Death deals a hand
L’effervescence est telle qu’il en est devenu presque impossible de trouver le moindre lieu de calme ou de silence. La quiétude des lieux, d’ordinaire interrompue par le cri des lames s’élimant au fil des entraînements n’est pas la prime chanson des quartiers en ces jours hâtifs. La reconstruction des infrastructures ayant souffert du récent attentat avait poussé à renforcer la vigilance de tous. Nul n’était plus autorisé à pénétrer dans les quartiers armés sans montrer patte blanche. Visages masqués et commanditaires indésirables se voyaient refouler à l’entrée. Tous les soldats montraient une détermination nouvelle à vouloir redorer le blason de l’édifice et de la charge qu’ils endossent… Et si tous les hauts gradés ne sont pas satisfaits de la tournure des choses, Eve n’allait certainement pas perdre son précieux temps à s’acoquiner des doléances sans fondements de ceux qui n’en ont qu’après la reluisance de ses bottes en cuir poli.
La cohue du peuple curieux s’était enfin apaisée, et les quelques blessés avaient été dispensés le temps d’effectuer un prompt rétablissement, leurs soins médicaux laissés aux frais de l’armée. Perdre une recrue n’avait laissé aucun homme de marbre, et s’il y avait eu une légère recrudescence des nouvelles figures s’affichant au nom des cadets et des aspirants, le maréchal aurait pu avouer sans peine que c’était de lames avisées dont ils avaient tous besoin. D’hommes comme le chevalier de Bayard, qui s’était montré juste et droit malgré la tempête.
Eve détache son regard d’un énième rapport qu’un page lui a glissé entre les mains et reprend ses directives à l’attention de la ronde à venir. Branle-bas de combat n’était pas une réalité stricte, mais il était plus qu’évident que la fourmilière s’était sentie menacée. A leur avantage ou non, la vampire ne pourrait le dire. A minima, les travaux de reconstruction avaient été entrepris rapidement, et s’il faudrait encore quelques semaines pour remettre l’intégralité du bâtiment en état… Elle avait eu vent, depuis quelques jours, de certains accidents dus à des gravas s’échouant des murs touchés par le souffle de l’explosion. Malgré un cordon de sécurité instauré par prévention, il est des choses qui restaient hors de leur contrôle.
Un soupire et elle se pince l’arrête du nez, repoussant le sentiment d’impuissance qui tente de l’assaillir. Mais déjà un messager s’approche d’elle et l’informe de l’arrive de nouveaux visages. Encore des nouvelles recrues ? Pourquoi l’en informer elle expressément ? Si ceci ne devrait pas relever de ses responsabilités, elle ne laisse pour autant pas la situation lui échapper et rejoint la cour centrale, accès privilégié des nouveaux arrivant dans leurs quartiers militaires… Et quelle ne fut pas sa surprise d’apercevoir non pas le visage pâle des bleus enfantins, mais l’étoffe de ce qui n’était autre qu’un chevalier de sa connaissance.
D’abord surprise, elle s’approche de l’homme et le salue d’un signe de tête, non sans avoir capté son regard.
« ...Chevalier de Bray ? Votre arrivée impromptue réjouit ma conscience. »
Un ami d’Adam. Un contact offert ? Un messager ? Eve ne peut réprimer le maigre espoir qui la saisit. Curieuse et piquée à vif. Soulagée, sans le réaliser, d’un signe, d’une augure meilleure envoyée au cœur de ce récent chaos organisé.
Arrivé à la capitale, le Chevalier de Bray n’a rien raté de l’effervescence de la foule, de la grandeur des allées et du brouhaha incessant qui règne. Le voyage s’est fait en plusieurs haltes et il est maintenant particulièrement curieux de voir ce qu’une ville comme Paris peut lui réserver. Une ville, sa Cour et ce qui se trame dans l’ombre. Malgré sa connaissance des milieux mondains, auprès de la fille du Duc de Bretagne et du Comte d’Harcourt, tout est décuplé ici. Son rôle plus minimisé, sans doute. Ce sera à lui de tirer son épingle du jeu, dans l’ombre autant que dans la lumière.
Comme le lui a demandé le Comte, son premier objectif est de se rendre au quartier des Armées pour prendre contact avec le Maréchal et frère du Comte. Faute d’être encore très au fait de la géographie de la capitale – en dehors des grands axes – il lui faut demander sa route, à son grand embarras. On lui donne la direction pour se rendre en direction du vaste bâtiment central accueillant les forces militaires en plein cœur de la capitale. Ou du moins… ce qui a été un vaste bâtiment. « Une partie a été ravagée par le feu, vous savez. » a soupiré l’homme qui a accepté de lui donner quelques indications. Non, il ne le sait pas. Comment le pourrait-il ?
Les sourcils froncés il s’est élancé au trot dans la direction indiquée, perché sur le cheval alezan des écuries du Comte, avec lequel il a ses habitudes. Une fois devant les murs de la caserne, il met pied à terre, sa cape verte claquant dans ses mouvements hâtifs. Effectivement, il n’y a aucun doute possible, l’endroit devant lequel il se trouve a été en proie aux flemmes il y a peu. L’odeur caractéristique est toujours là, même si sans doute nettement moins forte. Il observe tout avec des yeux curieux. Des hommes s’affairent en tous sens, des soldats en uniforme, des artisans. Tout un coin de la bâtisse est nettement fragilisé.
Il lui faut se présenter pour espérer entrer. « Je suis le Chevalier de Bray. » L’autre a un visage qui veut clairement dire « Connais pas. ». Amaury s’empresse d’ajouter : « Je suis missionné auprès du Maréchal, je suis envoyé par son frère, le Comte d’Harcourt. » On le dévisage de haut en bas et il soutient le regard sans broncher, pas forcément ravi d’un tel accueil. On le laisse avancer. Il attache son cheval puis suit l’homme venu à son niveau.
Enfin, il est invité à patienter. Ce qu’il fait, tout en poursuivant son examen des lieux. Ce n’est pas ce à quoi il s’attendait qu’on il songeait au quartier des Armées. Ce qui est flagrant, toutefois, c'est l’énergie des hommes affectés à la reconstruction et la sécurisation des lieux. Ils sont nombreux et ne ménagent visiblement pas leurs efforts. Des bruits de pas lui font tourner la tête et, suivi d’un page, il voit s’approcher un visage faussement familier. La même peau claire, les traits fins et les cheveux blonds… mais ce n’est pas là le Seigneur qu’il a juré de servir. Non, l’homme qui s’avance a un port plus altier, un regard plus déterminé et une stature nettement différente, plus rigide, peut-être. C’est le Maréchal. Ce n’est pas la première fois qu’ils se rencontrent et Amaury répond au salut de la tête avec une once de fierté. Comme pour dire à l’homme qu’il a croisé de prime abord, et qui ne l’a pas lâché des yeux ensuite, « Vous voyez ? Vous ne me connaissez pas mais le Maréchal, oui. » Pensée puérile ? Et alors ?
Il s’incline légèrement puis sourit.
« Monsieur le Maréchal, ravi de vous revoir. » Il jette un œil autour d’eux. « J’ai le sentiment d’arriver en des temps troublés, en effet. » Il ne peut contenir une certaine forme de curiosité vis-à-vis de ce qui a bien pu se passer. Il lui paraitrait incongru que les baraquements des forces militaires de la capitale puissent prendre feu aussi tristement qu’une ferme en périphérie d’un village.
Il ajoute : « Comme vous le savez, votre frère le Comte est en voyage avec son épouse. Il a souhaité que je vienne le représenter à la Cour jusqu’à son arrivée et que je mette mon épée à votre service. » Ce deuxième point est sans doute plus joliment formulé que ce que lui a dit le Comte, mais la requête est la même.
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Satisfaction. Un sentiment éphémère que le chevalier et le maréchal semblent partager le temps d’un instant. Des retrouvailles en temps troublés. A dire vrai, Eve n’aurait jamais pensé revoir le visage de cet homme. L’éternité tend à apprendre des choses si simples. La fin n’est jamais loin pour ces créatures. Maladie, accident, vie. Quel sera leur poison cette fois-ci ? Pourtant, elle ne voit pas le plaisir de revoir une figure connue, non. Elle ne tient qu’à ce que son adelphe a pu vouloir lui faire parvenir par son biais. Ne demande qu’à savoir les mots d’Adam, là où le reste du monde tait chaque information à son sujet, lui le premier.
D’un sourire navré et tristement entendu, Eve opine du chef à la première remarque de l’homme, poussant les quelques hommes surveillant encore Amaury d’un regard méfiant à disposer d’un signe de main apaisant. Il n’était pas ennemi en ces lieux. Il était même probablement l’allié dont elle avait actuellement besoin.
« Quelques… dissentions ont amené à un fâcheux accident… Votre voyage a dû être long, je ne vais certainement pas appesantir votre arrivée de fables qui sauraient attendre que vous ayez trouvé vos marques. Quel bon vent vous amène ici, Chevalier ? »
Le présage était pourtant porté des meilleurs auspices. C’était ce qu’elle avait bien naïvement cru. Les paroles d’Amaury sont cependant un couteau contre son flanc. Des mots qui la laissent impassible, son sourire léger toujours en place. Elle l’invite d’un mouvement de la main à la suivre, soufflant au page l’ayant accompagnée de prendre soin de la monture du nouvel arrivant… Et déglutit en réalisant que son idée était la mauvaise.
Non, Amaury de Bray n’est pas ici pour faire parvenir un message à Eve. Il est ici pour qu’Adam n’ait pas un individu encombrant entre ses pattes. L’ironie ne lui échappe pas. Pas lorsque les mots du chevalier sont aussi abrasifs que le silence de sa moitié. Si elle savait que son adelphe était en voyage avec son épouse… ? Certainement pas, non. Mais en aucun cas ne peut elle le montrer, avançant simplement pour retourner vers les couloirs, là où le plus gros des troupes fourmillent, allant à l’entraînement, vaquant d’une mission au rendu d’un rapport… Ouvriers curieux observant lorsqu’ils n’ont pas d’ores et déjà jugé. Les regards la laissent indifférente. Plus rien de tout ceci n’a désormais d’importance.
« Vous trouverez très certainement à faire à Paris, mon brave. Les derniers mois ont été… Agités. »
Nouvelle avait bien rapidement couru, avant d’être étouffée, de l’agression portée contre la dauphine de France, au sein même du palais royal. Eve avait entendu que deux membres de la cour avaient avec succès réussi à repousser l’agresseur… Leurs noms n’avaient pas réellement été ébruités, mais il était certain que la scène avait marqué la jeune princesse, qui n’avait, depuis, plus fait d’apparition publique, à sa connaissance.
Un soupir et elle reprend, la voix toujours posée, alors qu’elle contourne la zone de travaux.
« Veuillez donc excuser l’état encore discutable de nos quartiers. Les prévisions appellent à une restauration complète d’ici la fin du mois prochain. » Une pause et elle tourne un regard vers Amaury, une pointe d’optimisme plus tranquille dans la voix. « Mais les évènements ont attiré de nouvelles recrues. Les rangs des cadets ont gonflé… Et de toute évidence, nous voyons également des chevaliers de toute la France nous être envoyés en soutien. Je présume que chaque fait tragique apporte à son tour un bon présage. »
S’il sait que la relation entre le Comte d’Harcourt et son frère est quelque peu particulière, Amaury n’imagine pas nécessairement qu’en ses quelques paroles il a pu froisser l’homme en face de lui. Ou remuer le couteau dans la plaie, dirons-nous. Il est clairement ignorant de ce que ce dernier sait, en vérité. Il ne fait que supposer. Lui-même, auprès du Compte depuis peu de mois, a du mal à lire clairement sur le visage de son Seigneur, à deviner ses intentions autant que ses pensées. Ce n’est pas forcément ce que l’on attend d’un Chevalier, certes, mais il ne peut s’empêcher de s’interroger, parfois. Alors il ne devine rien, en cet instant, et se contente de dire les choses aussi simplement qu’il le peut.
C’est le Comte d’Harcourt qui a tenu à ce qu’il se rende ici, lui offrant une forme de « liberté » pour découvrir de lui-même ce que la Cour Royale a à proposer, d’une certaine façon. Amaury n’est pas complètement dupe, il sait que ce n’est pas chose courante, durant le voyage de noces d’un couple de haute noblesse, que d’éloigner ses serviteurs. Il n’a toutefois pas eu voix au chapitre. Le Comte s’est contenté de le rassurer légèrement, comme quoi Héloïse, la désormais Comtesse, serait parfaitement traitée et en sécurité. Pour le reste, Amaury se doit de respecter la parole de son Seigneur et d’agir comme il le lui demande. D’où sa présence ici, en ses lieux, face à un Maréchal qui lui ressemble beaucoup mais pas tout à fait.
Le chef des armées élude quelque peu l’origine des « dissensions » (pour reprendre ses mots), qui expliquent l’état actuel des baraquements. Il serait malvenu pour le Chevalier de Bray de se faire trop insistant et il emboite le pas de son interlocuteur qui lui sert de guide. Le brun ne quitte pas des yeux le décor qui les entoure, les hommes affectés à la reconstruction ou la sécurisation de la zone, autant que les regards contrastés qu’ils leur lancent. Il ne sait guère dans quoi il met les pieds, au sens propre comme au figuré, et soutient ceux qui le dévisagent, le dos droit et le regard déterminé. Il vient d’arriver, il ne se laissera impressionner par personne.
C’est un brouhaha foisonnant de paroles et de bruits, des coups de marteau ou d’épée, probablement. Amaury essaie de projeter derrière tout cela la grandeur des actions menées ici. Quelle menace règne dans une ville comme Paris ? Quelle est l’ampleur de l’agitation ? Est-ce le peuple qui est à l’origine de l’incendie, par exemple, ou des personnes plus ciblées ? Identifiées, même, peut-être ? Il a l’âme chevaleresque – voire trop imaginative, lui soufflerait l’un de ses instructeurs d’enfance – et songe combien, en comparaison, les rixes d’Harcourt ou les brouilles entre paysans d’Émanville doivent sembler minimes.
« Moi qui pensais par essence Paris agité… Il y a donc de l’agitation dans l’agitation ? Il y a-t-il une raison à cela ? » Il ne peut s’empêcher de demander. « Si vous me permettez ma curiosité, bien entendu. »
Avec les préparatifs de voyage du Comte et de la Comtesse, puis le trajet jusqu’à la Capitale, Amaury n’est pas au fait des derniers événements, qui mettent toujours un peu de temps pour arriver en province, en général. Voilà un avantage de plus à être introduit à la Cour : il sera là où les choses passent. Sans doute pas au cœur de tout, mais nettement moins loin. Au fond de lui, c’est une forme d’excitation qu’il sent poindre. Comme lorsqu’il avait vingt ans et commençait à s’affirmer en tant que jeune Chevalier. C’est sans doute une nouvelle aventure qui l’attend, il ose le croire. Dieu a jusque-là répondu à ses souhaits d’action, en écho à sa volonté constante d’agir.
Il secoue la tête en entendant les précisions que lui donne le Maréchal quant à l’état des lieux. « Je pense que face à ce genre de situation, il est toujours bon de mettre les forces-vives dans une reconstruction aussi rapide que possible. Pour que chacun sache qu’il en faut plus pour faire plier l’ordre et ceux qui le représentent. » Il acquiesce en entendant la touche d’optimisme qui lui est annoncée. « Vous pouvez compter sur moi, Monsieur, si d’une manière ou d’une autre je peux vous être utile et participer à cet élan de soutien. »
Avec un fin sourire, espérant ne pas faire preuve d’une quelconque insolence maladroite, il fait remarquer : « Il me faut m’introduire à la Cour et j'ai conscience de l'importance de cela, pour autant, je ne suis pas homme à passer mes journées à faire des ronds de jambe sous mes plus beaux atours. Pour ma santé de corps et d’esprit, j’ai besoin de m’atteler à une tâche respectable. Je pense que si j’arrive lorsque vous avez justement besoin de bras et de bonnes âmes, Il n’y est pas étranger. » Bienheureux ceux qui se considèrent poussés en avant par la puissance divine.
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« Ah… Il y a fort à croire qu’à s’isoler trop longuement, les esprits en viennent à s’échauffer. »
Un commentaire qui en valait un autre, en apparence. Eve avait depuis bien longtemps son avis sur la question. Comprenait que depuis l’arrivée de la nouvelle souveraine au pouvoir, il était des choses que la peste seule ne pouvait justifier. Une recrudescence d’événements qui ne présageaient rien de bon, pour sa Majesté, comme pour l’ensemble de la France. S’il s’agissait d’une attaque ciblée, d’un coup monté, ou d’une simple revendication visant à écraser l’autorité monarchique… ? Affaiblir l’armée ? Eve ne peut que repenser aux mots que l’enfant avait crié à leur encontre en fuyant les quartiers militaires, une fois leur funeste dessein mis en marche.
Tous stupides, les militaires ! Tous !
Non, elle ne pouvait croire qu’il s’agissait d’une intention portée par le peuple, qu’importe la race. Qu’importe tout ceci. Il était des engeances bien différentes dont les rouages lui échappaient. Des choses que personne encore aujourd’hui ne comprenait.
« Toutes les forces seront bonnes à prendre. Je ne peux qu’apprécier l’intention de mon frère quant à votre envoi en ces lieux. Vous y serez utiles, n’en ayez aucun doute. »
Utile à l’armée, sans nul doute. Savoir s’il pourrait se révéler utile à Eve ou à la royauté… était une tout autre paire de manches. Les qualités de l’homme lui avaient été vantées par le passé. Et si un épéiste se révèle sur le terrain, il est des choses qui ne s’apprennent pas au combat. Des informations qui ne se savent qu’au détour de portes closes. Et si d’autres familles avaient été plus qu’informées de l’existence de créatures comme elle-même pouvait en être… Rien n’était moins sûr s’agissant d’Amaury de Bray. Pire encore. Peut-être n’était-ce pas un cadeau que son adelphe lui faisait parvenir.
… Connaissant Adam, elle ne s’étonnerait probablement pas que la vérité soit bien pire.
Mais ici et maintenant ne sont pas appropriés à ces réflexions. Il faudra quelques semaines pour voir ce dont l’homme est réellement capable. S’il peut être estimé, et pris en confiance. Traité comme il se doit un homme de sa trempe serait simple. L’appliquer à des affaires sensibles, cependant, pourrait ne jamais voir de lendemain. Avant tout ceci, cependant, il convenait de lui montrer patte blanche. Quand bien même l’homme semblait disposé à offrir sincèrement son épée à la France.
« Nous avons certainement besoin d’hommes portant votre mentalité. N’ayez aucun doute sur le fait que votre présence ici ne pourra qu’être bénéfique. Il ne faut parfois qu’un seul homme pour faire toute la différence. »
Trop optimiste ? Non, certainement pas. Et le ton de sa voix n’est pas non plus là pour souligner un excès de verve ou vouloir graisser la paume du chevalier. Eve offre un regard au brun et il est évident dans le sérieux de son regard qu’ici, il n’est pas question que le maréchal fasse la moindre fleur à l’autre individu. Ici il n’est pas question de copinage ou de passer les échelons à grands coups de cirage. Eve avait fait le ménage nécessaire. Remettre les hauts rangs à leur place avait été l’une des premières choses qu’elle avait réalisé en prenant la main à la tête des armées. Il n’était en aucun cas question de s’infliger quelconque présence qui n’avait pas les mêmes intentions qu’elle dans ses rangs.
C’est pourtant d’un discours aussi vif et clair que son souvenir d’Amaury ne l’était qu’il se révèle à elle. Et c’est avec un hochement de tête complaisant qu’elle l’invite à quitter le lieu de cette effervescence pour rejoindre la zone d’entraînement. Une autre zone ouverte, un grand square où les recrues s’adonnaient avec rigueur et sévérité aux exercices de leurs intendants. Elle n’a pas lieu de pâmer les qualités de ces individus. Pas à lui.
« Ne vous inquiétez pas quant à votre passage à la cour. Si mon frère vous a remis à ma solde, il sera de ma responsabilité de vous présenter à qui de droit. Peut-être même apprécierez-vous de vous joindre à nos conseils militaires, si l’occasion se présente. Il ne peut être qu’utile que vous saisissiez au plus tôt l’ampleur de la charge que vous endosserez ici. »
Il s’agissait autant de protéger le peuple, que d’envisager que celui-ci pouvait se révéler être leur ennemi. S’il n’est aucunement cas d’une théorie du complot, il est certain, pourtant, qu’un vent de paranoïa se lève doucement sur la capitale.
« Peut-être même pourrais-je vous présenter à sa Majesté, si celle-ci trouve le temps de nous accorder audience. »
Et si elle doutait de la probable réalisation de tout ceci sous de brefs délais… Il ne pouvait être de mauvais présage d’introduire des gens compétents à la Reine. Victoire aurait besoin de tous les soutiens envisageables.
Leurs pas les guident désormais vers l’intérieur des quartiers armés. Là où des soldats gardent les entrées des bâtiments et saluent, le dos droit, le passage du maréchal qui se permet d’échanger quelques mots avec ceux-ci avant de reprendre son chemin, expliquant, l’air plus apaisée.
« Préférez-vous être présenté aux troupes par fraction, ou serait-il plus judicieux selon vous d’attendre le prochain rassemblement ? » L’azur de son regard sonde l’autre. Prête à déceler les premières lignes d’un tempérament qu’il devrait encore lui révéler
@Amaury de Bray
Avec son regard de nouvel arrivant, il est bien des choses qu’Amaury ne maîtrise pas, actuellement. Les tensions dans la capitale, les causes d’un incendie dans un lieu aussi important que celui-ci ou bien encore le ressenti global du peuple et des nobles, quant à l’arrivée d’une nouvelle souveraine sur le trône de France. Alors il est un peu comme un spectateur, avide d’avoir quelques éléments pour mieux comprendre, pour savoir comment se positionner, également. Généralement, il est du genre à prendre parti. Le bon ? Difficile à dire, mais il n’est pas de ceux qui évitent de se mouiller.
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’a pas une once d’hésitation lorsqu’il propose son aide au Maréchal. Il est homme à préférer se tenir occupé, et dans un moment comme celui-ci, il ne détournera pas les yeux. Les quartiers des forces armées ont besoin de bras, il en a deux, ça tombe bien. S’il lit quelque peu un double sens dans la réponse qui lui est faite, il n’en tient pas compte et acquiesce de la tête. Le Comte lui a donné des directives, oui. S’introduire à la Cour et auprès de son frère, ce qu’il fait, ni plus ni moins.
A la différence de son Seigneur, le Maréchal parle avec clarté et droiture. Il semble sincèrement tout dédié à la cause de son armée et de ses hommes. C’est quelque chose qu’Amaury apprécie. Il n’a que rarement eu l’occasion d’échanger avec lui, auparavant, et il réalise qu’une fois passée la ressemblance physique les deux d’Harcourt ne sont pas tout à fait semblables.
« Je n’ai guère cette prétention, mais je ferai en sorte d’être à la hauteur des tâches qui seront les miennes. » Sa voix claque, déterminée. Il a toujours été ainsi, Amaury. Plus que les paroles, c’est par les actes qu’il veut se faire connaître, avec cette soif de reconnaissance qui a toujours été la sienne. Ici aussi, il n’attend aucun passe-droit, fusse-t-il Chevalier du frère du Maréchal. Dans l’attitude de son interlocuteur, il semble d’ailleurs ressentir un profond sens éthique. (A moins qu’il ne se trompe ? Il n’est pas toujours bon juge des personnes et a tendance à tirer des conclusions un peu hâtives.)
Tandis qu’ils arrivent dans la zone d’entraînement, le Maréchal a pour lui des mots rassurants quant à son introduction à la Cour. Si le fait de représenter le Comte d’Harcourt est une chose, être présenté par le Maréchal en est une autre. Il n’aura pas à trop jouer des coudes pour se faire un semblant de place. Même si l’occasion se présentait (il en doute), il n’a de toute façon pas la volonté de prendre véritablement la lumière. Il laissera cela à son Seigneur quand celui-ci arrivera à la capitale. Incliner la tête ou lever son verre quand il le faudra tout en jouant les observateurs au bon endroit au bon moment suffira amplement à Amaury. Réflexion pompeuse, j’en conviens. Nombreux sont les petites gens qui rêveraient ne serait-ce que de mettre un seul pied à la Cour. Mais il n’y est pas encore, de toute façon. Étape par étape, comme lui disait Granche. Le faucon doit d’abord apprendre à tenir debout, puis à déployer ses ailes avant de s’envoler. S’il n’est guère question d’envol, la situation présente l’intéresse bien plus que celle à venir.
Il observe les groupes qui s’entraînent tout en retenant difficilement son étonnement face aux paroles qu’il entend. Le Maréchal est un homme qui ne prend pas de décision à la légère, et il semble voir dans sa venue peut-être plus que l’intention véritable de son frère. Amaury ne se voit guère le détromper et hoche la tête, à l’évocation de conseils militaires. « Avec plaisir, si vous m’en jugez digne. » Du peu qu’il a déjà pu en voir, la situation semble complexe. Les soldats ont sans doute beaucoup à faire.
Tandis qu’il fixe de loin une recrue en plein exercice de combat à l’épée, songeant que son maintient pourrait être amélioré, il a un sursaut. Le Maréchal va donc de surprise en surprise, avec ce ton pourtant doux qui est le sien. Le chevalier ne s’y attendait guère et tourne ses yeux ronds vers la fine figure de l’homme à ses côtés.
« Oh. Je… je ne pense pas que cela sera nécessaire. Je ne voudrais pas empiéter sur le précieux temps de sa Majesté. Si un jour je dois lui être présenté autant que ce soit pour quelque chose qui en vaille la peine. Et non ma simple personne. » C’est une réalité dont il a parfaitement conscience. L’ascension tant recherchée par son père est quelque chose qui l’intéresse, ne soyons pas naïfs, mais il préfère l’obtenir par ses réussites et non des arrangements – ou des courtoisies, appelez cela comme vous voulez – injustifiés. « Je vous remercie d’y avoir pensé, toutefois, Monsieur le Maréchal. »
Il s’incline brièvement puis se remet à marché auprès de son interlocuteur. Ils atteignent l’intérieur des quartiers et les soldats qu’ils croisent saluent le Maréchal avec déférence. Ce dernier n’hésite pas à échanger avec eux et Amaury le regarde faire, légèrement en retrait. Il comprend qu’une telle personne, jeune toutefois, ait pu obtenir la charge de Maréchal. Il semble savoir y faire avec les hommes autant qu’avec les événements, aussi délicats soient-ils.
« Par fraction me va très bien. Si je suis l’un des chevaliers de votre frère, je suis ici une lame parmi les autres. » Et puis Amaury sait qu’en petit groupe il pourra plus facilement digérer les regards qu’il connait très bien. Ceux qui se moqueront de sa taille ou le verront comme un écuyer. Ceux qui provoqueront facilement sa colère, sourde, qu’il se devra de contenir s’il veut maintenir une bonne impression auprès du frère du Comte. Il s’y attend.
C’est peut-être son regard de milicien qui fait ça, mais il sait que dans un combat le titre ne sert à rien, c’est la vivacité d’un homme et son aptitude aux armes qui le rend brave et en fait un compagnon d’armes de confiance.
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L’humilité était sans nul doute une valeur qu’Eve savait apprécier chez un soldat. Encore plus chez un chevalier. Ceux-ci portaient un titre qui faisait rêver par-delà les générations, et il Amaury de Bray n’aurait certainement pas eu bonne presse à se comporter de telle sorte qu’il puisse créer le moindre remous sur son passage. Discrétion et droiture d’esprit sont des choses que l’on ne peut qu’approuver lorsque mises au service des bonnes mains. Une lame qui ne manquerait pas à protéger la France. Une chose qu’Eve ne pouvait qu’apprécier. Il n’y aurait jamais suffisamment d’hommes pour protéger le royaume et sa reine.
Et en parlant d’elle.
« Il s’agira simplement de choisir le bon moment. Ne vous méprenez pas, je n’ai aucunement l’intention de vous mettre en position délicate, ni même d’importuner sa Majesté. »
Non pas qu’Amaury soit une perte de temps, mais Eve savait mieux que quiconque que la prise de fonction de Victoire était encore récente et parfois houleuse. Ses conseillers s’évertuaient à maintenir le cap à ses côtés, mais la convergence des événements semblait pousser les événements dans le sens d’un chaos que même le plus rôdé des souverains aurait peiné à contrôler. Lorsque la menace est invisible et frappe là où on ne peut le prédire, ne parle-t-on pas d’une épée de Damoclès ? Il en allait de la pérennité du règne en cours. Et Eve avait prêté serment en faveur de sa reine.
Le chemin qu’ils parcourent les ramène vers l’intérieur du bâtiment. Là où au bout d’un long couloir des ordres peuvent être entendus. Si la majorité des soldats en service se trouvaient dans les terrains d’entraînement extérieurs, il en est d’autres qui eux, n’avaient pas encore été mis à disposition des forces armées. Puisqu’Amaury ne voyait aucun travers à l’idée d’être introduit en petits groupes, il n’y aurait certainement pas de souci à agir de la sorte, n’est-ce pas ?
« L’humilité vous servira. Il est une chose dont cette armée n’a pas besoin, ce sont les avides de pouvoirs qui pensent pouvoir assurer leur rang par leur seul titre. » Un regard vers Amaury. Aiguisé. Son sourire n’est plus là, elle le toise sans méchanceté, mais il est évident qu’elle attendra des preuves. « Il ne tient qu’à vous de vous démarquer du lot par vos actions. »
Eve ne lui donnera pourtant pas réellement l’opportunité de présenter une réponse. Voici plutôt du grain à moudre pour le chevalier. Une façon de lui imposer sans la moindre condition qu’ici, les choses ne se passeraient pas comme les précédentes générations. L’oisiveté n’est plus une option. Et la meilleure preuve était encore de lui présenter les jeunes bleus, des adolescents, ceux-là même qui croient que l’armée est la solution. Les rangs n’ont pas d’importance, ici, quand il n’est question que de la crasse et de la sueur du combat. De quatorze à seize ans. Des cœurs purs et intrépides. De jeunes recrues qu’Eve ne comptait pas laisser sans supervision, qu’importe qu’ils aient leurs instructeurs pour les guider.
Ses pas claquent sur le sol alors que le couloir débouche sur une cour intérieure plus exigüe, mieux formatée à ce que les regards soient tous braqués vers le centre. Ici, il s’agissait d’apprendre des erreurs des autres. La faute d’autrui deviendra la force du groupe.
La lueur du soleil brille doucement sur les murs d’enceinte, là où l’ombre protège encore les jeunes hommes en plein exercice, leurs deux instructeurs du moment supervisant un combat à l’épée, là où les fils sont si crochus qu’ils ne pourraient pas même couper une miche de pain avec leur tranchant. Mais les mouvements sont francs. Sans la peur de blessure, les âmes s’engaillardissent. Et c’était tout ce qui pouvait compter tant qu’ils n’étaient pas encore envoyés à l’œuvre.
Les instructeurs en premier réalisent l’arrivée du maréchal et de son invité. Ils semblent prêts à interrompre la séance avant qu’Eve ne lève simplement une main en signe de calme, secouant la tête d’un signe négatif. Elle s’arrête en retrait, sur les quelques marches surplombant le terrain d’entraînement et interroge calmement Amaury, le ton calme.
« Votre opinion m’intéresse cependant. Quelle est la qualité dont doit faire preuve un chevalier ? »
Une question piège, probablement. L’éclat des lames des recrues marque la chute de l’un, et la victoire de l’autre. Sans attendre davantage, c’est dans la cohue générale que le maréchal applaudit l’effort, attirant l’attention sur eux deux. Bon nombre des jeunes hommes se redressent fièrement, offrant un salut militaire d’un degré variable de précision. Mais l’effort est apprécié.
« Rompez, messieurs. »
Le groupe retrouve son calme et une fois la surprise de voir leur dirigeant devant eux, c’est sur la figure plus petite d’Amaury que l’attention se porte. Eve, les mains croisées dans le dos, ne semble pas dérangée par les regards curieux.
« Permettez-moi de vous présenter cet homme qui rejoint aujourd’hui nos ordres. Le Chevalier de Bray sera l’un des nôtres à compter de ce jour. Réservez-lui l’accueil mérité par son titre. »
L’intérêt est évident dans les regards autour d’eux. Les conversations s’ébruitent rapidement, et les bleus échangent bruyamment entre eux, là où les instructeurs semblent tenter de les calmer. Eve ne s’en offense pas. La curiosité est une chose importante pour tous. Et sans surprise, arrive l’intervention que la vampire attendait, connaissant les cœurs vaillants de ces jeunes garçons.
Et dans l’assemblée, une main se lève. Un jeune homme tout ce qu’il y a de plus normal, presque méconnaissable parmi le groupe.
« Oui ? »
« Quels sont les faits d’arme du Chevalier de Bray ? »
Déjà, une autre question s’élève.
« Est-il fort ?! »
Des rires et les questions fusent, mais parmi elles, l’une se répète.
« Est-il plus fort que le Maréchal ?! »
Une franche camaraderie qui laisse l’ombre d’un sourire se dessiner sur le visage d’Eve. D’un mouvement, elle incline la tête sur le côté avant de demander au groupe.
« Souhaiteriez-vous une démonstration ? »
- Lancer de dé (1):
- Bienvenue en enfer, Amaury. Je t’invite à lancer un dé puis à éditer ton message une fois le résultat tombé. De 1 à 50, la majorité du groupe réclame une démonstration. De 51 à 100, le groupe semble se dégonfler et n’ose pas demander de démonstration… A Amaury de gérer, après cela.
@Amaury de Bray
Peut-être se trompe-t-il mais Amaury a la sensation de pouvoir lire assez clairement dans l’attitude du Maréchal, et ce qu’il y voit jusque-là lui convient bien. Une forme de droiture posée et la lucidité de celui qui a déjà l’habitude de gérer les hommes. Il semble bien saisir ce que voulait dire le Chevalier dans son refus de voir la Reine présentement. Ce n’est rien de définitif, simplement la correction d’un sujet souhaitant être à la hauteur d’une telle rencontre, car on parle de la Reine de France, tout de même. Il acquiesce donc à la réponse qui lui est faite et tout deux poursuivent leur route dans le bâtiment.
La perspective de rencontrer les soldats ici présents l’intrigue un peu. Si sa mémoire ne lui fait pas défaut, les hommes braves venus de toutes origines peuvent s’essayer à intégrer les rangs de cette armée. C’est peut-être ce qui fait sa force, mais nécessite une force de caractère (une poigne de fer ?), pour les gérer. L’idée qu’il se fait du Maréchal jusque-là est sans doute partielle, il n’a pas encore vu le chef des armées à proprement parler, le commandant de guerre. Il en entend toutefois la justesse dans les propos.
C’est bien ce que je compte faire, songe-t-il en réponse, car déjà l’homme blond le devance quand ils arrivent sur la cour extérieure. Oui, s’il a l’humilité du combattant souhaitant briller par ses faits d’armes, il espère tout de même parvenir à se faire remarquer de la bonne manière. Qui dit non à un peu de gloire, après tout ? D’autant plus quand elle est justifiée. De jeunes hommes s’entraînant au maniement de l’épée. Les instructeurs ont visiblement vu le Maréchal et son invité du jour arriver mais par un signe de sa part le frère du Comte les invite à ne pas réagir. Amaury suit cet échange silencieux du regard puis observe les affrontements. Légèrement en hauteur, ils peuvent facilement voir les postures et les échanges de plusieurs d’entre eux.
Il ne s’attendait pas à la question qui lui est finalement posée, d’une voix douce. Il laisse un temps de silence, les yeux toujours rivés sur les recrues, comme pour réfléchir. Puis il tourne finalement la tête : « Le courage. Un bon chevalier ne doit aucunement attendre des autres qu’ils fassent les choses à sa place ou se cacher derrière ceux qui oseront. Ceux qui agissent ainsi sont la honte de la chevalerie. Le vrai chevalier est celui qui affronte son adversaire droit dans les yeux. »
Certains trouveront sans doute cette réponse effrontée, prétendant que le chevalier doit avant tout servir Dieu ou aider les faibles. Mais qui dit que tout cela n’est pas complémentaire ? Le courageux est celui qui met sa lame au service de cette noble cause et ne fait pas demi-tour face aux complications et aux dangers. C’est sur lui que les plus faibles pourront alors reposer pour être défendus et aidés.
A peine a-t-il fini sa phrase que le combat se termine un peu plus bas. Le Maréchal applaudit et des têtes se tournent en leur direction. Amaury capte finalement des regards divers à son attention, qu’il soutient avec une forme de fierté paisible. Il est présenté et il sent l’attention s’accroitre à son encontre. Des questions sont ensuite posées, dans un léger brouhaha. L’idée de devoir répondre à tout cela le rend un peu confus, ce qu’il masque derrière un petit sourire. Il y a dans l’attitude de ces jeunes recrues la fougue curieuse qu’il avait lui-même, à leur âge.
« Hé bien hé bien, je vois que vous n’êtes pas avares en question, messieurs. J’ai derrière moi quelques batailles pour la protection du duché de Bretagne, en terres de Loudéac, particulièrement. » Difficile de répondre ensuite à ceux qui interrogent sa force. Ce n’est pas quelque chose qui s’évalue avec des mots, après tout. Il ne sait quoi dire, quand le Maréchal intervient.
Devant eux, les recrues baissent finalement les yeux. Et Amaury s’en amuse. Ah là, tout de suite, ça esquive le sujet. Est-ce parce qu’ils sont conscients de ne pas avoir son niveau, vu leur jeunesse, ou par peur du ridicule ? Peut-être les deux. « Vous manquez de suite dans les idées, messieurs. »
Il leur vient alors en aide et capte le regard de l’un des instructeurs. Il ne se permettrait pas de demander à affronter le Maréchal et opte pour l’un des hommes plus âgé.
« Monsieur, souhaiteriez-vous croiser le fer avec moi ?
- Oh, oui, bien entendu. »
Les recrues sont ravies, c’est un compromis comme un autre et le niveau sera certainement plus égal. Comme il pouvait s’y attendre, l’instructeur ne se débine pas. Amaury tourne son regard vers le Maréchal, comme pour y lire une approbation. Celui-ci a un signe de la tête et le chevalier descend les marches, conscient des yeux posés sur lui. Plus il s’avance plus sa taille est évidente, heureusement que les années lui ont appris – autant que possible – à faire fi de cela (presque).
Une fois au niveau de l’instructeur en question, il sort son épée et l’homme prend également une arme véritable. Ce n’est là qu’un entraînement mais il est toujours plus approprié de s’essayer au poids réel d’une épée. Cela fait toute la différence. Son épée droite devant lui, il a un salut protocolaire pour son adversaire.
« En garde, Monsieur. » L’autre en fait de même et il attende un mot du Maréchal pour démarrer leur combat. Amaury enchaîne des parades classiques mais propres, jouant de sa taille comme d’un atout face à un homme qui le dépasse bien d’une tête. Il n’empêche, son jeu de jambes est une force, il se dérobe et riposte par un coup d’estoc. Son adversaire pare et les épées s’entrechoquent dans un grand bruit métallique (il n’est pas instructeur pour rien). Le combat reprend ensuite.
Plus que les recrues qui ne perdent pas une miette de l’affrontement, c’est peut-être le Maréchal qu’il souhaite impressionner, autant que possible.
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Death deals a hand
A dire vrai, Eve commençait certainement à comprendre pourquoi Adam n’avait pas souhaité garder le chevalier de Bray à ses côtés. Non pas par manque d’intellect ou de force – aussi bien de caractère que d’esprit, le physique restait à juger – mais bel et bien car cet homme était potentiellement un danger tant sa perception des choses semblait aiguisée. Un détail qui ne manqua pas de plaire au Maréchal, qui ne quêtait que d’hommes plus adroits de leurs lames et de leur verve. Il est des nobles qui se targuent d’excellent en des faits et pensées qui, une fois le fait accompli se révèle profondément déroutant et décevant. Voilà pourquoi Eve avait évincé ceux qui se trouvaient là plus par honneur nobiliaire que par volonté de rendre service à la nation. Oh, il est évidemment des individus qu’il ne fallait pas bousculer. Bien des hommes même loin du champ de bataille pouvaient se révéler les plus fins stratèges et conseillers… Eux avaient toute leur place à ses côtés. Pour ce qui était du reste, cependant… Il fallait bien plus qu’un titre de noblesse pour se révéler digne de protéger la couronne de France et son royaume tout entier.
Quelle qualité faut-il donc pour représenter un atout dans cette armée ? Amaury se tente, humble et sûr à l’exercice d’une question subtile et pourtant si révélatrice. Bien des hommes auraient répondu force ou détermination. Mis en avant les seules choses d’une volonté forgée par la rectitude d’un ego masculin assoiffé de réussite et de victoire. Mais lui ? Lui avait mis le doigt sur une bien juste vérité. La guerre est un art terrifiant. Il est des choses qui feront peur à toute âme qui vive. Des choses que l’on ne peut justifier ni même expliquer. Des choses qui demanderont de se surpasser pour ne pas reculer et se cacher.
Un fin sourire ourle les lèvres du maréchal. S’il est satisfaction à sa conscience, Eve n’en pipera mot. Il est des choses tout aussi importantes que les mots, et ce sont les actes. Et ces jeunes recrues étaient le parfait exemple de ce qu’elle pouvait attendre d’un chevalier fraîchement arrivé. Alors une fois son plan mis à exécution. Une fois ce défi jeté en pâture aux lions, elle ne rajoutera rien, observant, régale, la scène qui se déroule sans la moindre contribution de sa part. Dire qu’elle pourrait s’amuser de voir Amaury refuser aussi subtilement de l’affronter serait un euphémisme. Mais en réalité, il était une évidence qui venait désormais à son regard : cet homme pouvait être un allié incommensurable.
Encore restait-il à prouver si les mots atteignaient l’ampleur de sa force…
Et la démonstration à laquelle Eve eut le droit ne manqua pas de la laisser satisfaite. Oh, il aurait été bien trop audacieux de défier le Maréchal, non pas pour une question de force, mais bel et bien pour une question d’étiquette. Quant à savoir de quoi cet homme était capable… Il fit le choix judicieux de ne pas tenter de démontrer ses prouesses face à plus faible que lui. Et si l’instructeur du moment n’était pas chevalier, il n’en était pas moins une lame émérite.
Eve devait avouer qu’elle ne s’était pas attendue à moins. Et si elle n’intervint pas immédiatement pour mettre fin à cet exercice, elle en scruta chaque mouvement, d’abord de là où elle était, puis venant doucement se glisser parmi les jeunes bleus, pointant tranquillement les techniques employées ainsi que les failles légères dans la garde de l’un ou l’autre. Si leur silence était majoritairement celui dû à la hiérarchie, il brillait dans les yeux de ces jeunes hommes la même flamme : celle d’être un jour au niveau des deux hommes s’affrontant au milieu du carré d’entraînement. Il n’en fallut pas tellement plus pour que de deux claps secs entre ses deux paumes elle incite les deux hommes à cesser le combat. Juste assez pour briser leurs statures de quelques gouttes de sueur, trop peu pour les avoir réellement essoufflés. Mais il ne viendrait rien de bon de laisser ces deux-là s’émécher et trouver lequel des deux se révélait le plus fort.
Quand bien même la réponse lui semblait évidente.
Tournant un regard curieux vers les bleus, le Maréchal, curieux, demande d’un ton posé.
« Qu’avez-vous pensé de votre instructeur et du chevalier de Bray ? »
Il n’en fallut pas plus pour que les plus jeunes recrues s’épanchent de leurs commentaires, en partie marqués des quelques remarques faites par Eve pendant l’échange, mais principalement parées d’une envie de progresser qui pourrait regonfler l’estime de tout preux combattant. Écoutant religieusement les opinions des uns et des autres, Eve hoche doucement la tête avant de rajouter en croisant le regard d’Amaury.
« Il me semble également qu’il aura été démontré sans peine que ce brave chevalier mérite sa place dans les rangs de notre armée. »
La clameur légère est presque timide, les soldats refusant de laisser éclater l’adrénaline due au combat observé devant leur chef. Mais Eve s’approche des deux hommes au centre et tape l’épaule de l’officier instructeur d’un geste de camaraderie.
« Continuez ainsi, mon brave. » Puis en se tournant vers Amaury. « Quant à vous, je crois qu’il est temps que nous passions aux choses sérieuses. » Une pause qu’elle dédie à jeter un regard aux jeunes bleus dont l’envie de réussir brûle dans leurs regards. « Messieurs. »
D’un mouvement ou presque, les voilà à saluer avec fierté. Une chose qui ne manqua pas de plaire à Eve qui leur rendit le signe avant de les renvoyer à leurs activités, guidant Amaury à l’écart du terrain d’entraînement pour mieux le dévisager, l’air sérieux sur ses traits laissant planer sa réflexion.
« J’ose espérer que la cohésion de groupe ne dérangera pas l’âme d’un chevalier. » Puis lui indiquant le couloir opposé à leur chemin d’arrivée. « Venez. Il est encore certaines choses que je souhaite vous montrer. Et il n’y aura pas trop d’un détour pour entendre vos premières opinions. »
Ne pas lui donner le temps de poser son esprit. Ici, le temps n’est pas à ceux qui se reposent sur leurs lauriers, pas plus qu’aux oisifs.
@Amaury de Bray
Même s’il sait qu’il aura tout à gagner à se faire bien voir par le Maréchal et entrer dans ses bonnes grâces, Amaury n’est pas homme à se travestir. Il a sa franchise et ses réactions parfois un peu brutes ou trop sincères. N’en déplaise à certains. Heureusement, jusque-là les échanges qu’il a avec le frère du Comte se passent bien et ce dernier n’ajoute rien lorsque le de Bray affirme que le courage est, pour lui, la qualité incontournable de tout bon chevalier. Il ne sait pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose… sans doute que si le Maréchal a à y redire, il l’aurait fait.
Rapidement, ensuite, l’attention s’est toute tournée vers eux et le Normand prend les devants en défiant l’un des instructeurs. L’homme se défend très bien – il n’en attendait pas moins d’un instructeur – et Amaury rompt, avance, fait un pas à droite l’autre esquive, le chevalier se dérobe une fois de plus conscient des regards posés sur eux. Cela fait bien longtemps qu’il n’a pas ainsi été étudié en plein combat. Tout n’est sans doute pas parfait dans sa manière de porter les coups mais jusqu’à présent, il s’en est toujours bien sorti. On n’est pas obligé de suivre le manuel du parfait escrimeur à la lettre pour être un bon duelliste, après tout. Son adversaire doit certainement penser qu’il se contentera d’actions « simples » et Amaury en profite pour feindre sur la droite. L’autre réagit en réaction et en deux pas rapides, le chevalier tranche, tout en retenant son geste. Plusieurs recrues s’exclament, enthousiastes, et finalement le Maréchal met fin au combat.
Les deux combattants s’écartent, légèrement échauffés et Amaury salue une nouvelle fois son adversaire, comme il l’est attendu en fin d’un duel d’entrainement. La voix du frère du Comte retentit et le chevalier prend le temps d’observer l’instructeur, il s’avance finalement vers lui, sous les commentaires des recrues, et lui serre la main. « Merci pour cet échange, monsieur. Jolie esquive de votre part. Je pense qu’il me faut revoir quelques-unes de mes gardes. » La remarque amuse son vis-à-vis et la voix du Maréchal se fait entendre à nouveau. Amaury croise son regard et ressent une certaine fierté aux mots qui sont prononcés. Rejoindre l’armée de France est un honneur auquel il n’aurait jamais songé, bien des années plus tôt. Le destin s’amuse.
Il a un salut silencieux envers l’homme blond. Les recrues, derrière, semblent parfaitement remotivées.
« Au contraire, c’est une force à préserver. Je ferai en sorte de m’y adapter. » C’est vrai que le rôle de Chevalier est généralement solitaire. Si les occasions se présentent d’œuvrer à plusieurs, ils ont tendance à vouloir tirer la couverture – et la gloire – à eux. Amaury a déjà agi ainsi, par le passé… pourtant, depuis qu’il a intégré la Milice il n’a aucun doute quant à la force du collectif et combien il vaut mieux avoir plusieurs hommes soudés que des chevaliers individualistes dans ses rangs.
Il opine du chef et emboite le pas du Maréchal. « Je vous suis. » Il y a quelque chose dans cet homme qui parait si éloigné du flegme crispant du Comte… à se demander si, au-delà de l’apparence physique, ils sont véritablement de la même famille. Enfin, il exagère. Dans certains gestes et certaines intonations de voix, il n’y a pas à se tromper. Il n’empêche qu’en quelques instants il sent poindre en lui une admiration nettement plus sincère pour cet homme que pour celui qu’il est censé servir, par son titre.
Bien que désormais, il en vient à servir les deux d’Harcourt, finalement.
Death deals a hand
L’agréable surprise que constitue Amaury laisse Eve pensive. Cet homme, par tout égard, avait sûrement été un temps placé à proximité du Duc de Normandie, et pourtant, tout dans son comportement ne semblait pas appeler au doute. Dissidence ou facette dissimulée par connivence ? Le maréchal lance une œillade discrète au brun et estime le temps de quelques instants qu’Adam ne lui aurait pas tendu pareil piège. Non, s’il s’était débarrassé du chevalier, c’était pour son intérêt… Pas pour mettre des bâtons dans les roues de sa moitié… N’est-ce pas ?
Pourtant voilà, le doute instillé ne doit pas durer. Douter mène à la perte des siens et de soi-même. Doute n’est pas inopinément composante de redoutable. La mort point aux abords de ceux qui ne peuvent assurer leurs pensées. Comme l’avait brillamment indiqué le chevalier, tout ceci n’est qu’une question d’estime et de courage. Et au courage se marie sans discorde la camaraderie naturelle des frères d’armes. Ici, nulle question de comportements bon enfant, non. Il s’agit de croire que celui qui protège vos arrières remplira noblement sa tâche. Que ceux qui constituent ses rangs sont dignes de confiance sans que jamais elle n’ait à remettre en question leurs allégeances.
Qu’importe les duchés et les rouages de la noblesse. Tous servent la même couronne. L’erreur à la guerre est une ouverture à l’invasion. Soit-elle humaine ou d’une nature encore trop silencieuse pour entendre son nom pipé au commun des mortels.
Quand bien même toutes ces engeances ont déjà causé bien assez de soucis. Leurs pas sont un écho presque harmonieux dans les couloirs à peine rompus d’un silence qui s’appesantit à mesure qu’ils s’éloignent des zones d’entraînement. Ici, on n’entend plus que le lointain écho de quelques oiseaux nichant sous les voutes de pierre de l’édifice. Un piaillement irrégulier en un chant distinct, et le battement délicat des ailes d’une mère rapportant la pitance de ses oisillons. Une nouvelle intersection et au couloir suivant se dresse à son extrémité deux imposants battants de bois. Portes fermées au-dessus desquelles trônes les lettres immanquables d’un lieu que tout soldat souhaite éviter.
L’infirmerie, si elle n’est pas le lieu d’un pèlerinage heureux, est pourtant un détour nécessaire ce jour. L’explosion, si elle avait emporté le jeune fils du Marquis de Bellevallée, il en était d’autres dont les jours n’étaient pas comptés… Et qui malgré cela n’avaient pas encore retrouvé le chemin des terrains d’entraînement. Des hommes qu’Eve mettait un point d’honneur à visiter régulièrement. Leur santé et leur moral était une chose à protéger. Ils avaient risqué leur vie pour protéger leurs compagnons et sauver ce qui pouvait l’être dans la salle d’arme… Eve avait le devoir de leur vouer la déférence qu’ils méritaient.
Les portes une fois franchies laissent planer une désagréable odeur de formole, coupée à celle des glaïeuls poussant derrière les grandes fenêtres ouvertes de l’infirmerie. Probablement s’y fait-on après quelques minutes. Eve, elle, y trouvait quelque chose d’inconfortable et de profondément déplaisant. Mais sur son visage, tout reste impassible jusqu’à ce que les quelques hommes encore confinés en ces lieux ne l’aperçoivent.
« Monsieur le Maréchal ! »
L’engouement des hommes est évident… Si ce n’est pour l’un d’entre eux. Il semble… Particulièrement amer, l’une de ses jambes visiblement immobilisée. Si la vampire s’est déjà perdue à échanger quelques paroles tranquilles avec les quelques-uns qui s’activent à se refaire une apparence présentable, Amaury pourra constater que le regard sombre du dernier se pose sur le chevalier.
« Et vous, vous faites quoi ici ? Encore un chien qui bave aux bottes du Maréchal ? »
Il ne cache pas sa désapprobation. Ses raisons ne sont pas visibles, et ses bras croisés sur son torse en disent long sur sa fermeture d’esprit. Quelqu’un qui vit mal sa convalescence forcée ? Ou plutôt…
« Vous comprenez pas. Cet homme n’a rien fait pour empêcher l’accident. Ils auraient dû abattre cette enfant quand ils en ont eu l'occasion… »
Une opinion qui, si elle n’était pas majoritaire au sein de la garnison, existait pourtant. Qu’importe les efforts du Maréchal, jamais rien ne pourrait excuser que certains avaient vu leurs corps mutilés pour ce qui pourrait être toute leur vie. Comment feraient-ils pour travailler ? Seul l’avenir le leur dirait… Mais d’ici-là, le mal était déjà fait.
@Amaury de Bray
S’il ne savait pas trop à quoi s’attendre, en arrivant ici, les choses se profilent mieux que ce qu’il aurait pu songer. Des rares fois où il avait pu l’apercevoir, jusque-là, il ne connaissait pas vraiment le frère du Comte - et n’aurait pas la prétention de croire qu’il le connait nécessairement bien désormais – néanmoins, il se fait une maintenant idée sans doute plus juste de l’autre homme et de ce qui justifie de sa nomination en tant que Maréchal. Lorsque la nouvelle était arrivée jusqu’au Comte ce dernier s’était plongé dans une frustration sourde que tous les serviteurs de la maison avaient pu ressentir et Amaury se demande bien pourquoi. L’homme à ses côtés parait avoir les épaules pour et endosse pleinement les responsabilités qui vont de paire avec un tel poste.
Le lien entre les deux frères d’Harcourt le dépasse complètement.
Dans un silence tranquille, Amaury suit le Maréchal dans les couloirs des baraquements. Ce dernier semble parfaitement savoir où ils vont, et le chevalier observe les lieux autour d’eux. Une certitude, ils s’éloignent des zones d’entraînements et croisent de moins en moins de monde. Finalement, ils arrivent au niveau d’une porte à deux battants, surplombée d’un mot : Infirmerie. Ce n’est pas forcément l’endroit qu’Amaury s’imaginer visiter mais il sent bien que rien de ce que fait le Maréchal n’est laissé au hasard. A sa manière, il cherche à se faire une idée clair de l’homme venu à lui. Amaury en a conscience sans que cela ne l’oppresse, pourtant. Les directives du Comte étaient simples : trouver son frère et se présenter à lui ; c’est ce qu’il fait.
Il ne peut contenir un regard hésitant en direction du blond tandis qu’ils entrent tous deux dans l’infirmerie. Amaury est ignorant de bien des choses dans la capitale et s’il a appris pour l’incendie, il ne peut qu’imaginer le danger qui règne dans Paris et ses environs et auquel doivent faire face les soldats de l’armée. C’est en pleine conscience de ça qu’il s’est proposé, lui aussi.
C’est l’odeur, d’abord, qui lui monte aux narines. Il retient à peine une légère grimace avant de relever la tête. Les fenêtres ouvertes et les fleurs entreposées ne dissimulent rien des émanations de mort et de blessures graves. Rapidement, les hommes présents réagissent à leur venue. A celle du Maréchal, tout du moins. Amaury est légèrement mal à l’aise, en retrait. Ce sont des visages exsangues, des corps déformés et bandés en tous sens qui se tournent vers eux. C’est la vie d’un combattant, cela va de soi, et il prie souvent pour son salue et espérer que quitte à devoir être gravement blessé au combat, la vie lui soit pleinement ôtée. Se retrouver diminué, handicapé, voilà qu’il ne parviendrait pas à supporter. Il en est certain. Il refuserait d’être un poids pour quiconque. Ce ne sont sans doute pas le genre de pensées que l’on doit avoir en un tel lieu où certains soignent et d’autres essaient de se relever – sur une ou deux jambes – mais il a toujours été extrême sur ce genre de chose. Il est du bon côté du lit, cette fois, et il mesure sa chance.
Pas bien longtemps, toutefois, car une exclamation virulente lui est déjà adressée. Il redresse la tête et fusille des yeux l’homme allongé.
« Je… » S’il veut répondre au tac-au-tac, comme il le fait souvent, il est difficile de s’exprimer sans avoir tous les tenants et les aboutissants. Ces hommes-là ont vécu des choses qu’il n’a pas vus. Déjà, le blessé reprend la parole et Amaury soupire. Il ne doit pas jouer le jeu de la provocation, qu’est-ce que cela apporterait ?
Il prend sur lui et secoue la tête. Il ne sait guère de quel enfant il est question.
« Je viens rejoindre vos rangs. Je n’étais pas sur Paris lors des événements… » Abattre une enfant ? Une perspective qu’il a du mal à envisager mais s’il a bien appris quelque chose de son parcours de Milicien c’est que le diable peut prendre bien des formes. Les derniers mots de l’autre homme sont adressés au Maréchal et Amaury doute qu’il soit de son rôle de prendre sa défense.
« Personne ne peut prévoir ce genre de choses. Maintenant, l’important est de trouver les gens qui sont à l’origine de tout ça, j’imagine ? » Tellement facile à dire avec son regard de provincial au courant de quasiment rien. « Un enfant n’est qu’un instrument. Les vraies cibles sont ceux qui tirent les ficelles, derrière. Ce sont elles qu’il faut atteindre. » Il dit cela avec une assurance presque naïve qui risque de ne pas arranger forcément son cas face à ces hommes qui ont sans doute déjà fait beaucoup – bien plus que lui – en ces lieux.
Peut-être aurait-il mieux fallu qu’il se taise, en fait.
Death deals a hand
Pourquoi donc exposer un homme si fraîchement arrivé à ses côtés à si obtuse réalité ? Tout individu censé aurait parfaitement pu ne pas révéler les dessous sales de l’armée. Se voiler la face comme l’ont fait bon nombre avant elle. Maréchal pour la gloire du titre, et pas pour le poids des responsabilités lui incombant. Le Duc de Normandie devait se complaire férocement de son échec. Devait, sans nul doute, paver chacune de ses rencontres des propos les plus ostentatoires à son égard. Un Comte à la tête d’une armée. Quelle honte. Quelle infâmie.
Quel mensonge.
Non, peu importe tout ceci. Eve croyait qu’Adam jamais ne lui ferait parvenir le moindre individu qui pourrait porter préjudice à sa position et son intégrité. Plus encore que les non-dits et les silences cachant les vices de la capitale, le Maréchal croit qu’il est des combats qui ne peuvent se gagner qu’en ayant la pleine conscience de la réalité des choses. Ici, il ne fait pas bon vivre comme les petits domaines de Normandie. Ici, il n’est pas questions des récentes épousailles de tel ou tel noble. Aux quartiers armés, on pleure la perte d’un jeune soldat. On crache son fiel à la face des hauts gradés. Et la hiérarchie, si elle ne reste pas muette, s’évertue à entendre ce que le peuple peut exprimer. Écoute avec diligence les propos d’un homme blessé dans ses convictions autant que son corps. Une foi rompue, si elle n’est pas d’ores et déjà brisée.
Sûrement d’autres auraient-ils caché pareille bavure. Exposé les chevrons à ses vêtements, attestant d’un titre qu’elle n’a obtenu qu’à la force d’une terrible coïncidence. Mais pour tout ce qu’il ne méritait pas sa place a priori, le jeune adelphe du Comte de Harcourt n’avait manqué à ses devoirs depuis sa prise de position. N’avait eu de cesses de faire régner au sein de ses garnisons un sentiment confraternel. Aujourd’hui plus que jamais le moindre grain de sable se glissant dans l’imposant engrenage de la guerre pourrait faire chavirer la main armée de l’État.
Non, le mensonge n’est pas une école de guerre. Il est ce qui ternit et teinte les visions. Ce qui ronge en silence jusqu’à faire céder même les plus braves. Alors il n’est pas question ici de courber l’échine.
« Vous comprenez rien. Ignace est mort à cause d’eux. Le Chevalier de Bayard était de mèche, j’en suis sûr. Et le Maréchal – »
Un discours qui se voit bien vite interrompu par les deux autres soldats de l’infirmerie. Ces trois-là échangent en des termes si spécifiques qu’il serait sûrement compliqué d’en saisir l’entièreté. Entre les caisses de poudre et les meurtres, de biens étranges histoires se tracent entre ces hommes aux opinions bien tranchées. Eve ne cherche pas à les interrompre. Reviens auprès d’Amaury et souligne doucement.
« Comprenez, Chevalier, qu’à chaque histoire il existe plusieurs points de vue. Notre armée est forte. Mais il ne suffit que d’une voix pour faire trembler les fondations de la bâtisse la mieux gardée de Paris. »
Saluant les trois soldats, c’est d’un mouvement de tête léger qu’Eve indique à nouveau la sortie à Amaury. Une fois la porte refermée, le Maréchal laisse échapper une expiration plus longue. Proche d’un soupir, mais bien plus encore de la fatigue.
« Je ne sais pas ce que mon frère vous a dit en vous envoyant ici Chevalier. S’il vous a promis renom et richesse. S’il vous a parlé d’un cul de sac ou de toute autre idée qui lui aura traversé l’esprit. L’armée est ce qu’elle est. Une réalité aussi sauvage qu’elle n’est stricte. »
Une pause et la voilà qui s’éloigne d’un pas assuré et pourtant lent, le dos droit. Le couloir semble bien sombre alors que des nuages couvrent le soleil momentanément. Dos à l’autre homme, ses pas se stoppent et elle rajoute d’un ton plus tranquille.
« Je sais pour ma part que j’ai besoin d’autant d’alliés que la France acceptera de me fournir. Des hommes justes et droits. Des hommes en qui je peux fonder ma confiance aussi aveuglément que faire se peut. »
Rajustant la manche de son veston, Eve se tourne vers Amaury, l’air intriguée.
« Pensez-vous en être, Messire de Bray ? »
L’air semble porter un certain poids. Celui d’un échange solennel et sincère. Si Adam de Harcourt est un homme strict et froid, Eve n’est pas moins l’image de son frère. A la seule différence que sa confiance à elle peut encore se gagner.
« Venez Chevalier, laissez-moi vous guider vers plus apte personne que je ne le suis pour s’attarder sur le sujet de vos futures accommodations. Je doute qu’un homme de votre stature souhaite partager sa nuit dans la couche d’un jeune bleu, aussi prometteur puisse-t-il être. »
Si le ton est plus détendu, il n’est pas moins évident que si nulle réponse ne lui a été donnée sur l’instant, elle sera pour le moins attendue. Qu’il y réfléchisse aussi longuement que nécessaire… Et si d’aventure sa résolution est déjà ferme… C’est sûrement d’un sourire au coin des lèvres que le Maréchal sera aperçu une fois le Chevalier de Bray dûment confié aux soins de la cellule administrative des armées.
@Amaury de Bray Je me suis permis de pousser vers la clôture du topic j'espère que ça ne te dérangera pas et que le post sera à ta convenance ! Bien entendu si tu veux répondre encore une fois pour conclure la pensée d'Amaury je te lirai avec plaisir.
Chose délicate, en présence de ces hommes blessés voire amputés, Amaury se sentait à la fois agressé et confus. Il comprenait bien que ces soldats en voulaient au Maréchal pour diverses raisons, lui reprochant ses actions et ses choix. Mais qui était-il, lui, pour s’exprimer sur des faits qu’il n’a pas directement subis ? C’était la première fois qu’il mettait les pieds dans les quartiers des Armées, il aurait été malvenu de sa part de s’imposer d’une façon ou d’une autre. Alors il essaie de temporiser et viser, probablement, d’autres coupables.
On lui répond avec des noms dont il ne sait rien et les présents semblent finalement oublier son existence, pris dans une conversation animée. A la dérobée le Chevalier observe le Maréchal qui les fixe et les écoute, imperturbable, avant de finalement s’adresser à lui. Il n’a pas l’air plus offusqué de la façon dont son autorité ou ses décisions sont perçues. Amaury ne sait guère si, à situation équivalente, il aurait eu le même sang-froid. C’est avec sagesse que le blond et le de Bray acquiesce de la tête.
Puis le duo s’extirpe finalement de l’infirmerie, non sans un salut aux hommes présents. Amaury a la sensation qu’à travers tout cela le Maréchal veut lui faire comprendre plus qu’il lui montre. Les mots qu’il emploie ensuite, après un long soupir, le prouve. Amaury secoue la tête. « Chose rare – enfin, pas tant que cela à son égard – Monsieur votre frère n’a pas été particulièrement prolixe à ce sujet. Je crois que cela lui semblait évident de me guider auprès de vous. Je pense que son intention était noble, il souhaitait que je me mette à votre service pour s'assurer de la présence d’une nouvelle lame de confiance auprès de vous. » C’est une façon de le dire, sans doute enjolivée. Adam de Harcourt est un homme avec lequel Amaury a encore bien du mal à véritablement communiquer. Toujours paré de mystère et de nonchalance, c’est à croire qu’il voit la vie comme un grand jeu qui ne l’effraie aucunement. Comme s’il avait éternellement un coup d’avance ou la certitude d’arriver à ses fins. Un comportement qui déstabilise Amaury. Il ne parvient pas à le comprendre, tout comme il ne saurait dire, véritablement, si l’avoir convié ici était une chose positive (pour qui ?) ou un pied de nez indéfini.
Tout en cheminant lentement, le Maréchal pèse ses mots en toute transparence. « Je le souhaite, Monsieur, et je ferais ce qu’il faut pour m’en montrer digne. » La confiance n’est pas quelque chose qui s’accorde facilement. Certainement pas dans l’esprit d’Amaury, c’est pourquoi il ne fait pas les choses à moitié quand il en est question. « Sachez que ce que je vois ici ne m’étonne pas forcément et ne me fait pas peur. Dieu a besoin de combattants à la fois sauvages et émérites pour porter son étendard et protéger le peuple. »
C’est peut-être surfait mais il y croit. Sincèrement. A l’invitation du Maréchal il le suit vers ce qui semble être une forme d’intendance au sein des quartiers. Dans l’immédiat, il est arrivé ici dans l’idée de voir ce que le hasard lui réservera. Il a ce qu’il faut pour pouvoir réserver une chambre en ville mais s’il peut goûter à la réalité des baraquements – avec un tant soit peu de confort dû à son rang – il ne dira pas non. « Je vous remercie pour l’accueil qui m’est fait, Monsieur. Mes paroles ne sont pas de celles qui s’envolent alors n’hésitez pas à faire appel à moi, je suis me mets à votre service. »
Un homme en charge des questions administratives s’avance, après un regard au Maréchal, tandis que ce dernier s’éloigne. Amaury suit un instant du regard la silhouette du blond. Les frères de Harcourt sont décidément tous deux emplis de mystère. A la différence que l’un a choisi de dédier sa vie à la défense de la patrie là où l’autre parait plus… épicurien.
« Monsieur ?
- Oui, bonjour, excusez-moi… »
Pour devenir soldat auprès du Maréchal, quelques formalités s’imposent.
@Eve de Harcourt : Merci pour ce topiiiic :) ! Je vais le recenser de ce pas !