La courtoisie et l’étiquette requièrent d’un prince de ne pas se comporter comme n’importe quel Homme foulant la terre. Bien se tenir, le dos droit, un sourire aimable en toutes circonstances, grâce et distinction. Mais personne n’apprend à la royauté à se comporter avec élégance loin des regards. Et c’était en toute confiance qu’il se trouvait – et se sentait – aux côtés de Sadie, désormais assis à l’abri des intempéries dans les confins rassurants d’une calèche leur ayant été affrétée par la noble Majesté du royaume de France.

Tout ça pour dire quoi ? Que c’est couvert de pluie – et un minimum hors de la portée de Sadie, pour ne pas le tremper – qu’il secoue ses mèches blondes et ses vêtements, refusant de se jouer du sort en risquant la pneumonie. D’autres diraient qu’il s’ébrouait comme un chien. Mais lui s’estimait un peu plus élégant que cela… Enfin, à en voir l’allure ses mèches trempées et ébouriffées, la question resterait ouverte.

Mais maintenant qu’ils étaient à l’abri, et qu’ils s’éloignaient enfin du palais… c’est avec un long soupir qu’il se passe les mains sur le visage et tourne un regard vers son compagnon.

« La soirée a-t-elle été agréable pour vous ? »

Il osait espérer que la compagnie eut été moins… Désobligeante que la sienne. Une petite moue peint son visage et il marmonne, l’air un peu vexé.

« J’espère que la compagnie qui vous a été attribuée ne vous aura pas apporté d’embarras. »

Oui, la suggestion de cette phrase était clairement qu’il avait lui-même été mis mal à l’aise. Et il ne doutait pas la moindre seconde que l’autre comprendrait le sous-entendu avec brio… Il fallait dire que Sadie s’était jusque-là démontré particulièrement perceptif et vif d’esprit. Des qualités qu’il appréciait chaque jour un peu plus.

Sadie semble si composé et… patient. Il l’observe et hésite de longues secondes avant de retirer à son tour son manteau trempé d’eau, le repliant avant de le déposer sur l’un des sièges de la banquette lui faisant face. L’orage est encore fort dehors, et il se remercie silencieusement de ne pas être effrayé par ce genre de trivialités… Encore plus lorsqu’il est fait mention de sa phobie. Ou encore de la banalité qu’est son titre noble. Les lèvres pincées, Aydos lui lance un regard torve et pourrait lui tirer la langue… Mais se contente de détourner la tête d’un air pétulant, comme un enfant vexé.

« Et bien je vous signale, Sire Sadie, que la jeune femme dont il m’a été remis la charge… Était peut-être aussi terrifiante qu’un chien. Elle avait les yeux rouges… Comme le Malin. »

Un frisson le parcourt. Peut-être l’humidité. Très certainement l’angoisse encore présente contre sa nuque, là où ses fins cheveux blonds se hérissent d’effroi. La sensation de malaise était encore présente, et fermement ancrée contre ses os. Comme lorsqu’un mauvais pressentiment vous prend. S’il avait été plus au fait de ses propres qualités, le prince aurait sûrement réalisé qu’il ne s’agissait que d’une question de magnétisme. Que malgré lui, ce qu’il avait pu percevoir n’était pas l’œuvre du diable, mais d’une chose tout aussi dangereuse. Mais il poursuit, vidant son sac.

« Puis il y a eu ce chevalier… Aucune politesse… La jeune femme avec lui n’était pas mal élevée, mais… Croyez-vous qu’il soit typiquement français de faire des messes basses devant un étranger à peine rencontré… ? »

S’il n’est pas vraiment dérangé, tant les deux individus étaient de triviales rencontres à son existence, il était pourtant quelque peu dérangeant de penser que les roturiers puissent ainsi se comporter. Royauté ou non, n’avaient-ils pas conscience de l’image que cela pouvait renvoyer ?

Mais heureusement, Sadie parvint à détourner son attention, haussant un sourcil alors qu’il ramène son regard sur le visage halé de l’autre homme.

« Oh, bien entendu. Sa Majesté se prénomme Victoire. Victoire de France. Il y a fort à croire qu’elle se trouvait également parmi les convives. L’avez-vous aperçue ? » Il clique de la langue, un peu agacé. « Ces intempéries m’ont pris de cours. J’aurai apprécié la remercier des efforts fournis pour tenir pareille soirée. Je présume qu’il s’agira de la remercier à la prochaine occasion. »

Et sa réaction ne se fit pas attendre. Aydos, incrédule, lance un regard à Sadie avant de fermer les yeux et de soupirer, se laissant glisser contre le dossier de son assise.

« Pourquoi ne suis-je même pas étonné que notre chance nous ait mutuellement placé dans ces circonstances improbables ? »

D’un geste ennuyé il repousse ses cheveux trempés en arrière et fait la moue. Comment était-il censé réussir sa tâche si son propre garde se retrouvait à devoir protéger la reine de France ? Ah… Il trouverait à contourner tout ceci. Trouverait à tourner cette information à son avantage. Rien n’est impossible, tant que l’on y met l’effort nécessaire.

« Un peu banale ? » Il tourne un regard vers Sadie, un sourire amusé éclairant ses traits passablement fatigués. « Vous n’avez vraiment pas l’habitude de l’étiquette… Je crois que j’apprécie de plus ce détail chez vous. »

Pourtant, le voilà déjà à pincer les lèvres, glissant doucement sur la banquette et refermant les yeux, cette soirée l’avait éreinté. Il pourrait certainement s’endormir sur le chemin jusqu’à Fontainebleau malgré l’orage.

« J’imagine qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on aime une chose en commun, elle et moi… Même si j’aurais préféré ne pas avoir à vous partager en prime… »

Enfant sage et sans souci, il aurait été bien difficile de l’accabler du moindre reproche. Cette soirée avait été somme tout pathétique, en tout ce qu’il n’avait pas fait de rencontre lui permettant de ne pas regretter d’être arrivé en France. Pourtant, voilà que son compagnon de route se trouvait désormais à la charge de protéger sa Majesté la Reine de France et… Dire qu’Aydos n’aimait pas partager ? Un euphémisme. Lorsque l’on est au centre d’une fratrie immense comme la sienne, où chaque lopin de terre et débat doit se gagner en jouant d’une verve impeccable et des coudes… Il devait admettre que l’idée de ne plus avoir l’hispanique à ses côtés… lui serrait un peu le cœur.

Alors lorsque la question lui est si posément demandée, c’est avec quelque chose d’un peu vexé dans le regard, et une moue quelque peut bougonne qu’il marmonne, lui lançant une œillade qu’il voudrait discrète, mais ne l’est pas vraiment.

« Loin d’une question de propriété, en ce que vous êtes votre propre personne, et qu’il n’est aucun cas où mes valeurs ou celles de ma nation n’accepteraient l’esclavage… Et par le simple fait que plus que d’être seulement efficace à votre tâche, vous êtes également d’une compagnie qui m’est agréable… »

Où allait-il avec ce petit discours déjà ? Ah, oui… Voilà. Aydos croise les bras sur son torse et pince les lèvres, se comportant comme un enfant, mais ne manquant pas de chercher le regard de Sadie, cette fois-ci lorsqu’il lâche avec une pointe d’amertume.

« La réponse est sûrement oui. Et vous voir m’être enlevé par une figure royale banale – pour reprendre vos propos – me peinerait grandement. Vous n’êtes pas à moi, non. » Une pause et il grommelle doucement, un peu ennuyé. « Mais je suis celui qui vous ai rencontré le premier… »