La journée avait mal commencé. Zuicher avait été obligée de composer avec la fille d’un baron – ou d’un vicomte ? Elle ne savait même plus – capricieuse au possible et qui changeait plus d’avis que de chemises d’hommes dans son lit – vu les parfums qui se dégageait de son cou, il était surprenant que son père ne semble rien en savoir par ailleurs – et enfin, lorsque la susnommée en avait terminé, il était déjà le début de l’après-midi.

Bon, au moins, le zénith passé, Zuicher pouvait sortir sans risque à présent. Elle décida d’aller s’aérer un peu l’esprit avant de se remettre sur cette fameuse commande. L’idée d’inviter de nouveau la jeune Dahlia dans son échoppe lui traversa l’esprit et la vampire se promis de le faire sous peu.
Après avoir vérifié que Johanna dormait bien au sous-sol de la boutique, Zuicher quitta les lieux – non sans verrouiller la porte à double tours, sait-on jamais.

Ses pas furent guidés uniquement par le gré du hasard et, peut-être par élan de nostalgie, lorsque Zuicher sentit la fragrance d’écuries non loin, elle décida d’aller observer un peu les bêtes à sabots que ces dernières pouvaient contenir.

Voici bien longtemps qu’elle n’était pas montée sur une telle créature et en toute honnêteté, elle en concevait un certain manque. Mais puisqu’il n’était pas « correct » pour une femme de monter comme un homme désormais – vraiment, les humains… -, elle se contenterait de les regarder divaguer dans leurs enclos.

Elle pénétra dans les lieux sans difficulté, les portes étant grandes ouvertes. Zuicher se dirigea tout naturellement vers le paddock et posa ses mains sur les barrières en bois. Certains chevaux étaient là et elle dû admettre qu’ils étaient magnifiques. Leur propriétaire devait assurément bien les traiter.

Elle se souvenait combien elle aimait monter à cheval, autrefois. Combien le vent et l’embruns des océans volaient dans sa chevelure avec délice et combien elle donnerait tout ce qu’elle avait à ce jour pour retourner à ces temps d’insouciance, où les vampires, pour la plupart, forts de leurs nouveautés, se croyaient invincibles en tout point.

Elle était belle, l’innocence macabre qui était la leur.

Mais de tous les souvenirs vifs qui lui restaient, il y en a que Zuicher auraient tout de même voulu effacer.
Des êtres, aussi.

Elle ne sursauta pas en entendant cette voix, sa voix, dans son dos. Mais elle échappa un « rassragr » sifflé entre ses crocs d’argent. Petit mot tout sauf tendre mais qui résumait bien le fond de sa pensée vieille de plusieurs siècles.

Elle lui fit face, Zuicher. Malgré les têtes qu’il avait de plus qu’elle, malgré l’animosité qu’elle conservait pour lui. Ses yeux bicolores roulent dans ses orbites alors qu’elle l’écoute parler. Rien que sa voix l’insupporte. « Contrairement à certains, moi je ne choisis pas de voie qui me ferait passer pour une ergi. » Ergi, l’une des pires insultes de son temps ; aujorud’hui traduisible par le fait d’être lâche ou incapable de faire quoi que ce soit. Chez les vikings, l’échec n’existait pas. Soit on maîtrisait quelque chose soit on y mettait pas les mains, c’était aussi simple que ça.

Lorsqu’elle l’entend murmurer en suédois, elle lui répond de la même façon. « Zuicher Torsdag. Ça fait des siècles que les choses ont bougés, j’ai voulu reprendre mon nom d’origine. » Mais la curiosité demeure, alors, pareil à un chat devant une souris trop brave, Zuicher croise les bras sur sa poitrine et poursuit. « Alors ? Comment se fait-il que toi parmi tous les vampires guerriers que je connaisse, tu sois encore en vie ? »

Il n’y avait pas de justice, vraiment.