Une journée qui avait débuté comme les autres. Se faire pousser par Gabriel hors du lit, grogner en se préparant, faire en sorte que tout soit en ordre avant son départ, et finalement rallier le palais royal et se terrer dans les archives pour la journée. Certains le regarderaient probablement avec des yeux étonnés s’il savait à quel point il appréciait ce qu’il faisait. Quand il classait, rangeait, archivait, il ne pensait pas à grand-chose d’autre. Son attention entièrement happée par sa tâche, c’est ainsi qu’il manqua le bruit de la porte qu’on ouvrait pour n’être tiré de ses pensées que par le bruit de pas venant dans sa direction.

- C’est bien moi ? souffla-t-il en réponse tandis qu’il percevait son propre nom et se tournait dans la direction de la voix.

Il observa un instant le visiteur, un peu surpris, et finit par ouvrir la bouche pour saluer et souhaiter la bienvenue dans les lieux, avant qu’il ne soit arrêté, devancé, par l’autre homme.

- Oh, Monsieur le Duc, je vous en prie c’est tout naturel. J’aurais simplement aimé que notre jeune princesse ne soit pas déjà confrontée à tout cela…

Mais il serait discourtois de refuser le cadeau d’un Duc n’est-ce pas ? Aussi s’avança-t-il pour refermer ses mains sur le cadeau, l’odeur des pâtisseries lui parvenant sans qu’il n’eût réellement besoin d’ouvrir l’emballage. Il rosit un peu de plaisir à ce présent qui tapait beaucoup trop bien dans ses péchés mignons pour que ce soit le hasard.

- Vous avez eu une bonne source d’informations, je ferais honneur à ces pâtisseries. Et je vous remercie, mais je n’ai pas aidé la princesse dans l’espoir d’avoir une rétribution vous savez.

Non, quoi qu’il arrive, il serait intervenu pour protéger l’adolescente. D’ailleurs… Il n’avait pas eu de nouvelle de la part de la deuxième sauveuse…

- Votre générosité vous honore Monsieur le Duc. Y a-t-il autre chose que je puisse faire pour vous ?

   
Si on lui avait dit qu’un jour il discuterait avec un Duc venu le rencontrer, lui, spécifiquement, il ne l’aurait sans doute pas cru. En tant que Vicomte il était issu lui aussi de la noblesse effectivement, mais ils ne jouaient pas exactement dans la même cour, n’ayant pas le même pouvoir entre les mains. Aussi c’est avec une certaine curiosité qu’il observait l’homme face à lui, son « cadeau » dans les mains tandis qu’il attendait la suite… qui vint. Finalement.

- Attenter à la vie d’un membre de sa propre famille… Royal ou non, c’est un crime très grave.

Ce n’était pas exactement des propos qu’on lançait à la légère. S’il était globalement d’accord avec le reste. Des ennemis du pouvoir en place, intéressé par une place déstabilisée par la soudaine disparition de son dirigeant et une nouvelle venue qui n’avait pas encore fait ses preuves. C’était les enfants qui en payaient le prix car… Quel meilleur moyen d’atteindre une mère que de s’en prendre à sa progéniture. Une pensée qui le rendait malade, mais certain n’avaient pas peur de s’engager sur un tel sentier.
Il écouta les quelques informations que lui dispensa Charles, avant d’ouvrir la bouche pour répondre. Il se fit devancer par un bout de papier qui lui fut tendu et qu’il prit, consultant rapidement les noms inscrits dessus.

- Que voulez-vous comme information au juste ? Je peux facilement vous trouver les arbres généalogiques et les postes occupés, mais si vous désirez plus…

Il ne voyait pas exactement en quoi ce type d’information pouvait lui être utile mais il ne discuterait pas. Les archives étaient ouvertes à tout le monde pour ces informations-là, ce qui était plus privés en revanche nécessiterait une raison de mettre les pieds dans la partie verrouillée. La protection de la princesse était en soi une raison suffisante ceci dit, mais tant qu’il n’aurait pas exactement ce que désirait Charles, il ne pourrait fournir un travail convenable.

- Sauf votre respect Monsieur le Duc, je serais une bien piètre personne si je pouvais être acheté aussi facilement, fit-il avec un léger sourire quant à la dernière remarque.

Il appréciait les pâtisseries oui. Mais aucune d’elle ne pourrait le forcer à trahir ses convictions et ses positions. C’était presque insultant de se dire que certaines personnes pensaient que c’était aussi facile. Il ne ferait pas la remarque ouvertement cependant, peut être son sourire s’était-il légèrement crispé, sans plus.

- Je n’ai pas pour habitude de m’étendre sur les demandes et les recherches effectuées ici. A moins que la Reine elle-même me demande des comptes, le registre est privé.

Il s’inclina légèrement en une politesse.

- Permettez-moi simplement monsieur le Duc de vous rappeler que cela va dans les deux sens. Je ne pourrais vous renseigner sur de potentielles autres demandes  qui me seraient faites.

Sur ce, le papier fut replié et glisser dans une des poches internes de la veste du Vicomte qui retrouvait déjà un sourire affable, plus habituel chez lui.

- Je vous apporterai les résultats dés que possible. Vous pourrez venir les chercher ici ou je peux vous les apporter. A votre convenance.

   
Le compliment le laissa de marbre. Il n’était pas rare qu’il rougisse lorsqu’il était complimenté mais pour le coup celui-là sonnait vide. Pour être honnête, il n’arrivait pas non plus à cerner exactement l’homme en face de lui, ni ce qu’il désirait exactement. Il ne voyait pas non plus l’intérêt de le flatter de la sorte, pas après l’avoir quelque peu insulté (ou peut être était ce justement pour ça ?), pas quand il n’était qu’un Vicomte avec trop peu de pouvoir ou d’influence pour être d’une quelconque utilité.

- Pardonnez-moi monsieur le Duc mais j’ai beaucoup de mal à comprendre de quoi vous parlez exactement, fit-il, le regard aussi confus qu’il l’était.

Il ne voyait pas vraiment en quoi cette discussion avait pu révéler quoi que ce soit, mais soit, pas plus qu’il ne percevait ce que faisait la reine dans cette histoire. Pour lui qui était toujours sur la tentative d’assassinat de la Princesse Eulalie, il ne voyait pas vraiment en quoi sa propre mère ne pouvait pas déjà avoir été mise au courant de toute cette histoire. Surtout pas quand sa propre garde du corps avait été en première ligne de défense de la jeune fille. Aussi…

- La reine n’est pas au courant ? demanda-t-il, un peu stupéfait.

Mais comment l’alpha était supposé gérer convenablement sa meute si on lui cachait les informations les plus cruciales ? Comment pouvait-elle prendre les bonnes décisions si on ne lui offrait pas toutes les cartes en main pour décider ? Antoine serra un peu les dents mais refusa de montrer ses interrogations, fronçant un peu les sourcils, l’air toujours un peu perdu face à l’entièrement de la situation. Bien sûr que lui-même avait pu cacher des choses à Gabriel, pas par souci de le préserver par l’ignorance, mais parce qu’il savait parfaitement que la réaction serait une mise en danger inutile.

- Une insulte à la femme et à la Reine oui. Je suis d’accord.

Victoire n’était plus une enfant. Tout comme elle n’était pas une jolie poupée qui devait restée assise et surveiller sa toilette. Beaucoup de gens semblait l’ignorer ou du moins… Semblait vouloir la cantonner à cette image, pour mieux pouvoir en profiter. Pas étonnant qu’on remette en doute ses compétences, si on ne lui laissait pas l’opportunité de pouvoir les montrer.

- Du coup… Que désirez-vous savoir exactement, quelles informations dois-je tirer des archives ?

Non, savoir que la Reine elle-même venait ne lui faisait pas vraiment peur. Il n’avait rien à se reprocher et pourrait même s’estimer flatter de pouvoir l’approcher d’aussi prêt.

- Vous ne voulez pas simplement savoir quels postes ils occupent, je me trompe ?

   Quel homme étrange que ce Duc. Antoine aurait pu jurer qu’il vivait dans un tout autre monde que le sien. Il ne chercha pas à discuter davantage, laissa l’homme suivre son fil de pensées avant qu’il ne décide qu’il ne se fasse tard et qu’il tire sa révérence. Antoine lui répondit d’une salutation polie et d’une inclinaison du buste avant de l’observer quitter les lieux et que lui-même retournait à ses activités. Le papier fut observé un instant, un des noms le début de ses recherches. Le tout fut soigneusement rangé dans la poche intérieure de son veston tandis qu’il entendait la porte se rouvrir et se refermer à nouveau.

Il fronça les sourcils, nota que les archives étaient décidément bien animées aujourd’hui et tourna les talons pour accueillir son nouvel invité.

- Bonjour Dame Braginsky, salua-t-il la nouvelle arrivante, qui finissait de corriger sa tenue, voilà quelques mois que nous n’avons pas eu l’honneur de nous croiser en effet.

Deuxième rencontre atypique, tandis qu’il faisait face à l’immortel avec qui il avait sauvé la princesse. Celle aussi dont il avait eu quelques échos par Gabriel.

- Je vais bien merci.

Le Vicomte pencha la tête un instant sur le côté, un sourcil haussé. Il y avait quelque chose dans l’air, une tension et il ne saurait dire au juste ce qui en était la cause. Il n’avait pas eu d’écho d’un quelconque souci en particulier ces temps-ci. Toujours était-il que de la même façon, il se sentit se tendre à son tour.

- Mais si vous me le permettez, vous semblez nerveuse aujourd'hui.

Il n'y avait nul méchanceté dans cette voix, simplement un fait avéré qu'il énonçait tandis que c'est désormais avec une certaine curiosité qu'il l'observait. Trouver refuge dans les archives étaient une chose, mais ce n'était pas l'accueil qu'on lui réservait quand c'était le cas. Point de damoiseau à qui le garde du corps tentait d'échapper dans le cas présent.

- Est-il arrivé quelque chose à la princesse ? fit-il, soudain inquiet.

Pour quelle autre raison serait-elle venue a sa rencontre après tout ? Il n’y avait bien qu’Eulalie qui les reliait. A moins que la jeune femme ne soit ici pour des recherches, elle aussi. Ce qui ferait que les gens s’étaient donnés le mot aujourd’hui.

La réponse lui fit hausser un soucil tandis qu’il fixait Stanislava. Si la princesse n’était pas le motif de sa visite alors pourquoi Diable… ? Sa confusion montra d’un cran à ce qui suivit. Fronçant les sourcils face à ce qui semblait être une proie traquée, il s’excusa un instant avant de tourner les talons pour rejoindre la porte d’entrée des archives… Et la verrouiller temporairement. Pour ce qu’il en savait, il avait toutes les raisons du monde à ne pas vouloir que quiconque entre ici pour le moment.

- Pardonnez-moi mais c’est une tentative d’enlèvement très étrange dans ce cas-là.

Pas qu’il réfutait non. Mais définitivement, tout ceci était incompréhensible dans la logique des choses. Tout ce qui était certain, c’était que les ravisseurs s’attendaient à une possible riposte d’un loup ou d’un vampire, et qu’ils étaient équipés pour y faire face. Qui que ce soit, ils avaient trop de connaissances pour leur propre bien.

- Prendre comme couverture la gouvernante était une excellente idée, et le calendrier était parfait pour ça… Mais on a connu mieux pour ravir quelqu’un que de le noyer ou de tenter de l’emmener alors qu’elle… et il sentit ses joues déjà rougir sous cette remarque, est dans son plus simple appareil, si vous me permettez. Ce n’est discret en aucune manière.

Ou alors une fois Eulalie hors course la sortir, la sécher, la rhabiller, l’embarquer ? C’était prendre beaucoup trop de risque que quelqu’un ne vienne l’interrompre dans sa tâche. Et si un témoin gênant pouvait être éliminé par la surprise, c’était tout de même insensé.

- Mais je vous en prie. Vous êtes celle qui dirige ces recherches, je vous écoute. Qui donc aurait-voulu porter préjudice à la couronne ? Et croire qu’il pourrait le faire en toute impunité ?

Il laissa transparaitre quelque peu son inquiétude, tandis qu’il se souvenait de la gourmette que l’assaillant avait perdu dans sa bataille.

- Vous ont-ils retrouvé que vous soyez dans un tel état ? Ou craignez-vous qu’ils ne refrappent bientôt ?

Oui beaucoup de question, mais le Vicomte était laissé dans le noir. Et surtout

- Quelle aide puis-je vous apporter dans votre enquête ?

Il haussa un sourcil. Visiblement il n’était pas vraiment convaincu par l’explication mais il ne chercha pas à discuter davantage, écoutant simplement son homologue. Il n’était pas expert en ravissement après tout, certaines subtilités devaient probablement lui échapper et il supposa qu’en tant que garde du corps, Stanislava était plus à même de comprendre les procédés que lui.

- L’Eglise souterraine vous dites ? Qu’avez-vous trouvé sur ce bracelet ?

Il ferma un instant les yeux, l’air contrarié (ou inquiet tout simplement ?). L’information ne faisait pas beaucoup sens pour lui. La princesse n’avait pas eu l’air dérangé par les pétales de cette foutue fleur, un bon indice qui indiquait qu’elle était une humaine aussi… aussi pourquoi s’intéresser à elle.

- Vous dites cela comme si c’était aussi simple… Comme si la Reine avait ce genre de possibilité. Mais soit, partons de cette théorie. Ils visent la couronne de toute les manières.

Les créatures se cachaient. Se cachaient bien. Au point que même eux étaient bien incapable de discerner aux premiers abords les leurs ou de pouvoir déterminer où certains résidaient. Les vampires, plus libres que les meutes, encore plus. Alors si bien les deux camps cherchaient leur extermination, c’était un travail de titan qui ne verrait jamais le bout. L’inverse était aussi vrai. Ils ne pouvaient s’intéresser à leur détracteur sans se mettre en danger, s’assurant par la même qu’ils ne pourraient jamais s’en débarrasser.

- Je vous retourne la précaution Dame Braginsky. Faites attention à vous.

Et si la demande lui fit bien écarquiller les yeux…

- Je ne peux rien vous promettre. Les archives royales sont à un autre niveau vous savez.

Il réfléchit un instant. Non, ce n’était pas les noms qu’il avait déjà vu passer plus tôt.

- Je regarderai si une branche collatérale aurait des vues sur le Trône… Mais il faudrait alors trouver le lien. Une hostilité simple ne sera pas suffisante.

Et puis… Cette logique ne sous entendait-elle pas qu’il faudrait aussi prendre en compte les duchés actuels ? L’histoire de France avait déjà démontré que certains Ducs avaient tenté de gagner plus de puissance voir de disputer le pouvoir Royal en place.

- C’est un jeu dangereux que nous allons jouer, soupira-t-il.