« As long as you behave »

Née dans une famille noble de la capitale, Valentine grandit avec les meilleurs soins possibles pour lui assurer un avenir convenable. Elle reçut une éducation importante afin d'en faire une dame cultivée : l'apprentissage était strict, mais cela lui convenait car sa nature curieuse la poussait à s'intéresser à beaucoup de domaines. Son instructeur essayait parfois de la limiter aux sujets principaux qui convenaient à une personne de son rang, mais en voyant qu'elle débordait d'envie d'en apprendre toujours plus, il se mit à varier son enseignement et à l'introduire à tout un tas de sciences différentes (notamment la philosophie, l'astrologie, l'art et tout un tas d'autres domaines).

Malgré tout, la jeune fille sentait parfois au fond d'elle l'envie d'avoir une enfance "normale" et de pouvoir jouer comme tous les autres de son âge qu'elle voyait gambader dans la ville lorsqu'elle accompagnait ses parents se balader. Mais elle avait conscience du fait d'être privilégiée et d'avoir des facilités dans la vie qu'ils n'auraient jamais. Alors elle restait sage, comme on lui avait appris.

Son seul "caprice" – si on peut appeler cela ainsi vu qu'elle demandait toujours sagement – fut sa volonté profonde de posséder un animal avec lequel elle pourrait créer une forte complicité, puisqu'elle avait beaucoup de mal à se lier d'amitié avec les jeunes de son rang qu'elle rencontrait parfois lorsqu'elle accompagnait ses parents dans des soirées mondaines ou à la Cour. Mais leur refus fut catégorique et elle finit par abandonner sa requête au bout d'un certain temps, voyant qu'ils ne se plieraient pas à sa volonté. Un animal c'est sale, ça perd ses poils et ils avaient peur que cela l'incite un peu trop à sortir et à s'agiter.

« L'honneur d'une famille s'apprécie, quand la fille se marie... Trouvant un bon parti, elle gagne la partie. »

Plongée très jeune dans un monde d'adulte – froid et difficile à comprendre – Valentine devint rapidement quelqu'un de responsable et de mature. Cependant, il lui était difficile d'accepter l'idée de devoir autant contenir et enfermer ses émotions pour faire partie de la noblesse. C'était uniquement pour ne pas déshonorer sa famille – et parce qu'elle avait conscience de la chance d'être née du bon côté de la société – qu'elle obéissait docilement à toutes ces choses qu'elle ne cautionnait pas. A l'adolescence, elle était déjà largement digne de son rang.

A l'âge adulte, c'était une jeune femme parfaite à marier.

Si bien que pour son vingtième anniversaire, ses parents lui offrirent finalement un compagnon. Un petit chiot qu'elle nomma Ghost et qui deviendrait bientôt une grande bête noire, le poil court et luisant, la carrure taillée et le regard vif. Cependant, elle se doutait que ce cadeau n'était pas sans arrière pensées et que si ses parents avaient décidé de céder – même tardivement – à son rêve d'enfant, c'était forcément pour une raison plus obscure.

Valentine savait que le monde était mal en point, même s'il n'y paraissait pas toujours depuis l'intérieur de son cocon de luxe. Elle savait qu'il y avait des inégalités, de la méchanceté, de l'égoïsme, des gens si avides de pouvoir qu'ils en oubliaient leur morale. Et elle savait surtout que rares étaient les êtres capables de bonté désintéressée, surtout dans son milieu social.

Elle aurait tant aimer se tromper...

Six mois après l'arrivée de son chien dans la famille, après qu'elle ait déjà tissé un lien fort avec l'animal, ses parents lui présentèrent un jeune homme, fils héritier d'une autre famille noble. Valentine savait très bien où tout ceci allait la conduire. Et même si le jeune homme était bien élevé, élégant et tout à fait charmant, elle savait que la demande en mariage n'était là que pour le rang social et la richesse des deux familles. Elle répondit poliment qu'il lui fallait le temps d'y réfléchir, ce qui sembla outrer les parents de son prétendant et mettre les siens très en colère.

C'était la première fois de sa vie qu'elle s'opposait réellement à ses géniteurs au point d'être à la limite de se faire renier. Refuser une telle proposition n'était, selon eux, pas envisageable et pas digne de son rang. Mais Valentine ne pouvait accepter l'idée d'un mariage arrangé, d'un mariage qui convenait à tout le monde sauf à elle. Peut-être qu'elle croyait en l'amour, peut-être qu'elle n'y croyait pas ; toujours était-il que cela lui semblait insensé de se marier pour ces raisons-là. Une petite voix lui disait que ce n'était pas comme cela que devaient fonctionner les choses.

Le soir après la dispute, elle s'enferma dans sa chambre et prépara un sac dans lequel elle entassa ses biens les plus précieux. Elle ne voulait pas rester une minute de plus dans cette maison de fous où seuls le rang social et l'argent semblaient avoir de l'importance, au détriment même de la logique naturelle et des émotions humaines. Ghost vint frotter sa tête contre sa jambe ; il semblait satisfait à l'idée d'aller se promener. Bien sûr, il ne pouvait comprendre les enjeux de tout ceci, mais sa présence était rassurante, réconfortante pour Valentine. Elle attendit la nuit, puis elle passa une laisse autour du cou de son chien en lui ordonnant de ne pas faire de bruit et s'apprêta à franchir la porte d'entrée dans le silence le plus total.

Sa main se posa sur la poignée, mais elle s'immobilisa.

Non... Ce n'était pas la solution. Elle ne pouvait pas jeter son rang et ses privilèges par la fenêtre sur un coup de tête. C'était idiot, impulsif et irréfléchi. Si elle voulait vraiment changer les choses pour le mieux et contrôler son destin ainsi que celui du royaume, elle devait accéder au pouvoir. Et elle ne pouvait envisage de le faire qu'en tant qu'héritière des Byron, avec un pied dans la noblesse. Pas en devenant une vagabonde reniée par sa famille.

Après une longue inspiration lui permettant de remettre au fond d'elle ses émotions de frustration et d'ego, elle retourna dans sa chambre et défit son sac. Un léger rictus de moquerie envers elle-même prit place sur ses lèvres alors qu'elle réalisait que les objets qu'elle avait emporté pour sa fugue n'auraient eu aucune utilité pour survivre dehors. Elle aurait eu bien du mal à se débrouiller seule dans les rues, à tout bien y réfléchir... Non pas qu'elle soit sotte, loin de là, mais lorsqu'on nait avec une cuillère en argent dans la bouche, on peut parfois oublier qu'il n'est pas évident de se trouver à manger et de quoi dormir pour chaque jour de l'année. Oui, définitivement, cette fugue aurait été une terrible erreur...

« La liberté au prix des regrets »

Quelques jours plus tard, Valentine apprit que son prétendant ainsi que sa famille n'avaient pas aimé "l'affront" de les faire ainsi attendre et annulèrent la proposition de mariage en disant qu'il ne serait pas difficile pour eux de trouver une bonne épouse à leur fils, vu le rang et la prestance de leur aîné. Les parents de Valentine était toujours furieux mais elle leur proposa alors un compromis. Elle leur promit de les honorer rapidement avec un mariage noble et une famille importante, mais en contrepartie elle voulait choisir son époux afin d'être sûre de garder le contrôle sur son couple et ainsi permettre à sa famille de conserver l'avantage et de ne pas être évincée par une autre lignée.

Elle insista fortement sur l'intérêt qu'elle portait à la place de sa famille dans la hiérarchie sociale, parvenant à les convaincre que son idée était pour le mieux et qu'elle ne souhaitait que servir les intérêts de son patronyme. La vérité, c'était qu'elle cherche surtout à gagner du temps sur ses obligations. Et cette situation lui permit également de réaliser une chose fondamentale : mentir était quelque chose de désagréable qu'elle espérait ne pas avoir à reproduire.

Les mois passèrent donc et ses parents décidèrent d'aller rendre visite à des amis habitant en Province. Ils essayèrent de la convaincre de les accompagner, mais elle leur expliqua qu'elle avait mieux à faire à la capitale et qu'il était important que quelqu'un de sa famille garde un pied ici pour suivre les affaires politiques et sociales qui se tramaient.

Mais ses parents ne rentrèrent jamais de Province. Elle apprit leur décès lorsqu'un membre de la garde vint jusque chez elle pour lui donner un rapport selon lequel un groupe de voleurs qui sévissait dans la région depuis quelques temps avait eut un débordement lors d'une attaque de calèche – celle de ses parents. La situation aurait échappé à leur contrôle lorsqu'un des voleurs recruté récemment aurait dépassé les limites, causant la mort du couple Byron. Le groupe aurait été appréhendé quelques semaines plus tard et le chef de la bande déplora que tuer n'avait jamais été dans leurs habitudes et que s'ils n'avait pas recruté le petit nouveau, jamais une telle chose ne se serait produite.

C'est ainsi que Valentine devint héritière de la famille Byron. Mais cette liberté lui coûta cher en regrets ; car jamais elle ne pourrait se réconcilier réellement avec ses parents ni leur dire la vérité sur le fait qu'elle n'avait pas prévu de se marier pour le rang – et peut-être même de ne jamais se marier du tout. Mais elle devait maintenant vivre avec ce poids sur le cœur, cette aspérité dans la gorge, et surtout avec cette idée que la mort ne prévient pas avant d'arriver.

Et si personne n'était à l'abri, elle n'avait pas de temps à perdre si elle voulait atteindre son but.

Valentine rejoignit donc totalement la Cour dans les mois qui suivirent son deuil – elle en faisait déjà plus ou moins partie via ses parents –, prenant la place de ses ancêtres dans la haute sphère sociale du royaume.

Son objectif se précisa et s'ancra davantage en elle : elle devait gouverner pour le bien du pays. Parce qu'elle était capable de mener le royaume vers une meilleure évolution, bienveillante, car elle comprenait les enjeux du monde et qu'elle était persuadée d'être assez digne pour utiliser le pouvoir à bon escient.

Mais le fait de se mêler définitivement à la Haute-Noblesse ne laissera pas son esprit et ses ambitions intactes... L'égoïsme, le pouvoir et l'hypocrisie sont autant d'empreintes noires qui peuvent ternir l'âme des gens, leur faire quitter le droit chemin et les éloigner des valeurs importantes. Saura-t-elle se souvenir de l'origine de ses aspirations ? Ou finira-t-elle par laisser le monde la changer pour le pire ?