Puisqu’il allait bientôt partir en mission d’ici quelques jours, il était monté sur la capitale pour rejoindre ses deux compagnons, et essayait de régler en priorité les affaires urgentes de son duché avant de partir. Il ne lui restait que quelques détails, aussi s’était-il permis de s’installer dans les jardins du palais royal pour se détendre et par la même occasion, inviter la jeune couturière du château, Lisbeth Corey. Il lui avait après tout promis de lui apprendre la broderie.
Il s’était donc installé dans les jardins royaux et avait donné rendez-vous à la jeune femme sous la pergola au coeur du labyrinthe. D’un doux sourire, il regarda Iris s’appliquer avec soin à placer le matériel à broderie où s’installera Lisbeth et après avoir reçu l’aval de son géniteur retourna à sa place pour continuer la sienne. Voilà plusieurs semaines qu’elle s’appliquait à broder des fleurs jaunes, de la forsythia. Elle souhaitait l’offrir à quelqu’un mais la petite chipie refusait de dévoiler son nom. Bah, il le saura en temps voulu.
Lorsque quelques mets et boissons fraîches furent finalement installés, Charles congédia les domestiques et attendit donc la demoiselle en feuilletant un livre. Il leva le nez de son bouquin lorsqu’il entendit des bruits de pas s’approcher et adressa un sourire à la vue de Lisbeth.
-Bonjour, Mademoiselle Corey. Approchez-vous, installez-vous donc, l’invita-t-elle d’un geste de la main.
-Bonjour Mademoiselle ! Salua Iris en s’arrêtant temporairement dans sa concentration.
-Comment vous portez-vous depuis la dernière fois ?
Les formalités de base d’abord.
Beaucoup de choses s'étaient produites en si peu de temps. Sa vie avait légèrement changé et, protégeant sa famille, s'était réfugié au palais pour y vivre quelque temps. Sa mère lui manquait réellement, mais elle ne pouvait décemment pas la mettre en danger pour ce genre d’envie. Parfois, elle jetait un œil à la boutique, observant sa mère faire son travail avec une dextérité très prononcée. Décidément, la voir travaillée lui donne envie de se donner également à fond. Sa rencontre avec le Duc d’Orléans remontait à quelque temps maintenant et elle avait essayé de travailler sur ses broderies, le rendu ne lui plaisant guère, elle abandonna bien vite. Le temps passa et elle finit enfin par avoir des nouvelles de Charles, lui expliquant qu’il serait bientôt sure Paris et donc, disponible pour lui donner son cours de broderie. Pleine de joie, la demoiselle s’était apprêtée d’une tenue confortable pour aller s'entraîner et apprendre, sans être dérangée par une tenue encombrante.
Amenant par la même occasion quelques morceaux de tissu au cas où elle sortit de sa chambre, salua quelques domestiques du château qu’elle connaissait un peu et finit par sortir du château pour rejoindre les jardins. Le temps était plutôt clément voire même agréable. Le soleil brillait dans le ciel, quelques nuages se battaient pour passer devant la boule lumineuse. Un léger vent les faisait danser avec allégresse, faisant vibrer les quelques fleurs du jardin.
Se rendant au centre de celui-ci, sous la pergola, Lisbeth finit par apercevoir Charles au loin, accompagné de sa charmante fille. Les domestiques se retirèrent de la zone lorsqu’elle arriva enfin, se stoppant et souriant à la salutation du Duc, réalisant une petite révérence. Se tournant vers la demoiselle, elle fait la même chose avant de sortir son carnet une fois proche, le tendant à Charles pour qu’il lise son contenu.
- Bonjour Messire d’Orléans, je vous remercie pour ce cours et j’espère arriver à dompter la complexité et les secrets de la broderie. Mademoiselle Iris, je suis heureuse de vous revoir.
Elle prit place à l’endroit qui lui était destiné, posant son carnet sur la petite table et sortant son tissu de son petit panier, les déposant près d’elle, au cas où. Elle regarda tout le matériel préparé avec soin et releva la tête en entendant la question de Charles. Prenant son carnet, elle l’ouvrit et recommença à écrire.
- Je vous remercie pour votre prévenance messire. Je me porte à merveille et vous ?
Elle sourit doucement à Iris en lui posant également la question, puis admirant les préparatifs mis en place, Lisbeth regarda la demoiselle et écrivit quelque chose de simple pour ne pas la déranger avec son moyen de communication.
- Est-ce vous, mademoiselle qui avait préparé le matériel ? C’est fait avec grand soin, toutes mes félicitations !
Elle lui offrit un large sourire avant de se tourner vers le Duc de nouveau et d'attendre sa réponse et explications de la journée. Elle avait bien hâte de pouvoir commencer à apprendre.
-Je me porte comme un charme, comme vous pouvez le voir. Et ne vous en faites pas, la broderie n’est pas aussi complexe qu’il n’en a l’air. Il faut juste de l’entraînement et de la patience.
-Et des doigts agiles ! Ajouta Iris en relevant la tête de sa broderie.
La demoiselle leva même une main pour agiter ses petits doigts dans les airs avant d’afficher un grand sourire, les joues roses, et bomba légèrement le torse, fière des compliments de la couturière. Elle retourna finalement à ses fils jaunes, et ses forsythias. Charles lui avait après tout appris qu’il avait être sage et attentive lorsqu’elle manipulait les aiguilles. Un moment d’inattention est si vite arrivée, et un petit doigt pouvait vite être piquée. Qui plus est, avec une nouvelle initiée, son père ne pourrait pas s’occuper d’elle. Aussi se promit-elle de l’impressionner par son travail.
Charles rapprocha sa chaise de Lisbeth et prit son anneau de broderie.
-Comme vous êtes une experte en couture, vous saurez choisir l’aiguille à utiliser en fonction du tissu. Je vais surtout vous apprendre les différents points de broderie, différents de la couture. Nous allons commencer par un le point passé. À utiliser pour de petits motifs comme une feuille. Dessinez en une sur votre tissu et je vous montre comment le réaliser.
Cette petite session lui rappelait bien des souvenirs d’enfance.
Lisbeth était bien heureuse de pouvoir enfin apprendre la broderie. Le nombre de fois qu’elle avait essayée de son côté, cela était devenu mission impossible pour elle. Heureusement que Charles avait bien voulu lui consacrer un peu de son temps pour l’aider dans sa quête de connaissance et d’apprentissage. Tout sourire, la jeune femme fut bien contente de le voir en pleine forme et de revoir la petite Iris lui rappelait des souvenirs d’enfance. À la remarque du père et de la fille, Lisbeth rigola légèrement derrière sa main en souriant et hoche la tête. De la patience ? Elle en a, c’est certain. En revanche, si on parle d’agilité, c’est une autre histoire. Prenant son carnet, elle écrit dessus avant de le tendre.
- Je vous fais entièrement confiance Messire. Je vais faire de mon mieux !.
En voyant les réactions si adorables de l’enfant, Lisbeth sentit son cœur fondre de bonheur. Qui ne pouvait pas craquer devant ce petit ange ? La voyant alors se concentrer, Lisbeth prit une grande inspiration et se prépara mentalement à affronter de nouveau les aiguilles. Se concentrant, elle se rappela les conseils... Conseils de sa mère. Plongeant dans ses pensées, elle sursauta légèrement en entendant la voix de Charles près d’elle. Relevant la tête, Lisbeth le regarda alors et écouta attentivement. Les aiguilles, aucun souci, ce n’est pas le plus dur... Mais un point passé ? Plissant un peu les yeux pour essayer de comprendre, elle fit un petit “oh” avec ses lèvres et hocha la tête à ses consignes.
Prenant sur la table un petit crayon qui s’y trouvait, elle déposa son morceau de tissu sur la surface et se concentra alors pour dessiner une petite feuille dessus. Se reculant alors, elle lui montra alors fière d’elle.
- Et voilà, première étape terminée !
Fière d'elle, Lisbeth reposa son carnet près d'elle et se redressa pour prendre en main le cerceau de broderie prête à suivre ses instructions à la lettre. Devant la concentration de la jeune Iris, Lisbeth ne voulait pas montrer un mauvais comportement et se prouver à elle-même qu'avec beaucoup d'effort et d'écoute, elle arriverait à surmonter son échec de la broderie.
Mais il n’aurait pas le temps de vraiment les regretter puisque Lisbeth revint vers lui pour l’étape suivante. Il se redressa légèrement et s’empara de son matériel pour lui montrer comment effectuer un point passé.
-Ce point là est idéal pour faire de petits motifs, comme des feuilles par exemple. Puisque vous débutez, je vous conseille de faire le contour de la feuille avant de la « remplir », comme ceci.
Il effectua donc les gestes habituels, tout en faisant attention de faire des gestes lents pour que la couturière puisse suivre les étapes sans problèmes. Lorsque sa feuille fut achevée, il la posa devant la demoiselle afin qu’elle ait un coup d’oeil de temps en temps.
-Voilà. Si vous avez la moindre question, n’hésitez pas. Prenez votre temps. Tout est une question de patience. Inutile d’insister si vous vous sentez frustrée. Faites une pause, si nécessaire.
Parce que s’il l’on ratait un point, il était difficile de rattraper son erreur. Quand bien même c’était un entraînement, devoir défaire un fil et voir le tissu abîmé pouvait bien en décourager plus d’un.
Sa mère avait bien essayé de lui apprendre, mais ce n’était pas du tout une mince à faire. Malgré la gentillesse et l’éducation de la mère, Lisbeth n’avait jamais vraiment compris le procédé, et ce n’était pas ce qui l’avait empêché d’essayer. C’est pourquoi la jeune femme avait rapidement arrêté, trouvant cela vraiment désespérant de ne pas arriver à faire de la broderie malgré tout son apprentissage. Ses robes sont déjà d’une très bonne qualité, alors imaginer si elle pouvait rajouter quelques broderies en plus pour rendre la tenue plus unique ? C’est pourquoi Lisbeth se retrouvait dans le jardin royal avec son nouveau professeur qui n’était autre que Charles lui-même. Depuis leur rencontre dans la boutique de tissu à Orléans, la jeune femme n’avait qu’une seule hâte, apprendre tout ce qu’elle pouvait auprès de ce grand couturier. Il est vrai qu’elle n’en connaissait pas beaucoup, à part sa mère, alors cela lui faisait énormément plaisir.
Mettant tout son cœur dans l’ouvrage, elle écoute attentivement et analyse chaque mouvement, écoute chaque parole pour les ancrer dans sa tête. Il était vraiment doué pour expliquer les choses, le fait de voir également le procédé lui permettait de mieux comprendre la suite. Hochant la tête et reproduisant tel une bonne élève, la première et deuxième étape fut un grand succès. Fière d’elle, Lisbeth sourit de toutes ses petites dents et n’avait qu’une hâte, pouvoir montrer son nouveau travail à Eudes et Lycoris !
Regardant alors Charles prendre de nouveau son matériel, Lisbeth se prépare donc pour regarder et analyser chaque mouvement, ainsi elle pourra le retenir et reproduire le mieux possible la forme.
- D’accord ! Ça a l’air plutôt simple…Mais je ne dois pas baisser ma concentration, une erreur peut vite arriver !
Celui-ci finit la feuille assez rapidement et Lisbeth fut complètement subjuguée par tant de rapidité et de précision. Des étoiles dans les yeux, elle jeta un œil à la broderie, son visage devenant sérieux. Prenant son matériel en main, elle prit une grande respiration avant de répondre à Charles.
- - Je vais faire de mon mieux professeur ! Concentration et précision !
Elle prit alors son aiguille et commença alors à faire le contour de la feuille lentement, concentrant toute son attention sur chaque mouvement. Étant assez lente, à cause, de la première fois, Lisbeth se donnait à fond. Après quelques minutes, la voilà avec le contour terminé ! Fière d’elle, la jeune couturière montre le résultat au professeur, souriante et prend une nouvelle respiration.
- Bon, maintenant à l'intérieur ! Je peux le faire !
Commençant alors à faire les premiers mouvements, elle s’arrêtait quelquefois pour regarder le modèle et se rappeler les gestes du maître. Tirant légèrement la langue sur le côté, signe de concentration, Lisbeth avait réussi à faire la moitié de la feuille. Fière d’elle, la jeune femme baissa sa garde et dans un moment d’inattention, elle se piqua avec l’aiguille. Faisant un petit bruit de surprise, elle posa doucement sa broderie et soupira un peu.
- J’ai l’habitude de me piquer…Mais ça fait quand même mal !
Rigolant un peu, elle posa un petit morceau de tissu sur le lieu de la piqure et attendit que sa se calme. Sa broderie était arrivé à la moitié. Même si elle venait de se piquer, elle n'allait pas abandonner pour si peu, c'est le risque du métier !
L’une de ses lettres le fit légèrement froncé les sourcils. La mention de bête saccageant les champs lui raviva des souvenirs… peu agréables. Il soupira et se pinça l’arrête du nez. Il ne s’était pas encore penché sur la question mais la découverte de ces… créatures, de ce squelette enflammée, d’une boule capable de guérir n’importe quelle blessure, avait eu le don de le secouer profondément.
Ainsi donc il n’y avait pas que des lycans et des vampires en ce bas monde.
Charles ne savait pas quoi en penser. D’ailleurs, il n’avait toujours pas rendu son rapport à ce sujet. Voilà pourquoi il traînait encore à la capitale. Il voulait la remettre en propre et espérait qu’ils en discutent tous ensemble. Choisir l’approche à suivre pour… affronter quoi que ce soit qui les attendait. Rien qui ne leur facilitera pas la tâche en tout cas. Surtout sur les anges y mettaient leur grain de sel…
Soupirant une dernière fois, il se pinça l’arrête du nez et se redressa légèrement en entendant Lisbeth lâcher un petit cri. Oh, visiblement, quelqu’un ne s’était pas concentrée.
-C’est pourquoi il est important d’être concentré. Vous n’avez pas envie qu’il y ait du sang sur votre tissu à broder, après tout.
Une tâche de sang et tout était à refaire. De quoi décourager plus d’un. Mais la demoiselle était visiblement bien déterminé à aller jusqu’au bout.
-Papa, papa, regarde ! Regarde le drôle de chien là-bas ! Lança Iris en tapotant le bras de son père.
Le Duc suivit du regard l’endroit qu’Iris pointait et trouva effectivement que le chien était plutôt drôle. Court sur patte et aux poils longs, cela ressemblait à si méprendre à une… à quelque chose mais sûrement pas à un chien ordinaire. Le canidé se balladait visiblement librement dans les jardins du château, un fichu de couleur bordeaux autour du cou. Nulle doute qu’il avait un maître. Ou une maîtresse. Sans peur aucune, il s’approcha de leur table et commença à renifler le sol, autour de leurs pieds, insistant particulièrement avec Lisbeth avant de s’attarder près d’Iris lorsque cette dernière tendit la main sous la table pour essayer de le caresser. Elle gloussa lorsque l’animal fut plusieurs tours sur lui-même, visiblement satisfait avant de s’éloigner et de se pavaner dans un autre coin du jardin.
-En voilà un bien drôle de chien, oui… Je me demande bien à qui il appartient, souffla-t-il pour lui même. Par curiosité, Mademoiselle Corey, quel sera le premier motif que vous souhaitez créer sur l’une de vos créations ?