Le côté femme forte et indépendante de Stanislava mettait du baume au cœur de May, au moins autant qu’il lui donnait envie, pour être honnête. Elle aurait aimé pouvoir faire montre d’un peu de force de caractère elle aussi mais pour l’heure, c’était surtout Branwen qui s’occupait de cela. Viendrait un jour où elle devrait passer le cap. Mais cette pensée la terrifiait un peu, quand même.

May détestait la violence.

Heureusement, la voix de la mercenaire – enfin de la garde du corps, du coup -, la ramena sur terre. May n’avait plus faim et était prête à repartir, en effet. « Allons-y ! Et la prochaine fois, comptez sur moi pour ramener une bouteille ou quelque chose pour vous remercier ! » Et ce n’était pas négociable, même si sa figure prêtait plus au rire qu’à la prendre au sérieux.

Elle remonta sur son cheval.

Le mouvement régulier de la monture de May sous elle lui rappelait combien elle aimait chevaucher. Toutefois, lorsqu’elle vit revenir Stanislava et que cette dernière effectua quelques pirouettes, il n’y avait plus que des étoiles dans les yeux de la jeune vendeuse. « Ooooh, comme vous êtes talentueuse ! » Elle reprit ensuite, une fois avoir été interrogée « Ohlala, non, moi je ne sais pas faire ce genre de choses, j’ai deux mains gauches, au moins ! Et je n’ai pas un très bon sens de l’équilibre non plus. » Mais Branwen, lui, y arrivait sans mal. Ce n’était pas juste d’avoir tant de disparités de compétences.

May aussi aurait voulu apprendre à jongler correctement après plus de deux objets sans que cela ne deviennent une sinécure pour ne pas se ridiculiser ! Mais bon, visiblement, Dieu lui avait donné d’autres talents. Il lui fallait simplement trouver quoi. Rien de plus simple, n’est-ce pas ? Non, pas du tout. C’était un enfer sans nom !

Pourtant, elle fut ramenée à des termes plus doux. « Je vous trouverais le meilleur hydromel, comptez sur moi pour le savourer au calme avec vous ! Avez-vous une préférence pour le goût ? Je sais que certains artisans ajoutent des arômes, parfois. »

Hydromel à la cerise. Très bien, May nota cela dans un coin de sa tête, pour être sûre et certaine de ne rien oublier lorsqu’elle se rendrait chez son fournisseur habituel. Elle rit cependant aux mots de Stanislava « Oh, vous savez, je suis très heureuse comme je suis, je n’ai pas vraiment l’envie de creuser davantage, pour reprendre vos termes ! » Et c’était vrai, sa vie telle qu’elle était présentement lui convenait parfaitement. Elle n’avait ni l’envie ni même la motivation de chercher quoi que ce soit ailleurs, à l’horizon de ce bonheur qu’elle voulait conserver.

« J’aime boire au calme. Après, nous dégusterons la boisson comme vous l’entendez, bien sûr ! C’est juste qu’avec la boutique, j’ai déjà beaucoup d’agitations régulièrement alors parfois, une petite pause ne fait pas de mal, je dirais. Si seulement je pouvais suspendre le temps, parfois… » Un soupir envieux passa ses lèvres.

Puis, secouant la tête pour se remettre à des pensées plus cohérentes. « Jusqu’où souhaitez-vous m’accompagner, au fait, Stanislava ? Je m’en voudrais de vous traîner trop hors des routes de votre routine ! » Ne jamais rien imposer, comme toujours.

« Mon seul rêve est d’être heureuse et je le suis présentement. Ainsi je ne voudrais rien changer, pour rien au monde, même ! » Il n’en avait pas toujours été le cas, par ailleurs. Et la vie que menait May actuellement était ce qui se rapprochait le plus du bonheur. Alors cela lui convenait parfaitement ainsi, sans fioritures supplémentaires, sans extravagances. A moins peut-être, que…

Oh, Stanislava voulait accélérer le pas ? Fort bien ! Maintenant que May se sentait plus à l’aise et moins sur la réserve – un moment de convivialité avait toujours été le meilleur moyen, pour elle, de se sentir à sa place, libre en quelque sorte, des entraves qu’elle savait si bien se mettre, seule.

« Allons-y ! Voyons voir si j’arrive à vous semer, par ailleurs ! » Et ainsi dit, May lança sa monture à bride abattue sur le sentier droit devant elle. Son rire s’exaltait dans le vent qui caressait sa peau et sa chevelure. C’était naturel. Le genre de naturel qu’elle ne rejetterait plus.

May s’amusait bien, en présente de Stanislava. Elle pouvait parler librement et autrement qu’avec Branwen seulement. Et puis, il y avait une sorte d’alchimie avec la rousse qui lui permettait de s’évader d’une façon toute particulière.

Cependant, lorsqu’elle vit Stanislava pousser sa monture à plein régime, la petite vendeuse essaya tant bien que mal de la suivre, en vain… Il ne lui fallut guère plus d’une minute pour qu’elle perde la silhouette musclée de son amie des yeux.

« ...Stanislava ? » Loin d’être consumée par l’angoisse, May n’aimait pas être ainsi séparée de sa consœur. Elle essaya de l’appeler mais, ne faisant pas attention à où elle dirigeait sa monture, fut ramenée brutalement à l’ordre par cette dernière. Son cheval se stoppa brutalement, la faisant passer par-dessus son encolure.

« AAAAAAAAAAAAAAAAH ! » Complétement désarçonnée, May se retrouva projetée en l’air pour atterrir… en plein dans la rivière en contrebas.

Non pas qu’elle ne savait pas nager, mais avec toutes les couches de vêtements, l’exercice était complexe et le courant, fort en cette saison, n’arrangeait rien à la chose. « Ah-blank ! »

Le tambourinement de son cœur jusque dans ses oreilles aurait presque prit le dessus sur tout le reste. May ne savait plus quoi faire, quoi penser, sinon laisser la peur prendre l’absolu dessus. Pourtant elle ne voulait pas mourir, elle ne devait pas mourir ! Trop de gens qu’elle aimait était là et elle ne voulait causer de peine à personne.

L’eau forçant l’entrée de ses poumons se fit douloureuse et par réflexe, elle laissa son pouce se diriger vers la bague qu’elle portait toujours au majeur gauche.

Heureusement cependant, Stanislava vint à sa rescousse et après une courte lutte contre le courant, les deux femmes furent de retour sur la terre ferme.

Kof, kof, kof, toussa May, expulsant le peu d’eau qu’elle avait avalé en buvant la tasse. Elle ne s’y ferait jamais. Tremblante et détrempée, May jeta un coup d’œil vers Stanislava et se sentit coupable. « Je suis… Je suis désolée, vraiment...» Elle aurait dû faire plus attention. « Je vais devoir retourner à la boutique pour me changer, je pense… »

Et prendre une nouvelle tenue de rechange, aussi, au cas où.

Elle était bien embêtée, mais il lui fallait bien admettre qu’il était temps pour elle de faire un détour par sa boutique, histoire de ne pas attraper la mort. « Je crois bien que oui… »

Mais May voulu tout de même avoir un geste affectueux envers Stanislava, pour lui montrer qu’en dépit de cette terminaison pour le moins… aqueuse, elle avait réellement apprécié l’escapade et le pic-nic. Alors d’une main qui aurait presque pu être celle d’une sœur, elle passa ses doigts sur le sommet du crâne de Stanislava. « Merci pour cette journée, vraiment. Il me tarde déjà de la prochaine, avec un hydromel digne de ce nom ! »

Un rire pour sanctifier le tout.