Une lettre incompréhensible pour ceux qui ne savent en déceler les mystères, son épée et sa bonne volonté, voilà ce qu’Amaury a pour lui quand il se décide finalement d’aller rechercher le QG de la Milice de la capitale. Il lui a fallu quelques jours pour se repérer – plus ou moins – dans le dédale de grandes rues que peut être Paris, mais il est encore bien loin de s’y retrouver parfaitement. Heureusement, son intégration au sein de l’armée du Maréchal lui a permis de s’installer et de s’investir d’une tâche – une de plus – ici. Il fait ses débuts par le petite porte à la Cour, son affiliation auprès du Comte d’Harcourt lui permettant de ne pas être complètement invisible et il a mis son épée au service des forces armées.

Il est un homme d’action, avant tout, et plus que les dorures du palais, c’est bien par le combat qu’il préfère s’exprimer. Soldat et milicien, il se dit que les deux peuvent être compatibles, autant que possible. Il fera ce qu’il doit faire pour cela. Même s’il doit sacrifier son sommeil. Dormir ? Il aura tout le temps pour ça lorsqu’il sera mort. Il a rejoint la Milice de Beaufour et il ne se détournera pas de cet engagement. C’est pourquoi, en quelques lignes rapidement couchées sur un parchemin, il est recommandé pour intégrer les forces parisiennes.

Sur la route de Paris, il s’est répété sans cesse les quelques indications qui lui ont été données pour localiser le bâtiment. Le genre d’endroit totalement banal, à l’extérieur, pour n’attirer l’attention de personne. C’est dans un quartier dont il ne sait encore rien. Il descend de son cheval, l’attache et va tout droit vers un homme qui l’observe à la dérobée, depuis qu’il est arrivé dans la rue.

« Vous savez pourquoi je suis là. Guidez-moi. Sa voix est ferme et traduit sa détermination.
- Qu’est-ce qui me dit… ?
- J’ai de quoi le prouver. Il montre le parchemin sous sa cape. Inutile de perdre plus de temps. »

Il y a sans doute dans son attitude quelque chose de suffisamment convaincant, car l’homme abandonne l’idée de parlementer plus, et l’invite à le suivre. Ils s’engouffrent dans un petit chemin le temps de quelques pas puis une porte dissimulée s’ouvre à la dérobée. S’il demeure silencieux, Amaury essaie de s’imprégner de tout ce qu’il voit. Bien qu’il n’y ait pas énormément à voir, me direz-vous. Au rez-de-chaussée, ils pourraient être dans n’importe quel atelier, des tables, des caisses, peu de monde. Son premier interlocuteur lui dit d’attendre un instant, va discuter avec un autre homme et les deux reviennent vers lui. « Il va vous amener à notre chef. »

Amaury salue son nouveau guide. « Suivez-moi. » Il n’avait pas besoin de le lui dire, c’est ce qu’il comptait faire. Ils montent d’un étage, en passant par un imposant escalier, puis un deuxième. Finalement, l’autre s’arrête devant une porte, frappe et entre.

Amaury attend, conscient que l’homme doit prévenir ce fameux « chef ». S’agit-il donc du véritable chef de la Milice de Paris, ou d’un gradé ? Sa conscience militaire et l’organisation de la milice de sa région natale lui font projeter un certain système, mais personne ne l’a informé de comment les choses se passaient, ici. Va-t-il être accepté ? Va-t-il devoir faire ses preuves ? Qui l’attend donc, derrière cette porte ?

Il a récupéré la lettre, presque inconsciemment, et la serre dans sa main, se souciant peu de l’abimer au passage. Il fera ce qu’il faut. Il se sait investi d’une mission et combattre les créatures maléfiques qui se terrent dans l’ombre en fait partie.

Dans la porte entrouverte, positionné suffisamment dans l’axe de celui qui l’a guidé jusque-là, Amaury entend bien la voix qui gronde et interroge sur son identité. La question ne lui est pas adressée et il arque simplement un sourcil en voyant la mine dépitée de l’homme qui revient vers lui et indique qu’il peut entrer. Ce chef est-il donc si intimidant que cela ? Il va devoir faire attention à maintenir ses humeurs. Il tient à ce rôle de milicien qui fait désormais entièrement partie de ce qu’il est et de la cause qu’il veut défendre.

Le chef en question s’avance vers lui tandis qu’Amaury entre dans la pièce. Intérieurement il est étonné de voir une personne qui semble à peu près du même âge que lui. Trop habitué qu’il est à l’organisation de la Milice de Beaufour, il s’attendait à trouver quelqu’un de plus âgé, sans doute. Même s’il sait que l’âge ne veut pas forcément dire l’expérience. Et puis, les gens qui intègrent la Milice savent bien que la mort les attend au tournant. Dieu seul sait ce qui a pu se passer et depuis combien de temps cet homme se trouve à endosser ce rôle.

Il a d’ailleurs remarqué la lettre que le chevalier tient auprès de lui. Amaury grimace. Elle n’est pas dans le meilleur des états, maintenant.

« Je suis le Chevalier de Bray, fait-il en le saluant de la tête. Je suis arrivé à Paris il y a peu. La Milice de Beaufour me recommande à vous. » Le normand ne dissimule rien de sa véritable identité. S’il doit mourir, en tant que milicien ou en tant que soldat, ce sera en honorant la lignée qui est la sienne, même s'il sait qu'ici, c'est la vivacité de la lame et l'habileté au combat qui priment. Il tend donc la missive et laisse à l’autre homme le temps de lire. Il en décrypte visiblement sans mal le contenu. Il a une posture droite et une voix ferme.

Il ne s’embarrasse pas non plus de trop de formalité. Amaury s’y attendait et ce n’est pas plus mal. La Milice protège par ses actes et non ses belles paroles. Il est toutefois un peu décontenancé par ce prénom si facilement donné et cette main qui se tend. Il la serre en une poigne robuste, franche.

« Amaury, précise-t-il finalement. Vous faites bien, cette simple missive ne dit sans doute pas tout. » Un laisser-passer jusqu’ici, rien de plus. S’il n’était pas interrogé et que l’entrevue s’achevait là, il se serait au contraire demandé où il était tombé. Pour faire confiance aux gens qui vous accompagne dans des traques, vous devez un minimum les connaître.

« Je vous écoute. »

A l’évocation de Beaufour, Amaury ne dit rien. Il n’a pas songé y remettre les pieds de sitôt et de ce qu’il a compris de la part du Comte, il est probable que ce dernier souhaite passer un certain temps sur la capitale, une fois sur place. L’avenir seul lui dira si, en effet, il aura l’occasion de revoir les miliciens du Calvados.

La première question qui lui est faite n’est pas bien évidente. Il ne sait pas le genre de réponse attendue et craint que sa méconnaissance des lieux le relègue bien vite à être vu comme un « poids », plus qu’autre chose. Il ne peut mentir, toutefois.

« C’est la première fois que je parcours réellement la capitale. J’ai eu à traverser sa périphérie à de rares occasions mais rien qui compte vraiment. Quant à mes précédentes assignations, elles étaient essentiellement en terres de Bretagne et de Normandie, et plus généralement dans le Nord de la France. » Oui, voilà les territoires de prédilection des différentes missions et autres combats menés jusque-là. Il faut dire que les forêts denses de Raismes-Saint-Amand-Wallers et de Compiègne sont des terrains de jeux prisés par certaines créatures nocturnes… « Vous n’aurez pas à douter de mon sens de l’orientation, je vous rassure. » Il a appris à la dure à savoir se repérer au milieu des grands arbres, alors les rues animées de la capitale, ce n’est pas ce qui le dérangera !

« Quant à mes connaissances ici… pas grand-monde. Des noms que j’ai déjà croisés auprès du Duc de Bretagne mais rien de plus. Si ce n’est Monsieur le frère du Comte, en vérité. » Ce qui l’amène assez vite à répondre à la question qui suit. « Je sers la maison d’Harcourt. Monsieur le Comte est présentement en voyage de noces avec sa jeune épouse et devrait arriver d’ici quelques semaines à la capitale. En attendant, il m’a recommandé à son frère, Monsieur le Maréchal, dont j’ai rejoint tout récemment les forces armées. »

Il devra aussi faire ses premiers pas à la Cour, d’ici peu, même si ce n’est pas l’exercice qui lui plait le plus. Beaucoup de choses en peu de temps, mais Amaury ne craint pas les responsabilités. Que ce soit en tant que soldat, en tant que milicien ou en tant que serviteur de son Seigneur, il a confiance en sa capacité d’être à la hauteur des événements. Il le croit, tout du moins. C’est pourquoi il ne fait aucune manière et répond avec franchise à ce qui lui est demandé. Bien droit, avec la rigueur du soldat, il fixe l’homme qui lui fait face.

La dernière question le déstabilise un poil. Il s’attendait à être interrogé sur ses faits d’armes, ses qualités de combattant et de milicien… ses motivations, c’était autre chose. Mais bien légitime aussi, après tout. Il observe l’homme qui s’adosse à son bureau et lui répond enfin :

« Pourquoi je me bats ? Pour ce qui est nécessaire. A partir du moment où j’ai eu connaissance des créatures obscures qui hantent notre territoire, comment aurais-je pu détourner mon regard ? Faire comme si de rien ? C’était inconcevable. Si des esprits malfaisants ont donné vie à ces « choses », il est de mon devoir de les combattre. En tant que soldat, en tant que chevalier et en tant que croyant. » Tous les miliciens n’ont pas la même ferveur religieuse qui l’habite, mais c’est pour lui une force dans laquelle il a toujours puisé. Il est convaincu qu’il ne s’est pas retrouvé au fin fond cette forêt, à croiser la route d’autres miliciens, par simple hasard. Son âme est portée par un besoin de justice divine. Puisqu’il en a les capacités, il agira toujours pour rendre les terres de France plus sûres et paisibles pour leurs habitants, que ce soit en combattant les vauriens qui décident d’outrepasser les lois du Royaume, ou en venant à bout de forces obscures qui ne devraient pas même exister.

Est-ce ce que l’homme devant lui voulait entendre ?
Difficile à dire.

Amaury répond aux questions qui lui sont posées avec l’application et la droiture du soldat. Il n’a rien à cacher, et encore moins en étant dans le QG de la Milice parisienne. Il répond sans rien omettre. Il ne voudrait pas que cela compromette son intégration ici. L’homme qui lui fait face parait plutôt satisfait.

« Ephrem ? » Drôle de prénom, si c’en est un. Il acquiesce toutefois vu que son interlocuteur semble convaincu qu’il s’agit là d’un passage obligé. « Très bien, alors. » Tout bon contact est bon à prendre, après tout.

Lorsqu’il évoque ses connaissances et la maison qu’il sert, Amaury ne réalise pas tout de suite le changement d’attitude chez son vis-à-vis. Ce sont les mots qui résonnent ensuite qui l’intriguent. Il n’avait pas songé qu’en intégrant les forces armées du Maréchal, il pourrait être d’autant plus « utile » à la Milice. Quels mystères pouvaient planer au sein des soldats ? Dans l’immédiat, il ne comprend pas bien.

« Vous pensez que certains de nos adversaires pourraient avoir infiltré les rangs de l’armée ? » Sa question sonne mal quand il la prononce. Jusque-là, il a une forme de respect véritable pour le Maréchal et ce qu’il a pu en voir. Même si cela lui a effleuré l’esprit sans qu’il y réfléchisse véritablement jusqu’ici, il a conscience que son engagement double, en tant que soldat et en tant que milicien risque de l’amener à faire des choix. En espérant qu’ils soient les bons. Les horreurs qu’il a pu voir au sein de la Milice l’ont toujours poussé à privilégier ces actions au détriment du reste…

D’autant qu’à bien y songer, les propos de l’autre homme vont au-delà. S’il pense avoir fait bonne impression auprès du frère du Comte, il n’est pas encore suffisamment haut gradé pour avoir accès à certains détails. Peut-être que cela arrivera… à lui de voir ce qu’il voudra en faire, ensuite. Il a toujours su que sa droiture de chevalier, son sens de la justice et ses croyances n’étaient pas forcément compatible avec ses agissements de milicien. Jusque-là il a su jongler mais la vie parisienne va à une allure telle, avec mille choses à voir, mille choses à faire, qu’il n’est pas certain qu’il puisse jouer les équilibristes éternellement.

Il s’abstient bien de le faire remarquer, cela va de soi.

D’une certaine façon, la dernière interrogation du chef de la Milice lui rappelle celle du Maréchal, concernant la plus grande qualité attendue chez un chevalier. Là encore, il ne sait pas si ça réponse est celle attendue par son interlocuteur, mais il reste sincère et fidèle à son mode de pensée. Il n’a pas honte de ce qu’il est, des principes et des croyances qui sont les siens. L’autre n’a rien de plus à en dire et Amaury a un léger sourire en l’entendant. Non effectivement, pas besoin de revenir à la base.

Toutefois…

« Oui, j’ai des questions si vous me permettez. » Il se redresse un peu et lève les yeux vers l’homme qui le surplombe (il en a l’habitude). « Je ne sais pas à qui je m’adresse. Si vos hommes m’ont directement mené à vous, ils se sont bien abstenus de m’en dire plus sur votre identité. Comment vous appelle-t-on ? »

Certains n’auraient peut-être pas osé mais cela lui parait nécessaire. Quant à risquer sa vie sous les ordres d’une personne, c’est toujours bien de savoir à qui on a à faire.

« Également… qu’en est-il de l’agitation « nocturne », ici ? Est-ce qu'il y a des choses importantes à savoir ? » Entendons par « nocturne » toutes les créatures obscures auxquelles la Milice a à faire, celles qu’elle arrive à identifier et, pire, celles qu’elle ne fait que deviner dans l’ombre.

Amaury ressent le commentaire de l’autre homme comme une mise en garde quand il évoque la capacité des créatures à se faufiler dans tous les cercles de la société. Ces mots confortent une incertitude latente qu’Amaury a toujours ressenti et enfoui depuis qu’il a rejoint la Milice : les apparences sont trompeuses et n’importe qui peut-être « autre chose » que ce qu’il ou elle montre. Comme le souligne son vis-à-vis, il y aurait de quoi se méfier de tout un chacun. Le chevalier acquiesce de la tête. C’est ce que l’on attend d’un milicien, après tout. Être sans cesse sur le qui-vive. Il essaie de faire, sans savoir s’il y parvient forcément. Il est toujours en vie, c’est déjà une victoire.

Quand il se permet de questionner directement l’homme sur son identité, il sait que c’est quitte ou double. L’autre peut très bien s’abstenir de lui répondre et jouer de son aura de mystère. Amaury constate que ce n’est pas le cas.

« Aymeric, donc. Merci de m’accepter dans vos rangs. »

A partir du moment où un milicien sait ce qu’il en est de la Milice, des mystères obscurs et est prêt à sacrifier sa vie pour la cause, comment pourrait-il en être autrement ? Amaury reste quand même courtois. Il suffira d’un rien pour que son habituelle irritabilité reprenne le dessus mais dans l’immédiat, il n’en est rien. C’est à lui de faire profil bas et de prendre toutes les informations qu’il peut prendre, afin de se faire à cette nouvelle vie qui est la sienne au sein de la capitale. Chef arrivera peut-être un peu plus tard, quand il se sera fait à l’homme en face de lui et sa façon de diriger, sans doute.

Le chevalier retient avec attention les précisions données sur l’activité sur Paris et ses environs. Vampires et loup-garous, avec sans doute de nombreuses cachettes possibles, dans la capitale même ou les zones boisées.

Si Amaury a démarré son introduction à la Cour, ce n’est qu’à tout petit pas.

« Mon entrée à la Cour est modeste, pour le moment. Lorsque le Comte et la Comtesse d’Harcourt reviendront de leur voyage, j’imagine que les choses en seront autrement. Vous pouvez compter sur moi toutefois, si besoin. » Il marque un temps d’arrêt et considère la chose. « Vis-à-vis de l’Armée, également. » Il a bien compris, des dires du dénommé Amaury, que c’était là aussi un endroit où il voulait garder un œil. S’il est pour  le moment très respectueux de l’homme qu’est le Maréchal, son engagement pour la Milice prévaut. Il sait que c’est dans l’ombre – ou parfois en pleine lumière, et c’est là toute la difficulté – que se cachent les plus grandes menaces.

« C’est bon pour moi. »

Il n’a pas d’autres questions qui lui viennent en tête et sait que c’est par la force des choses qu’il se fera à cette Milice, quelque peu différente de celle qu’il connaissait en Normandie. Tout est décuplé, ici, autant le nombre des hommes que la taille du QG et celle des dangers qui planent, il n’en doute pas.

« J’imagine que vous saurez me contacter. » Et la réciproque est vraie maintenant qu’Amaury a ses accès ici.

Il s’incline légèrement. Il sait que la Milice n’attend pas forcément d’excès de politesse mais c’est ancré en lui et il préfère faire bonne impression, de prime abord, quelque peu hésitant quant à la personne en face de lui. Sans doute se jaugent-ils l’un l’autre. C’est par les actes que le respect se gagnera.