Une trop longue journée. Voilà ce qu’avait été ce jour-là. Épuisante à tous les égards. L’explosion au quartier des armées avait mis toute la base en branle-bas de combat, et si Eve devait être sincère, elle était profondément épuisée. La seule chose qui pourrait la soulager à cet instant aurait été un long bain, ou peut-être, dans une autre vie, l’étau rassurant des bras d’Adam. Un soupir, le pas moins léger qu’à l’accoutumé, la nuit avait été interminable, et le jour suivant n’avait pas été mieux. Rentrant pour la première fois jusqu’à ses quartiers, elle avait fait le choix de ne pas retrouver son logement noble, mais la simplicité de son quartier était plus rassurante. Tellement plus rassurante.

Se glissant sans un bruit dans la petite bibliothèque à la porte verrouillée, c’est l’odeur chaude et douce des livres et d’un feu de bois qui l’accueille. Sophie, ne dormant pas encore, vient l’accueillir, déjà au courant des dernières nouvelles.

« Oh, mon chéri… »

Eve lui offre un sourire fatigué et vient embrasser sa joue. Elle sent encore la poudre qu’elle utilise pour se maquiller. Une odeur douce et rassurante.

« Comment vas-tu, ma Sophie ? »

Non, ce n’était pas son genre de se faire plaindre. Elle avait endossé ces responsabilités de son plein gré. Et Sophie, ne connaissant que trop bien celle qu’elle considérait comme sa petite-fille autant que sa sœur, n’en demanda pas davantage. Un repas léger fut partagé et alors qu’Eve débarrassait leurs couverts, Sophie s’exclama doucement d’avoir oublié d’apporter un ouvrage à Eliandre. Quelque chose à propos de la botanique - quel curieux choix lorsque l'on savait l'étendue du savoir de cet homme -… Eve haussa doucement un sourcil et finit de ranger et laver leur vaisselle avant de sécher ses mains. Elle ôte sa veste et défait le col de sa chemise pour être plus libre avant de prendre l’épais ouvrage de ses mains fatiguées par les années.

« Je m’en occupe. Va te reposer ma Sophie. Ne laisse pas de bougies allumées, je passerai par en haut. »

Un léger signe de main, Sophie qui la houspille sans aucune colère, probablement juste inquiète que son amie se surmène, et Eve passe la porte, refermant à clé à sa suite. Les rues sont pratiquement vides, l’heure du souper ayant déjà sonné depuis longtemps. Les rues ne l’inquiètent pas, et les ombres l’accompagnent sans qu’elle n’ait à y réfléchir. A quelques maisonnées de là, passant par la porte arrière, celle qu’elle avait eu le plus l’habitude d’utiliser, elle frappe quatre coups forts, comme à son habitude, avant d’ouvrir la porte…

« Eliandre ? Sophie m’envoie pour ta dernière commande. »

Cet endroit, Eve a appris à le connaître avec les années. La première fois, c’était avec Sophie qu’elle était entrée ici, apportant quelques plantes et victuailles à un homme qu’elle n’aurait pu qualifier autrement à l’époque que… grincheux. Sans aucun doute, en d’autres circonstances, peut-être qu’elle n’aurait jamais réellement prêter davantage d’attention à cette personne… Mais Sophie semblait proche de lui, l’ayant pris sous son aile depuis bien des années, quand bien même l’autre ne semblait pas désirer l’attention.

Eve n’est pas intrusive. Ne l’a jamais vraiment été par nature, du moins. Mais Sophie est le genre de personne qui n’hésite pas une seconde à panser chaque plaie, à jouer de son sourire comme de la lame la plus aiguisée. Une jeune femme pleine de vie à tous égards. Et Eve ne pouvait être que fière de voir cette jeune pousse devenue la plus belle fleur de son jardin.

Aujourd’hui encore, se faufiler dans la boutique aux odeurs florales et de sous-bois la fait sourire. Et la voix d’Eliandre… Est une sensation rassurante contre son dos. Comme un félin que l’on passage sur son passage, son dos s’arquant contre la main de son bienfaiteur. Eve ne trouve rien de repoussant dans le tempérament ours de cet homme. Elle trouve même sa compagnie des plus agréables. Et en parlant de félin…

Après avoir déposé l’ouvrage sur l’une des tables de travail – et à bonne distance de toute concoction ou plante qui pourrait tâcher l’ouvrage – elle s’accroupit devant Léo qui est perché sur l’une des basses étagères d’un meuble.

« Bonsoir toi… »

Elle n’essaye pas de le caresser, connait bien assez la bête pour savoir que ce genre de choses se faisait à ses conditions. Et après tout, elle n’était pas ici pour cette raison. Elle reste pourtant là un petit moment, jouant de l’index devant l’animal, simplement par curiosité.

« Sophie est aussi pimpante que d’habitude. Elle voulait venir elle-même, mais je me suis dévoué. »

Pas besoin de préciser que c’était autant pour donner un peu de répit à sa belle Sophie que pour simplement se dégourdir les jambes et se changer les idées. Une coupure lui ferait le plus grand bien après les deux derniers jours. Elle ne se formalise pas du silence mais relève les yeux vers l’autre homme lorsqu’il s’adresse à elle. Eve ? Se formaliser de la façon qu’Eliandre a de s’adresser à elle ? Elle, une gamine ? En réalité, elle n’a jamais été aussi soulagée de ne pas avoir à faire ses preuves. Eliandre la percevait du peu qu’il savait d’elle, et ça s’arrêtait là.

« Bien sûr, qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ? »

Pas léger, peut-être qu’Eliandre retrouvera la légère odeur de poudre et de fumée qui s’est glissée contre son parfum légèrement floral naturel. Elle se poste près de lui, un léger fredonnement dans la voix alors qu’elle surveille la marmite, les plantes, puis finalement le grand homme près d’elle. Le sourire dans sa voix est plus qu’audible.

« Dis-moi tout. Je ne suis pas aussi doué que Gudule, mais je peux faire de mon mieux. »

L’évidente bonne humeur d’Eliandre ne parvient qu’à la faire sourire davantage. Cet homme était un cas spécial. Peut-être qu’en d’autres circonstances Eve ne se serait jamais arrêtée sur cette boutique. Lorsque l’on est aussi peu commode, on avait forcément du mal à s’investir… Mais quelque chose dans la façon bourrue et presque sauvage de l’homme lui rappelait sa condition d’origine. Les simples gens du peuple qui n’ont, au final, pas de raison particulière d’être heureux si ce n’est pour le simple fait d’être en vie. L’existence n’est pas si douce à ceux qui doivent se battre chaque instant pour leur survie.

Et puis il y a ceux comme Eliandre. Ceux que survivre a endurci. Elle l’observe et pousse un léger son pour marquer qu’elle avait entendu sa recommandation. Même si Sophie se plaignait toujours qu’Eliandre se sente obligé de la compenser pour chacun de ses gestes de générosité dépourvu de la moindre intention litigieuse… Elle était malgré tout bien contente de trouver les divers cataplasmes qui soulageaient entre autres ses vieilles articulations. La balance marque l’équilibre, et l’agacement tout singulier de l’homme se fait entendre. Son affection pour Gudule serait presque touchante si l’adolescent n’était pas aussi tête de linotte…

Sa réflexion se tut lorsqu’une remarque la fit relever le bout de son nez de la flamme de l’âtre. D’un geste presque mal à l’aise elle apporte une mèche de cheveux blond contre son visage et…

« Oh… Oui, ils ont réquisitionné les civils pour acheminer l’eau… J’étais dans les parages, je ne pouvais pas ne pas prêter main forte… »

Ah, son déplaisir de mentir est un pincement contre son cœur, mais elle n’avait aucune envie d’effleurer d’une question de noblesse la relation qu’elle pouvait entretenir avec l’herboriste. Ils se connaissaient depuis trop longtemps, maintenant. Il lui reprocherait plus que sûrement de ne pas avoir joué franc jeu… Ou au contraire, d’avoir été trop sincère…

Elle espérait au moins que l’odeur ne le dérange pas trop… Et d’un mouvement de main, elle vient tordre ses cheveux en un chignon qu’elle noue d’un ruban à la hâte. Encore un son d’approbation et elle approche du livre en question et répond avec un rire dans la voix.

« Sophie m’a appris. J’espère bien que je sais lire ! »

Quand on savait qu’Eve était celle qui avait appris à Sophie lorsqu’elle était enfant… L’idée l’attendrit mais elle ne se dévie pas de sa tâche, lisant avec curiosité les pages et demandant à voix haute.

« Hmm… L’euphorbe ? Laquelle des deux tu veux ? Ésule ou exiguë… ? Ah attends, l’ésule est… vomitive… Ew, mais qui voudrait ça ? » Un rire, elle reprend, plus calme, la voix douce alors qu’elle dicte. « On a donc l’euphorbe ésule, les vertus sont dans la racine, l’écorce et le suc… Et l’exiguë… hmmm… suc toxique, et bienfaits dans les graines… ? » Son regard curieux se porte sur Eliandre. « A qui tu cherches des crosses ? S’il faut faire des misères à quelqu’un, t’as pas besoin d’une plante, je m’en occupe pour toi. »

Peut-être qu’à ses yeux à lui, une gamine qui promet de frapper pour lui serait une plaisanterie. Mais à dire vrai, Eve s’était attachée il y a bien longtemps de cela. Et au même titre que Sophie, elle n’aurait pas l’intention de laisser quiconque chercher des noises à son ami grincheux.

Eve relève le visage vers Eliandre et pince les lèvres en une moue ennuyée. Comment ça elle n’était pas sérieuse ? Pour qui est-ce qu’il la prenait.

« Bien sûr que si. Tu m’appelles gamine mais je t’assure que je sais me battre. »

A tous les égards, sa réponse sonnait pétulante, et la simple idée de confirmer à l’autre homme qu’elle n’était pas bien âgée – quelle ironie – ou qu’elle était plus téméraire que combattante – s’il savait – ne peut que la faire sourire. Si cet homme savait ce dont elle était capable, peut-être ne laisserait-il pas Eve entrer si facilement dans sa boutique. Ou peut-être même voudrait-il sa tête sur un piquet. La chasse aux sorcières a beau remonter à il y a bien des années, les mœurs ne sont pas aujourd’hui plus laxistes qu’elles avaient un jour pu l’être.

Mais l’explication interrompt son cours de pensée, un peu surprise. Oh. Vu dans ce sens-là… Elle a presque l’envie de demander si ce genre de traitement fonctionnerait aussi sur une créature. Après tout, la question resterait la même. Propriétés purgatives, hein. Eve garderait cette information dans un coin de sa tête.

« Hm… » Elle observe les pages puis les plantes que l’homme glisse dans l’eau rougeâtre. « Ésule, par déduction ? Si ce n’est que le suc. »

Est-ce qu’Eliandre essayait de lui apprendre quelques remèdes pour sa propre survie… ? L’idée fait fleurir un sourire sur ses lèvres et elle vient doucement presser son bras au sien, riant tout bas.

« Mais tu sais Eliandre, si j’ai besoin d’un remède, je te ferais davantage confiance à toi qu’à ma capacité de reconnaître ce genre de plante en pleine nature. »

Si elle remarque le petit manège, elle n’en dit rien observant le feu avant de prendre la broche du serviteur et de pousser quelques braises s’étant trop éloignées de l’âtre. Cet homme n’a pas besoin que l’on prenne soin de lui, non. Mais elle s’en voudrait trop qu’un malheureux accident puisse lui arriver. Elle reste accroupie devant le feu, jouant avec les tisons un moment avant de demander/

« Dis… Avec tout ce qu’il s’est passé en ville ces derniers jours… Tu aurais entendu quelque chose, toi ? Par rapport à l’attaque des quartiers armés ? Je ne pensais pas que les pouvoirs armés étaient si mal perçus de la cité… »

Une réelle inquiétude, si elle devait être honnête. Elle ne s’imaginait pas partager ses craintes avec Sophie. Et en réalité, personne d’autre ne pourrait entendre ce discours-là. Eliandre était le seul à qui elle pouvait indirectement se confier.

« J’ai sûrement été bête de croire que le peuple soutenait l’armée. »

Satisfaite d’être reconnue comme autre chose qu’une écervelée aux yeux de l’homme le plus bougon de tout Paris ? Oui. Et ce de façon visible. Son sourire est sincère, et il y a de petit quelque chose de sa malice perdue contre la commissure de ses lèvres. Oubliées ses obligations, les bandages contre son épaule et ses membres. Oublié Bellevallée et tout ce qui n’a pas lieu d’être ramené chez soi après deux si longues journées. Eve reste contre Eliandre, elle se rassure de sentir le geste paternel contre elle, relève les yeux vers lui et pourrait le remercier de sa bienveillance. Elle n’en fait pourtant rien. Elle sait qu’il serait de nouveau ronchon. Autant ne pas élimer sa bonne humeur.

L’information quant à l’erreur de Gudule la fait rire, et si elle pourrait souligner à Eliandre qu’ainsi parler d’un poison pouvant tuer une personne au Maréchal de France n’était définitivement pas la plus brillante des idées – surtout en ces temps sombres où tout semblait vouloir attenter à l’intégrité des figures emblématiques de la France – pourtant elle ne dira rien et soufflera tout bas.

« Pratique d’apprendre aux demoiselles les manières pour se débarrasser de quelqu’un, hmm ? »

Lorsqu’Eliandre commence à ranger ses instruments, elle ne fait rien pour l’aider. D’une, parce qu’il n’avait pas besoin d’elle. De deux, parce que chaque objet a sa place attitrée… Et de trois… S’il avait une seule seconde l’idée que son aide était une main tendue par pitié, Eve ne pourrait que s’en vouloir. Cet homme était la démonstration vivante que tous les sens ne sont pas nécessaires à une vie normale. Non, elle ne lui aurait jamais ainsi manqué de respect. Quant à ses opinions sur l’armée, ah…

« Hm… Tu as sûrement raison… C’est juste… Je ne comprends pas pourquoi. J’avais l’impression qu’ils se donnaient du mal. Et au final, ça se retourne contre eux. »

Un soupir et elle repousse ses cheveux derrière son épaule, une moue ennuyée sur le visage. Le peuple n’est jamais satisfait des démonstrations de pouvoir. Eve avait pourtant essayé d’aplanir le terrain de jeu. De l’assainir, même. Mais son titre en lui-même était contesté. Tout ce qu’elle pouvait faire, par ricochet, serait critiqué… Et le Duc de Normandie… Le Duc de Normandie ne devait certainement pas lui faire la plus douce des publicités.

« Bah, pas grave. T’as raison. Je ne devrais pas m’en mêler. »

Trop tard. Elle souffle doucement et s’appuie contre le bord de la table, observant les diverses plantes puis elle presse juste son index contre le bras d’Eliandre, une petite moue ennuyée sur les lèvres.

« Dis… Si tu entends quelque chose… Tu voudras bien me le dire quand même… ? Je resterai hors des ennuis. Mais… »

Comment lui dire qu’elle avait besoin de savoir sans s’exposer ? Elle s’enfermait doucement dans son propre piège. Elle force un rire et secoue la tête pour se secouer les idées.

« En fait tu sais quoi, oublie. Ce n’est pas bien grave. Hm. Il faut faire quoi maintenant avec notre euphorbe ? »

La conversation est légère. Eliandre est ce qu’Eve associe à un havre de paix. Elle n’a pas besoin de pitié, de compassion ou même de douceur. Ici, elle n’a aucun jeu à jouer. Rien. Simplement agir comme elle le souhaite. Comme avec Sophie. Il n’est pas question d’un faux semblant, simplement de la vérité. Et ce que la vérité peut être confortable lorsqu’on se l’on se trouve accepté par ceux qui nous entourent ?

Eve ne retient pas un rire cristallin alors qu’Eliandre souligne qu’il s’inquiète davantage des femmes que d’une quelconque plante ou concoction. Elle ne cherche pas plus loin, comprend, en réalité, que le courroux des femmes puisse être déroutant. Là où les sentiments prennent leur place, il est des choses contre lesquelles on ne peut lutter… Et s’il n’est une histoire de cœur aux plaies béantes, nul ne pourrait faire croire à Eve qu’une femme se voyait moins puissante qu’un quelconque homme. Non, à ce jeu-là, les genres ne faisaient aucune différence. Une griffe est une griffe. Une lame est mortelle qu’importe le nom de son porteur.

Pour le reste ? Eve bat des cils, prise au dépourvu par la remarque suivante.

« P-pardon… ? »

Oh, elle n’a pas le réflexe de rougir ou de s’emporter. Non, elle n’entrerait pas sur ce terrain glissant. Il était de toute façon préférable qu’Eliandre continue de croire à cette théorie. Cette excuse était parfaite… Et après tout, il n’y avait aucune honte à fréquenter un homme de l’armée. Elle n’avait pas eu honte il y a soixante-dix ans lorsque –

Le sujet, tel une girouette, s’évapore vers d’autres horizons et Eve ne peut que s’empresser de suivre ce nouveau chemin qui lui est offert. Une touche de malaise, elle joue avec une mèche de cheveux blonds dans une démonstration d’une anxiété qu’elle ne pourrait pas justifier. Elle n’a d’ordinaire pas le droit de montrer ses peurs. Et s’il ne s’agit pas d’une inquiétude réelle… Elle doit admettre que ne pas tenir un front solide la rassurait presque.

« Peut-être ? On ne sait simplement jamais trop à quoi s’attendre. Peut-être qu’un jour en forêt je serais bien contente de savoir quoi faire d’une plante. Et puis il n’y a rien de mal à apprendre de nouvelles choses tous les jours. »

Après tout, il n’y avait rien de mal à cela, n’est-ce pas ? Même pour une jeune fille écervelée comme il semblait le penser. Mais une fois n’est pas coutume, elle perd le fil de ses pensées et ne sait retenir la vive inspiration entre ses dents lorsque la paume d’Eliandre se referme, même délicatement, contre son bras. Ah, saletés de brûlures. Elle tente pourtant de se concentrer sur ses explication, feint qu’il n’y avait aucun problème, répondant avec le plus d’aisance possible.

« Ça semble plutôt simple… »

Ah. Voilà qu’elle ratait le coche pour enchaîner et son silence reste perplexe avant qu’elle hésite de longues secondes. Enfin, c’est un soupir qui lui échappe alors qu’elle finit de s’asseoir sur le bord de la table.

« Sur une échelle de zéro à dix. Tu crois que je peux remplacer Gudule ? » Elle avait besoin d’une distraction. « Ça ou devenir assassin à l’euphorbe. »

Un nouveau silence et elle finit par avouer, la voix plus basse, plus douce. A quoi sert-il de lui mentir, de toute façon ? Il ne devait pas être dupe. D’un geste léger, elle ramène ses paumes sur le bord de la table et commence lentement à balancer ses jambes dans le vide.

« Est-ce que ça te dérange si je reste un moment avec toi… ? Je n’ai pas envie d’inquiéter Sophie plus que de raison… »

Son sourire est entre amusé et marqué de tristesse. Sans grande surprise, Eliandre avait réalisé la blessure tapie sous ses vêtements. En réalité, quiconque verrait le Comte de Harcourt saurait qu’il avait été blessé pendant l’incident des quartiers armés. Qu’il avait été question d’importantes pertes matérielles, et que si trois personnes avaient été blessées, une autre avait péri entre les bras du Maréchal. Eve ne relève pas. Ne fait pas le moindre commentaire autre qu’un léger son d’approbation à son attention. Il ne servait à rien d’épiloguer. Eve n’y gagnerait qu’à s’enliser davantage dans un mensonge qu’elle n’avait pas le cœur de préserver pour l’instant. Ici, elle n’avait besoin d’être personne. L’anonymat était une solution qu’elle acceptait sans la moindre hésitation.

« … Je présume le temps que je passe naturellement à en voir… Soit… Les rares fois où je peux aller dans des environs plus boisés ? »

Et rencontrer des tout genre de créatures qui ont souvent le mérite de la détourner de son intérêt premier pour la nature. Eve secoue doucement la tête et rajoute un léger.

« Trois, je pense ? »

Quel était l’intérêt de mentir, de toute façon ? Plus et il saurait qu’elle répondait pour lui faire plaisir – et faire plaisir à Eliandre relevait du miracle –, moins, a contrario, serait un flagrant mensonge. D’autant plus qu’elle avait plusieurs fois eu l’occasion d’en apprendre davantage sur certaines propriétés médicinales de plantes communes au cours des derniers siècles. Mais elle ne cherche pas davantage le conflit et reprend plus doucement.

« Je sais que tu es content de ta réputation d’ours, mais sache que certaines personnes comme moi et Sophie aimons ces bêtes-là. »

Encore une fois, Eve ne partirait pas en épilogue pour expliquer à Eliandre qu’à échelle de créature, l’herboriste était un individu curieux qui ne manquerait pas d’attirer l’attention. Non, elle se contente de saisir l’ouvrage près d’elle et de tourner les pages jusqu’à trouver l’ortie, elle lit tranquillement les mots écrits là, commentant à voix haute, l’air curieuse.

« Comment une plante peut avoir tant de propriétés ? »

Oh ça ne la surprenait qu’à moitié. Mais pour avoir vu tant d’enfants pleurer en sortant d’un buisson d’ortie, elle ne s’était pas réellement attendue à ce que la plante soit presque un remède à tous les mots. Et si tous les termes ne lui posent aucun problème, elle feint pourtant d’être ingénue d’un léger.

« Eliandre ? Ça veut dire quoi antalgique ? »

Il y avait quelque chose de presque tranquille à oublier le reste du monde et être une simple gamine aux yeux de quelqu’un. Eve continue de tranquillement balancer ses jambes, lisant la suite de la page avec attention, un léger sourire au coin de ses lèvres.

Il y a quelque chose de thérapeutique dans la façon de faire d’Eliandre. Ah, non, elle ne pense pas particulièrement à ses manières, bien entendu. Ses airs rustres et ses discours abrasifs tendaient à faire fuir bon nombre de personnes. Pas elle, pas plus que Sophie, en réalité. Non, ce qu’elle trouve apaisant chez lui, ce sont ces moments volés où la façade sèches devient simplement un tempérament un peu brut. Eliandre est ainsi fait, et il suffisait d’apprendre à voir au travers de ce masque d’agression pour réaliser qu’il n’était clairement pas le pire homme de la ville. Très loin de là, même. Ses intentions, Eve les a toujours connues bonnes. Et s’il démontre expressément son agacement… ? Qui pouvait lui en vouloir ? Le jeune Gudule semblait effectivement être une toute autre paire de manches, s’illustrant particulièrement non pas par ses compétences, mais ses absences.

« La menthe, hm… »

Alors peut-être était-ce pour cette raison que lorsque les rhumatismes de Sophie se réveillaient, il planait toujours une légère odeur mentholée dans la boutique. Un léger sourire étire ses lèvres et elle reprend patiemment sa lecture, prudente de ne pas déranger les déplacements d’Eliandre avec le léger balancier de ses jambes. Elle rit pourtant à sa remarque.

« Oh tu sais, je ne suis pas persuadée que le sucre que je peux manger dans la journée ait réellement les meilleures vertus… Mais si je ne peux pas me faire plaisir de temps en temps… »

Eve relève le bout de son nez de l’herbier qu’elle était en train de consulter lorsqu’après un silence, Eliandre attire à nouveau son attention. Oh. Voilà qui était surprenant de sa part. Avait-il besoin d’aide mais le couvrait derrière un geste d’apprentissage ? Elle hausse un sourcil et referme l’ouvrage avec un léger bruit avant de laisser ses pieds toucher le sol en descendant de son perchoir. Elle l’approche et regarde depuis derrière le bras de l’homme – à défaut d’être suffisamment grande pour regarder par-dessus son épaule – avec un air curieux.

« Je veux bien… Il faut faire quoi ? »

Elle le regarde faire quelques secondes et se glisse à ses côtés, lui donnant un très léger coup de hanches, amusée.

« Laisse-moi la place, je vais tester ça. Il faut presser pour extraire le suc, c’est ça ? »

Pourtant aucun geste ne vient sans confirmation. Elle tapote du bout des doigts l’intérieur du poignet d’Eliandre qui tient encore le couteau avant de le lui prendre prudemment, repoussant ses cheveux derrière son épaule de l’autre main.

« Apprends-moi, que je te serve au moins à quelque chose le temps que je suis là. »

Il lui semblait presque étranger l’idée qu’un homme puisse si naturellement se comporter avec elle. Eliandre est ce genre d’homme qui ne se fie à rien d’autre que son instinct. Qui se comporte avec tous sur la base d’un même désintérêt commun. Ou du moins, de ce qu’il prétend être du désintérêt. Pourtant il se comporte de telle sorte qu’il serait idiot de croire qu’il s’en moque réellement. Certains semble compter. De la même façon qu’il prend naturellement soin de Sophie. De la même façon qu’une fois le couteau entre ses doigts pâles, l’herboriste reste derrière elle, son torse contre son dos. Le geste pourrait être oppressant. Un geste patronisant et profondément dominateur. Un geste qui pourtant, lorsque la main large se referme sur la sienne, la laisse apaisée et tranquille.

Jamais cet homme ne ferait de mal à qui que ce soit. Des années entières à l’observer de près comme de loin lui avaient confirmé ceci. Qu’importe les raisons de son aigreur, elle se savait en sécurité ici. Alors elle l’écoute religieusement, ne s’offensant en aucun cas de leur proximité, ni même du fait qu’il considère qu’elle pourrait ne pas réussir à faire ce qu’il lui indique… Et comme à chaque fois, reste admirative devant la précision d’un homme démuni de l’un de ses sens.

« Hmm… D’accord… Je vais essayer. »

Prenant une autre feuille du même type, c’est avec la même précision que celle démontrée qu’elle tente d’imiter le geste. Elle y mettra quelques instants supplémentaires, mais la coupe semble juste. Avec un léger sourire, satisfaite de ce qui ne devrait être qu’un geste rudimentaire sans intérêt pour elle, elle attrape le mortier offert et y dispose les plantes.

« Je ne sais même pas comment tu parviens encore à sentir quoi que ce soit de spécifique ici… Les odeurs sont toutes tellement fortes. »

Probablement qu’en mettant son nez dedans, oui, elle pourrait avoir les effluves de cette plante spécifique. Mais Eve avait toujours préféré les plantes dans leurs habitats naturels. L’odeur des fleurs et des aromates qui éclosent et se rendorment à la nuit tombée. D’une main, elle attrape enfin le pilon et commence à écraser les feuilles, écoutant distraitement Eliandre qui continue de vaquer à ses activités habituelles.

« Avant que ça ne soit de la purée, noté. »

Quant à blesser son poignet… Il faut dire qu’en comparaison d’une épée, l’activité était tout bonnement enfantine. Elle n’en dit pourtant rien et poursuit le mouvement, l’air curieuse.

« Et dans quoi faut-il filtrer ? »

Elle observe la consistance de la pâte dans le mortier et fronce les sourcils. A ses yeux, toutes ces plantes se ressemblaient beaucoup. Elle n’arrivait pas à comprendre comment toutes ces concoctions et remèdes parvenaient à rester dans sa tête… Quand bien même il y avait un nombre faramineux d’ouvrages… Qui était donc là pour les lui lire ? Gudule ? Sophie ? D’un regard curieux, elle observe Eliandre et hausse un sourcil, posant une question absolument sortie de tout contexte.

« Pourquoi ne pas trouver compagne pour t’aider ici ? Ton apprenti ne semble pas disposé à faire des heures supplémentaires de nuit… Et quand bien même tu t’en sors très bien ainsi, un coup de main ne pourrait pas faire de mal… » Elle hausse un sourcil et s’interroge à haute voix. Bien consciente cependant que l’autre homme risquait de ne pas répondre à sa rétorque. « Y a-t-il quelqu’un ? Une personne avec qui… Tu sais ? »

L’appétence d’Eve pour le savoir n’aura certainement jamais aucune limite. Elle a eu bien des opportunités d’apprendre des choses sur les plantes, mais jamais avec autant de précision. Alors si Eliandre lui souffle que les plantes aux fragrances les plus intenses ne sont pas ici… Elle n’allait certainement pas remettre ses propos en question. Ce n’était pas elle la professionnelle de toute façon. Et puis, en toute sincérité… Eve appréciait de ne pas être celle que l’on attendait pour s’abreuver en directives et informations. Oui, pour toutes ces raisons, l’herboriste était une compagnie qu’elle pouvait admettre apprécier autant que celle de Sophie. Des gens simples qui ne lui rendaient pas la vie difficile. Des gens normaux avec des problématiques normales. Bien loin du tumulte de sa vie habituelle. Une pause dans la folie de Paris qu’elle n’aurait changée pour rien au monde.

« Hm… Je pense que pour cette fois, je devrais pouvoir me passer de ça. »

Elle suit le mouvement de main du plus grand et incline la tête sur le côté, apercevant le linge indiqué après quelques instants à scanner les comptoirs et étagères. Oui, il connaissait parfaitement sa boutique, sans grande surprise, il fallait avouer.

Tout se passait à merveille… Jusqu’à ce qu’elle mette aussi clairement les pieds dans le plat. Oh, elle connait l’antipathie affichée d’Eliandre pour Gudule. Mais s’il ne l’avait pas considéré digne d’apprendre ses enseignements, il y a déjà bien longtemps qu’il ne serait plus ici.

Mais l’autre détient une capacité bien singulière à détourner les sujets. Peut-être dans une autre vie avait-il été un voleur. Roi de l’évasion. Elle en est presque certaine.

« Passé l’âge… ? »

Quelle ironie de lui dire ça à elle, quand son cœur se tord de douleur et pleure un rêve brisé. Mais elle n’y pense pas. Ne peut pas se souvenir de tout ceci. Le temps éteint les flammes, et les siennes n’étaient plus que cendres depuis bien longtemps. Près d’un siècle ne laisserait jamais sa trace sur elle. Jamais, pense-t-elle en reposant un instant le couteau pour effleurer le pendentif à sa gorge.

Quelle sotte.

« Je présume qu’il faudrait davantage que je me tourne vers toi pour faire fuir les prétendants trop insistants. Comme les répulsifs que tu fabriques pour certains nuisibles, Sophie m’en a parlé… Ah, tu n’as pas ça contre les hommes un peu trop insistants ? »

Un rire, léger et elle reprend sa tâche, tournant le regard vers lui, distraite.

« En réalité, j’ai plus le sentiment qu’une compagnie ne t’indisposerait pas tant que ça… Pas besoin de romance pour trouver une conversation agréable. Sinon nous serions bien mal partis toi et moi. »

Elle ne veut pas le brusquer. Pas plus qu’elle ne tient à le déranger. Mais voilà qu’elle continue son oeuvre et d’un coup de couteau trop acéré, ce n’est pas une feuille qu’elle coupe, mais la longueur de l’un de ses doigts. Un son lui échappe, plus de surprise que de peur mais ses réflexes sont assez vifs pour qu’elle ne laisse rien souiller les plantes.

« Mince. Quelle idiote. Dieu merci ça n’a pas eu le temps de couler sur les sucs. Désolée, j’ai été imprudente. »

Conseils avisés ou particulièrement déplacés, Eve était la seule coupable du pincement au cœur qui la prend à l’idée qu’il ne fallait jamais rien repousser au lendemain. Peut-être était-ce pour cette raison qu’elle s’était inutilement laissée distraire pendant sa tâche. Ou peut-être était-ce simplement un coup du sort. Une preuve de plus que rien dans ce monde ne va sans en payer le prix. Aussi maigre soit la peine.

Eve se laisse surprendre par la main d’Eliandre qui remonte son bras pour attraper son poignet blessé, captant le regard de l’homme avant de rire d’un souffle gêné.

« Je t’apporte encore que des ennuis. T’es sûr que tu veux pas me mettre dehors aussi ? »

Mais il ne fait rien pour la chasser, bien au contraire. C’est avec un naturel déconcertant qu’il l’emmène panser sa plaie, comme l’individu profondément consciencieux qu’il prouve si rarement être face aux gens. Il fallait pourtant être aveugle pour en pas réaliser. Pour ne pas voir qu’il traite ses clients avec quelque chose de très sec dans ses façons de faire oui. Mais jamais il ne laissera une personne démunie sans aide. Eve l’avait vu bien des fois. L’avait également entendu par Sophie. Sophie qui, de toutes ses années de sagesse, ne jurait que par la bonne âme qu’est Eliandre.

Un léger sourire étire ses lèvres alors qu’elle voudrait lui souffler que ce serait vain. Qu’il n’y aura plus rien d’ici une poignée de minutes. Mais le pansement est déjà fait… Et plutôt que de s’éloigner, elle reste près de lui. Grimpe prudemment sur le plan de travail sans déplacer la moindre chose, restant près de lui. Compagnie voulue n’était pas compagnie déplue, pas vrai ?

« Les fleurs de pêcher donc… Je retiens… »

Même si, en toute honnêteté, il faudrait déjà que des hommes se tentent à l’approcher… L’uniforme avait tendance à en calmer plus d’un. Pour le reste, il suffisait de leur briser le cou, ou les vider de leur sang… Enfin, ça, elle ne le fait plus désormais. Ou rarement, plutôt.

Pendant de longues minutes après cela, il n’y a que le bruit de l’ouvrage minutieux d’Eliandre. Elle l’observe faire sans insistance, frottant les plantes contre son index du bout du pouce. La quiétude est rassurante. Tellement plus paisible que l’enfer des quartiers armés. Tellement moins pesant que l’inquiétude de Sophie. Scrutant quelques instants le profil d’Eliandre, elle réalise doucement, un sourire sur les lèvres, réprimé contre sa voix.

« En réalité, tu me rappelles un peu mon frère… Un grand calme, avec un caractère bien forgé. »

Une façon polie de dire qu’il s’agissait de têtes de mule avec des légers dysfonctionnements comportementaux en collectivité, oui. Ah… Est-ce que ce n’était pas un signe de plus qu’Adam lui manquait… ? Elle soupire doucement et hausse les épaules.

« C’est sûrement pour ça que j’aime passer du temps avec toi. Ça et le fait que ça m’évite que Sophie ne tarisse pas d’inquiétudes à mon égard. Ça s’arrange pas avec les années, pas vrai ? »

La remarque est légère, amusée. Eve pourrait sûrement lui parler toute la nuit. Ou simplement se laisser bercer par le crépitement du feu, et l’odeur si enivrante des plantes.

Si tout jusqu’ici était simple et sans peine… Il est bien une chose qui parvient à écorcher le cœur d’Eve. Si aucun son ne lui vient, les mots auront pourtant eu leur effet. Baisse les yeux la demoiselle aux sourires tranquilles, à la simple idée qu’il est vrai, Andrei ferait tout pour la protéger des prétendants. Instinctivement, comme bien trop souvent, ses doigts se referment sur le pendentif à son cou alors qu’elle essaie d’oublier. Ferme les yeux sur ce mal qui la ronge depuis trop longtemps. Sur ces doutes qui s’engrainent en elle sans même qu’elle puisse un instant les effacer.

Mais Eliandre par chance ne s’éternise pas sur le sujet. Revient à Sophie. Sa si douce et tendre Sophie. Si ses lèvres s’étirent d’un léger sourire, il n’est pourtant plus rien de cette délicate joie de vivre. Et pour chaque mot prononcé, elle ne peut qu’approuver.

« Tu as raison… C’est juste que je ne prendrais jamais vraiment l’habitude d’être ainsi protégée. »

Car il n’y avait jamais eu personne sauf Andrei. Qu’il était curieux d’un jour prendre une enfant sous son aile et de la voir quelques années plus tard se comporter comme son aïeule. Le souvenir en lui-même est suffisamment doux pour la radoucir. Repoussant lentement ses pensées plus sombres au placard.

Et à chaque instant, l’œuvre d’Eliandre progresse. Combien de temps cela faisait-il qu’elle se tenait ici avec lui ? Les minutes ne semblaient plus compter. Et lorsqu’il souligne que son absence risquait d’inquiéter son amie… Elle s’apprête à descendre du rebord du plan de travail alors qu’il lui offre sa main et…

« Dire que les gens te pensent bourru… »

Ses doigts glissent contre la paume chaude de l’homme, et elle se laisse guider jusqu’au sol sans protester, le cœur, peut-être, un peu plus léger en partant qu’en arrivant… Et les joues un peu plus chaudes lorsque l’affection mutuelle se présente à elle en un simple baiser contre sa tempe. Eve reste silencieuse face à l’acte mais se fend d’un sourire heureux. Resserre doucement ses doigts contre ceux d’Eliandre avant de le laisser s’échapper.

« Promis. On se revoit bientôt. »

Elle pourrait faire le geste retour. Mais elle sait que cet homme n’aime pas ce genre de démonstrations. Inspirant lentement, elle contourne l’herboriste et lui lance plus doucement.

« Bonne nuit, Eliandre. »

Eve refermera la porte de la boutique avec soin en partant, traversant les quelques foulées la ramenant jusqu’à ce chez elle qu’elle affectionne temps. Un brin de toilettes dans l’obscurité ambiante, Sophie dort sûrement depuis longtemps… Et une fois une tenue plus appropriée passée, ce n’est pas à l’étage qu’elle se rend. Pousse doucement la porte de la petite cuisine aménagée en chambre de fortune et vient doucement se glisser sous les draps, là où Sophie, peut-on s’en étonner, ne dormait pas, trop inquiète pour son amie.

« Tu es enfin rentrée. »

« Pardon de t’avoir fait attendre Sophie. » Un baiser contre le front de celle qui referme doucement ses bras autour d’elle, comme pour la protéger. « Fais de doux rêves. »

Qu’importe ses origines et ce qu’il pouvait rester autour d’elle. Qu’importe le poids de cette rose contre sa gorge. Il était au moins deux âmes en ce monde qui tenaient à la voir prospérer.