Et dire qu’il s’était arrangé pour quitter ses fonctions avant que la nuit ne soit trop installée et que filament, c’était des trombes d’eau qui l’accueillaient à bras ouverts ! Non mais vraiment, il avait l’impression d’être de retour à Aigues-Mortes avec les orages issus directement des caprices de la mer proche ! Déjà l’eau lui coulait dans le col de sa chemise et Sébastien avait cette sensation en horreur !

Il n’avait qu’une hâte, rentrer chez lui.

Oh et puis ce tonnerre tonitruant… Quel enfer ! Mieux valait ne pas trainer ici inutilement. Son manteau de fortune juché sur le haut de sa tête pour essayer – en vain – de se protéger de l’intempérie, Sébastien aurait presque pu rater cette silhouette assise là devant la Cathédrale si un éclair n’avait pas projeté l’ombre de cette dernière sur le parvis du lieu saint.

L’homme hésita un instant, mais il lui semblait connaître ces épaules, et cette chevelure. Se pourrait-il que… ? « Stanislava ? »

Il appela sans grande espérance, entre les gouttes de pluie.

Ce regard ne trompait pas. Stanislava était en grande détresse et Sébastien sentit immédiatement qu’il devait faire quelque chose. Alors, dans un geste désespéré – mais sincère -, il vint placer la veste au-dessus de la tête de la rousse, ne tenant pas compte de l’état déjà détrempée de cette dernière et lui prit la main dans l’une des siennes, lui ôtant les rennes de son destrier de l’autre. « Suis-moi, nous serons à l’abri chez moi ! »

Commença alors une course poursuite dans les ruelles de Paris jusqu’à arriver à l’endroit où logeait le préposé aux états d’arrestations. Il jeta quelques regards furtifs vers Stanislava mais à part à la faveur de quelques éclairs au-dessus d’eux, rien ne fut précis pour ses yeux humains.

Le cheval fut amené jusqu’à un box de fortune, un peu à l’écart de la porte menant vers son appartement, mais Sébastien savait que rien ne lui arriverait ici, surtout si quelqu’un l’avait vu arriver avec. Il avait plutôt bonne réputation dans le quartier.

Ensuite, il guida Stanislava jusqu’au quatrième et dernier étage du bâtiment où il résidait et où se trouvait la chambre qu’il occupait à Paris. « Voilà… Entre et fais comme chez toi. »

C’était un lieu… spartiate. Tout juste assez grand pour une personne, mais le partage était inscrit dans le caractère du jeune homme. « Désolé, c’est étroit et sans doute totalement différent de ce que tu connais au palais royal mais… au moins nous seront au sec pour cette nuit. » Comme pour étayer, un coup de tonnerre retentit à cet instant au-dessus d’eux.

Sébastien ne perdit pas de temps et sorti de sous son lit un sac en toile dans lequel se trouvait plusieurs vêtements. Il en sorti un change pour Stanislava, qu’il posa sur le lit. « Tiens, changes toi, tu seras plus à l’aise sans vêtement trempés. »

Quoi qu’il pouvait être en train de bouleverser Stanislava, Sébastien se doutait bien qu’il ne pourrait sans doute pas faire grand-chose pour elle dans l’immédiat, à part lui permettre de se reposer dans un endroit confortable et sécurisant.

Songeant que la chevelure trempée de sa comparse pourrait être un problème, il se rapprocha de la petite cheminée qui trônait dans un coin de la pièce et s’empara de la bougie en mauvais état qu’il utilisait jusque-là pour éclairer faiblement la pièce pour raviver ce qu’il restait d’une bûche de bois vacillante. Ce serait toujours mieux que rien, sans doute. « Viens te placer près du feu, tu y seras mieux. »

Il s’était tourné le temps de lui permettre de se changer et désormais, sentit comme une envie de bougeotte le prendre. « Je… Je vais voir aux cuisines si quelque chose traine. » Grands mots pour désigner une aire commune aux habitants du bâtiment. Mais Sébastien était de bonne volonté et même s’il ne trouva rien à se mettre sous la dent, au moins pu-t-il dégoter un fond d’infusion qui devait trainer là depuis des lustres – au moins – et les restants d’un baquet d’eau chaude au-dessus du foyer principal dont on avait plus utilité, visiblement.

Il ne se fit pas prier pour remplir une tasse ébréchée avec le liquide chaud, se brûla – forcément – et remonta avec prudence les marches jusqu’à sa chambrette. Là, il referma la porte derrière lui et apporta le récipient chaud vers la rousse. « Tiens… Ce n’est pas grand-chose mais au moins, ça te réchauffera un peu. »

Du moins l’espérait-il. Mais l’état de la mercenaire l’inquiétait et le Filin décida de mettre les pieds dans le plat. Tant qu’à faire, il pensa que Stanislava n’aimerait pas qu’il se perde en conjectures maladroites. « Tu… Tu as perdu quelqu’un pour qui tu avais des sentiments, pas vrai ? Des sentiments amoureux, j’entends… » Il se massa la nuque, sans regarder la jeune femme dans les yeux. « Je… je connais ce genre de regard. Catherine… Elle avait le même lorsque je lui ai dit que je ne souhaitais pas vivre avec elle. » Leurs histoires étaient certainement très différentes, mais peut-être qu’au fond, il pourrait l’aider à passer outre ? « C’était qui, que tu aimais à ce point pour venir pleurer devant Notre-Dame ? Une personne qui y est enterrée ? » Enfin, si elle voulait en parler uniquement, bien entendu.

Il vint la faire s’assoir à côté de lui, en face du feu maigrelet qui se battait à plein régime pour faire ne serait-ce qu’exister encore un peu. « Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. » Les sentiments sont des armes redoutables et il n’y avait pas à avoir honte d’y succomber. En bien comme n mal, d’ailleurs. La nature humaine était ainsi faite.

Mais il avait touché juste, visiblement. Un homme noble, hein… Sébastien s’en doutait très certainement depuis le départ, mais il avait tenté sa chance. Sauf que cela n’avait rien donné, finalement. Tant pis. Sa douleur, il la cuverait plus tard, l’important n’était pas là pour le moment. « Tu étais surement quelqu’un, pour lui. C’est important de se souvenir que l’on a compté pour quelqu’un, même si cette personne n’est plus là maintenant. »

Il avait l’impression de ne sortir que des phrases toutes faites, mais il se trouvait bien pris au dépourvu, maintenant. Faisant un excès de zèle, il vint poser une paume sur la tempe de Stanislava et invita cette dernière à se reposer sur son épaule. « Si tu veux continuer à pleurer, n’hésites pas. Ce qui se passe ici ne sortira pas de ces murs, tu as ma parole. Alors protèges toi… Et commences par cuver ta tristesse correctement. » C’est ce que lui avait toujours dit sa mère.

Il aimerait avoir la solution au problème apparent de Stanislava. Mais il ne les a pas et ne les aura probablement jamais. Du moins, pas maintenant et pas ici. « Je ne sais pas, Stanislava. Chaque personne est différente pour traiter ses écueils. Y a-t-il quelque chose que tu aimerais faire en particulier ? Quelque chose qui t’inspire ? »

Ce peut être n’importe quoi. Boire, dormir, aller faire une chevauchée en pleine nuit, qu’en sait-il après tout. Mais il sera là pour elle. Il lui devait bien cela, après tout. Au-delà de l’affection sincère qu’il lui dédie, Sébastien ne lui a toujours pas rendu le service qu’elle a officié à Aigues-Mortes en l’aidant, lui et le reste de la population avec la créature.

C’est sans doute bien trop minime, mais c’est tout ce qu’il a à portée de main.

Sébastien ne put retenir un rire franc de passer ses lèvres. « C’est sûr que pour la neige, tu vas devoir attendre, ahah ! »

Néanmoins, la rousse semblait moins abattue qu’auparavant, ce qui était une preuve d’amélioration qui satisfaisait l’ancien capitaine de port qu’il était. « Quant aux statuettes de bois… Eh bien je n’ai pas de possibilités de sculptures à te proposer, mais si travailler le bois est quelque chose qui peut t’aider à penser à autre chose, eh bien l’étable où j’ai laissé ton cheval aurait bien besoin d’une ou deux réparations. Je m’étais engagé à jeter un coup d’œil auprès des habitants mais la pluie a commencé à tomber et… Bon bah, la suite tu la connais. »

Il tourna ensuite son visage vers elle. Il avait envie de l’embrasser mais n’en ferait rien. Elle n’avait pas besoin d’un poids supplémentaire sur sa conscience. « Si tu t’en sens le courage, j’ai l’impression que la pluie commence à diminuer, dehors. Nous pourrions aller y jeter un coup d’œil ? »

Il se remet debout en entrainant avec lui Stanislava, riant toujours un peu. « Rien de très fou, juste réparer les fuites, remettre une poutre au bon endroit, clouer quelques planches… A deux nous devrions avoir vite terminé, je pense ! »

Puis, lâchant sa main pour éviter de se brûler davantage à la chaleur de sa présence, Sébastien descend les escaliers en premier et guide jusqu’au rez-de-chaussée. Les occupants des lieux semblent tous dormir à poings fermés, aussi Sébastien chuchote un peu en s’emparant de deux capes, accrochées là. « On peut emprunter ça jusqu’à avoir fini notre office, je pense que personne ne s’en plaindra. »

Il semble être comme un enfant que l’on pourrait surprendre à faire une bêtise, mais qu’importe. Au dehors, une fine pluie tombe à la place des grandes trombes d’il y a quelques minutes. C’est de bonne augure aux yeux de Sébastien.

Lorsqu’il arrive jusqu’au boxe de fortune du cheval de la rousse, il glisse sur le côté pour ne pas déranger la bête. Là se trouve l’endroit, un peu plus loin, qui doit être réparé. « Tu vois, la poutre, là, il faut la redresser un peu, mais seul je n’y suis pas arrivé. Il faut qu’on soit au moins deux, un qui pousse pendant que l’autre tire pour la remettre droite. Ensuite on pourra essayer de boucher les fuites de cette partie du toit. » Son regard croise ensuite celui de sa comparse de l’heure. « Alors ? Partante ? »

A eux deux, les réparations avaient été bien plus rapides que Sébastien n’aurait été capable de le faire tout seul. « Wouah, quelle force ! Je ferais attention la prochaine fois que je te sers la main ! » Il rit mais n’est en aucun cas moqueur, au contraire, le temps qu’ils ont gagné l’arrange bien.

Après sa dernière tâche achevée, il rejoint la rousse et passe une main dans sa chevelure hirsute. « Avec plaisir pour dîner ! Y’a une taverne pas loin, qui s’appelle l’Yonne. Je crois qu’elle est encore ouverte. On peut aller y faire un tour ? Mes voisins ne démordent pas du goût des plats qui y sont préparés. »

Bon, en réalité, il n’a pas une faim de loup, mais tout moment passer avec Stanislava lui parait précieux. « Et tu n’as pas à me remercier. Les amis sont là pour ça. »

Il n’espère rien de plus pour l’heure que de la voir sourire au moins un peu. Il s’en contentera.

Il la laisse récupérer ses effets personnels – du moins ceux dont elle estime avoir besoin car, qui sait ? Sébastien ne souhaite pas être importuné par des manants pendant ce moment rien qu’à eux mais mieux vaut être trop préparé que pas assez, il le sait bien maintenant.

Lorsqu’elle revient pour aborder le sujet de l’alcool, il ne peut que rire. « Ahah ! Nous verrons cela bien assez tôt, j’avoue que ça fait un moment que je ne me suis pas payé une bonne pinte ou même un alcool fort, c’est l’occasion ! »

Les ruelles défilent sous leurs bottes et lorsqu’ils arrivent enfin dans la taverne, peu de gens s’y trouvent. Tant mieux, moins de brouhaha ne pourra que leur convenir. « Bien, tu veux une table ? Ou le comptoir, ça te va ? »

Lui n’était pas particulièrement dans ces jeux de préférence.

Lorsque la main de Stanislava vint prendre la sienne, Sébastien referma dessus ses doigts, amicaux et tendres. La table qu’ils allèrent occuper était suffisamment ne retrait pour qu’ils ne soient gênés par rien, aussi s’asseya-t-il en face de la rousse en lui souriant.

Il avait bien envie de tester ce que le cuisinier avait à proposer, aussi fit-il confiance à la serveuse – ou au serveur ? – quant à ce qui allait leur être amené.

« Francis se remet de ses blessures, il veut déjà repartir à l’aventure. Je pense que tu as pu bien le cerner après notre mission ensemble ! Ahah… » Les flashs de cette nuit infernale ne cesseront sans doute jamais de le hanter, pourtant Sébastien n’avait parlé à personne des « cavaliers rouges » qu’il avait vus ce soir-là. C’était une chose qu’il craignait encore trop pour la mettre en mot. « Il a demandé de tes nouvelles d’ailleurs."

Il porta la pinte à ses lèvres et ne put s’empêcher de rire à la mention de la « fillette » de Stanislava. Bon, elle ne semblait pas avoir perdu toutes ses couleurs, c’était encourageant. « Je passerai le message, oui, sois en assurée ! » Il reprit une gorgée de sa pinte avant de se stopper.

Allons bon, elle voulait savoir… Au point où ils en étaient tous les deux, inutile de vouloir lui cacher quoi que ce soit. Il se massa la nuque et cessa de boire pour le moment. « En toute honnêteté… j’en sais rien. Ces choses, j’sais pas d’où elles sortaient, mais c’était terrifiant. J’aimerais croire que je ne verrais plus rien d’aussi monstrueux par la suite, mais rien n’est moins sûr… »

Il aurait pourtant voulu s’éviter ce genre de péripéties.

Oh. Elle partait déjà ? Sébastien se senti... étrange, à cette nouvelle. Pouvait-il faire preuve d’audace ici et maintenant ?
Et après tout, pourquoi pas ?

« Je pourrais venir avec toi ? » Certes, il avait son travail, mais nul doute qu’il pourrait être remplacer pendant quelques jours, il le savait bien. Et puis… « J’avoue que je mentirais si je disais ne pas avoir attendu un moment rien qu’avec toi depuis le mariage de cette noble… C’était qui, déjà ? Roh, peu importe. »

Il prit quelques bouchées de son plat et poursuivit. « Si t’encombrer d’un poids mort pour moi te convient, je te suivrais avec joie. » Un sourire en coin.

Il ne put que lui sourire, sincèrement. Doucement, Sébastien laissa encore une fois son instinct prendre le dessus, sachant bien que Stanislava saurait l’arrêter si quelque chose ne lui convenait pas.

Il posa sa main sur la sienne et serra un peu, pour manifester son soutien. « Je ne sais pas ce que tu fuis, Stanislava, mais je t’ai promis d’être là pour toi. » …Réalisation. « Et euh… Si je ne l’ai pas fait avant, considères que c’est fait maintenant. »

Sourire.

En tout cas, il voulait lui montrer qu’il était capable de la soutenir. « Je suis ravi que tu acceptes ma présence en tout cas. Ne t’inquiètes pas pour mon travail, je m’arrangerais. Je peux bien faire ça pour quelqu’un envers qui j’ai une dette de vie, après tout ! »

Il reprit une gorgée de sa pinte.