Enfin la nuit tombait. Enfin je ne souffrais plus.
Enfin la douleur sur mon visage s'estompait.
La douce brise nocturne caressant ma peau creusée par les marques des blessures brûlantes. Alors que la lumière du jour avait entièrement été recouverte par son manteau de nuit. Aucune chaleur pour me rappeler au dur souvenir du soleil à son sommet qui, petit à petit, consumait chaque infime partie de mon existence. Comme si son ardeur pouvait me traquer encore et toujours jusqu'à ce qu'il puisse me réduire en un tas de cendres inerte. Et pourtant je ne trouvais aucun repos. Aucun sommeil pour faire défiler le temps et calmer mon appétit. Il fallait dire que le sang de Nilith ne provoquerait jamais l'extase d'un repas traqué et soumis à la domination de ma race. Son cou que mes crocs perçaient déjà si régulièrement ne pouvait pas contenter l'instinct animal. La prédation. La barbarie sauvage d'une complète supériorité que la nature elle-même dictait. Comme si le goût s'amplifiait lorsqu'il suivait la douce mélodie d'une liturgie hérétique. Blasphématoire devant le mystique des Hommes qui érigeaient un dieu sans voir qu'une telle création les baignaient eux-mêmes dans leurs propres péchés.

Paris pouvait changer du tout au tout lorsque la nuit s'éprenait de ses rues. Quand l'obscurité parcourait insidieusement ses veines pour teinter chaque parcelle des murs par une trace d'ombre à tout moment fatal. Quelles rumeurs se chuchoteraient au lendemain, quels cadavres se retrouveraient emportés par les ennemis de l'église ou les croyants eux-mêmes. Les conséquences de la peste étaient encore partout dans l'esprit du monde, ils pouvaient bien faire bonne figure, les nobles pouvaient bien danser et célébrer la vie. Mais c'était bien la mort qui trônait au sommet.
Toujours malicieusement empêtrée dans le cœur des Hommes. Toujours malicieusement empêtrée dans le creux de mes mains.

Je n'avais pas erré longtemps avant de la repérer. Je ne l'avais pas suivi puisqu'elle était déjà isolée, ses cheveux blancs ressortissant dans la pénombre, au milieu du silence et du vide nocturne. J'avais rapidement attrapé son bras comme pour la dévorer en un instant et fuir aussitôt que j'étais venu. Comme par habitude, une répétition de geste aussi naturelle qu'empocher une fourchette et un couteau pour trancher un morceau de viande à avaler.

À partir du moment où je l'ai touché. Le monde a changé. Tout est devenu flou et ce qui avait commencé comme une traque banale se transformait en une expérience hors du commun. À cet instant précis, j'avais tout oublié. Il ne restait que la confusion et un instinct de survie qui pour la première fois répondait à l'effroi. Une peur hasardeuse, un cauchemar que même mon esprit n'avait jamais osé faire apparaître. Peau contre peau, ma main sur son poignet, et mon corps entier brûlait. Je pouvais sentir chacune de mes plaies se rouvrir et la vie semblait vouloir s'arracher à moi. Mon sang en train de bouillir dans mes veines, des picotements atrocement douloureux intervenaient sans pause ni lassitude dans mon intérieur. Mon cœur frappait d'un premier coup de tambour et il me paraissait vouloir sortir de ma poitrine. Comme si le premier coup l'avait fait jaillir hors de moi, explosant mes côtes et tout ce qui pouvait se trouver sur son passage pour battre son plein. Au deuxième coup, il semblait avoir reculé de tout son long comme pour prendre de l'élan et percer cette fois mon enveloppe charnelle pour se montrer aux yeux de tous. À vif. Vulnérable. Mortel. À son contact, je me retrouvais déchu par la grâce, expérimentait pendant cette fraction d'instant le monde comme les êtres humains le vivaient. Expérimentant la dégradation de mon rang. La nature qui reprenait alors ses droits en emportant avec mon statut supérieur de vampire.

« Parmi tous les fruits, il fallait que je tombe sur le plus pourri d'entre eux. »

Je relâchais aussitôt mon emprise pour bondir plus loin. Les yeux rivés sur elle, capturé par la crainte, prêt à attaquer et achever sa vie pour ne pas succomber aux tremblements. Trop dangereuse pour exister dans le même monde que le mien. Une ennemie naturelle, une réponse à mon affront contre tout ce que m'avait offert la nature. Une sorcière au don plus redoutable que le zénith.
Et tandis que les sueurs froides parcouraient mon échine, je la contemplais elle et ses cheveux aux lueurs similaires de l'astre nocturne.
Après avoir été vaincu par le soleil, je m'apprêtais à affronter la Lune. Et à nouveau les astres s'alignaient pour s'abattre sur moi.

« Dis, tu ne voudrais pas te tuer ? Ça m'éviterait de devoir le faire... »