Elle venait tout juste de congédier ses convives après avoir régler un litigieux problème de gouvernance et déjà, Victoire sentait poindre un mal de crâne des plus agaçants. Ce n’était pas le moment. Il lui fallait tenir debout au moins pour encore le rendez-vous suivant, qu’elle avait elle-même fixée. Impossible de se dérober. Il le fallait.

Cette idée était un terreau fertile pour les divergences d’opinions mais l’on ne cessait de dire à Victoire qu’elle devait prendre les rênes du Royaume et faire comme elle souhaitait le faire alors… Petit à petit et pas à pas, elle s’essayait à ce précepte, se demandant à chaque fois si les actions de feu son père, voir même de son grand-père, Charles de France, auraient été similaires aux siennes. Il n’y avait malheureusement aucun moyen de le savoir. Elle ferait sans.

Lorsque son invité de marque arriva, Victoire l’accueillit avec un sourire présent bien que modéré. « Duc van Heil, je vous remercie d’avoir fait le déplacement jusqu’ici. Votre présence est appréciée. ». Et elle ne mentait pas. Si elle n’avait eu que peu l’occasion de s’entretenir avec le jeune suédois – par manque de temps, surtout -, les rares occasions lui avait laissé un doux souvenir, cher à son cœur en ces temps troublés.

Elle avait songé aux discours de son grand-père sur la Suède et combien ce dernier avait été proche du Roi de ce pays il y a fort longtemps à présent. Cette pensée lui tira un soupir conquis. Elle se reprit immédiatement, bien consciente que son message était fort nébuleux. A raison. Faisant signe aux domestiques encore présents de fermer les portes de la salle du trône, Victoire reprit la parole. « Comment vous portez-vous depuis notre dernier échange ? Je gage que Paris, en dépit de ses défauts, sait tout de même vous plaire. »

Elle espérait, au fond, ne pas être la seule à ne pas parvenir à se projeter davantage.

En dépit de tout ce que Victoire pouvait entendre parfois dans les couloirs de son palais, June avait belle allure et présentait mieux que certains Ducs de son propre pays natal. Le sourire qui gorgeait ses lèvres n’était guère feint. Lorsque le jeune Duc étranger lui rendit ses salutations et lui offrit quelques paroles, la Reine se sentit se détendre quelque peu. « Le plaisir est partagé, surtout à l’entente de votre satisfaction concernant nos frontières actuelles. » Ce n’était pas une chose inédite, tous les pays d’Europe s’étaient repliés sur eux-mêmes après la dernière épidémie de peste. Si Victoire avait pu passer la frontière, ce n’avait été qu’à cause du maudit sang royaux qui imprégnait ses veines. Rien de plus.

Sa tête s’était incliné pour signifier qu’elle appréciait l’attention faite à son père, également. Auguste, cet homme bon avec son épouse comme avec sa famille ou son peule et qui n’aura jamais su briller par son règne. Victoire en était si triste qu’elle n’osait y repenser lorsqu’elle était seule. Heureusement la présence de June lui permettait de diriger autrement ses pensées. « En parlant de marques, je me demandais si vous comptiez nous gâter de votre présence même une fois les frontières rouvertes ou si vous souhaiteriez repartir vers d’autres contrées ? De ce que j’ai lu dans les écrits de mon père vous concernant, vous êtes un habitué des routes des Cours, n’est-ce pas ? »

Si elle le lâche du regard, ce n’est que pour se diriger vers un bureau un peu plus loin, où une carte d’Europe gît. « Je m’essaie à avoir de grand projets pour mon pays. Se faisant j’aurais sans doute besoin d’avoir des esprits éclairés pour m’assister. De toutes les classes sociales, bien entendu. » Et elle ne parlait pas de ses ministres ou autres conseillers, cette fois.

Les mots du van Heil mirent Victoire dans une confiance certaine. Elle pouvait amorcer ce qu’elle avait en tête sans craindre une levée de bouclier de la part du jeune homme. Bien, fort bien. Elle n’avait que faire des termes de bâtard qui était adressé au suédois. Pour ce qu’elle en savait, elle n’était pas mieux servie par certains. Et l’avenir d’un pays ainsi que ses alliances futures valaient plus que quelques sobriquets blessants. Il faudrait qu’elle l’enseigne à ses enfants, un jour.

« Ravie d’entendre cela, Duc van Heil. » Elle se pencha sur son bureau pour mieux pointer du doigt la carte d’Europe. « J’aimerais que mon règne soit sous des auspices de paix et d’alliances, comme ce fut le cas pour mon grand-père. » Elle prend une inspiration, cherchant s’il existe comparaison possible entre elle et lui. « Si Charles de France n’a pas eu un début de règne très... apprécié, il a su revirer la situation à son avantage. Mieux encore, il parvint à créer des alliances avec d’autres pays avant que les choses ne dégénèrent. » Ses yeux d’émeraude se pointent sur le noble auprès d’elle. « Et le premier en date fut la Suède. »

Quelle drôlesse de coïncidence, n’est-ce pas ? Dieu était sans doute à l’origine de tout cela. Le Sain Cardinal lui avait conseillé bien des choses et Victoire ne voulait pas remettre en cause ce qu’elle voyait comme une évidence. « J’irais droit au but. J’aimerais remettre d’aplomb le quartier des armées situé dans la capitale. Et pour commencer un tel travail, il me faut quelqu’un pour en prendre la tête. » Quelques secondes en suspens. « Quelqu’un qui saura faire preuve de l’intelligence nécessaire à ce travail. »

Elle espérait qu’il comprendrait.

Face à l’apparente compréhension du jeune homme qui lui faisait face, Victoire cligna des yeux à plusieurs reprises. Ses aspirations étaient donc si peu fondées sur de bonnes idées ? Pourtant elle avait tenté de réfléchir au mieux, prenant les erreurs qu’on lui avait reproché avec hâte au sujet de la nomination de son chef des armées pour argent comptant et espérant ne pas commettre les mêmes impairs une fois encore.

Cependant, aux mots de June se superpose sa la candeur maternelle de Victoire. Bien malgré elle, il lui est impossible d’imaginer qu’il ne possède pas les compétences pour lesquelles elle le sollicite. Mais son étonnement est adorable et centralise une part d’affection que Victoire ne donne que trop rarement, pour ne pas savoir comment l’appréhender ou même la modérer. C’est un signe de tête qui répond au suédois. « A moins que le seigneur ne vous a doté d’oreilles fonctionnelles, je ne perçois aucunement l’intérêt pour moi de me répéter quant à cette proposition. »

Elle s’essaie à l’humour, bien que cela soit maladroit puisqu’elle n’a jamais eu l’habitude de ce genre d’exercice. « Vous avez d’excellentes compétences, Duc van Heil. Je sais les égards que l’on vous fait et sachez que cela ne remet en rien en cause la confiance que j’éprouve à votre égard. » Mais elle doit se montrer compréhensive, elle le sait. Alors, modérant un peu sa voix, elle reprend avec douceur. « Toutefois, si vous estimez qu’une telle tâche ne saurait vous convenir, en dépit de votre loyauté, sachez que je le comprendrais et ne vous en tiendrais nullement rigueur. » Lui avait encore le choix.

Pas elle.

Ce qui frappa Victoire ne fut pas le spectacle appréciable des mots déversés par June, ceux-là même qui redorait encore plus sa fidélité envers la couronne de France – comme s’il y avait eu besoin de plus un seul instant. Non, ce ne fut en rien cela qui attira son attention mais plutôt un segment en particulier. Le Duc c’était exprimé en « notre Nation ». La gorge serrée par la surprise, Victoire ne se sentit pourtant en rien mal à l’aise, bien au contraire. Si June parvenait à se sentir ici, en France chez lui alors qu’il n’y était même pas né, cela représentait aux yeux de la Souveraine un espoir. Une chance qu’elle puisse un jour, de nouveau, se sentir enracinée à cette contré qui l’avait vu pousser son premier souffle.

Un sourire fin écarte ses lèvres alors qu’il fait référence à la « malheureuse » nomination du Comte d’Harcourt en tant que Connétable des armées de France. Bien sûr, Victoire n’estimait en rien ce choix malheureux mais il avait eu lieu après quelques… quiproquos. Et le principal intéressé originel du poste s’en était retrouvé lésé. Il faudrait qu’elle prenne le temps de renouveler à cet autre Duc ses meilleurs sentiments, par ailleurs. Mais le moment n’était pas choisi pour cela, pour le moment.

Victoire se laisse un instant pour observer la carrure, droite et rassurante du jeune Duc. Sa mâchoire carrée et ses cheveux en brosse lui donnait un charme indéniable, d’après ses analyses personnelles. « Bien, Duc van Heil. » Puis elle maintient le contact visuel entre eux, comme pour jauger de ce qui se passera par la suite. « Avez-vous des idées pour améliorer notre caserne, tout d’abord ? J’ai ouï-dire que mon père n’avait malheureusement jamais eu l’opportunité de se pencher sur cette fâcheuse problématique… » Comme sur tant d’autres, mais l’heure n’était pas à ressasser les manquements du passé. Plus maintenant. Il lui fallait aller de l’avant.

A mesure que passait les instants partagés en la compagnie du jeune Duc suédois, Victoire se sentait aller vers la bonne voie, la bonne solution. De plus, non content de faire montre de sa grande loyauté envers la couronne, June paraissait avoir des idées plein la tête. Des idées qui pourrait améliorer drastiquement le quotidien des membres de l’armée et donc, par logique extension, de celui du plus grand nombre.

La Reine était consciente que plusieurs endroits de Paris s’étaient transformés en mouroir, sinon en charnier à ciel ouvert, surtout depuis la récente épidémie de peste. Elle voudrait trouver une solution et puisque les médecins se faisaient rares, elle avait commencé par le domaine militaire. Elle écouta donc religieusement les dires de son vis-à-vis, tâchant de prendre en compte chaque chose qu’il lui disait, le tout escorté d’arguments tout à fait légitimes. « Oui, je vois… » Elle n’avait jamais eu loisir d’avoir une arme entre ses mains. Par conséquents, ses paumes étaient douces, sans cornes ou crevasses qui auraient pu trahir un quelconque acharnement à toujours repousser ses limites.

Cette pensée paru la gêner, tant et si bien qu’elle secoua la tête pour mieux revenir au sujet principal de discussion. Il est vrai que les fonds de la couronne était limités, mais… « Vous suggérez donc de mettre en place un impôt sur la noblesse afin de restaurer le matériel dont nous aurions besoin et le cas échéant, de racheter les pièces nécessaires à la bonne conduite des entrainements en tout genre ? » Elle voulait être sûre et certaine de bien comprendre. Et pour cela, une seule solution possible : questionner. Encore, toujours.

Elle avait apparemment été bien trop vite en besogne. Alors qu’en vérité, June pensait à prendre pied sur l’envie de ses partisans de remettre à neuf l’armée régulière de France, elle avait immédiatement songé à un impôt. Quelle sottise. Comme l’avait si bien souligné le Duc, ceci risquerait de mettre à mal les relations déjà tendues entre ses opposants et ses partisans. Les choses n’étaient déjà pas au beau fixe depuis sa prise de pouvoir, mieux valait privilégier une approche douce de la politique. Elle tâcherait de retenir ce trait d’esprit pour les fois à venir. Voici encore un sujet sur laquelle elle n’était absolument pas au point.

Au moins, la fidélité et la véhémence du jeune Duc la confortait dans sa bonne décision. Et puis, peut-être que voir un homme haut gradé socialement s’occuper de la remise en état des camps de l’armée saurait adoucir les tensions ayant éclatées suite à la nomination du Comte de Harcourt comme Connétable. Victoire l’espérait, en tout cas. « Oui, pardonnez-moi je vais bien trop vite en besogne. Vos idées sont d’une limpidité impressionnantes et je vous remercie pour cela, en plus de la fidélité dont vous faites preuve à mon égard. »

Elle avait la sensation qu’il lui fallait dire ces mots-là. Que c’était important de souligner les faits même s’il était question d’évidence, plus que jamais. « Je ferais missionner des hommes afin de faire le recensement des domaines vides et sans régence afin d’en récolter les fonds en attendant qu’ils soient de nouveau attribué à qui de droit. »

Il lui fallait maintenant mettre en œuvre ces directives. Commencer par contacter le responsable des archives serait une bonne idée, somme toute. « Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé, Duc van Heil. Et toutes mes félicitations pour votre nouveau poste. » D’un geste bienveillant, presque maternel, Victoire posa une main sur l’épaule du jeune homme afin d’appuyer ses dires. Il devait maintenant croire en lui et elle aurait tout loisir de le voir grandir de la sorte.