Les excuses d’Emilien lui font hausser les épaules.

_ Ce n’est pas à toi d’être désolé. J’aurais dû rester avec toi…

Les Furies ne l’ont jamais abandonné. D’un battement d’ailes, la Culpabilité le rejoint et referme ses serres sur ses épaules solides. Il sent les pointes acérées de ses griffes pincer ses chairs et son poids le contraint à baisser la tête. Le regard que lui adresse Emilien le convainc de relâcher son étreinte – plus qu’Iphigénie dont il ignore l’intervention. Penaud, Aimable dévie les yeux vers le sol – Faire MAL ! C’est tout ce que noUus SavonS Faire ! Se réjouit la Voix.

Aimable raffermit l’étreinte de ses mâchoires, pour être sûr qu’aucun grondement ne lui échappe.

_... Dé… Désolé, bafouille-t-il seulement. Il pensait bien faire. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Se contentant de maintenir Emilien, il le ramène jusqu’au Nid et l’aide à s’allonger sur le lit. Il jette un regard en arrière, vers Iphigénie, cherchant à savoir quelles plantes elle glisse dans son affreuse décoction… Qu’elle n’aille pas achever Emilien. Comment leur faire confiance ? Et pourquoi Emilien accepte-t-il de boire leurs breuvages ?

Est-il empoisonné, l’ont-ils manipulé, se sent-il… Accepté ? Le jeune homme ne semble pas attiser les mêmes méfiances que lui et ce, depuis leur arrivée. La Furie, avide, plante son bec dans sa cage thoracique, elle pince sa peau. Et s’il se méfiait pour rien ? Et si tout ce qu’il se passait… Ce n’était que l’accueil chaleureux d’un village, que tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il entendait, était déformé par sa paranoïa ou par la Voix ? Aimable a appris à douter de la réalité, les sens toujours voilés par ceux de l’Ouroboros.

La Furie dresse ses ailes alors que la Voix dévoile ses crocs, la Voix lui rappelle tout ce qui a suscité leur méfiance – le sourire malicieux d’Iphigénie, le cadavre, le cœur arraché qui passe de mains en mains, la méfiance et l’insistance pour avaler cette satanée boisson, le message… Le message dans sa poche. Le rendez-vous de ce soir. Est-ce pour l’appâter et mieux le fourvoyer ? Est-ce réellement pour l’aider ? Plongé dans ses pensées, Aimable s’est assis sur un des lits libres. N’accordant plus tellement d’attention à Iphigénie, Aimable garde la tête baissée et masse sa nuque en fermant les yeux.
Il a toujours été le plus discret de sa fratrie. Se fondant dans les ombres. Se faire oublier… C’est si facile. Il suffit de se taire, de baisser la tête, de ne plus bouger, de se couper du monde. S’isoler, sans jamais être seul, la Voix, fidèle compagne, le suivra jusqu’en Enfer. Il entrouvre les paupières.

Son corps lui semble humain, terriblement humain en cet instant. Ses muscles sont lourds et douloureux. La lassitude pèse sur ses paupières, écrase ses épaules, sa nuque reste courbée sous le poids de la Furie qui referme ses serres sur sa nuque. L’Ouroboros, au fond de ses veines, gronde et dévoile ses crocs – il ne mord pas encore. Sa chaleur l’a abandonné, elle se rétracte pour se lover dans ses viscères, ses doigts lui semblent engourdis. Il a toujours le verre entre ses doigts, ceux de sa main libre. D’un geste raide, il le repose sur la table de chevet puis s’allonge.

Le mouvement lui arrache un grognement d’inconfort. Ses articulations sont raides. Il se souvient des sensations si récentes et étrangères. Celles de son corps d’une souplesse effrayante, de cette puissance qu’il sentait rouler sous sa peau, une force non pas destructrice mais enivrante. Il n’avait pas mal, pas comme maintenant. Il n’avait pas conscience… De son poids. De son usure. Au contraire ! Il avait l’impression de… Et cette envie… Ces visions… Celle d’attendre Percy, de le guetter dans l’ombre, l’entraîner dans la forêt, sentir sa présence, se glisser jusqu’à lui, FRAPPER ! L’imaginer lui procure une décharge de plaisir et d’horreur mêlés, un léger frisson s’échappe.

Troublé, Aimable garde les yeux clos. Comme si ces barrières de chair pouvaient suffire à contenir la Bête et ses travers.

Sa Croix… Comment peut-on dire qu’elle n’ait pas d’importance ?

Qu’est-ce qu’il donnerait pour l’avoir entre ses doigts. Pour serrer contre lui l’argent froid, pour planter ses pics acérés dans sa peau, pour faire couler le sang que la Voix désirait tant voir. Apaiser sa soif et sa rage, par sa souffrance. Aimable se sent perdu, confus, tant dans son corps que dans ce monde qu’il n’est pas sûr de comprendre. Emilien… Il voudrait l’aider. Mais il ne l’a pas protégé. Il n’a pas réussi à le convaincre de cracher ce poison qu’on lui a fait boire. Doit-il l’enlever à eux alors qu’ils semblent… l’apprécier ? Peut-être ne rejettent-ils Aimable que parce qu’il est différent d’eux. Ils l’ont vu – Maeva l’a laissé sous-entendre.

Cette pensée lui fait peur.

Et si ce qu’il croyait percevoir n’était pas la réalité ? Peut-être n’était-ce qu’un porc qu’ils ont découpé sur la table – pas ce qu’il croit imaginer. Il doit être fatigué. Aimable garde les yeux clos, sur le dos, son bras posé en travers de son front, l’autre main sur son ventre. Il prie en silence, répète et ressasse ces mots qu’il connait par cœur. Et instinctivement, son pouce retrace le dessin de la Croix contre sa peau.

Ne te mets pas SuR le Dos, crache l’Ouroboros.

Iphigénie – saisit un oreiller – le plaque contre son visage. Pour l’étouffer.

La vision l’éveille en sursaut, il entrouvre les paupières pour les battre frénétiquement en reprenant son souffle. La somnolence n’a duré qu’un instant, quelques minutes peut-être, avant qu’il ne préfère basculer sur le ventre.

Il glisse un bras sous sa tête pour la maintenir légèrement élevée. On pourrait se glisser dans son dos pour l’étrangler… mais ce serait plus compliqué. Non ? Et puis s’il peut s’appuyer sur ses 4 membres, Aimable sait qu’il aurait les chances de renverser un quelconque adversaire.

La méfiance est là, rampante, sous sa peau.

_ Veuillez m’excuser… Je suis épuisé.

Epuisé de sa traque qu’il n’a pas aboutie. Elle est seulement en attente. Comme la Voix au fond de son esprit. Le Chevalier s’accorde un repos entrecoupé d’éveils réguliers. Il ne peut pas s’offrir le luxe d’un sommeil profond. De toute façon… Une part en lui ne dort jamais.

Il ne s’abandonne pas à Morphée, mais vogue sur le Styx. Les Furies le suivent, leur bec ou leurs griffes le privent d’un réel repos. Culpabilité, Peur, Doutes.

Être la cible de tant d’attention le contraint à s’écarter, à disparaître – se faire oublier. L’enfant effrayé se dissimule derrière le rideau ou sous la table, comme si cela pouvait convaincre le Monstre d’abandonner sa traque. La Bête, affamée, guette dans l’obscurité la proie hésitante. Pour mieux la frapper.

Dans cet état de semi-conscience, le Chevalier et l’Ouroboros s’affrontent, opposent leurs visions si différentes du monde – et pourtant, réunies en un seul esprit. Parfois, son corps tressaute, ses muscles se contractent ou Aimable retient son souffle. La transformation n’était pas si lointaine et il sent sa tension tirer sur ses tendons. Pour autant, son corps et son esprit résistent. Une de ses mains reste fermée sur la Croix qu’il ne peut qu’imaginer.

Spoiler:

Les bruits qui lui parviennent sont confus.

Les voix se mêlent aux craquements des planches, aux douleurs de son corps qui ne se taisent jamais. Parfois, ses yeux s’entrouvrent mais se referment. Il s’est contenté d’une œillade, de ses yeux sombres tapis sous ses paupières. C’est au milieu de la nuit qu’il s’éveille et regrette de sentir tant de présences l’entourer. Peut-il prétexter un nouveau besoin pressant pour sortir ? S’interroge-t-il.

Mais non, la présence d’Iphigénie et des autres l’en empêchent. Il attire déjà à lui toutes les suspicions. Depuis le début. Il y est accoutumé. Quelque chose, dans son allure, a toujours dérangé. Son regard ? Son corps ? Son comportement ? La Voix dans sa tête est un guide trompeur, qui l’entraîne sur bien des chemins égarés. Pas les plus sûrs, non, jamais. Elle le conduit toujours là où le sang risque de couler, le sien ou celui des autres.

Il fait pourtant tout pour l’en empêcher. Sans y parvenir. La tentation est là et l’Ouroboros gronde dans ses veines quand il est en danger. La Voix n’attend que d’attaquer, alors que le Chevalier aimerait protéger. Troublé, la deuxième partie de nuit est particulièrement difficile pour Aimable, non pas troublée de rêves mais de cauchemars. Il s’éveille à plusieurs reprises pour s’assurer que son corps est bien le sien, qu’il ne s’est pas levé dans un moment d’inconscience, jusqu’à replonger dans des abysses obscures où la Voix le recouvre de son ombre. Il se sent étouffé, jusqu’à ce que l’aube se lève.

Aimable se redresse en position assise et plonge son visage entre ses mains pour se débarrasser de la fatigue de la nuit. Les yeux cernés, à son habitude, il glisse sa main le long de sa nuque, un goût aigre sur les lèvres. Il n’a pas bu depuis la veille… Il devra récupérer de la neige pour soulager sa soif.

Et il n’a pas pu assister au rendez-vous.

Frustré, il baisse les yeux. Son mystérieux interlocuteur a peut-être eu conscience qu’il ne pouvait pas se déplacer jusqu’à lui… Lui laissera-t-il un autre message ? Ou les abandonnera-t-il à leur sort ? Le second cas ne l’étonnerait pas. La personne a déjà pris un risque en se confiant à lui, peut-être qu’elle ne réitérera pas son acte. Cela lui demanderait beaucoup de courage.

Il tourne les yeux vers Emilien, qui s’éveille. Inquiet, il lui offre un faible sourire.

_ Comment est-ce que tu vas… ?

La proximité avec les autres le contraint à la prudence. Ses yeux s’abaissent rapidement vers le sol. Il assiste à la vie qui s’éveille dans la grange et pense un instant à sa petite famille, à sa douce et malicieuse Eleanor, à Isabeau qui court partout et Richard qui frotte ses yeux endormis.

Quel jour est-il ? Une attaque n’avait-elle pas été prévue ? Pourront-ils la mener malgré l’avalanche ou ont-ils perdu leur trace ? Est-ce Guy qui conduira jusqu’à eux leurs sauveurs – ceux qui massacreront ce village ? Il se sent à l’aube d’une tempête et ne sait pas comment l’empêcher. Beaucoup de sang coulera et déjà, la culpabilité repose sur ses épaules. Constantin sera probablement déçu – son frère aussi.

Il soupire discrètement et utilise une de ses mains pour masser l’autre, pressant le cuir et les cicatrices, perdu dans ses pensées. Il n’en ressort que lorsqu’une jeune fille vient à la rencontre d’Emilien et la détaille d’une œillade.

_ Bonjour, jeune Dame. Bien. Je viendrai. Merci pour l’invitation, répond-t-il sans s’alerter du ton sans sympathie de la jeune fille.

_ Où sont vos Parents ? Ne dorment-ils pas avec nous ?

Les accompagner dans la forêt. La forêt… Il soupire. Il sait qu’il sera bien dans la forêt.

Il élève les yeux vers Emilien, se contentant d’effleurer ses lèvres du bout des prunelles.

Est-ce que le jeune Infant a repris ses esprits ? Sa réponse le rassure et finalement, il se redresse pour s’étirer. Il sent ses muscles épais se dénouer lentement dans son dos, un craquement d’articulations familier, il est prêt à se remettre en marche.

_ Où dorment vos Parents ? Demande Aimable alors qu’il descend aux côtés des jeunes gens.

Entouré d’adolescents, il entend, au loin, les rumeurs des travailleurs. Une étrange sensation de familiarité s’extirpe pour ramper sur sa peau – son épouse, ses frères, ses sœurs, ses enfants. Tous à l’œuvre quand l’aube pointe ses rayons à l’horizon. Point de paresse, même chez Côme ! Le jeune homme malicieux savait user de sa tête plus que de ses jambes, alors qu’Hildegard et Ulric s’épuisaient bien souvent aux corvées, y voyant l’occasion de se défouler.

Aimable participait avec Marie, portant parfois le linge pour aider leur mère, allant déblayer la neige du toit ou de la cour. Ils avaient des serviteurs mais leur mère avait toujours eu à cœur d’apprendre les valeurs du travail à ses enfants.

L’image de Maëva lui revient à l’esprit et lui arrache un frisson d’inconfort. D’un certain côté, cette femme austère lui rappelait sa mère. Paix à son âme.

Un éclat métallique attire le regard du Chevalier : instinctivement, il dirige son regard vers la serpe qu’Iphigénie tient. Que va-t-elle faire ? Egorger les poules ? Il sait que leur briser la nuque est plus rapide. Plus indolore – il l’espère. Néanmoins, sa curiosité est attisée : peut-être n’y a-t-il pas de poules ?

Enfin, il n’a pas le temps de s’interroger. Le cri du garçon le fait se retourner. Il écarquille les yeux lorsque la hache… leur est lancée.
Par pur réflexe, le Chevalier s’avance d’un pas, espérant protéger Cassis ou Emilien de son corps. Il n’a pas peur de la douleur.


Un délicieux frisson mord sa colonne vertébrale, la chair de poule recouvre sa nuque, ses bras, la décharge d’adrénaline écarquille ses pupilles, mais son cœur ralentit. Ca ne dure que quelques secondes, la hache se plante à ses pieds, son cœur tape dans sa cage thoracique.

Battant des paupières, Aimable s’extirpe de cette étrange torpeur avec difficulté. Il se penche pour refermer ses doigts épais, couverts de cuir, sur la manche de la hache qu’il arrache du sol. Le poids de l’arme pèse, réconfortant, au creux de sa paume. Et le tranchant émoussé attire son regard. Ses yeux. Ils sont bleus. Tout va bien. Ses épaules se relâchent et il essuie d’un revers de son bras libre la sueur sur son front.  

_ Jeune homme… Tu aurais pu blesser quelqu’un.

Dans le meilleur des cas… Il aurait été la victime. Dans le pire, Emilien ou Cassis auraient été blessés et Dieu seul sait ce qui les aurait protégés du tranchant. Aussi émoussé soit-il…

_ Ne lance plus d’armes comme ça. C’est dangereux.

S’il avait été son frère ou sa sœur, il lui aurait lancé la hache dessus – en veillant à ce qu’elle se plante à ses pieds sans le blesser, mais assez pour l’effrayer.
Quoi que. Se seraient-ils débarrassés d’une arme si on la leur confiait ?  

[résumé : Mimi tente de marchander pour aller chercher la mule. (il est têtu.)
- Demande si les gens ont tous des taches assignées ou s'ils choisissent en fonction de leur envie du matin.
- A très envie de tuer Percy et trouve qu'Aimable est bien trop gentil en l'engueulant, du coup il en remet une couche.]

La hache pèse entre ses mains couvertes de cuir.

Il sent le bois usé, rêche contre sa peau. Toute aussi sèche. Emilien prend sa défense, Cassis hausse la voix contre son ami.

Aimable n’a pas eu le cœur d’houspiller davantage Percy. Il est soulagé de ne pas avoir été blessé et suscite déjà bien assez de méfiance : il n’espère que se faire oublier. La veille, il a haussé la voix, et c’eut été bien l’une des seules fois où Emilien l’ a entendu faire.

Le silence est son premier réflexe. Un réflexe qu’il a acquis dès son plus jeune âge, se réfugiant dans l’ombre de ses aînés en espérant disparaître. Ici, il se sent en danger. S’il peut, ils rempliront leur mission, mais sa priorité est d’assurer sa survie et celle d’Emilien.
Percy a-t-il pensé à lui faire du mal ? A-t-il agi en toute inconscience ?

Il dit que Pierrick lui a transmis cette missive, dans quel but ? Est-ce lui qui a glissé le mot dans sa poche ? L’homme était discret, la veille. Il était le seul à se tenir à proximité d’Aimable, en plus de Maëva, à moins qu’une main habile n’ait réussi à échapper à sa surveillance et celle de l’Ouroboros.

Que veut cet homme ? Il aimerait s’entretenir avec lui. Songeusement, il observe la hache, comme espérant trouver un papier glissé sous la tête métallique de l’objet, sans réellement y croire. Il observe l’acier émoussé, avant de tourner les yeux vers Emilien. Ses yeux bleus franchement unis aux siens, il réalise que depuis leur départ, ils n’ont pas eu l’occasion de se trouver seuls à seuls. De discuter.
Aimable ignore tout de ce qu’il s’est passé au repas. Il sait simplement qu’il l’a trouvé souffrant, malade, empoisonné ? Et qu’il semble à présent bien se porter. Qu’a-t-il entendu ? Qu’a-t-il vu ? Qu’a-t-il bu ? Tant de questions sans réponses. Est-ce que Pierrick l’aurait approché, aurait-il remarqué quoi que ce soit de suspect ?

_ Hm… Je suis désolé, mon dos est encore douloureux. Un homme de mon âge n’a pas votre endurance. Nous ne serons probablement pas trop de 4 pour porter le bois que je vais couper. Cela nous permettra de gagner du temps puis de chercher ensemble des traces de Traverse. J’en profiterai pour ramener la hache à Pierrick et le remercier. Qu’en dîtes-vous ?

Se séparer d’Emilien, encore une fois, alors qu’ils viennent à peine de se retrouver… Ca ne lui semble pas envisageable. Le temps avance et il n’a que peu d’informations sur ce qu’il se passe, sur qui sont ces gens. Emilien a l’air plus proche d’eux. Avoir manqué son rendez-vous de la veille le préoccupe, qu’aurait-il pu apprendre ? Il retient un soupir. Peut-être se serait-il fait prendre en allant à sa rencontre… Peut-être aurait-ce était sa fin.

L’aurait-on vraiment envoyé couper du bois seul, armé d’une hache, sans surveillance ? Aimable en doute. L’attendait-on, dans les bois ? Le faire accompagner n’était-il pas une solution pour le protéger ? Pour s’assurer qu’on ne lui fasse pas de mal ?

Ses yeux reviennent discrètement vers Emilien, dont il croise le regard quelques secondes, avant de détourner ses prunelles vers l’orée du bois. Il espère qu’Emilien appuiera sa proposition.

Aimable écoute distraitement les échanges entre les jeunes gens, adressant une discrète œillade à Emilien.

Finalement, ils rejoignent la petite forêt. Il retrouve les odeurs familières de mucus, de bois et d’humidité, la forêt les accueille de son haleine glacée. Mais ses crocs ne découragent pas le chevalier.

Armé de sa hache, il tranche méthodiquement les branches qui les menacent ou les arbustes qui se dressent sur leur chemin. D’une main ferme, il les récupère et les confie parfois à Percy, ou le laisse les ramasser derrière lui. Couper du bois est une habitude, il s’agit d’une de ses tâches quotidiennes au domaine. Richard et Isabeau l’accompagnaient toujours, Isabeau partant à la chasse aux créatures armé de son épée en bois, Richard ramassant la moindre branche pour la poser sur la brouette. Leur souvenir est une caresse, un espoir qui l’invite à accorder une rapide prière à Dieu.

Qu’Il veille sur eux.

Ses yeux clairs reviennent sur le dos d’Emilien, qui s’éloigne. Il aimerait les suivre et s’apprête à accélérer le pas, jusqu’à ce qu’une main posée sur son bras le retienne.

Le geste le surprend. Nerveux, le Chevalier s’est tendu comme un arc et Percy perçoit probablement la contraction des muscles épais sous la peau du combattant. Aimable se dégage, avec douceur, se contentant de reculer son bras des doigts du jeune homme. Pour autant, son corps trahit la montée d’adrénaline qui vient de le traverser.

Son dos s’est raidi, ses épaules se sont redressées, sa tête reste baissée. Il adresse un regard devant eux, cherchant à percevoir la silhouette d’Emilien, avant que ses yeux ne reviennent sur Percy. Alors, ses épaules se relâchent, progressivement, le Chevalier reprend son souffle, plus paisible.

Percy. Est-il vraiment… ? Serait-ce le garçon qu'ils recherchent ? Mais ce qui le désarçonne… C’est sa soudaine gravité. C’est ce sérieux, dont il n’a jamais fait preuve jusqu’à présent. Cache-t-il son jeu ? Cherche-t-il à tromper ses captifs ? Alors pourquoi avoir envoyé une hache à Aimable ? Est-ce qu’il cherche à le tromper Lui ?

Il pense aux échanges qu’ont eu Percy et Iphigénie, ce qu’il a entendu la veille, la boisson et la hache lancée dans sa direction. Le mot glissé dans sa poche, Pierrick qu’il soupçonne de trahison. Qu’en est-il de Percy ? Quel est son vrai visage ?

Aimable se décide à prendre un risque. Il se recule légèrement d’un pas, de sorte à ce que son mouvement attire le regard du jeune homme. Et ses yeux se plantent dans les siens.

Ses yeux d’un bleu vif, le céleste du ciel et les abysses de l’océan s’affrontent, au sein, cette pupille d’un noir absolu. D’une obscurité si profonde qu’elle semble ravir toute lumière, comme le dévorant de l’intérieur, à moins que ce ne soit vers l’extérieur qu’elle s’étire ? Il y fait si noir et pourtant, s’y tapit une étrange lumière, les yeux de l’Ouroboros observent comme ceux du Chevalier le visage du jeune homme.

Traquant la vérité, traquant une blessure sur laquelle glisser leur langue râpeuse, une peine, une inquiétude, quoi que ce soit qui témoignerait de la sincérité de Percy. Que doit-il penser de lui ? Allié inespéré ou loup tapi sous un manteau de laine ? Les paupières d’Aimable se plissent, jusqu’à ce qu’il se rétracte d’un battement de paupières, redressant les yeux vers le chemin devant eux.

Un chemin qui lui semble clair malgré l’obscurité.

_ … Ton père ? Murmure Aimable en réponse.

La subtilité est une arme que peu de De Bayard maîtrise. Aimable est plus habile qu’Ulric et qu’Hildegard, mais l’est bien moins que Côme. Son secret l’a contraint à un minimum de discrétion.

Cette question vise à confirmer ses soupçons et attirer Percy à en dire davantage… Ou à laisser échapper une réaction.

Malgré sa bonne volonté, le cœur de père d’Aimable se serre. Il pense à Richard. Isabeau. Et c’est en pensant à eux qu’il reconnaît d’un chuchotement grondant.

_ …Ton père te cherche. Il doit être inquiet pour toi.

@Aimable E. De Bayard @L'Oeil