosse le portrait de la femme en question, il croit lire chez le blond une forme de crispation. Quand au fait qu’il la connaisse, la réponse est négative.
« Dis-moi, mon bon Rizo… est-ce la seule perspective que je puisse me remarier qui te renfrogne à ce point ? Tu m’interroges, je te réponds. N’est-ce pas ainsi que ça marche ? » Son intonation est légère mais ses mots visent, précis.
Il n’a pas pour volonté de s’appesantir là-dessus pour autant. Le mariage le privera de certaines libertés dont il est très heureux de jouir, jusqu’à présent. Alors il questionne à son tour sur ce fameux bal qu’il regrette tant d’avoir raté. Les occasions de se mêler joyeusement à tout ce beau monde ne sont pas si fréquentes que ça, et lorsqu’ils arrivent il n’est pas rare qu’on le regarde comme un larron de foire. Pour certains ce serait un calvaire, pour lui c’est un grand jeu durant lequel il invente ses propres règles afin de faire rire les uns et crisper d’autant plus les autres. A ce bal d’Augustine, il a perdu une chance de plus d’accroitre sa réputation de prince dévergondé et intenable.
Quand les mots du Duc se font entendre, il s’attendait à tout… sauf à ça ! Il manque de s’étouffer avec un bout de fromage qu’il venait d’entamer et se frappe la poitrine, les yeux ronds. Il lui faut quelques secondes pour que ça passe, une larme perlant au creux de ses yeux. Puis c’est plus fort que lui : un rire. Un rire sonore et franc.
« Mon cher Duc, tu ne cesseras de m’épater ! » Il se redresse les yeux étincelants plongés dans ceux de son vis-à-vis de l’autre côté de la table. « C’est toi qu’ils auraient dû nommer le… el Joya (1) là, comme vous dites ! Dios, qu’est-ce que j’aurais aimé être là ! J’aurais réclamé à ce qu’on me donne toutes les camisas (2) restantes, pour que tu restes torse nu tout le reste de la soirée ! »
Rien que l’imaginer… un autre rire le prend. Ce Duc, si droit dans sa tunique haute fermée par des lacets, si désespérément rigide en toutes circonstances, la chemise déchirée au beau milieu d’une salle de bal ! « Mais, je ne suis pas d’accord, le rouge est une belle couleur ! Vêtu de rouge avec tes boucles d’or… je n’ose croire que cela t’allait si mal que ça ! » C’est l’espagnol qui parle, cela va de soi. « Et… comment est-ce arrivé ? Je veux tout savoir. Et si besoin, je peux aussi te prêter le tailleur qui m’a été recommandé, ici à Paris. Tu dois avoir la garde-robe d’un Duc, et plus encore ! »
début août 1590
(1) le Joyau
(2) chemises