Ni gentil, ni méchant. Je ne suis pas plus aimant qu’un autre, mais je tiens à ma famille de manière inconditionnelle. Je suis l’admirateur n°1 de mon propre père. Ma fille m’a toujours décrit comme sévère, mais elle le disait avec le sourire. J’avoue ne pas comprendre ce que ça sous-entendait.
J’admets être parfois intransigeant, mais s’il le faut vraiment, je n’accepte que mes propres conditions. Je n’ai aucun humour. Et j’aime que le travail soit fait proprement et rapidement. La fin justifie toujours les moyens.
C’est une vieille habitude bien ancrée : je me rends tout le temps aux messes et autres célébrations. Mais je m’y ennuie fermement. Je ne comprends pas la religion, Dieu en particulier. Mon père qui était croyant ne pouvait pu mettre les pieds dans une église à cause de sa condition. Il n’aime pourtant pas spécialement ce qu’il est. Si Dieu voit tout, pourquoi n’accepte-t-il pas mon père ? Et pourquoi il m’accepte malgré la vie que je mène ?
Je me sens plus vampire qu’humain. Pourtant ma famille est plus humaine que vampire. Au cas où ça vous effleurerait l’esprit : je n’ai rien contre les humains, les vampires, les lycans ou les sorciers. Je déteste seulement les guerres interaciales.
Je ne suis pas un meneur, même si je sais donner le change quand il s’agit de jouer un rôle. En ce moment je me fais passer pour un boyard. Je l’ai été, donc rien de très difficile là-dedans.
Peu expressif, je me contente de montrer de fugaces froncements de sourcils ou un pincement de lèvres.
Je suis agile, souple et rapide.



J’ai vu le jour en Hongrie, alors que mon père était « prisonnier ». Mais j’ai grandi à Bucarest, capitale valaque.
Ma mère ne m’a jamais aimé. J’exagère. Elle m’aimait sans doute lors de sa grossesse et après son accouchement. Mais lorsqu’elle sut plus tard pour ma nature (et celle de mon père), elle ne voulut plus vivre avec nous. Mon père lui acheta une maison où elle s’installa. Malheureusement ma naissance tombait « mal », mon père travaillait à la reconquête de nos terres. Ce fut donc une gentille nourrice qui prit soin de moi. Pour mes besoins de sang, mon père s’en occupait toujours. Notre nature devait rester secrète, même aux yeux de mes deux frères (nés d’un précédent mariage de notre père).
Je ne me souviens pas de ces temps troublés. J’ai surtout connu la paix instaurée par mon père. Grâce à celle-ci, il était tout le temps à la maison. Hélas j’ai peu profité de lui, car il mourut à mes treize ans. Ainsi que ma mère et le second de ma fratrie. J’ai été recueilli par mon frère Mihail et sa femme. Je ne leur ai jamais raconté la vérité sur cet événement. Je me suis contenté de pleurer la perte de ma famille.
Cette nuit-là, j’avais fait une promesse à mon père : conserver la Valachie et la couronne.

J’ai beaucoup étudié l’histoire. J’adorais ça. À mes yeux, mon père était le plus grand des princes que notre pays ait connu. Il avait sacrifié tant de choses pour son peuple et les générations futures. Et j’étais certain qu’importait où il était désormais, il continuait à faire de grandes choses. J’étais un enfant. Je l’idéalisais forcément.

À cause de trouble dans le pays, Mihail profita de mon lien de parenté avec le roi de Hongrie (ma mère était sa cousine) pour partir là-bas. Nous y avons vécu deux ans et j’y ai même fait la connaissance d’une femme que j’ai épousé en 1483. Après la naissance de notre premier fils, Mircea, nous sommes retournés vivre en Valachie. Et en 1485, mon épouse mourut en mettant au monde notre petit Miloș. J’ai été très occupé à les élever. C’était donc difficile de m’investir à fond dans la vie politique, comme je l’avais promis à mon père.

En 1489, je me suis remarié avec une valaque du nom de Voica din Izvorani. Au départ je ne savais pas qu’un autre homme la courtisait. Lorsque je l’ai appris, j’ai su que cet homme ne nous laisserait pas vivre heureux. C’était Danciul, un cousin éloigné, descendant des Dǎnești et donc de ceux qui se sont toujours opposés violemment à notre famille pour le titre de prince. Maudite famille !
La malchance ne s’arrêta pas là, puisque Voica et moi eûmes du mal à enfanter. Ce ne fut qu’en 1493 que notre petite fille vit le jour. Mon épouse s’occupa à la perfection de notre famille et même de mes fils, je pus me plonger dans la politique.
Contrairement à mon père, je n’avais rien d’un leader. J’avais du mal à me faire entendre parmi les boyards de mon temps. Il me fallut tisser des liens pour enfin être élu prince en avril 1508, à l’âge de 45 ans. C’était une honte d’être élu si tardivement en comparaison avec mon père. D’autant que cela signifiait que mon règne serait court. Et il le fut. Bien plus que je ne l’imaginais à l’époque.
Le 29 octobre 1509, mon vil cousin parvint à me détrôner. Il m’accusa d’avoir détourné de l’argent avec de fausses preuves. Après un long procès, je fus exilé de la Valachie. Ma femme et ma fille me suivirent. Mes fils, étant adultes et mariés, restèrent en dehors de tout ça.

Nous nous sommes installés à Sibiu en Transylvanie. J’ignorais cependant que Danciul ne lâcherait pas l’affaire. Il tenta de me tuer le 12 mars 1510. Une simple tentative car Voica s’est interposée pour me protéger. Fou de rage, je me suis vengé en le tuant. Mon épouse mourut peu de temps après la fin du combat. Je maudissais de n’être qu’un infant. Si j’avais pu la changer en vampire, nous aurions pu vivre ensemble plus longtemps.
Ma fille et moi avons tout laissé derrière nous et nous nous sommes enfuis. Nous avons emménagé en Moldavie. Honnêtement ce fut assez facile d’usurper des identités. Ainsi ma fille et moi avons pu trouver du travail et nous refaire une richesse. Je dois avouer que j’étais très doué dans le domaine de l’ombre.
Ma fille se maria dès l’année suivante, mais son mari décéda deux ans plus tard sans lui laisser d’enfants. Elle dramatisait et se voyait déjà finir vieille fille. Quelle idiote ! Elle oubliait que son papa savait y faire. Et le 15 août 1513, elle se maria avec un prince moldave (le fils d’un vieil ami de mon père).

Je n’étais peut-être pas doué pour être un leader ou vivre sous le feu des projecteurs. En revanche j’étais doué pour le reste. Au fil de mes déménagements, je m’étais lié à certaines personnes qui pouvaient m’aider ou m’apprendre les ficelles de nouveaux métiers.

Dans le courant de l’année 1524, je reçus une lettre anonyme dans laquelle on m’informait que la guerre approchait. Ces mots n’avaient aucun sens à mes yeux. J’avais beau avoir du sang de vampire dans les veines, je vivais bien intégré au monde des humains. Et chez les humains, il n’y avait pas l’ombre d’une tempête. Je ne pris pas l’avertissement au sérieux. Ce ne fut que plus tard que je compris. On parlait de plus en plus d’attaques, d’assassinats de famille entière. En tant que père, j’avais des craintes. J’ai donc veillé sur ma fille et mes petits-enfants. N’ayant plus aucun contact avec mes fils, j’espérais qu’ils s’en sortiraient.

Les années passèrent. J’ai diversifié mes activités, utilisant mon agilité et ma rapidité pour l’assassinat. Je me suis beaucoup entraîné au maniement des armes. Et je voyageais à la demande de mes clients. Lorsque je rencontrais un vampire, je m’en faisais un allié.
À mon âge et avec mon physique inchangé, les gens auraient commencé à se poser des questions si je n’avais pas laissé ma vie confortable un peu de côté.

Presque quarante ans plus tard, une seconde lettre m’alerta. Mon père s’était plongé dans un sommeil profond. Il était prétendument bien caché et cette missive me donnait des instructions pour décrypter un code qui me donnerait sa cachette. C’était une assurance au cas où le plan de l’auteur de la lettre ne se passerait pas comme prévu. Qu’importait que les choses se déroulaient comme il le souhaitait ou non, je n’avais plus qu’une idée en tête : retrouver mon père et le ramener parmi les siens.
Il me fallut quelques jours pour comprendre que j’avais reçu le message codé dans la première lettre. Heureusement que je ne l’avais pas jeté. Le message, même décodé, restait nébuleux. J’ai fait appel à mes contacts. Mon réseau souterrain n’était pas tout à fait au point puisque c’était la première fois que je le mettais en branle. Les informations circulèrent difficilement. Et lorsque j’eus plusieurs pistes, je me mis immédiatement en route. Les premiers lieux me menèrent nulle part, du moins pas auprès de mon père. Et lorsque je parvins là où il aurait dû se trouver, il n’y était plus. Il ne restait qu’une tombe ouverte et vide et deux cadavres, là depuis pas mal de temps à en croire l’odeur et les insectes qui les colonisaient. J’imaginais mon père déboussolé et seul, je devais le retrouver rapidement. J’ai donc enquêté auprès de la populace au sujet d’un voyageur. Il n’y eut qu’une jeune fille qui me parla de deux voyageurs, l’un beaucoup plus jeune que l’autre. Et tous les deux blonds. La demoiselle fut incapable de me dire dans quelle direction ils étaient partis.

Je me demandais qui était le plus jeune. Aurais-je un autre frère ?

M’en retournant chez moi, je mis mon réseau en marche pour les pister. Très vite, mes contacts et les leurs rechignèrent à travailler gratuitement pour moi. Surtout avec la guerre souterraine qui faisait rage. Je pensais tomber dans une impasse, mais l’une d’eux me donna la solution. Un échange de bons procédés fut mis en place. Je n’étais pas le seul à avoir perdu quelqu’un. Si nous faisions circuler les informations, nous retrouverions ceux que nous avions perdu. Et le système fit ses preuves quand nous avons commencé à ramener un enfant séparé de sa famille ou un mari disparu. Je notais toute information qui ne trouvait pas preneur. Petit à petit se détacha du lot un groupe d’individus aux agissements atypiques. On aurait dit qu’ils étaient entraînés au combat. D’après ce qu’on me rapportait, ils étaient efficaces : éliminant des petits ou moyens groupes de lycans, détruisant des villages… Ils m’intriguaient et j’ai suivi leurs étapes. Parfois je me demandais si mon père n’était pas parmi eux. Autrefois il avait utilisé ces tactiques de guérilla contre les ottomans. J’aurais aimé que mon frère Mihail soit encore en vie pour qu’il me donne son avis. Lui avait vu notre père faire, il aurait identifié ses méthodes tout de suite.

La fin de la guerre ne fut pas celle du réseau. La paix allait d’ailleurs nous aider à mieux communiquer. Certains de mes contacts avaient disparu. Je me rendais parfois sur place pour prendre le relais ou trouver un remplaçant. Quelques familles purent être réunies grâce à nous. J’étais fier de penser que mon père avait aidé au front et moi à l’arrière. En tout cas je continuais d’espérer qu’il s’était battu pour les autres comme il l’avait toujours fait.

J’avais vu mon frère et son épouse mourir, tout comme mes enfants et leurs conjoints. Il ne me restait que des petits-enfants que j’évitais. Un grand-père qui semblait avoir constamment 30 ans, ce n’était pas très humain. Le principal était leur sécurité. Maintenant qu’elle était garantie, je pouvais penser à mon père. Je comptais bien le chercher et le ramener à la maison. Quitte à emprunter de faux nom, autant retourner vivre en Valachie. Je suis certain qu’il n’attend que ça. Par contre je suis inquiet à l’idée de lui avouer que j’ai failli à ma promesse.

En attendant ce jour, je me suis infiltré en France en me faisant passer pour un aristocrate valaque. J’ai tout ce qu’il me faut pour justifier ma présence dans un pays aussi lointain. Et je compte bien en profiter pour fureter un peu partout, agrandir mon réseau et trouver du travail.