Elle vérifia pour la troisième fois si elle avait toutes ses affaires. Elle n’avait vraisemblablement rien oublié mais préférait tout de même jeter plusieurs coups d’œil, juste au cas où. Branwen rirait bien de al voir se stresser toute seule, à se poser mille et unes questions du genre. Elle ne partait même pas excessivement loin, en plus ! Dans le pire des cas, elle serait de retour demain matin. Mais elle voulait bien faire et surtout ne pas se rendre compte en plein milieu du chemin qu’elle avait oublié quelque chose d’essentiel.

Enfin, May sauta presque sur le dos de son cheval et jeta un dernier coup d’œil à la porte de sa boutique avant de se concentrer droit devant elle. C’est ainsi qu’elle rejoignit le centre-ville de Paris et qu’elle se stoppa un instant. Elle devait rejoindre Stanislava, l’une de ses très bonnes clientes, pour une balade à cheval. Et puisque May en avait pour un moment à chevaucher, elle s’était dit que joindre l’utile à l’agréable, pour au moins une petite partie du trajet, pourrait être une bonne idée.

Elle avait envoyé une missive hier à la belle rousse mais réalisa qu’elle n’avait pas vérifié sa propre boîte aux lettres avant de partir. Si ça se trouve, peut-être que Stanislava ne pourrait pas venir, finalement ? Elle décida d’attendre un peu, observant avec bienveillance les badauds qui allaient et venaient.

Lorsque les yeux de May virent Stanislava arriver, son sourire ne s’en fit que plus grand. « Stanislava ! Bien le bonjour ! ». Elle secoua ensuite la tête « Non, aucun problème, ne vous en faites pas je venais moi-même d’arriver sur place ! »

Puis, sans rien ajouter de plus, elle suivit le cheval de Stanislava, tâchant de se mettre au même rythme. « Vous connaissez bien les lieux alentours ? J’ai rarement l’occasion de me balader depuis que je gère la boutique. Mais j’ai hâte de voir le lac, en tout cas ! »

S’il y avait bien une chose qu’elle aimait, c’était cela, les étendues sauvages – ou presque -, les endroits où seule la nature est maîtresse des lieux et des ambiances. Ses yeux dorés ne peuvent s’empêcher, cependant, de rebondir sur les courbes de la monture de Stanislava. « C’est votre cheval ? Il est magnifique ! Est-ce qu’il a un nom ? » Parce qu’elle avait nommé le sien Michel. Mais elle ne voulait pas risquer d’ennuyer la rousse avec ses élucubrations. Bran lui disait bien souvent qu’elle parlait beaucoup trop.

C’était surement vrai, mais ainsi était May et elle ne pourrait plus se changer, désormais. Pas après tout ce temps.

May se sentait comme une enfant au tout dernier moment avant qu’une surprise ne lui soit révélée. Elle avait hâte de se trouver là où Stanislava voulait l’emmener ! Nul doute que cela lui ferait un bon souvenir à raconter à Branwen à son retour ! Bon, elle le voyait déjà tout prêt à râler comme quoi il n’avait rien à faire de ses anecdotes de voyage mais peu importe, May le lui raconterait quand même !

Elle n’insista pas quant au nom du cheval, visiblement, elle avait mis la rousse dans une petite position d’embarras et s’en voulait déjà bien assez comme ça. Fort heureusement, le sujet de sa boutique fut abordé sur un ton léger et la jeune femme fut ravie d’y répondre.

« Depuis trois ans, maintenant ! J’ai pris la succession de l’ancienne propriétaire, Madame Cunégonde. Ses deux petits-fils ne voulaient plus continuer l’affaire alors je me suis dévouée. Et ça me plaît beaucoup ! » Un sourire sincère émane d’elle lorsqu’elle parle.

Mais la demoiselle était aussi en proie à des doutes et des interrogations en tout genre, surtout après ce qui était arrivé récemment au sein de Paris. Elle osa alors prendre son courage à deux mains et délia ses lèvres. « Euh… Stanislava, je me demandais… Avez-vous eu des nouvelles du Duc van Heil ? »

Ses joues rosirent.

May ? Se surmener ? Oui, elle ne pouvait pas dire que Bran ne le lui répétait pas cela très souvent au court de ses journées – et parfois nuits – d’ouvertures. Mais elle ne se sentait pas épuisée, vraiment. May adorait son métier et pour rien au monde elle n’en aurait changé. Toute fière de faire honneur à Cunégonde – du moins, elle l’espérait -, elle voulait continuer à faire de son mieux le plus longtemps possible.

Et elle le pourrait surement si tant de personnes uniques ne venaient pas la voir si souvent qu’elle finissait par s’y attacher bien malgré elle. C’était le cas pour Stanislava et également pour le Duc van Heil. Ceci étant dit, au sous-entendu –pourtant très clair – de la rousse, May manqua de s’étouffer.

Ses joues virèrent encore plus au rouge et elle savait que cela lui causerait encore plus de tort à ce niveau aux yeux de Stanislava mais elle ne pouvait juste pas rester aussi calme avec de tels propos engagés. « M-M-M-Mais pas du tout ! Je- J’étais juste curieuse, voilà tout ! »

Elle détourna ensuite la tête, comme pour essayer de garder une constance. Mais le cœur de May était irrémédiablement bon et elle ne put faire comme si de rien n’était malgré tout. « Je… Si vous le voyez, vous pourrez lui dire que je suis heureuse de le savoir en bonne santé ? S’il vous plaît ...? » Et ses yeux suppliants.

May ne pensait pas qu’elle pourrait rougir encore plus qu’après les premiers mots de Stanislava mais finalement, à la nouvelle insinuation, elle devint rouge jusqu’aux oreilles. Mais elle n’eut ni la volonté ni le temps d’ajouter quoi que ce soit que leurs montures parvinrent jusqu’à un lac, sans doute le fameux endroit où Stanislava souhaitait l’emmener. « Oh, quel endroit charmant ! »

Elle n’avait que trop peu de temps à s’accorder pour faire un peu de tourisme mais à l’occasion, elle voudrait bien faire le tour de la forêt avoisinante. Peut-être une prochaine fois avec Stanislava, qui sait !

Pourtant, lorsque May laissa son regard dévier jusqu’à son accompagnatrice, elle sembla voir le trouble prendre place sur les traits de la rousse. Doucement, elle s’approcha, jusqu’à pouvoir poser une main bienveillante sur l’épaule de la mercenaire. « Stanislava… Tout va bien ? »

Elle s’en serait voulu d’avoir contraint la dame à l’emmener dans un endroit qui lui aurait donné de bien mauvais souvenirs.

May avait eu peur que Stanislava ne se pousse trop dans ses retranchements. Elle n’aurait voulu, pour rien au monde, qu’une telle chose se produise juste par sa faute ou pour une balade à cheval. Le bien-être de sa clientèle – et amie même si elle n’osait trop s’imposer de la sorte dans les relations de la rousse – passait avant tout le reste. Fort heureusement, il semblait que cette absence que la vendeuse avait perçue n’était rien d’autre qu’une petite passade sans conséquence.

May s’en trouva donc rassurée.

Puis, lorsque la garde du corps de sa Majesté l’aida à descendre de son cheval, la jeune femme se sentit rougir, une fois de plus. « S-Stanislava ! Je ne suis pas une petite chose fragile ! ». En réalité, elle protestait plus pour la forme que pour le fond. Branwen aussi, sous ses airs détachés, était plus protecteur envers elle qu’elle n’aurait pu se l’imaginer au départ. Alors elle n’ajouta rien de plus, surtout que son acolyte lui avait proposé un pique-nique !

« Oh, j’en serais ravie ! » C’est qu’elle pas prit le temps de manger ce matin. Pourtant, elle se sentit tout à coup bien bête. « Mais... Je n’ai rien amené, moi… Toutes mes excuses… »

May s’installa sur le drap blanc et tâcha de faire abstraction de son sentiment de malaise d’être venue les mains vide. Peu importe ce que pourrait dire Stanislava, elle était ainsi et personne ne pourrait la changer. Toutefois elle voulait aussi profiter de ce moment de pause avant de repartir pour aller se fournir chez son principal revendeur d’onguent.

Lorsque le sujet revint sur sa boutique, c’est toute heureuse qu’elle répondit. « Oh oui, les affaires marchent très bien ! » Elle s’assied en tailleur avant de poursuivre. « Je vois plein de monde, oui, mais personne ne m’a jamais cherché d’ennuis. Et puis au cas où, je sais que je peux compter sur un de mes amis pour me venir en aide ! »

Elle n’était pas seule, ou plutôt, elle ne l’était plus du tout. Et c’était vraiment rassurant.

May ne put que sourire face à la gentillesse de Stanislava et il était évident que la jeune femme considérait la rousse comme une amie, bien évidemment.

Et alors que la garde du corps lui posait une question au sujet d’un bijou, May s’en empara et examina la chose sous toutes les coutures. « Hum… » Les inscriptions, le matériau utilisé… Rien ne lui permettait de se saisir d’un indice ou d’une piste, ne serait-ce qu’un tout petit peu. « J’ai déjà vu des bijoux identiques mais… C’était purement accessoires. Je ne sais pas pourquoi, j’ai l’impression que celui-ci est… différent. »

Elle rendit ensuite sa trouvaille à Stanislava. « Où l’avez-vous trouvé ? » Pour que son homologue fasse une fixette dessus, c’était que quelque chose avait dû arriver. Mais quoi ?

Ainsi donc, Stanislava était en pleine « enquête » au sujet d’une personne ayant attenté à la vie d’un proche ? May était admirative de ce travail, mais malheureusement ne put l’aider réellement dans sa quête d’informations. Sauf peut-être pour essayer d’évaluer l’objet en question. Elle ne parvint, cependant, pas le moins du monde, à déchiffrer les écritures qui y étaient gravées.

« Je n’en parlerais à personne, vous avez ma parole. » Et May tenait toujours parole. « Et par différent, j’entendais… ancien. Ce bracelet à l’air de dater d’il y a plusieurs siècles, au moins. » Sans doute bien plus vieux qu’elle ou même Stanislava, à bien y regarder. Mais bon, il y avait tout de même des choses que personne ne pourrait jamais expliquer, sans doute.

Ce fut à ce moment-là que l’estomac de May se manifesta par un bruit sourd. Elle tourna au pivoine immédiatement. « Oh, je… Toutes mes confuses ! » Elle avait vraiment honte.

Tout de même, ce n’était pas correct que d’avoir le ventre qui gargouille de la sorte lorsque l’on est en pleine conversation ! May était quasiment sûre que sa mère la gronderait si elle était encore là pour la voir. Mais puisque ce n’était pas le cas – malheureusement -, la jeune femme aux joues maintenant bien rouges se laissa tenter par un quignon de pain et un peu de fromage – c’était fort bon ! – afin d’apaiser sa faim.

Puis, lorsque la conversation dévia sur sa boutique, May ne put que se sentir très à l’aise. « Oh vous savez, j’en ai plein à raconter ! Par exemple, une dame est venue me demander pour donner de la vigueur à son mari… Vous voyez de quoi je parle, je présume… ah… » Elle rougit de plus belle rien qu’à y penser. « Je lui ai vendu un onguent devant son insistance mais pour être tout à fait honnête avec vous, je ne suis pas certaine que cet usage soit très plébiscité ! »

Elle rit, ce qui n’était en rien un mal, par ailleurs.

Contrairement à ce que Stanislava aurait pu espérer – sans doute ? -, May ne comprit pas l’insinuation graveleuse derrière ces paroles-ci. Pas cette fois, du moins. La jeune vendeuse se mit à réfléchir intensément. « Hum… Mais si jamais c’est bel et bien cela, ça signifie que d’autres propriétés pourraient être trouvées à ces onguents… Dans ce cas je vais devoir mettre les gens en garde ! Vous imaginez si une telle chose se produit alors que quelqu’un a juste voulu soigner une plaie après une bataille ?! Oh non, ce serait une catastrophe ! »

L’idée même que ses produits puissent amener une source de désagrément quelconque lui retourna l’esprit. « Ohlalala, mais quelle sotte je suis, j’aurais dû tester les produits avant de les mettre en vente… » Déjà, le spectre d’une culpabilité ridicule venait étendre ses doigts autour du cou de May. Cela ne l’empêcha pas d’engloutir le reste de sa tartine d’une traite, mais dans son regard on pouvait désormais clairement lire l’inquiétude et les méninges tournant à plein régime.

« Hum… » En y réfléchissant, peut-être que Stanislava avait bien raison. Faire tester ses produits à des personnes volontaires contre compensation financière ? Ce pourrait être une idée. Elle devrait en parler à Branwen en revenant, pour avoir son avis sur la question. « Je verrais comment faire car cela demande beaucoup de mise en place également… Imaginé que quelqu’un fasse un malaise ! Je ne pourrais pas l’abandonner, il faudrait la présence d’un médecin à proximité, peut-être ? » Et cela pourrait peut-être porter préjudice à la boutique si les tests s’avéraient infructueux.

Ah… Tant d’imprévus. May soupira avant de reprendre un morceau de paix. « Et vous, Stanislava ! Racontez-moi une anecdote sur vos voyages également ! » Ses yeux étaient ceux d’un chiot suppliant. La curiosité avait toujours été comme une seconde nature, chez May. Au moins, ici, cela ne lui avait pas porté préjudice.

Pour le moment, du moins.

May écouta avec une attention toute particulière l’anecdote de Stanislava. Elle était impressionnée par les performances de la rousse et aurait donné cher pour assister à ce duel, d’ailleurs ! « Woah, vous devez être sacrément forte, dis donc ! Mais le Duc a dû mal le prendre, surtout que vous êtes une femme alors… »

Non pas qu’elle validait ce point de vue, mais May y était parfois confrontée même au sein de sa boutique. Heureusement que Branwen était là, parfois, pour la protéger. Même s’ils ne se parlaient que peu en dehors du nécessaire, May savait qu’elle pouvait compter sur lui. Quant à Cécile… C’était encore une autre histoire.

« Et du coup, vous arrivez à gérer des manques de respect de certains nobles ? Ou est-ce qu’ils sont suffisamment intelligents pour ne pas vous provoquer ? Enfin, j’imagine que beaucoup de rumeurs doivent courir et que ce n’est sans doute pas agréable mais… Aaaah pardon, je m’égare dans mes paroles… » Elle rougit de honte en détournant le regard. Elle ne voulait pas risquer de gêner Stanislava outre mesure.