La nouvelle s’était répandue comme une trainer de poudre et Frère Ferdinand ne pouvait qu’être heureux pour Constantin, qu’il savait apprécier à sa juste valeur quand bien même ils n’avaient eu le temps de réellement discuter ensemble au Bal d’Augustine.

Cependant, il ne s’était pas attendu à voir le très fraîchement nommé Représentant de l’Eglise en France au sein même de sa petite et modeste chapelle. « B-Bonjour à vous, votre Eminence… » dit-il alors que Constantin pénétrait les lieux. Et lorsque ce dernier demanda à ce qu’ils soient laissés seuls, les méninges de Frère Ferdinand se mirent immédiatement en branle. « Je… Je vois. »

Il devait sans doute avoir été mandaté pour le sanctionner pour le Bal d’Augustine. Soit, si tel était le désir de Dieu à son égard… « Je présume que vous venez en ce lieu pour me réprimander de mon comportement lors du Bal de la Duchesse de Châtillon. Je ne m’opposerai pas à l’ire du Seigneur, quand bien même je me suis déjà confessé à ce propos. » S’il avait pu rapetisser juste en rentrant ses épaules, Frère Ferdinand aurait pu se rendre à la taille d’une souris.

« Si… Si vous souhaitez employer sur ma personne un châtiment plus… corporel… Je préconiserais que nous nous rendions dans une salle adjacente. » Il avait déjà reçu des coups de bâtons ou de lanières de cuir lorsqu’il avait fauté. Cela remontait à des années maintenant mais le souvenir était vif. Et parfois, ses cicatrices l’étaient aussi.

Lorsque Constantin se fit plus amical – ou du moins ce qui s’en rapprochait le plus – avec lui, Frère Ferdinand sentit ses épaules se décrisper. Bon, il se dit à lui-même qu’il devrait cesser de craindre les punitions venant d’en bas, de sous les pavés de Paris même, puisqu’il était depuis bien longtemps un sage petit pion que l’on n’avait plus eut besoin de punir pour le faire avancer droit, toujours tout droit sans poser – trop – de questions.

« Mon frère, je… » Il souffla son soulagement, venant même poser sa propre main sur celle de Constantin, réalisant par la suite qu’il avait heureusement pensé à mettre ses gants, aujourd’hui encore. Il n’aurait pas voulu imposer à son vis-à-vis le contact rugueux et répugnant de ses paumes et des secrets passés qu’elles contiennent à son égard. Peut-être plus tard… Mais l’heure n’était pas à ce genre de confessions. Il devait rendre des comptes et n’avait en aucun cas l’intention de se défiler.

« B-Bien, je comprends parfaitement. » Il prit alors une grande inspiration et tâcha de regarder Constantin dans les yeux. « Dame Brindal et moi avons été mis en duo lors de la Fête du Printemps et par un concours de circonstances que je ne m’explique toujours pas, il se trouve que ma protection pour l’année à venir a échoué entre ses mains. Nous avons discuté un peu mais puisque le temps s’est couvert brusquement, j’ai eu l’idée de vouloir lui apporter de quoi s’abriter, seulement… » Il soupire, honteux de ce qu’il s’apprête à avouer. « Sur le chemin, j’ai glissé sur un pavé humide et me suis cogné la tête. Des fidèles passant non loin m’ont ramené ici mais je n’ai réellement repris conscience que le lendemain matin, lorsque tout était terminé… Je pensais que la jeune femme m’en aurait tenu grief, mais non, elle s’inquiétait simplement pour moi. » C’était tellement rare. « Bien sûr, cela n’excuse en rien ma conduite lors du bal, j’en ai bien conscience. »

Lorsque le contact se rompt, Ferdinand aurait presque pu laisser échapper une expiration de surprise, comme s’il s’était subitement brûlé – quelle désagréable sensation que voici. Toutefois, en voyant Constantin s’assoir non loin, le prêtre le rejoint également et signe la seconde après s’être installé aux côtés de son frère.

La question tombe aussi vite qu’un couperet sur sa nuque et lui fait le même effet que la précédente interrogation. Mais cette fois, s’il ne pâlit ni ne bégaie, Frère Ferdinand veut montrer la preuve de sa détermination. « Je peux vous le promettre devant notre Créateur, votre excellence. Rien n’existe entre Dame Brindal et moi sinon le serment symbolique qu’elle me protège pour l’année à venir. » Puis, détournant son regard pour le fixer sur ses genoux, mal-assuré, il rajoute. « Je sais que j’ai mal agis au bal. A vrai dire, n’ayant jamais été éduqué à ces mondanités, j’ignorais même que l’on pouvait refuser une invitation. Vous me l’avez appris par la suite et je ne saurais comment vous remercier… »

Un fin sourire se pose sur ses lèvres. « En tous les cas, je vous présente une fois encore toutes mes excuses pour vous avez porté préjudice… »

Frère Ferdinand était rassuré de voir que ce malentendu n’entacherait pas plus sa journée. Il n’aurait pas voulu mettre Constantin, désormais représentant de l’Eglise en France, dans une situation plus délicate. « Il en sera fait ainsi, votre Eminence, vous avez ma parole. » Et il ne manquerait pas de s’y tenir, car il était quelqu’un de sérieux.

Cependant, le sujet de Merill le bouleversa un peu également. Mais cette fois, sans la défendre, il avait des arguments à apporter pour rassurer Constantin. « Oui, j’entends votre remontrance, Saint-Père. Toutefois… » Croisant les mains sur ses genoux et fixant ses propres doigts gantés, Frère Ferdinand prit une inspiration avant de continuer et vérifia bien qu’ils n’étaient que deux dans la chapelle à ce moment-là. « Eh bien… Comment dire… J’imagine que vous avez conscience que l’Eglise telle que nous la connaissons n’est pas la seule entité qui existe en ce bas monde, n’est-ce pas ? »

Il n’avait pas abordé le sujet de l’Eglise Souterraine directement avec lui, mais peut-être était-ce l’occasion ? Après tout, qui irait lui en tenir rigueur ?

Bon, au moins, il était certain que le sujet évoqué était bien compris de Constantin. Frère Ferdinand s’en voulut un peu – beaucoup – de parler de la sorte à son vis-à-vis, comme s’il était un enfant ignorant. Mais il ne voyait pas comment procéder autrement. « Bien… Dans ce cas, soyez rassuré pour elle, mon frère. » Il se permit de prendre une inspiration et de mieux poser son dos contre le bois du banc. « Merill est une précieuse combattante pour… eux. » Un regard à droite et à gauche, paranoïaque et il reprit. « Ils se débrouilleront pour étouffer les rumeurs à son sujet. C’est en quelque sorte un accord qu’ils ont passé, elle et eux. Il lui laisse la liberté d’agir comme bon lui chante… Dans la mesure du raisonnable, bien sûr, et en contrepartie, Merill exécute ses missions sans rechigner à la tâche. »

C’était un échange de bon procédé, dans les faits, même si Frère Ferdinand ne pouvait s’empêcher d’y voir là une forme évidente de maltraitance. Mais Merill ne voulait jamais le laisser exprimer sa pensée à ce sujet. « Vous savez… C’est Laurent qui à trouver Merill et qui l’a conduit vers moi, il y a des années. Elle a vécu des choses vraiment peu joyeuses mais elle s’en est toujours relevé. Ce que je veux dire… N’ayez crainte, mon frère, dans quelques jours, ils auront étouffé les rumeurs. Vous n’en entendrez bientôt plus parler, vous verrez. » La première fois, ça lui avait fait tout drôle, à lui.

Frère Ferdinand pouvait comprendre le trouble qui habitait Constantin. Après tout, il avait vécu les mêmes émotions, des années auparavant. C’est un sourire sincère mais sans lumière qu’il offre à son vis-à-vis. « Pour cette fois, je suis en mesure de vous garantir que nulle blessure ne sera infligée à qui que ce soit, soyez en paix, mon frère. » Les méthodes de l’Eglise Souterrain consistaient surtout à graisser la patte et intimider, pour ce genre de choses. Ils allaient rarement au-delà alors…

La question suivante le laissa… Perplexe. Personne à part Merill ne s’était jamais intéressé à sa vie, aussi fut-il pris un peu au dépourvu. « Eh bien, je, euh… » Il laissa son regard glisser sur ses mains gantées, scarifiées par-delà le cuir. « J’ai débuté sous les ordres quand j’avais une dizaine d’années… Et j’ai parfois tenté, il est vrai, de retourner à une vie normale. Mes parents avaient, je crois, un peu peur de moi. »

Constantin sait-il seulement qu’il est un sorcier ? Il ne se souvient plus exactement s’il le lui a dit. « J’ai fini par rentrer dans le rang, si on peut dire, à mes treize ans, lorsque je n’ai plus eu de famille pour subvenir à mes besoins. L'Église Souterraine a pris le relais. » Et d’une manière bien à eux, évidemment… Mais il n’aborderait pas ces détails pour l’heure. “Je serais présent, évidemment et avec plaisir, bien entendu.”

Écouter Constantin parler de son passé le touche profondément. Frère Ferdinand, véritable boule d’empathie par nature, laisse cette dernière reprendre le contrôle de ses pensées, sur ce court instant, ce moment suspendu dans le temps.

« Nous avons visiblement plus en commun que ce que j’avais imaginé… » Avec douceur, sa main gantée vint prendre celle de Constantin pour lui démontrer toute sa sollicitude. Pour l’heure, plus d’Eglise Souterraine, juste deux hommes proches dans les souffrances qu’ils ont connus.

Entendre Constantin se flageller pour son « ignorance » lui perfore le cœur. « Croyez-moi, mon frère, rien ne m’aurait fait plus plaisir que de vous garder dans l’ignorance, je crois. » Il se rend compte du message qui peut être compris et s’empresse d’ajouter : « N’y voyez là aucune forme de méchanceté ou d’égoïsme, simplement… » Sa main, sans qu’il ne s’en rende compte, serre un peu plus fort. « J’aurais voulu que vous puissiez continuer à sourire sans craindre le lendemain qui vous attend, mon frère. »

Il aurait voulu bien plus pour lui qu’une imitation de sa propre vie.
Constantin méritait bien mieux, lui.