Ce matin-là, Victoire s’éveilla avec une certitude qui lui glaça presque le sang. Après les semaines qu’elle avait passé à s’installer, elle ne s’était toujours pas officiellement présentée au Cardinal de France qui officiait non loin de là, à Notre-Dame.

C’était une honte, sinon un échec, au mieux.

La France, fille aînée de l’Église, se devait d’avoir à sa tête une personne à même de respecter de sacré dans toutes ses dimensions, toute sa sainteté. Victoire venait sans s’en apercevoir de cracher au visage du souverain pontife qui logeait sur son territoire et une honte terrible eut tôt fait de l’envahir.
Elle devait corriger cela rapidement.

Alors, en se faisant violence pour ne pas omettre cette tâche en ce jour, Victoire avait fait mander une calèche pour l’emmener jusqu’à la cathédrale en début d’après-midi. Là, elle fit congédier les servants qui auraient tout de même voulu la suivre. Elle saurait faire sa présentation convenablement, elle l’espérait du fond du cœur.

Alors, prenant une grande inspiration, la Reine de France s’approcha des portes ouvertes de la Cathédrale et fut surprise de ne trouver personne en train de prier pour l’heure. Les badauds seraient sans doute probablement de retour bientôt, elle n’avait pas à hésiter très longtemps.

Toutefois, lorsqu’elle posa une main sur la porte, Victoire ne perçu pas assez vite qu’elle avait probablement dérangé le calage de cette dernière, aussi un brouhaha secoua l’Eglise lorsque les deux planches de bois se percutèrent pour se fermer. Un frisson gagna le dos de la Reine alors qu’elle souhaitait avant tout faire bonne figure.

Il lui fallait trouver le concerné, à présent.

« Père de Saint Hilaire ? Êtes-vous là ? »
Le respect était la première des vertus.

Encore un faux-pas, un manquement, une disgrâce de plus. Les yeux de Victoire tremblèrent alors qu’elle rassemblait enfin ses idées, bien mal contenues jusque-là en une myriades d’iridescentes qui la déconcentrait. Elle se déconcentrait toute seule, en réalité. Et lorsque le « ma fille » du Grand Cardinal retentit alors, comme coup de semonce pour souligner son empotement, alors elle sent une sueur froide dévorer les os de son dos.

Elle doit corriger sa maladresse, immédiatement.

« Cardinal. » Un bon début. « Non, je… » Inspiration, lourde. Expiration, peu assurée. « Je venais vous présenter mes hommages, en vérité. » Maintenant qu’elle était lancée, impossible de faire marche arrière ; le déshonneur n’aurait été que plus grand alors. « Je vous présente par ailleurs mes plus sincères confuses pour ne pas être venue quérir plus tôt une audience auprès de vous. » Et ne pas avoir demandé son soutien lors de son couronnement, également.

En gage de sa bonne fois, Victoire courba l’échine, légèrement. Mais c’était déjà trop quand bien même les coutumes de vie d’une Reine n’étaient pas encore tout à fait acquises. « Je suis Victoire de France, récemment couronnée conformément aux vœux de mon grand-père, feu Charles de France. »

C’était bien ainsi qu’il lui fallait procéder, n’est-ce pas ?

Victoire ne songea même pas à l’hypothèse qu’elle puisse se retirer, maintenant qu’elle avait presque sauté les pieds joints dans sa bêtise toujours plus grandissante. Alors elle suivit avec dévotion le Saint Père dans la grande, la puissante Maison de Dieu lui-même. Le style était austère, ancien. Différent de ce qu’elle avait connu dans l’Empire, auprès de Jean. Et Victoire n’aurait su dire si cela la perturbait ou non.

Elle écouta les mots du Cardinal et ressenti comme une pointe de réprimande, toute méritée et dont elle n’aurait pu faire abstraction. Elle avait beau être la Reine de toute une nation, elle devait courber l’échine devant le Tout-Puissant et c’était la moindre des choses dont elle devait s’acquitter. « Je… Mes plus sincères excuses, Cardinal. » Elle tâchait de rattraper ses erreurs. « Il m’est devoir que de faire amende honorable et j’aurais espéré que peut-être vous seriez le mieux placé pour qu’il en soit ainsi. »

Elle s’arrête de marcher un instant, regarde l’homme de foi de ses grands yeux verts. « J’ignore tous des mœurs de ce pays que l’on me demande de diriger. J’ai cessé d’y vivre il y a bien trop longtemps pour m’en souvenir. C’est avec honte que je dois admettre demeurée bien plus aux faits des coutumes de l’Empire que de celles de France. Cependant il est de mon devoir… » Et non de son choix, comme d’habitude. « Il est de mon devoir d’y être rompue afin de porter la couronne de mon grand-père sans faillir. » Et la demande n’est que plus incongrue. « Puis-je vous compter parmi mes alliés, Saint Père ? » Victoire n’avait alors aucune idée de ce qu’elle pourrait répondre s’il lui offrait la négative.

Quand bien même le Grand Cardinal paraissait surpris des interrogations de Victoire, il tâchait de lui apporter des réponses claires et avec les honneurs dû. La Reine fut sincèrement touchée par cette facette douce de l’homme de foi. Elle ne l’avait pas imaginé ainsi une seule seconde.

Mentalement, elle prenait des notes, se promettait de ne pas refaire d’autres impairs similaires par la suite. Au moins quant à sa relation avec la foi catholique, les choses pourraient n’être que meilleures par la suite. C’était tout du moins ce qu’elle se plaisait à imaginer. « Bien, il en sera fait ainsi prochainement, je vous garantis d’organiser tout cela dans les plus brefs délais. » Elle devait trouver un moyen d’organiser cette cérémonie des plus essentielles si elle souhaitait consolider son pouvoir en tant que Reine. Mais est-ce qu’elle le voulait vraiment ? C’était là une toute autre dimension à laquelle elle n’avait pas le temps de se donner.

Tout en reprenant sa marche, elle laissait son regard se promener sur les décorations et l’intérieur même de la Cathédrale. Elle n’avait rien à voir avec les églises de l’Empire. Et pour une fois, Victoire admettait qu’elle préférait la beauté de ce bâtiment-ci. Au moins elle avait l’impression qu’ici, le temps était suspendu, quelque part. « Je vous remercie pour ces précieux conseils. Maintenant… A tout hasard, auriez-vous autre chose à me préciser quant aux mœurs récentes de la France ? Je dois encore me pencher sur cette question et je serais très reconnaissante si vous pouviez m’aider à ce propos. » Et une fois que Victoire était lancée, généralement ses myriades de questions suivaient leurs flux de la même manière.

Elle avait espéré un peu plus d’informations de la part du Grand Cardinal, toutefois ses attentes ne furent pas aussi éloquentes qu’elle l’aurait souhaitées. Mais il avait raison, c’était à elle et à elle seule de faire sa place parmi le charnier des ambitions de sa Cour, maintenant que son père n’était plus là. « Bien. » Que répondre d’autre ? Ce n’était qu’une demande comme une autre mais Victoire avait désormais l’esprit échauffé et curieux de tout, à nouveau.

Le Grand Cardinal observait maintenant une statue de la Sainte Vierge et Victoire l’imita bien assez tôt. Elle respectait avec dévouement les croyances en cette divine figure et parfois, l’enviait, même. Elle n’était pas une mère parfaite car il était bien impossible pour quiconque de réaliser cet exploit. Pourtant… Pourtant il lui prenait l’idée de désirer l’être. Ses enfants méritaient le meilleur, à son sens. Et maintenant que leurs frères ainés n’étaient plus là pour assurer une protection et que Jean les avait quittés, Victoire se devait s’assumer seule les responsabilités inhérentes à cette tâche. La maternité réservait parfois de drôles de surprises.

Reprenant constance, la Reine eut soudaine l’envie d’en savoir plus au sujet de son vis-à-vis. « Êtes-vous ici depuis longtemps, Grand Cardinal ? » Elle se demandait s’il avait lui aussi connu son père. « Je n’ai pour le moment personne vers qui me tourner, non. Mais j’essayerais de reprendre contact avec les amis d’enfances que j’avais ici, avant de prendre ancrage dans le Saint Empire. » Enfin, s’ils ne sont pas tous morts de la peste, bien sûr.

Le temps s’était écoulé plus vite qu’elle ne l’aurait imaginé, toutefois Victoire aurait eu encore mille et unes questions à poser au Grand Cardinal. Lorsqu’il lui souhaita le meilleur – du moins, dans sa présente situation – en lui faisant part de sa certitude qu’elle ferait de son mieux sur le trône, la Souveraine comprit qu’elle devait se retirer. Elle avait suffisamment accaparé le temps du religieux pour continuer de la sorte. Porter la couronne de France ne lui octroyait pas tous les droits.

Et les regards qu’elle percevait dans son dos lui indiquait qu’ils n’étaient plus seuls. Or, Victoire cherchait un peu de solitude. Elle n’en aura visiblement pas davantage en ce jour. « Je vous remercie, Grand Cardinal. Je vais me retirer à présent. Que Dieu vous garde. »

Une révérence polie et elle était partie. Stanislava devait probablement l’attendre au dehors et elle ne voulait pas faire attendre sa garde du corps trop longtemps non plus.