Dim 19 Déc - 19:35
Le repos de la belette était un établissement plutôt populaire malgré la vétusté de ses chambres et de sa cuisine. La faute à sa tenancière, une vieille femme plutôt autoritaire mais chaleureuse pour peu qu'on s'adressait correctement à elle. Nonobstant ses manières plutôt rude, elle savait flatter la clientèle et surtout elle avait à coeur de servir correctement chacun de ses hôtes, se démenant pour offrir à chacun.e juste ce qu'il fallait de confort (et de réconfort) le temps d'une nuit sur cette route avant de remonter le reste du chemin menant à Paris. Et surtout elle était discrète. Une qualité rare chez les aubergistes.
Ainsi, installée au fond de la salle, Hildegard faisait tourner une bière tiède dans sa chope, les yeux rivés vers l'entrée de l'auberge. En tenue d'homme - ou en tenue de voyage, une capuche sur la tête, personne ne viendrait lui chercher des noises, notamment parce que son arme trônait fièrement contre le mur sur lequel elle était à moitié adossée. Certes, la propriétaire l'avait reconnue mais elle n'avait pas soufflé un mot quant à son sexe : il existait entre les deux mesdames comme un accord mutuel, de celles qui savaient combien il était dur de se fondre dans la masse en tant femmes. Ainsi personne ne soupçonnerait la présence d'une abbesse, seule au milieu de la nuit dans la masse de pèlerins s'affairant autour des tables et du comptoir de cette grande maison de campagne.
C'était le lieu parfait pour cette rencontre.
Lorsqu'enfin la silhouette tassée d'un nouveau voyageur se présenta à l'entrée, la milicienne se releva brusquement de son tabouret, en faisant grincer les pieds sur le parquet. D'un grand signe du bras, elle invita le nouveau-venu à venir s'asseoir en face d'elle et fit signe à la tavernière qui s'empressa de déposer en face de lui un bol de soupe bouillonnant accompagné d'un gobelet rempli de vin. Les deux coudes posés en face d'elle, Hildegard attendit que son invité soit bien installé et surtout que la serveuse soit suffisamment éloignée pour prendre la parole.
▬ Bonsoir Aimable. Posant les deux mains sur la table, signe d'impatience, elle tapota le rebord de sa chope en ajoutant : Mange avant que ça ne refroidisse.
Quand bien même la moitié de son visage était dissimulé sous sa capuche, Aimable pouvait aisément deviner qu'elle était en train d'attentivement le scruter. À la recherche d'une nouvelle cicatrice, de rides, d'un signe. D'un indice sur pourquoi cette hâtive et surtout secrète réunion, rongeant son envie de demander de but en blanc quel était le problème exactement.
Ainsi, installée au fond de la salle, Hildegard faisait tourner une bière tiède dans sa chope, les yeux rivés vers l'entrée de l'auberge. En tenue d'homme - ou en tenue de voyage, une capuche sur la tête, personne ne viendrait lui chercher des noises, notamment parce que son arme trônait fièrement contre le mur sur lequel elle était à moitié adossée. Certes, la propriétaire l'avait reconnue mais elle n'avait pas soufflé un mot quant à son sexe : il existait entre les deux mesdames comme un accord mutuel, de celles qui savaient combien il était dur de se fondre dans la masse en tant femmes. Ainsi personne ne soupçonnerait la présence d'une abbesse, seule au milieu de la nuit dans la masse de pèlerins s'affairant autour des tables et du comptoir de cette grande maison de campagne.
C'était le lieu parfait pour cette rencontre.
Lorsqu'enfin la silhouette tassée d'un nouveau voyageur se présenta à l'entrée, la milicienne se releva brusquement de son tabouret, en faisant grincer les pieds sur le parquet. D'un grand signe du bras, elle invita le nouveau-venu à venir s'asseoir en face d'elle et fit signe à la tavernière qui s'empressa de déposer en face de lui un bol de soupe bouillonnant accompagné d'un gobelet rempli de vin. Les deux coudes posés en face d'elle, Hildegard attendit que son invité soit bien installé et surtout que la serveuse soit suffisamment éloignée pour prendre la parole.
▬ Bonsoir Aimable. Posant les deux mains sur la table, signe d'impatience, elle tapota le rebord de sa chope en ajoutant : Mange avant que ça ne refroidisse.
Quand bien même la moitié de son visage était dissimulé sous sa capuche, Aimable pouvait aisément deviner qu'elle était en train d'attentivement le scruter. À la recherche d'une nouvelle cicatrice, de rides, d'un signe. D'un indice sur pourquoi cette hâtive et surtout secrète réunion, rongeant son envie de demander de but en blanc quel était le problème exactement.
Mer 5 Jan - 10:34
Hildegard se tourne dans le lit, elle grogne dans son sommeil. Gwendoline, elle, elle reste paisiblement allongée sur le dos, les mains sur son ventre, Marie pelotonnée contre elle. Aimable, depuis le seuil de la chambre, les observe. Ses lèvres entrouvertes sur un appel qu’il n’ose pas crier. Les mains nouées contre son ventre en un geste de prière, l’enfant dandine, d’un pied sur l’autre. Ses cheveux coupés bien courts mettent en exergue ses oreilles légèrement décollées et ses yeux, ses yeux agrandis dans la pénombre, il adresse une œillade dans le couloir.
_ Hilde… ?
Est-ce sa voix qui tremble ainsi ? Aimable fixe ses mains et tend l’oreille, les murmures de la Voix emplissent tout le couloir, son ombre rôde dans son dos, il sent son souffle froid sur sa nuque, il en a la chair de poule, tout son corps tremble alors qu’il ferme les yeux avec force. Il doit être courageux ! Il l’a promis ! Alors ses lèvres se scellent et il se recule dans l’obscurité, jusqu’à s’élancer vers sa chambre.
Sa chambre. Il dort seul, contrairement à tout le reste de la fratrie. Les premières années de sa vie, seuls sa Mère et Baptiste se rendaient dans cette petite pièce, une fois la nuit tombée. Le matin, il arrivait que l’un ou l’autre viennent changer ses draps parfois souillés de sang, les cachant dans de grands paniers. Sa chambre, c’est son refuge, mais la Voix le traque jusqu’à ces murs.
L’enfant, soudain, se fige quand la Voix se tait. Un pas lourd, qu’il connaît bien. Surpris, l’enfant lève les yeux. La culpabilité qu’il ressent ne suffit pas à effacer le sourire soulagé qui éclaire ses traits.
_ Hilde… !
Peut-être sera-t-elle en colère contre lui, mais Aimable ne s’en effraye pas. Car combien même sa sœur pesterait contre lui ou le malmènerait, elle accepterait de le raccompagner jusqu’à sa chambre s’il lui demandait. Il… Il l’espère en tous cas.
Aimable bat des paupières et raffermit son emprise sur les rênes de sa monture. Il s’arrache de sa rêverie, alors que sa jument, sous lui, s’ébroue en agitant ses oreilles. Un soupir s’arrache des lèvres du Chevalier, qui masse ses paupières. Il a pris toutes ses précautions pour ne pas être suivi. Tant et si bien qu’il a voyagé de nuit, laissant sa jument à une auberge, sous bonne garde, pour louer un autre cheval. Après une autre journée de voyage, voilà qu’il approche du lieu du rendez-vous.
Avant de s’y avancer, Aimable retient sa monture d’un geste. Elle s’immobilise. Ses sens en éveil, Aimable observe les environs avec attention et la Voix, la Voix, Elle regarde au travers de ses yeux. Un battement de paupières, Elle se tapit dans son esprit, il n’y a rRrrien, Aimable conduit l’animal jusqu’à l’écurie. Il attache ses rênes et flatte son encolure, cherchant, du regard, la monture de sa sœur. L’a-t-elle emmené, son Courtaud ?
Aimable réhausse le bouclier sur son épaule massive, avant d’approcher de l’auberge. D’une main, il pousse l’épaisse porte en bois qui se contente de grincer sous ses doigts. Les yeux baissés, par habitude, un mouvement attire soudainement son attention. La Voix connaît la fratrie et cette chair semblable à la sienne, ce même sang qui coule dans leurs veines. N’a-t-Elle pas chahuté avec certains d’entre eux ? Aimable, par politesse, salue l’assemblée d’un signe de tête et rejoint sa sœur sans plus tarder.
Aimable a changé. Des différences visibles déjà, lors de la communion de Richard. Aimable a gagné quelques centimètres, ses épaules sont plus développées. Il s’avance, non plus courbé et raidi par les années, il n’est plus ce vieillard prostré. Ses mouvements ont gagné en fluidité et le gris de ses cheveux s’est estompé. Il n’y a plus autant de vallées sur son front, bien qu’elles restent nombreuses.
Il s’installe à table, en un grognement rauque sous l’effort. La tavernière s’approche déjà, lui apportant de quoi se repaître. Surpris de sa promptitude, il la remercie d’un signe de tête et referme ses mains sur le bol de soupe. Malgré sa chaleur, il ne bronche pas. L’impatience de sa sœur est perceptible, assez pour qu’Aimable esquisse un sourire du coin des lèvres : Hildegard, pourtant, se contient et l’invite à commencer son repas.
_ Merci, Hildegard. D’avoir répondu aussi vite.
Son regard le scrute. Docilement, il baisse les yeux face à elle et la laisse l’étudier à loisir. La proximité permet à Hildegard de déceler d’infimes changements dans l’attitude et les expressions de son cadet. Il apparaît toujours inquiet, ça, c’est une certitude, avec ses sourcils froncés, ses cernes qui persistent, cette obscurité toujours lovée sous ses paupières. Mais il n’est plus ce garçon prostré par la peur, il ne subit plus les évènements. Il l’a déjà surprise, notamment lorsqu’il l’a interpellée directement pour unir franchement ses yeux aux siens. Ou par ce courrier qu’il lui a adressé.
Chez les De Bayard, les secrets étaient nombreux, tapis sous la pudeur, la gêne, la timidité ou la colère. Le suicide de leur père, la mort de Baptiste, les circonstances douteuses entourant le décès de Gwendoline et la dot qui leur avait été rendue, l’annulation soudaine du mariage d’Hildegard ou ce dernier enfant qu’avait eu leur mère après le décès de leur père… Mais il y a certaines vérités qu’Aimable ne parvient pas à leur dissimuler.
Baptiste savait, Ulric sait, toute sa fratrie en est informée. Ils savent, sans connaître, ce qui rôde dans les yeux de leur frère, ce qui hante son esprit, cette entité qui a détruit son corps pour maintes fois le soigner. Jusqu’à voir le Monstre, Ulric pensait qu’il ne s’agissait que d’une folie douce, Côme avait pensé au Démon, Marie s’était demandée s’il ne s’était pas s’agi de l’âme de leur père… Leurs suppositions, Aimable les surprenait au détour d’un couloir quand ses adelphes en parlaient à voix basse. Comme ce jour où… Ulric avait Vu l’Ouroboros. Qu’à peine soigné de cette flèche plantée dans son épaule, il s’était enfui jusqu’au bureau de Baptiste pour l’interroger, les yeux écarquillés d’horreur.
Ulric. Effrayé.
Rien qu’y penser lui arrache un discret frisson.
Son grand-frère avait connu tant de guerres, il avait vu tant d’atrocités. Mais ce jour-là, il avait eu peur de lui. Mais cette peur, Ulric ne l’avait finalement pas écoutée. Après quelques jours, il était redevenu l’homme qu’il avait toujours été.
Songeusement, Aimable glisse la cuillère dans la soupe, porte une bouchée à ses lèvres, qu’il avale sans effort. La faim est une compagne familière. Le chevalier hausse légèrement ses épaules massives et observe autour d’eux, avec inquiétudes, jusqu’à adresser un regard à sa sœur.
_ Je ne sais pas par quoi commencer. Il y a plusieurs sujets que j’aimerai aborder avec toi. Et j’aimerai qu’aucun d’eux ne tombe dans des oreilles indiscrètes.
Reconnaît-il. Il fait confiance en Hildegard, ça, c’est indéniable. Mais il se méfie des autres qui les entourent. De leurs intentions, de leurs connaissances ou de leurs suspicions. Aimable a conscience que les sujets qu’ils pourraient aborder pourraient bouleverser sa vie et combien même pourrait-il agacer Hildegard à se montrer trop prudent, il préfère ce risque. Il ne peut pas se permettre d’être négligent, pas quand sa famille peut être impliquée.
Car ce n’est plus un secret qu’il est le seul à apporter : c’est un secret qu'ils partagent et qui les mettent en péril. C'est dans leurs veines. Dans leur tête. Ces souvenirs et ce nom qui les unissent.
Il a longtemps crû qu'être courageux, c'eut été porter seul son fardeau. Mais non. Être courageux, c'est affronter ce qui l'effraie.
Affronter l'idée qu'il puisse être rejeté par ceux qu'il aime, pour ce qu'il est. Pour ce qu'il a été contraint de faire et d'être.
Aimable ignore en quels points sa soeur peut partager certaines de ses craintes... Après tout, il ne l'a jamais questionnée sur l'annulation soudaine de son mariage. Sur ses rougeurs quand elle croisait le regard de Diane.
_ Hilde… ?
Est-ce sa voix qui tremble ainsi ? Aimable fixe ses mains et tend l’oreille, les murmures de la Voix emplissent tout le couloir, son ombre rôde dans son dos, il sent son souffle froid sur sa nuque, il en a la chair de poule, tout son corps tremble alors qu’il ferme les yeux avec force. Il doit être courageux ! Il l’a promis ! Alors ses lèvres se scellent et il se recule dans l’obscurité, jusqu’à s’élancer vers sa chambre.
Sa chambre. Il dort seul, contrairement à tout le reste de la fratrie. Les premières années de sa vie, seuls sa Mère et Baptiste se rendaient dans cette petite pièce, une fois la nuit tombée. Le matin, il arrivait que l’un ou l’autre viennent changer ses draps parfois souillés de sang, les cachant dans de grands paniers. Sa chambre, c’est son refuge, mais la Voix le traque jusqu’à ces murs.
L’enfant, soudain, se fige quand la Voix se tait. Un pas lourd, qu’il connaît bien. Surpris, l’enfant lève les yeux. La culpabilité qu’il ressent ne suffit pas à effacer le sourire soulagé qui éclaire ses traits.
_ Hilde… !
Peut-être sera-t-elle en colère contre lui, mais Aimable ne s’en effraye pas. Car combien même sa sœur pesterait contre lui ou le malmènerait, elle accepterait de le raccompagner jusqu’à sa chambre s’il lui demandait. Il… Il l’espère en tous cas.
Aimable bat des paupières et raffermit son emprise sur les rênes de sa monture. Il s’arrache de sa rêverie, alors que sa jument, sous lui, s’ébroue en agitant ses oreilles. Un soupir s’arrache des lèvres du Chevalier, qui masse ses paupières. Il a pris toutes ses précautions pour ne pas être suivi. Tant et si bien qu’il a voyagé de nuit, laissant sa jument à une auberge, sous bonne garde, pour louer un autre cheval. Après une autre journée de voyage, voilà qu’il approche du lieu du rendez-vous.
Avant de s’y avancer, Aimable retient sa monture d’un geste. Elle s’immobilise. Ses sens en éveil, Aimable observe les environs avec attention et la Voix, la Voix, Elle regarde au travers de ses yeux. Un battement de paupières, Elle se tapit dans son esprit, il n’y a rRrrien, Aimable conduit l’animal jusqu’à l’écurie. Il attache ses rênes et flatte son encolure, cherchant, du regard, la monture de sa sœur. L’a-t-elle emmené, son Courtaud ?
Aimable réhausse le bouclier sur son épaule massive, avant d’approcher de l’auberge. D’une main, il pousse l’épaisse porte en bois qui se contente de grincer sous ses doigts. Les yeux baissés, par habitude, un mouvement attire soudainement son attention. La Voix connaît la fratrie et cette chair semblable à la sienne, ce même sang qui coule dans leurs veines. N’a-t-Elle pas chahuté avec certains d’entre eux ? Aimable, par politesse, salue l’assemblée d’un signe de tête et rejoint sa sœur sans plus tarder.
Aimable a changé. Des différences visibles déjà, lors de la communion de Richard. Aimable a gagné quelques centimètres, ses épaules sont plus développées. Il s’avance, non plus courbé et raidi par les années, il n’est plus ce vieillard prostré. Ses mouvements ont gagné en fluidité et le gris de ses cheveux s’est estompé. Il n’y a plus autant de vallées sur son front, bien qu’elles restent nombreuses.
Il s’installe à table, en un grognement rauque sous l’effort. La tavernière s’approche déjà, lui apportant de quoi se repaître. Surpris de sa promptitude, il la remercie d’un signe de tête et referme ses mains sur le bol de soupe. Malgré sa chaleur, il ne bronche pas. L’impatience de sa sœur est perceptible, assez pour qu’Aimable esquisse un sourire du coin des lèvres : Hildegard, pourtant, se contient et l’invite à commencer son repas.
_ Merci, Hildegard. D’avoir répondu aussi vite.
Son regard le scrute. Docilement, il baisse les yeux face à elle et la laisse l’étudier à loisir. La proximité permet à Hildegard de déceler d’infimes changements dans l’attitude et les expressions de son cadet. Il apparaît toujours inquiet, ça, c’est une certitude, avec ses sourcils froncés, ses cernes qui persistent, cette obscurité toujours lovée sous ses paupières. Mais il n’est plus ce garçon prostré par la peur, il ne subit plus les évènements. Il l’a déjà surprise, notamment lorsqu’il l’a interpellée directement pour unir franchement ses yeux aux siens. Ou par ce courrier qu’il lui a adressé.
Chez les De Bayard, les secrets étaient nombreux, tapis sous la pudeur, la gêne, la timidité ou la colère. Le suicide de leur père, la mort de Baptiste, les circonstances douteuses entourant le décès de Gwendoline et la dot qui leur avait été rendue, l’annulation soudaine du mariage d’Hildegard ou ce dernier enfant qu’avait eu leur mère après le décès de leur père… Mais il y a certaines vérités qu’Aimable ne parvient pas à leur dissimuler.
Baptiste savait, Ulric sait, toute sa fratrie en est informée. Ils savent, sans connaître, ce qui rôde dans les yeux de leur frère, ce qui hante son esprit, cette entité qui a détruit son corps pour maintes fois le soigner. Jusqu’à voir le Monstre, Ulric pensait qu’il ne s’agissait que d’une folie douce, Côme avait pensé au Démon, Marie s’était demandée s’il ne s’était pas s’agi de l’âme de leur père… Leurs suppositions, Aimable les surprenait au détour d’un couloir quand ses adelphes en parlaient à voix basse. Comme ce jour où… Ulric avait Vu l’Ouroboros. Qu’à peine soigné de cette flèche plantée dans son épaule, il s’était enfui jusqu’au bureau de Baptiste pour l’interroger, les yeux écarquillés d’horreur.
Ulric. Effrayé.
Rien qu’y penser lui arrache un discret frisson.
Son grand-frère avait connu tant de guerres, il avait vu tant d’atrocités. Mais ce jour-là, il avait eu peur de lui. Mais cette peur, Ulric ne l’avait finalement pas écoutée. Après quelques jours, il était redevenu l’homme qu’il avait toujours été.
Songeusement, Aimable glisse la cuillère dans la soupe, porte une bouchée à ses lèvres, qu’il avale sans effort. La faim est une compagne familière. Le chevalier hausse légèrement ses épaules massives et observe autour d’eux, avec inquiétudes, jusqu’à adresser un regard à sa sœur.
_ Je ne sais pas par quoi commencer. Il y a plusieurs sujets que j’aimerai aborder avec toi. Et j’aimerai qu’aucun d’eux ne tombe dans des oreilles indiscrètes.
Reconnaît-il. Il fait confiance en Hildegard, ça, c’est indéniable. Mais il se méfie des autres qui les entourent. De leurs intentions, de leurs connaissances ou de leurs suspicions. Aimable a conscience que les sujets qu’ils pourraient aborder pourraient bouleverser sa vie et combien même pourrait-il agacer Hildegard à se montrer trop prudent, il préfère ce risque. Il ne peut pas se permettre d’être négligent, pas quand sa famille peut être impliquée.
Car ce n’est plus un secret qu’il est le seul à apporter : c’est un secret qu'ils partagent et qui les mettent en péril. C'est dans leurs veines. Dans leur tête. Ces souvenirs et ce nom qui les unissent.
Il a longtemps crû qu'être courageux, c'eut été porter seul son fardeau. Mais non. Être courageux, c'est affronter ce qui l'effraie.
Affronter l'idée qu'il puisse être rejeté par ceux qu'il aime, pour ce qu'il est. Pour ce qu'il a été contraint de faire et d'être.
Aimable ignore en quels points sa soeur peut partager certaines de ses craintes... Après tout, il ne l'a jamais questionnée sur l'annulation soudaine de son mariage. Sur ses rougeurs quand elle croisait le regard de Diane.