Bâtard, tu es, tu l'étais, et tu le restes.

Il y a les gens bornés.
Il y a les suicidaires.
Et il y a surtout pire : ceux qui sont les deux.
Josèphe fait partie de ceux-là. Une bête enragée, imprévisible, au sang chaud et au tempérament plus que douteux. Il semble haïr la vie depuis toujours, et paradoxalement il l’aime autant que la haine qu’il lui porte. Une contradiction, une véritable erreur de la nature, un lion prêt à dévorer ce qui se met sur sa route. Voilà le genre de personne qu’est Josèphe.

Cela l’empêche-t-il d’être parfois doux ? Non. Cela l’empêche-t-il d’être bon ? Selon les standards de la haute société : cela ne fait aucun doute. Mais les standards, la bienséance, tout cela passe au-dessus de sa tête. Josèphe est quelqu’un de fier, honnête et franc, qui peut se montrer droit envers les quelques personnes qui méritent son intérêt. Par exemple, il aime beaucoup les enfants, une incarnation de l'innocence et de la douceur qui n’ont pas encore été pervertie par cette vie perfide, froide et cruelle. Même au prix de sa vie, il ne saurait leur faire de mal.

La situation est tout autre concernant les adultes. Pervers, violent et indigne, Josèphe n’accorde sa confiance et son intérêt qu’à quelques élus : des gens de confiance, mais aussi envers son mécène. Pour le reste ? Il n’a pas assez de temps et de pitié pour eux. Il peut être parfois brusque, voire rude, lorsqu’on essaye de forcer le contact et sa sympathie. Souvent grossier -cela le fait énormément rire-, il peut néanmoins faire preuve de beaucoup d’intelligence. Il peut facilement se passionner pour de nombreux sujets et il n’est pas rare de l’entendre prononcer des phrases à la fois justes et pertinentes sans s’y attendre. Imprévisible. Il ne s’entend que très peu avec la haute noblesse, ne leur accordant que le minimum de respect pour éviter de se retrouver de l’autre côté de l'échafaud. Après tout, l’hypocrisie est également une forme de respect.

Il aime beaucoup l’humour, surtout lorsque celui-ci est irrévérencieux envers les nobles et la royauté. Il peut être bruyant, parlant avec puissance … Sauf sur l’échafaud. Même si la personne présente est le plus horrible des êtres humains, il accordera toujours le respect à celui ou celle qui va mourir de ses mains. Il priera pour cette personne -bien que sa foi lui fait défaut depuis bien longtemps- et il prendra le plus grand soin de son corps tant qu’il en sera le responsable. Il n’est pas rare d’ailleurs de le voir verser une larme après l'exécution pendant qu’il transporte lui-même la tête du défunt.

Après tout, il n’est pas suffisamment inhumain pour manquer de respect envers les morts, car il ne peut que les comprendre au fond de son cœur.

Mais alors, pourquoi quelqu’un qui semble aussi haineux de la vie cherche-t-il désespérément à rester parmi les vivants ? Car Josèphe n’a pas encore trouvé la bonne personne. Celui ou celle qui sera suffisamment fort, suffisamment proche de lui pour accepter de mettre fin à sa vie. Il refuse de mourir de la main d’un faible, ou d’un couard qui n’oserait lui donner une mort rapide et sans douleur. D’ici là, il continuera à vivre et porter son fardeau seul, quitte à traverser des milliers de tempêtes pour survivre.






Ce furent les derniers mots que Josèphe entendit de son géniteur.
Ces mots, telle une malédiction, signèrent la fin de sa précédente vie.

Adieu Josèphine Charline Jouhanne.
Dorénavant, ce sera Josèphe Charline Jouhanne.



Née Josèphine Charline Jouhanne, un froid jour de janvier 1565, c’était une belle petite tête blonde aux yeux bleus. Un beau bébé qui ne ressemblait malheureusement ni à sa mère ni à son père, tous les deux bruns aux yeux marrons. Mais la religion faisant son œuvre, ses parents voyaient en son apparence un signe quasi divin. Petite fille de la famille Jouhanne, habitant dans les confins de la froide et solitaire Normandie, elle passe ses premières années de façon paisible, éloignée de tout. Sa famille appartient à la basse noblesse, ayant acquis ce statut à force d’investissement dans des terres par ses ancêtres. Elle ne manquait de rien si ce n’est de la présence des autres enfants : étrangement elle ne voyait jamais personne chez elle hormis des membres de sa famille. Son père partait régulièrement à la Capitale, mais son travail se situait surtout en Normandie donc elle ne souffrait pas trop de ses absences. Elle était très proche de son père, un peu moins de sa mère qui était très sévère avec elle et ne lui montrait que peu d’amour.

Elle reçut une éducation somme toute de qualité, surtout par rapport à d’autre petite fille appartenant à la même classe qu’elle. Elle apprit à lire, écrire et également compter pour aider plus tard à gérer les finances de leurs quelques terres. C’était une enfant polie, plutôt sage bien qu’elle avait une passion non dissimulée pour escalader les arbres et se cacher dans des endroits incongrus. Bien heureusement pour ses parents, sa longue chevelure brillante leur permettait de la retrouver rapidement à chaque fois. C’était un petit jeu qu’elle avait avec son père, pendant que sa mère se désolait d’avoir une fille “aussi peu féminine”. Elle n’était qu’une enfant de 8 ans, alors cela la faisait surtout rire.

Ce fût à cette période que Josèphine développa une passion peu commune : elle adorait disséquer des animaux. Bien sûr elle n'éprouvait aucun plaisir à tuer, mais elle était fascinée par ce qu’il y avait “à l’intérieur”. Elle comprit que le sang n’était pas toujours rouge, que les corps des animaux et insectes avaient des formes bien différentes les uns des autres. Elle ne pouvait s’empêcher et bien souvent elle s’arrangeait pour récupérer des animaux déjà mort car les tuer lui faisait beaucoup de peine -au point de pleurer. Mais c’était plus fort qu’elle, elle ne pouvait s’en empêcher. Elle notait tout dans un beau carnet qu’elle gardait secret car elle avait peur que sa mère la punisse ou qu’elle l’empêche de faire ça.

Elle s’intéressa quelque temps à des rudiments de la médecine, même si elle ne comprenait pas tout. Elle était curieuse et elle aimait lire sur tous les sujets, mais petit à petit elle se passionna aussi pour le corps humain. Bien sûr, l'idée même de disséquer un humain lui donnait des hauts de cœur, mais … Elle gardait ce désir secret de pouvoir voir ça un jour de ses propres yeux, comme une fascination à la fois morbide et dégoûtante, avec un léger goût d’interdit.

Malheureusement elle ne put continuer longtemps cette vie si tranquille.

Lors de ses 13 ans, alors qu’elle était dans sa chambre, elle entendit des hurlements. En descendant, elle comprit que cela venait de ses parents qui se disputaient avec une rare violence. Elle était interdite; elle n’avait jamais vu ses parents se disputer. Son père brandissait des lettres qu’il jetait sur sa mère, pendant que sa mère hurlait des insultes à son père. Lorsque Josèphine s’approcha pour essayer de les calmer, son père lui mit une gifle si violente qu’elle tomba à la renverse. Jamais son père n’avait levé la main sur elle. Les larmes montaient alors qu’elle suppliait ses parents de se calmer, d’arrêter de hurler. Et c’est là qu’elle entendu ces mots de la bouche de son père


Une sensation d’un couteau le long de sa peau, se plantant dans les chairs. C’était elle qui se faisait disséquée par les mots de son père, par cette violence inattendue. Une fois la situation plus calme, sa mère lui avoua sa trahison, la voix pleine de larmes : Josèphine n’était pas la fille de son père. Sa mère était tombée enceinte suite à un adultère avec un homme de passage, pendant que son père était loin. Elle se sentit seule, misérable, triste. Josèphine ne comprenait pas pouvoir et c’est là que sa mère lui expliqua tout.

Son père, cet homme pourtant si doux, était un bourreau. Le bourreau de Normandie, descendant d’une longue lignée de bourreau depuis 1200. Les bourreaux portaient le stigmate de donner la mort, ils étaient rejetés, détestés, comme maudit par ce travail qu’il fallait pourtant faire. C’est pour cela qu’elle ne voyait jamais d’autre enfants, que ses parents ne la laissaient pas aller en ville. Et sa mère, sa pauvre mère, souffrait d’être la femme du bourreau. Elle n’avait aucune amie, sa famille l’avait abandonnée après son mariage et elle se sentait seule, si seule. Alors lorsqu’elle rencontra cet inconnu aux cheveux de feu, elle céda bien facilement à ses avances et se retrouva enceinte de Josèphine. Son père resta dans l’ignorance jusque-là, mais il découvrit les lettres que sa mère écrivait à l’inconnu sans pouvoir lui envoyer car elle n’avait pas son adresse.

Le monde de Josèphine ne fut plus jamais le même après ce jour. Son père ne l’approchait plus, parfois la rage prenait possession de son corps et il la rouait de coup, elle et sa mère. Josèphine avait beau pleurer et supplier son père d’arrêter, il continuait en hurlant qu’il la détestait et qu’il regrettait de l’avoir aimé jusque-là. La maison était devenue un enfer pour elle et les gens de la ville se fichaient bien de connaître le sort de la fille du bourreau. Elle n’avait plus personne. Sa propre mère s’était mise à l’éviter pour essayer de revenir de nouveau dans les bonnes grâces de son mari. Dieu semblait l’avoir également abandonné. Alors Josèphine endura cette situation pendant un long moment, les jours semblaient de plus en plus sombres et la jeune fille souriante et innocente laissait place à une femme empli de colère contre ses parents.

C’est à l’aube de ses 18 ans que la vie de Josèphine se termina pour de bon.
Une dispute de plus, des hurlements, des coups. La colère, la rage, la haine consumaient son cœur et son âme. Ses prières restaient sans réponse malgré les larmes et la passion qu’elle y mettait et cette sensation d’être complètement abandonné finit par prendre le dessus. Alors Josèphine finit par rendre les coups. Un par un. Un nez écrasé, une mâchoire rompue, un œil crevé ne suffirent à la calmer. C’était exaltant; pour une fois ce n’était pas son sang qui recouvrait le sol. Alors elle continua, malgré les supplications de sa mère et son père qui l’insultait de monstre tout en se protégeant le visage. Comment avait-elle pu se laisser faire par une personne si faible ? Était-elle vraiment en colère contre son géniteur … Ou contre elle-même ?

Elle se releva, les poings et le visage couvert de sang, un long sourire d’apaisement sur son visage anciennement angélique. C’est à ce moment que son père prononça ce discours, tel une malédiction envers sa fille. Josèphine se contenta de partir dans sa chambre sans même un regard pour ses parents, emmenant dans un sac plus que sommaire le strict nécessaire pour survivre. Elle retira ensuite ses vêtements maculés de sang pour revêtir une tenue d’homme après s’être bandé fermement la poitrine. Il fallait qu’elle devienne forte, très forte; plus forte que n’importe quel homme et surtout…
Qu’elle soit prise au sérieux.
Lorsqu’elle réapparu devant ses parents, elle vit que sa mère essayait péniblement d’aider son mari à se relever. La comparaison frappa alors Josèphine : de vrais vers de terre. Quelle vision pathétique.

Josèphine mourut ce même jour, donnant ainsi naissance à Josèphe.



Aujourd’hui, Josèphe a 25 ans.
La vie ne fut pas plus tendre avec lui après avoir quitté sa famille. Il se rapprocha de Paris afin de trouver une voie et échapper à sa malédiction. Mais il semblait que la vie n’en avait pas fini avec lui : il fut trahi, violenté, abandonné de nombreuses fois. L’avantage d’avoir été battu pendant des années c’est qu’on acquiert rapidement de l’endurance. Il avait la peau dure et les coups ne semblaient jamais réussir à le mettre définitivement au sol. On apprend également à devenir plus fort, pour pouvoir rendre les coups au centuple. Ses fréquentations n’étaient pas idylliques -bien au contraire. Mais cela lui permettait de se faire de l’argent et de survivre pendant un temps. Un véritable lion qui goûte de nouveau à la liberté perdue.

Ce qui le sauva d’une mort certaine, ce fut son “mécène”. C’est comme cela que Josèphe appris une chose : le monde regorge de personnes très étranges. Comment un noble aussi riche avait pu trouver le moindre intérêt en lui ? Et surtout pourquoi ? Cela lui importait peu. Il refusait de mourir aussi bêtement à cause de ses fréquentations et pour cela il aurait fait n’importe quoi, quitte à se jeter volontairement dans un piège. Mais aussi étrange que cela puisse paraître … Ce ne fut pas le cas. Il semblerait que ce noble avait soif de sensation dans sa vie morne et ennuyeuse. Josèphe fut à la fois une bête de foire, un ami et un amant pour lui. Josèphe fini même par éprouver une forme de respect pour lui; ne serait-ce parce que cet homme était le premier à lui tendre la main. Oh bien sûr c’était totalement par intérêt et Josèphe le savait … Mais cela lui convenait très bien.

C’est également grâce à lui que Josèphe pu vivre plus tranquillement, s’éloignant de ses fréquentations particulièrement douteuses. Mais grâce à ces dernières, il avait réussi à acquérir une maîtrise de l’épée impressionnante et une puissance plus que satisfaisante. Rien d’inhabituel pour un homme … Mais cela restait remarquable. C’est ainsi que son mécène décida de le mettre en relation avec certains de ses contacts et que Josèphe devint bourreau. Après tout, personne ne voulait vivre avec ce stigmate, là où Josèphe se fichait bien de ce que les gens pouvaient dire sur lui. Et Josèphe savait mieux que quiconque que les puissants préfère laisser le bourreau se salir les mains à leur place.

Finalement il se retrouvait à faire le même travail que son géniteur; le destin a décidément un drôle de sens de l’humour.

Désormais, Josèphe vit à St Denis, près de la Capitale, continuant à réaliser certains larcins. Entouré du Peuple, maudit et rejeté pour sa condition de bourreau, il continue inlassablement à chercher la personne qui sera suffisamment digne de lui pour le tuer et mettre fin à ses souffrances. Cependant, des questions demeurent : Pourquoi continue-il à écouter les dernières paroles de son géniteur ? Est-ce par pur masochisme ? Par envie de repentance ? Ou est-ce tout simplement une façon de se punir de ne pas s’être défendu bien plus tôt ?

Personne ne le saura jamais.


- Josèphe est donc un homme (aux yeux de la société et pour lui-même)
- Personne ne sait pour son passé hormis son mécène
- Josèphe ne s’est jamais montré totalement nu (hormis face à son mécène)
- Il croit toujours en Dieu mais uniquement pour apporter la miséricorde aux autres; pour lui personnellement Dieu l’a abandonné depuis longtemps
- Josèphe est donc bourreau; il porte souvent un manteau avec la marque une marque distinctive (une broderie sur le dos de son manteau, représentant une main tenant une épée)
- Il n’a aucun problème à être vu comme un paria
- Il accepte parfois d’effectuer des tâches ingrates contre de l’argent (mais il refuse de tuer hormis pour son travail)
- Malgré son aversion pour la haute noblesse et la royauté, il respecte énormément la Reine car c’est une femme (et que la situation le fait aussi un peu sourire)
- Il aspire à devenir le bourreau de Paris même s’il n’apprécie que peu la Capitale
- Josèphe descend d’une célèbre famille de bourreaux, les Jouhanne, qui officient majoritairement en Normandie depuis le XIIème siècle.
- Josèphe a conservé son deuxième nom car il est courant à l’époque pour les hommes d’avoir un deuxième ou troisième nom féminin (souvent en mémoire d’un parent)