Dim 3 Oct - 0:52
Comme il l’avait annoncé, Amaury respecte parfaitement ses engagements auprès du Maréchal. Il a intégré ses troupes de soldats pour aider à maintenir l’ordre et protéger la population. Il s’y tient. Voilà plusieurs semaines désormais qu’il s’est habitué à ce quotidien éreintant fait de passages fréquents pour s’enquérir des besoins et autres sorties officielles du Comte de Harcourt, des journées au sein du Quartier des Armées et des missions dans les rues de Paris et enfin, ponctuellement quand nécessaire, des agissements au sein de la Milice. Cela en épuiserait plus d’un mais Amaury a besoin de se sentir utile. Il sait que le Comte, par exemple, se passerait bien de sa présence. Curieusement, pourtant, l’homme respecte les volontés de sa jeune femme défunte et se montre aussi courtois que possible en présence du Chevalier.
Amaury sait aussi qu’il n’est pas le plus au fait des actions des créatures obscures à Paris et dans ses alentours. S’il a effectué une mission avec deux autres miliciens au sein d’un village non loin de camp, il a toujours la sensation de faire face à des événements qui le dépasse. Les dépassent, peut-être ? Les prennent de cours, c’est certain. Cela l’agace de se dire que la Milice agit souvent en réaction plus que par anticipation. Comment anticiper face à des créatures qui savent se mêler aux humains, malheureusement ? Le mal a un temps d’avance et sait user des plus abjects subterfuges. Il le sait.
Alors au milieu de tout cela, c’est sous sa casquette de soldat, peut-être, qu’il se sent le plus efficace pour le moment. Après les présentations de la part du Maréchal, il a très vite intégré ses soldats et a appris à connaitre plusieurs d’entre eux. Il s’entraîne à la caserne et certains bleus croisés le premier jour lui demandent parfois des conseils sur certaines passes d’armes. Il n’est certainement pas le plus expert mais s’il peut aider certains d’une manière ou d’une autre, il n’hésite pas. Même si, c’est bien connu, la patience n’est pas vraiment sa plus grande qualité.
« On nous a signalé une agitation anormale du côté des carrières au Sud, dans une zone où l’activité est arrêtée. Cet après-midi vous irez examiner les lieux avec le Chevalier de Bayard, de Bray. Je l’ai déjà informé un peu plus tôt. » Après un temps d’arrêt, une précision. « Je vous prierais de… l’observer, s’il vous plait. »
- Qui donc ? De Bayard ?
- … Lui-même. Certains événements m’ont été remontés et je m’interroge sur sa santé. »
Une demande curieuse mais à laquelle Amaury n’a pu qu’acquiescer. Il connait le milieu des hommes d’épée et sait combien ces derniers préfèrent mourir au combat qu’admettre être malade ou blessé. Sans doute est-ce de ça dont il s’agit. Lui-même a un avis mitigé sur l’homme en question, jusque-là. Il a simplement conscience qu’il s’agit d’un membre de la famille d'Hildegarde, la milicienne, sans avoir bien fait le rapprochement. Il faut dire qu’il n’est proche d’aucun des deux. Ce sont des combattants émérites chacun à leur manière. Hildegarde est une femme rustre, robuste et assez sèche là où Aimable parait plus accessible. Sans grande conviction pour Amaury, toutefois, qui n’a guère eu l’occasion - la volonté ? – de discuter réellement avec l’autre homme, autrement que dans leurs passes d’armes ou surveillances communes.
Cette sortie au-delà de la ville est donc la première fois qu’il a véritablement à faire à l’autre Chevalier, seuls à seuls. Tous deux sur leurs montures, ils cheminent en direction de la sortie de la ville. C’est bien évidemment Aimable qui a pris les devants et fait office de guide, ayant plus l’habitude des lieux.
« J’ai entendu parler de ces carrières. J’imagine qu’on y trouve beaucoup de travailleurs dans les environs ? C’est un endroit où les soldats vont souvent ? » Et par là-même, à quel accueil peuvent-ils s’attendre, s’ils traversent les carrières encore actives avant de rejoindre la zone en question censée être à l’arrêt ? La question est toute autant là pour faire la discussion que pour jauger sincèrement de la chose. Amaury n’aurait rien contre cheminer en silence mais il sait que c’est au contact des autres soldats qu’il apprendra au mieux la réalité de Paris et de ses environs.
Et puis, il n’a rien oublié de la demande du Maréchal.
De pierres et d’ombre.
Comme il l’avait annoncé, Amaury respecte parfaitement ses engagements auprès du Maréchal. Il a intégré ses troupes de soldats pour aider à maintenir l’ordre et protéger la population. Il s’y tient. Voilà plusieurs semaines désormais qu’il s’est habitué à ce quotidien éreintant fait de passages fréquents pour s’enquérir des besoins et autres sorties officielles du Comte de Harcourt, des journées au sein du Quartier des Armées et des missions dans les rues de Paris et enfin, ponctuellement quand nécessaire, des agissements au sein de la Milice. Cela en épuiserait plus d’un mais Amaury a besoin de se sentir utile. Il sait que le Comte, par exemple, se passerait bien de sa présence. Curieusement, pourtant, l’homme respecte les volontés de sa jeune femme défunte et se montre aussi courtois que possible en présence du Chevalier.
Amaury sait aussi qu’il n’est pas le plus au fait des actions des créatures obscures à Paris et dans ses alentours. S’il a effectué une mission avec deux autres miliciens au sein d’un village non loin de camp, il a toujours la sensation de faire face à des événements qui le dépasse. Les dépassent, peut-être ? Les prennent de cours, c’est certain. Cela l’agace de se dire que la Milice agit souvent en réaction plus que par anticipation. Comment anticiper face à des créatures qui savent se mêler aux humains, malheureusement ? Le mal a un temps d’avance et sait user des plus abjects subterfuges. Il le sait.
Alors au milieu de tout cela, c’est sous sa casquette de soldat, peut-être, qu’il se sent le plus efficace pour le moment. Après les présentations de la part du Maréchal, il a très vite intégré ses soldats et a appris à connaitre plusieurs d’entre eux. Il s’entraîne à la caserne et certains bleus croisés le premier jour lui demandent parfois des conseils sur certaines passes d’armes. Il n’est certainement pas le plus expert mais s’il peut aider certains d’une manière ou d’une autre, il n’hésite pas. Même si, c’est bien connu, la patience n’est pas vraiment sa plus grande qualité.
« On nous a signalé une agitation anormale du côté des carrières au Sud, dans une zone où l’activité est arrêtée. Cet après-midi vous irez examiner les lieux avec le Chevalier de Bayard, de Bray. Je l’ai déjà informé un peu plus tôt. » Après un temps d’arrêt, une précision. « Je vous prierais de… l’observer, s’il vous plait. »
- Qui donc ? De Bayard ?
- … Lui-même. Certains événements m’ont été remontés et je m’interroge sur sa santé. »
Une demande curieuse mais à laquelle Amaury n’a pu qu’acquiescer. Il connait le milieu des hommes d’épée et sait combien ces derniers préfèrent mourir au combat qu’admettre être malade ou blessé. Sans doute est-ce de ça dont il s’agit. Lui-même a un avis mitigé sur l’homme en question, jusque-là. Il a simplement conscience qu’il s’agit d’un membre de la famille d'Hildegarde, la milicienne, sans avoir bien fait le rapprochement. Il faut dire qu’il n’est proche d’aucun des deux. Ce sont des combattants émérites chacun à leur manière. Hildegarde est une femme rustre, robuste et assez sèche là où Aimable parait plus accessible. Sans grande conviction pour Amaury, toutefois, qui n’a guère eu l’occasion - la volonté ? – de discuter réellement avec l’autre homme, autrement que dans leurs passes d’armes ou surveillances communes.
Cette sortie au-delà de la ville est donc la première fois qu’il a véritablement à faire à l’autre Chevalier, seuls à seuls. Tous deux sur leurs montures, ils cheminent en direction de la sortie de la ville. C’est bien évidemment Aimable qui a pris les devants et fait office de guide, ayant plus l’habitude des lieux.
« J’ai entendu parler de ces carrières. J’imagine qu’on y trouve beaucoup de travailleurs dans les environs ? C’est un endroit où les soldats vont souvent ? » Et par là-même, à quel accueil peuvent-ils s’attendre, s’ils traversent les carrières encore actives avant de rejoindre la zone en question censée être à l’arrêt ? La question est toute autant là pour faire la discussion que pour jauger sincèrement de la chose. Amaury n’aurait rien contre cheminer en silence mais il sait que c’est au contact des autres soldats qu’il apprendra au mieux la réalité de Paris et de ses environs.
Et puis, il n’a rien oublié de la demande du Maréchal.
fin juillet 1590
Ven 8 Oct - 12:08
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Aimable a vécu si longtemps dans l’ombre de son frère.
Ulric De Bayard. L’Ours Gris. Un homme massif, aux épaules développées, aux bras épais comme des troncs, inflexible et impassible comme les montagnes bordant l’horizon. Ses yeux d’acier ont suffi à percer les cœurs les plus fragiles, son laconisme usant les plus féroces de ses adversaires. Il s’est fait connaître pour ses compétences guerrières, mais aussi, pour ce caractère imperturbable dans un corps impossible à abattre. La lame d’une épée brisée dans le genou n’a pas suffi à le faire s’écrouler malgré la masse que ses jambes avaient à porter. Une retraite lui avait été offerte, permettant à l’illustre guerrier de connaître pour ses dernières années de vie la joie du répit.
Aimable avait toujours été à ses côtés. Humble, discret, d’une corpulence frêle comparée à son aîné. La tête toujours baissée, la nuque courbée sous le poids d’un fardeau que personne ne connait. Une fois Ulric disparu, une fois son ombre protectrice retirée, Aimable s’était retrouvé sous les lumières. Attirer l’attention n’avait jamais été son fort : être la cible de tant de regards avait été un supplice.
Au fur et à mesure des mois, à force que sa timidité maladive soit mise à mal, Aimable n’eut d’autres choix que faire ses propres armes. Parfois, il arrivait que ses lèvres se délaissent de quelques mots, et l’on s’étonnait de sa voix claire. Douce et rauque à la fois, un son rassurant et inquiétant, comme si ses propres os raclaient contre ses cordes vocales. On ne le voyait pas, on ne le remarquait pas, jusqu’au moment où un regard se posait sur lui, décelait un mouvement dans la pénombre. Alors, il devenait difficile de se détacher de lui.
Son pas était chaloupé, il apparaissait pataud et maladroit. Pourtant, son allure était étrangement fluide, d’une souplesse sauvage, celle d’un animal aux aguets. Certains percevaient, dans cette discrétion attentive, une menace qu’Aimable ne comprenait pas. Il s’était étonné d’attirer des suspicions de la part de certaines personnes, notamment le Maréchal. D’autres, au contraire, mettaient en avant des qualités qu’il ne pensait pas avoir. Devenu Chevalier instructeur, ses élèves apprécient sa patience, son écoute, son implication et ses explications. Le jeune Prince, bien qu’il déteste le maniement des armes, vient à ses leçons avec le sourire – et ça, c’était peut-être une des plus grandes récompenses qu’il pouvait attendre.
Aimable a l’impression de ne pas se connaître. En tous cas, il ne se reconnaît pas, quand il surprend les rumeurs à son égard. Et depuis qu’il a vu May, de nombreux changements ont eu lieu. La douleur n’est plus aussi présente qu’autrefois. Il redécouvre son corps, sans réussir à se l’approprier totalement. Il lui arrive d’observer ses mains, de parcourir sa peau de ses mains rugueuses, pour se convaincre que ce corps, c’est bien le sien. C’est son écorce. Elle renferme son cœur qui bat, ses veines qui saignent, ses muscles qui ne font plus mal, ces articulations qui gagnent en souplesse. Elle emprisonne son âme et celle de l’Autre, Sa Voix, L’Ouroboros.
Qui est-il, que sont-ils ? Des questions qui viennent souvent le hanter. Et il ne sait pas s’il aura un jour des réponses.
Son identité, doit-il la définir selon ce que l’on dit de lui ? Selon ce que ses proches pensent de lui ? Il se souvient des regards froids de certains, de leur méfiance blessante ou encore, de la distance qu’Hildegard a pris par rapport à lui. Quelle valeur a-t-il, selon eux ? Peut-il vraiment se fier à leur avis ? Ou à ceux de son épouse, de ses rares amis ? Aimable soupire et masse ses paupières.
Debout dans sa chambre, l’homme se tient droit. Les volets entrouverts laissent passer quelques rayons de soleil : leur chaleur s’abandonne sur sa peau épaisse. Du vrai cuir. Le soleil s’amuse à effleurer les cicatrices qui parcourent son dos, ses bras, tout son corps, des vergetures qui parcourent le pourtour de sa colonne vertébrale – à force que sa peau s’arrache. Aimable est un homme d’une charpente très solide, malgré sa taille moyenne pour celle d’un homme. Ses bras lui semblent toujours longs, terminés de mains aux larges paumes. Des doigts épais, qui, lorsqu’on les regarde, semblent comme s’allonger, surprenant par la finesse des phalanges. Son ventre n’est pas creux mais ne présente aucun volume réconfortant : c’est un ensemble de muscles entremêlés qu’il dissimule. Il n’y a pas d’abdominaux, non, qu’une masse musculaire qui consolide sa taille, il faut une ceinture puissante pour soutenir sa colonne lorsqu’elle… Il frémit d’horreur, il ne veut pas penser à ça, il réfugie son visage entre ses paumes et masse ses tempes.
Il était autrefois épuisé. Les yeux enfoncés dans ses orbites, creusés de cernes et dissimulés sous ses paupières toujours mi-closes, n’offrant qu’au sol la vision de ses prunelles.
Son visage est semblable aux flancs d’une montagne tailladés par les vents et les pluies. Des pommettes particulièrement saillantes et des arcades sourcilières prononcées protègent ses yeux, tapis sous ses paupières. Peu peuvent se vanter d’avoir croisé son regard et ceux qui l’ont fait n’en parlent jamais. Ses joues sont moins creusées, mais n’en restent pas moins les vallées de ses mâchoires carrées, d’un nez grand maintes fois cassé. Il est tel un pic déformé par les coups qu’il a reçus. Il a moins de cernes, mais n’a pas perdu les rides qui creusent déjà le coin de ses yeux et de ses lèvres. La marque d’un temps qu’il n’a pas encore vécu.
L’usure abandonne progressivement son corps. Il se mouvait avec raideur, maintenant, ses muscles ne protestent plus au moindre mouvement. Ses articulations ne sont plus aussi douloureuses. Qu’est-ce que May a fait ?
L’Ouroboros est toujours là. Dans sa tête. La Voix ne l’abandonnera jamais. Mais Aimable le sent… plus absent dans sa chair. La douleur les liait, elle se manifestait quand la Voix hurlait. Il ne la ressent plus. Est-ce bon signe ? Ou est-ce que la Voix gagne du terrain sur lui ?
Il n’a jamais reconnu son corps comme le sien et aujourd’hui, ce n’est toujours pas le cas. Comme un étranger, il essaye de s’approprier cette masse, ces membres, cette peau, il n’y a plus la douleur qui le connecte à cette chair. D’où sa maladresse. A ne pas connaître la place qu’il prend, à ne pas ressentir où il se trouve, et pourtant, il est le premier à se dissimuler dans l’obscurité. A se faire oublier dans la pénombre.
Aimable s’habille, finalement. C’est plus rapide qu’avant. Ca ne fait plus mal cette fois. Enfiler les bas, le pantalon, passer la chemise par-dessus sa tête, jouer des épaules pour placer correctement le tissu – seul un craquement l’alerte et, décontenancé, il tourne les yeux vers la manche abîmée. Au niveau de l’épaule. Il a l’impression que son dos… Est plus solide, comme ses jambes, il le sent dans ses vêtements. Pourtant, il n’a pas grandi. Il n’a pas non plus eu à changer sa garde robe. Il abandonne sa chemise, en enfile une autre, sans difficultés cette fois. Une veste et une cape, puis l’épée qu’il attache à sa hanche. Une besace et son bouclier rejoignent son épaule.
Un bouclier bleu, décoré d’un cerf blanc, dressé sur ses pattes arrière.
Il récupère sur la table de chevet sa croix et cligne des paupières. Il ne l’enlève jamais, d’habitude.
Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Interroge le Chevalier.
La Voix ne répond pas. A la limite de sa conscience, elle se contente de le narguer, laissant percevoir sa présence sans se manifester.
Aimable cherche autour de lui, dans sa chambre, pas de désordre, pas de trace ensanglantée. Rien de suspect. Est-ce que la Voix… Non. Son cœur se serre et il glisse la Croix autour de son cou. La chaîne est composée d’anneaux de cotte de maille, la Croix, elle, est aussi grande que sa paume. Elle pèse comme une pierre autour de son cou. Son métal est usé, poli à force qu’il passe ses doigts sur sa surface. Chaque extrémité est terminée d’un pic, qu’Aimable effleure du bout du pouce, avant de sortir de son appartement.
Il va rejoindre les écuries et attrape les rênes de sa monture, une jument, comme il les préfère. Tendrement, il caresse son mufle et repose sa tête contre la sienne. Paisible, elle se laisse faire, se contentant de souffler bruyamment. Aimable esquisse un rare sourire, puis finit par monter sur son dos en un geste raide. Enraidi par l’habitude plus que la nécessité.
D’une intonation de la voix, il la convainc d’avancer. Marthe marche d’un pas lent, calme, remuant parfois les oreilles quand les sons de la rue lui parviennent. Aimable les écoute d’une oreille distraite.
Qu’allons Nous FaiRe ? Demande enfin la Voix.
Patrouiller, répond le Chevalier.
EnCoRe, soupire-t-elle.
Aimable apprécie ces moments paisibles. Il rappelle à sa Comparse que certaines fois, il y a un peu d’animation. Cette promesse de violences à venir la satisfait – Aimable se corrige. Non. Pas de violence. Il n’y en a pas besoin.
C’est une NécessiTé, crache-t-Elle, moqueuse.
Aimable serre discrètement les mâchoires et préfère l’ignorer.
Finalement, Amaury les rejoint. Aimable l’a déjà aperçu quelques fois. Il l’a observé avec curiosité lorsqu’il s’entraînait. C’est un combattant prometteur. Malgré sa petite taille, il a remarqué que ses coups d’estoc étaient redoutables. Ses gestes étaient d’une précision semblable à celle d’un oiseau de proie. C’était un homme dont la vivacité avait pu l’impressionner. La Voix en avait été enthousiasmée. Elle lui avait demandé de S’ENTRAINER ! FRAPPER ! SAIGNER ! Et à la vue d’Amaury, Aimable la sent frrééémir dans son esprit.
C’est comme un chat sournois qui s’extirperait d’un meuble, plantant ses griffes dans sa tête en un son grondant, un ronronnement fait de mâchoires qui s’entrechoquent, de crocs qui s’heurtent et grincent, un Rire, Elle se rétracte, se réfugiant dans les ombres de sa conscience. Elle guette, derrière ses pupilles qu’Aimable garde vissées au sol.
_ Monsieur De Bray. Veuillez me suivre, l’invite poliment Aimable en inclinant la tête, Je connais la route jusqu’aux carrières.
Ces carrières… Un lieu où l’on creuse la terre, à la recherche de précieuses richesses, de quoi garnir la couronne déjà bien trop lourde de la Capitale. Trop de bruits, trop d’odeurs, trop de monde, trop de tout qui pullule autour de lui. Aimable attend avec impatience de retrouver la sérénité des plaines – rien ne vaut ses montagnes mais il saura s’en contenter.
Une fois les murs franchis, Aimable relâche l’étau de ses épaules et observe les environs. Il se sent plus… paisible, maintenant que les douleurs ne se ravivent plus à chaque mouvement. Habitué à voyager en silence aux côtés d’Ulric, l’intervention d’Amaury lui fait tourner légèrement la tête – mais il ne le regarde pas.
Il veille à ce que ses yeux ne rencontrent jamais ceux de ses interlocuteurs.
Il fait partie de ces hommes qui ne voient rien et qui savent pourtant beaucoup de choses.
_... Ces mines sont en voie de perdition, explique le Chevalier, de sa voix douce et rêche. L’entendre, c’est comme perdre sa main dans le pelage d’un sanglier. C’est une sensation étrange, agréable et pourtant, dérangeante.
_ L’argent se trouve dans les montagnes, le cuivre et le fer, bien au Sud du Pays. Ici, on y récupère des pierres à bâtir. Mais la mine s’épuise. Il y a de moins en moins de travailleurs.
Et ils étaient peu payés lorsqu’Aimable constatait la quantité de pierres qu’ils arrachaient des maigres collines pour les faire parvenir jusqu’à la capitale.
_ En 1499, le Pont Notre-Dame s’est effondré. Le Roi a souhaité à ce qu’il soit reconstruit au plus vite, des installations minières ont débuté autour de la ville. A cette époque, il y avait beaucoup de soldats. Pour sécuriser les lieux, éviter les vols. Quand ils ont réalisé que la terre n’avait que des matières peu… intéressantes, ces mines ont été offertes aux Seigneurs voisins, qui ont eux-mêmes confiés des parcelles de terre à des ateliers, des carriers. Certains se sont offerts la protection d’une milice ou ont demandé au Roi à ce que des patrouilles soient mises en place, mais cela fait une petite vingtaine d’années… que ces mines restent assez isolées.
Il n’était pas rare que des bandits tentent d’arracher le peu de richesses que certains ont réussi à récupérer. Que certains payent des bras armés pour faire pression sur d’autres. Son visage s’assombrit légèrement à cette pensée. Ces mines ne sont pas sures à ses yeux. C’est un endroit où l’espoir de richesse alimente bien des appétits destructeurs.
_ … Si mes souvenirs sont bons… L’activité a été arrêtée au Sud en raison de l’instabilité du terrain.
A force de creuser, certains sols risquaient de s’effondrer. Néanmoins, Aimable se méfie. Des hommes âpres au gain sont prêts à mentir pour s’assurer garder main mise sur un filon prometteur.
Mais peut-être que l’agitation observée n’est celle que d’animaux égarés. Cette idée… était-elle réellement rassurante ? Préoccupé, Aimable ne peut s’empêcher de penser à la Croix qu’il a trouvée près de son lit. Pourquoi et quand l’a-t-il enlevée ? L’Ouroboros la retire souvent. Inquiet, il referme songeusement sa main sur sa croix.
_ Savez-vous… Quel genre d’agitation a pu être observé ? Une reprise de l’activité minière ou autre chose ?
A moins que cet endroit ne serve d’abri à des bandits ? Profitant d’un terrain soi-disant désolé pour s’installer. Des commerçants ? Qui entreposeraient là leurs richesses…
Ou bien une Bête qui se serait réfugiée dans les profondeurs de la terre en attente de chairs à dévorer.
Ulric De Bayard. L’Ours Gris. Un homme massif, aux épaules développées, aux bras épais comme des troncs, inflexible et impassible comme les montagnes bordant l’horizon. Ses yeux d’acier ont suffi à percer les cœurs les plus fragiles, son laconisme usant les plus féroces de ses adversaires. Il s’est fait connaître pour ses compétences guerrières, mais aussi, pour ce caractère imperturbable dans un corps impossible à abattre. La lame d’une épée brisée dans le genou n’a pas suffi à le faire s’écrouler malgré la masse que ses jambes avaient à porter. Une retraite lui avait été offerte, permettant à l’illustre guerrier de connaître pour ses dernières années de vie la joie du répit.
Aimable avait toujours été à ses côtés. Humble, discret, d’une corpulence frêle comparée à son aîné. La tête toujours baissée, la nuque courbée sous le poids d’un fardeau que personne ne connait. Une fois Ulric disparu, une fois son ombre protectrice retirée, Aimable s’était retrouvé sous les lumières. Attirer l’attention n’avait jamais été son fort : être la cible de tant de regards avait été un supplice.
Au fur et à mesure des mois, à force que sa timidité maladive soit mise à mal, Aimable n’eut d’autres choix que faire ses propres armes. Parfois, il arrivait que ses lèvres se délaissent de quelques mots, et l’on s’étonnait de sa voix claire. Douce et rauque à la fois, un son rassurant et inquiétant, comme si ses propres os raclaient contre ses cordes vocales. On ne le voyait pas, on ne le remarquait pas, jusqu’au moment où un regard se posait sur lui, décelait un mouvement dans la pénombre. Alors, il devenait difficile de se détacher de lui.
Son pas était chaloupé, il apparaissait pataud et maladroit. Pourtant, son allure était étrangement fluide, d’une souplesse sauvage, celle d’un animal aux aguets. Certains percevaient, dans cette discrétion attentive, une menace qu’Aimable ne comprenait pas. Il s’était étonné d’attirer des suspicions de la part de certaines personnes, notamment le Maréchal. D’autres, au contraire, mettaient en avant des qualités qu’il ne pensait pas avoir. Devenu Chevalier instructeur, ses élèves apprécient sa patience, son écoute, son implication et ses explications. Le jeune Prince, bien qu’il déteste le maniement des armes, vient à ses leçons avec le sourire – et ça, c’était peut-être une des plus grandes récompenses qu’il pouvait attendre.
Aimable a l’impression de ne pas se connaître. En tous cas, il ne se reconnaît pas, quand il surprend les rumeurs à son égard. Et depuis qu’il a vu May, de nombreux changements ont eu lieu. La douleur n’est plus aussi présente qu’autrefois. Il redécouvre son corps, sans réussir à se l’approprier totalement. Il lui arrive d’observer ses mains, de parcourir sa peau de ses mains rugueuses, pour se convaincre que ce corps, c’est bien le sien. C’est son écorce. Elle renferme son cœur qui bat, ses veines qui saignent, ses muscles qui ne font plus mal, ces articulations qui gagnent en souplesse. Elle emprisonne son âme et celle de l’Autre, Sa Voix, L’Ouroboros.
Qui est-il, que sont-ils ? Des questions qui viennent souvent le hanter. Et il ne sait pas s’il aura un jour des réponses.
Son identité, doit-il la définir selon ce que l’on dit de lui ? Selon ce que ses proches pensent de lui ? Il se souvient des regards froids de certains, de leur méfiance blessante ou encore, de la distance qu’Hildegard a pris par rapport à lui. Quelle valeur a-t-il, selon eux ? Peut-il vraiment se fier à leur avis ? Ou à ceux de son épouse, de ses rares amis ? Aimable soupire et masse ses paupières.
Debout dans sa chambre, l’homme se tient droit. Les volets entrouverts laissent passer quelques rayons de soleil : leur chaleur s’abandonne sur sa peau épaisse. Du vrai cuir. Le soleil s’amuse à effleurer les cicatrices qui parcourent son dos, ses bras, tout son corps, des vergetures qui parcourent le pourtour de sa colonne vertébrale – à force que sa peau s’arrache. Aimable est un homme d’une charpente très solide, malgré sa taille moyenne pour celle d’un homme. Ses bras lui semblent toujours longs, terminés de mains aux larges paumes. Des doigts épais, qui, lorsqu’on les regarde, semblent comme s’allonger, surprenant par la finesse des phalanges. Son ventre n’est pas creux mais ne présente aucun volume réconfortant : c’est un ensemble de muscles entremêlés qu’il dissimule. Il n’y a pas d’abdominaux, non, qu’une masse musculaire qui consolide sa taille, il faut une ceinture puissante pour soutenir sa colonne lorsqu’elle… Il frémit d’horreur, il ne veut pas penser à ça, il réfugie son visage entre ses paumes et masse ses tempes.
Il était autrefois épuisé. Les yeux enfoncés dans ses orbites, creusés de cernes et dissimulés sous ses paupières toujours mi-closes, n’offrant qu’au sol la vision de ses prunelles.
Son visage est semblable aux flancs d’une montagne tailladés par les vents et les pluies. Des pommettes particulièrement saillantes et des arcades sourcilières prononcées protègent ses yeux, tapis sous ses paupières. Peu peuvent se vanter d’avoir croisé son regard et ceux qui l’ont fait n’en parlent jamais. Ses joues sont moins creusées, mais n’en restent pas moins les vallées de ses mâchoires carrées, d’un nez grand maintes fois cassé. Il est tel un pic déformé par les coups qu’il a reçus. Il a moins de cernes, mais n’a pas perdu les rides qui creusent déjà le coin de ses yeux et de ses lèvres. La marque d’un temps qu’il n’a pas encore vécu.
L’usure abandonne progressivement son corps. Il se mouvait avec raideur, maintenant, ses muscles ne protestent plus au moindre mouvement. Ses articulations ne sont plus aussi douloureuses. Qu’est-ce que May a fait ?
L’Ouroboros est toujours là. Dans sa tête. La Voix ne l’abandonnera jamais. Mais Aimable le sent… plus absent dans sa chair. La douleur les liait, elle se manifestait quand la Voix hurlait. Il ne la ressent plus. Est-ce bon signe ? Ou est-ce que la Voix gagne du terrain sur lui ?
Il n’a jamais reconnu son corps comme le sien et aujourd’hui, ce n’est toujours pas le cas. Comme un étranger, il essaye de s’approprier cette masse, ces membres, cette peau, il n’y a plus la douleur qui le connecte à cette chair. D’où sa maladresse. A ne pas connaître la place qu’il prend, à ne pas ressentir où il se trouve, et pourtant, il est le premier à se dissimuler dans l’obscurité. A se faire oublier dans la pénombre.
Aimable s’habille, finalement. C’est plus rapide qu’avant. Ca ne fait plus mal cette fois. Enfiler les bas, le pantalon, passer la chemise par-dessus sa tête, jouer des épaules pour placer correctement le tissu – seul un craquement l’alerte et, décontenancé, il tourne les yeux vers la manche abîmée. Au niveau de l’épaule. Il a l’impression que son dos… Est plus solide, comme ses jambes, il le sent dans ses vêtements. Pourtant, il n’a pas grandi. Il n’a pas non plus eu à changer sa garde robe. Il abandonne sa chemise, en enfile une autre, sans difficultés cette fois. Une veste et une cape, puis l’épée qu’il attache à sa hanche. Une besace et son bouclier rejoignent son épaule.
Un bouclier bleu, décoré d’un cerf blanc, dressé sur ses pattes arrière.
Il récupère sur la table de chevet sa croix et cligne des paupières. Il ne l’enlève jamais, d’habitude.
Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Interroge le Chevalier.
La Voix ne répond pas. A la limite de sa conscience, elle se contente de le narguer, laissant percevoir sa présence sans se manifester.
Aimable cherche autour de lui, dans sa chambre, pas de désordre, pas de trace ensanglantée. Rien de suspect. Est-ce que la Voix… Non. Son cœur se serre et il glisse la Croix autour de son cou. La chaîne est composée d’anneaux de cotte de maille, la Croix, elle, est aussi grande que sa paume. Elle pèse comme une pierre autour de son cou. Son métal est usé, poli à force qu’il passe ses doigts sur sa surface. Chaque extrémité est terminée d’un pic, qu’Aimable effleure du bout du pouce, avant de sortir de son appartement.
Il va rejoindre les écuries et attrape les rênes de sa monture, une jument, comme il les préfère. Tendrement, il caresse son mufle et repose sa tête contre la sienne. Paisible, elle se laisse faire, se contentant de souffler bruyamment. Aimable esquisse un rare sourire, puis finit par monter sur son dos en un geste raide. Enraidi par l’habitude plus que la nécessité.
D’une intonation de la voix, il la convainc d’avancer. Marthe marche d’un pas lent, calme, remuant parfois les oreilles quand les sons de la rue lui parviennent. Aimable les écoute d’une oreille distraite.
Qu’allons Nous FaiRe ? Demande enfin la Voix.
Patrouiller, répond le Chevalier.
EnCoRe, soupire-t-elle.
Aimable apprécie ces moments paisibles. Il rappelle à sa Comparse que certaines fois, il y a un peu d’animation. Cette promesse de violences à venir la satisfait – Aimable se corrige. Non. Pas de violence. Il n’y en a pas besoin.
C’est une NécessiTé, crache-t-Elle, moqueuse.
Aimable serre discrètement les mâchoires et préfère l’ignorer.
Finalement, Amaury les rejoint. Aimable l’a déjà aperçu quelques fois. Il l’a observé avec curiosité lorsqu’il s’entraînait. C’est un combattant prometteur. Malgré sa petite taille, il a remarqué que ses coups d’estoc étaient redoutables. Ses gestes étaient d’une précision semblable à celle d’un oiseau de proie. C’était un homme dont la vivacité avait pu l’impressionner. La Voix en avait été enthousiasmée. Elle lui avait demandé de S’ENTRAINER ! FRAPPER ! SAIGNER ! Et à la vue d’Amaury, Aimable la sent frrééémir dans son esprit.
C’est comme un chat sournois qui s’extirperait d’un meuble, plantant ses griffes dans sa tête en un son grondant, un ronronnement fait de mâchoires qui s’entrechoquent, de crocs qui s’heurtent et grincent, un Rire, Elle se rétracte, se réfugiant dans les ombres de sa conscience. Elle guette, derrière ses pupilles qu’Aimable garde vissées au sol.
_ Monsieur De Bray. Veuillez me suivre, l’invite poliment Aimable en inclinant la tête, Je connais la route jusqu’aux carrières.
Ces carrières… Un lieu où l’on creuse la terre, à la recherche de précieuses richesses, de quoi garnir la couronne déjà bien trop lourde de la Capitale. Trop de bruits, trop d’odeurs, trop de monde, trop de tout qui pullule autour de lui. Aimable attend avec impatience de retrouver la sérénité des plaines – rien ne vaut ses montagnes mais il saura s’en contenter.
Une fois les murs franchis, Aimable relâche l’étau de ses épaules et observe les environs. Il se sent plus… paisible, maintenant que les douleurs ne se ravivent plus à chaque mouvement. Habitué à voyager en silence aux côtés d’Ulric, l’intervention d’Amaury lui fait tourner légèrement la tête – mais il ne le regarde pas.
Il veille à ce que ses yeux ne rencontrent jamais ceux de ses interlocuteurs.
Il fait partie de ces hommes qui ne voient rien et qui savent pourtant beaucoup de choses.
_... Ces mines sont en voie de perdition, explique le Chevalier, de sa voix douce et rêche. L’entendre, c’est comme perdre sa main dans le pelage d’un sanglier. C’est une sensation étrange, agréable et pourtant, dérangeante.
_ L’argent se trouve dans les montagnes, le cuivre et le fer, bien au Sud du Pays. Ici, on y récupère des pierres à bâtir. Mais la mine s’épuise. Il y a de moins en moins de travailleurs.
Et ils étaient peu payés lorsqu’Aimable constatait la quantité de pierres qu’ils arrachaient des maigres collines pour les faire parvenir jusqu’à la capitale.
_ En 1499, le Pont Notre-Dame s’est effondré. Le Roi a souhaité à ce qu’il soit reconstruit au plus vite, des installations minières ont débuté autour de la ville. A cette époque, il y avait beaucoup de soldats. Pour sécuriser les lieux, éviter les vols. Quand ils ont réalisé que la terre n’avait que des matières peu… intéressantes, ces mines ont été offertes aux Seigneurs voisins, qui ont eux-mêmes confiés des parcelles de terre à des ateliers, des carriers. Certains se sont offerts la protection d’une milice ou ont demandé au Roi à ce que des patrouilles soient mises en place, mais cela fait une petite vingtaine d’années… que ces mines restent assez isolées.
Il n’était pas rare que des bandits tentent d’arracher le peu de richesses que certains ont réussi à récupérer. Que certains payent des bras armés pour faire pression sur d’autres. Son visage s’assombrit légèrement à cette pensée. Ces mines ne sont pas sures à ses yeux. C’est un endroit où l’espoir de richesse alimente bien des appétits destructeurs.
_ … Si mes souvenirs sont bons… L’activité a été arrêtée au Sud en raison de l’instabilité du terrain.
A force de creuser, certains sols risquaient de s’effondrer. Néanmoins, Aimable se méfie. Des hommes âpres au gain sont prêts à mentir pour s’assurer garder main mise sur un filon prometteur.
Mais peut-être que l’agitation observée n’est celle que d’animaux égarés. Cette idée… était-elle réellement rassurante ? Préoccupé, Aimable ne peut s’empêcher de penser à la Croix qu’il a trouvée près de son lit. Pourquoi et quand l’a-t-il enlevée ? L’Ouroboros la retire souvent. Inquiet, il referme songeusement sa main sur sa croix.
_ Savez-vous… Quel genre d’agitation a pu être observé ? Une reprise de l’activité minière ou autre chose ?
A moins que cet endroit ne serve d’abri à des bandits ? Profitant d’un terrain soi-disant désolé pour s’installer. Des commerçants ? Qui entreposeraient là leurs richesses…
Ou bien une Bête qui se serait réfugiée dans les profondeurs de la terre en attente de chairs à dévorer.
Lun 11 Oct - 23:36
Jusque-là et de ce qu’Amaury en a vu, le Chevalier De Bayard s’est montré courtois et efficace. Instructeur auprès des jeunes soldats, il semble jouir d’une réputation contrastée, entre la crainte que sa stature impose et la douceur que peut prendre parfois sa voix. Sans l’avoir véritablement côtoyé depuis son arrivé, c’est en tout cas ce que le de Bray en a entendu. Rien qui ne suffise à le rendre réellement amical à son encontre, mais suffisamment pour respecter le soldat tout autant que le chevalier.
La demande du Maréchal reste également dans son esprit, lui rappelant de voir au-delà de l’évidence et la carrure, les gestes doux et maîtrisés. Amaury sait que bien des soldats peuvent être experts dans la dissimulation, quelle qu’elle soit. Il n’a pas eu plus de précision de la part du frère du Comte et se doit donc d’être un observateur des plus précis à l’encontre de son coéquipier pour cette patrouille. Comme il s’y attendait l’homme connait mieux les lieux que lui et il le suit sans aucun problème à travers les rues de la capitale, en direction de la porte donnant vers les carrières en question.
Il profite de leur chevauchée silencieuse pour s’enquérir un peu de ce qu’il y a à savoir sur l’endroit et la réponse qui lui est faite est des plus complètes. Voilà qui le surprend presque. Aimable De Bayard est donc un érudit ou cache-t-il une mémoire extrêmement aiguisée ? L’un comme l’autre Amaury entend avec application tout ce qui lui est dit et qui lui permet de mieux comprendre les enjeux autour de ses carrières, le pourquoi de leur mise en place et leur devenir actuel.
« Vous êtes bien informé, Monsieur De Bayard. Merci pour ces explications. » Le Maréchal n’a guère pu être à ce point exhaustif et il doit admettre que partir avec bien des éléments en plus sera forcément positif une fois sur place. « Même en tournant au ralentis, je comprends donc que ces carrières restent l’objet de convoitises… » Qu’est-ce qui ne l’est pas dans ce bas monde, après tout ? Tous n’ont pas la chance de naître avec du sang bleu dans les veines, Amaury l’a compris très tôt, et chacun cherche à s’élever à sa façon. Si ce n’est pas par des titres donnés en héritage ou reçu au prix de bien des services rendus, la fortune par l’exploitation de la terre et de ses richesses peut être une porte de sortie.
Tandis qu’ils sortent de la capitale en franchissant la haute porte de Châtillon, Aimable l’interroge de cette voix si particulière qui retient définitivement l’attention. C’est grave et clair à la fois, sans rien cacher du sérieux de la question. « De ce que m’a indiqué le Maréchal, un groupe d’hommes a été repéré à plusieurs reprises dans une zone censée être à l’arrêt. Ils agiraient tantôt de jour, tantôt de nuit et nul ne sait véritablement ce qu’ils font en ces lieux. » Personne n’a dû prendre le risque de chercher plus loin jusque-là, certainement. « Je ne sais pas s’ils cherchent à exploiter une ancienne carrière ou s’ils dissimulent d’autres agissements ? Si les carrières sont comme je me l’imagine, cela peut offrir bien des possibilités… et s’ils exploitent un sol qui ne leur appartient pas, ils devront en payer les conséquences. »
Des carrières il en a déjà vu en Normandie et en Bretagne mais ne sait guère si leur taille autant que leur géographie est semblable. « Puisque vous semblez fort bien renseigné, y êtes-vous déjà allé, De Bayard ? »
La demande du Maréchal reste également dans son esprit, lui rappelant de voir au-delà de l’évidence et la carrure, les gestes doux et maîtrisés. Amaury sait que bien des soldats peuvent être experts dans la dissimulation, quelle qu’elle soit. Il n’a pas eu plus de précision de la part du frère du Comte et se doit donc d’être un observateur des plus précis à l’encontre de son coéquipier pour cette patrouille. Comme il s’y attendait l’homme connait mieux les lieux que lui et il le suit sans aucun problème à travers les rues de la capitale, en direction de la porte donnant vers les carrières en question.
Il profite de leur chevauchée silencieuse pour s’enquérir un peu de ce qu’il y a à savoir sur l’endroit et la réponse qui lui est faite est des plus complètes. Voilà qui le surprend presque. Aimable De Bayard est donc un érudit ou cache-t-il une mémoire extrêmement aiguisée ? L’un comme l’autre Amaury entend avec application tout ce qui lui est dit et qui lui permet de mieux comprendre les enjeux autour de ses carrières, le pourquoi de leur mise en place et leur devenir actuel.
« Vous êtes bien informé, Monsieur De Bayard. Merci pour ces explications. » Le Maréchal n’a guère pu être à ce point exhaustif et il doit admettre que partir avec bien des éléments en plus sera forcément positif une fois sur place. « Même en tournant au ralentis, je comprends donc que ces carrières restent l’objet de convoitises… » Qu’est-ce qui ne l’est pas dans ce bas monde, après tout ? Tous n’ont pas la chance de naître avec du sang bleu dans les veines, Amaury l’a compris très tôt, et chacun cherche à s’élever à sa façon. Si ce n’est pas par des titres donnés en héritage ou reçu au prix de bien des services rendus, la fortune par l’exploitation de la terre et de ses richesses peut être une porte de sortie.
Tandis qu’ils sortent de la capitale en franchissant la haute porte de Châtillon, Aimable l’interroge de cette voix si particulière qui retient définitivement l’attention. C’est grave et clair à la fois, sans rien cacher du sérieux de la question. « De ce que m’a indiqué le Maréchal, un groupe d’hommes a été repéré à plusieurs reprises dans une zone censée être à l’arrêt. Ils agiraient tantôt de jour, tantôt de nuit et nul ne sait véritablement ce qu’ils font en ces lieux. » Personne n’a dû prendre le risque de chercher plus loin jusque-là, certainement. « Je ne sais pas s’ils cherchent à exploiter une ancienne carrière ou s’ils dissimulent d’autres agissements ? Si les carrières sont comme je me l’imagine, cela peut offrir bien des possibilités… et s’ils exploitent un sol qui ne leur appartient pas, ils devront en payer les conséquences. »
Des carrières il en a déjà vu en Normandie et en Bretagne mais ne sait guère si leur taille autant que leur géographie est semblable. « Puisque vous semblez fort bien renseigné, y êtes-vous déjà allé, De Bayard ? »
fin juillet 1590
Jeu 18 Nov - 9:51
Aimable cligne des paupières au compliment adressé par Amaury.
Le chevalier, humble ou timide, les deux à la fois, baisse la tête et hausse négligemment les épaules. Il glisse, le long de sa nuque, une de ses mains épaisses couvertes de cuir dans une petite moue. De nature solitaire, il est vrai qu’il lui est arrivé de s’entraîner à la lecture : les De Bayard apprennent à maîtriser les armes avant la plume. Et Paris offre de nombreuses occasions de s’instruire.
Il n’a toujours pas trouvé de réponses aux questions qu’il se pose. Et bien qu’on le qualifie de rustique ou de sauvage, Aimable n’en reste pas moins un homme qui apprécie la culture. Il ne comprend rien à l’art, il est trop maladroit pour l’artisanat, la rhétorique est une arme qu’il ne sait pas manier… Pour autant, il reste sensible à ces expressions. Au travers des plumes d’hommes plus savants que lui, il essaye, tant bien que mal, de comprendre le monde qui tourne autour de lui.
Sans grande réussite. Il a beau chercher la logique de cette horloge inarrêtable, ses rouages et leurs interactions sont des plus complexes. La réponse d’Amaury l’appuie dans cette constatation et un faible sourire lui échappe, avant qu’il ne le dissimule en détournant les yeux.
_ Si le loup dévore la biche, les corbeaux se contentent des restes, murmure songeusement Aimable, caressant tendrement la crinière de sa jument, la débarrassant d’une feuille sèche prise dans ses crins. Paisible, elle se laisse faire et Aimable flatte son encolure d’un tapotement.
La réponse d’Amaury capture toute son attention. Il tourne les yeux vers lui quelques secondes et le temps qu’il développe sa réponse, son cœur est en suspens. Avant de reprendre des battements plus rapides. Plus paisibles. Soulagé, il en relâcherait presque ses épaules. Un groupe d’hommes… Juste… D’hommes.
Mais ses inquiétudes reviennent au galop. Sont-ils plusieurs ? Armés ? Que font-ils ? Du ressel, sont-ils des bandits ou des marchands qui y dissimuleraient leur richesse ? L’idée d’un combat le préoccupe, ils ne sont que 2, certes, Chevaliers, mais contre une groupe… ont-ils une chance ? Habitué à envisager le pire, son esprit sacrifie quelques minutes de réflexion et de son énergie à élaborer les scénarii les plus tragiques (tous deux grièvement blessés au fond des mines, prisonniers d’un groupe de brigands).
Il gratte le coin de sa mâchoire. Il a le souvenir de ce dernier rendez-vous avec le maréchal. Il a dû se justifier pour la mort d’une poignée d’hommes à l’orée d’un bois de Paris. Légitime défense, a expliqué June. Une excuse qu’Aimable n’a ni discuté, ni approuvé. En réalité, il ignore bien ce qu’il s’était passé. Il y avait cette mère et cette enfant, victimes d’un vol. Ces types qui s’étaient enfuis avec leur butin. Il avait suivi leurs traces. Pour se réveiller… quelques temps plus tard. Ailleurs. Plus loin. Le goût du sang dans la bouche, ses vêtements glissés en boule dans le tronc d’un arbre, avec sa croix. Sa croix…
Aimable l’effleure du bout des doigts.
Le Maréchal craint-il qu’il ne réitère son acte ? L’a-t-il fait accompagner pour le surveiller ? Préoccupé, Aimable baisse les yeux.
Comment pourrait-il lui en vouloir ? A sa place, il se méfierait. Il espérait que cette patrouille se déroulerait au mieux. Chaque moment passé avec un autre, un autre que lui et Elle, est une situation inconfortable. Aimable redoute le pire et le pire peut arriver. Malgré ses efforts, ses progrès, il arrive que l’Ouroboros ne lui échappe. Un regard, un geste, quand la Voix n’obscurcit pas sa vue.
Mais Amaury est humain. Leurs ennemis seront humains – si ennemis il y a ! Peut-être n’y aura-t-il personne. Ou que leur simple passage suffira à chasser les plus lâches d’entre eux. Cette pensée l’apaise assez pour qu’il revienne au présent.
Peut-être que tout se passera bien, assure la voix d’Eleanor dans sa tête. Souvenir ou vision ? Il ne sait pas toujours. Le monde autour de lui est un entremêlas de mensonges où percent les dards de la réalité : combien de fois a-t-il lacéré ses mains sur ses épines acérées ? Ainsi, sous ses mots rassurants, il sent la menace latente.
Mais La Voix apparaît paisible aujourd’hui. Bien qu’Ennuyée par la patrouille, elle rôde dans sa tête, grince parfois des dents, elle s’étire et griffe malicieusement l’intérieur de ses chairs, les douleurs sont rapides, si légères qu’il les oublie d’un battement de paupières. Être dehors… Est déjà un soulagement. Loin des hauts murs de Paris, de cette prison faite de pierres taillées, d’une civilisation qui étouffe tout ce qu’il est.
De longues minutes s’installent avant qu’Aimable ne sorte de ses pensées, adressant un regard à Amaury du coin des paupières.
_ J’y suis allé quelques fois, en effet. Il y a de cela un peu plus d’une poignée d’années. J’étais encore jeune. Mon frère était avec moi.
Il n’a pourtant qu’une trentaine d’années. Mais l’usure a creusé ses traits. Ses soucis et le temps ont mordu sa chair à pleines dents, des rides s’étirent sur son front, au coin de ses yeux, de ses lèvres, comme si la Voix elle-même labourait tant et si bien son corps qu’Elle réussissait à l’en marquer. Ses cheveux conservent quelques mèches grisées, dans lesquelles une brise s’engouffre.
_ Mais je crains que les années et le travail des mineurs n’aient changé le peu de souvenirs que j’ai de cet endroit. Nous devrons probablement demander notre chemin ou tenter de nous fier à ce que nous voyons.
Ils approchent des carrières, d’ailleurs. Les pierres s’arrachent d’une terre rongée, l’ossature d’un monde tué depuis longtemps à coups de pioches et de pelles, le corps creusé jusqu’à la moëlle.
A ses yeux, les carrières sont si tristes. Emplis de misères et d’ombres. D’usure et de sang. Il n’y voit aucune richesse, en tous cas, pas une qui ne lui plaît – VrrrAiment ? Sussure la Voix, malicieuse.
N’aime-t-il pas le sang ? N’aime-t-il pas le silence des lieux ? Les endroits où se tapir, quand la nuit tombe, où les morts sont enfouis sous les pierres ? Les corps qu’on trouve par hasard, au contraire des ruelles ?
Aimable fronce légèrement les sourcils. Non. Il n’aime pas ça. Pas comme Elle.
_ Avons-nous une idée du nombre d’hommes qui agissent ? A quand remonte la dernière trace d’activités ?
Selon leur nombre, ils devront opter pour la prudence. A cette pensée, Aimable vérifie qu’il a bien dissimulé le blason de son Bouclier et effleure son épée du bout des doigts.
_ Notre passage pourrait suffire à les effrayer ou attiser leur colère. S’ils sont malins, ils se contenteront de déplacer leur activité ailleurs ou effaceront toutes les pistes. Sinon… Ils chercheront l’affrontement.
De nombreux charognards, galvanisés par l’effet de groupe ou par la faim qui leur ronge le ventre, sont prêts à se battre pour défendre le peu qu’ils ont. Ils n’ont ni la puissance du lion, ni un royaume de vivres comme les herbivores qui n’ont qu’à se baisser pour se nourrir.
Et il existe certains qui n’ont soif que de sang. De combats. Les parasites qui rongent leur hôte.
_ Peut-être devrions-nous en attraper quelques-uns pour les interroger. En savoir plus sur leurs activités, sur leur nombre ou leur identité. Qu’en pensez-vous ?
Ces Hommes auraient l’avantage du terrain, comparés à eux.
La chasse… n’en sera que meillEurRe ! Gronde la Voix.
Finalement, tu prends goût aux patrouilles ? Lui glisse le Chevalier.
L’Ouroboros montre les crocs. Sourire ou menace ? Le Chevalier ne sait pas. Il ne bronche pas.
Leur monture commencent à descendre un chemin creusé entre deux pans de roches blanches. Du simple calcaire, crayonneux, qu’Aimable effleure du regard avant d’observer la route sinueuse. Il s’inquiète des pierres qui glissent sous les sabots de sa jument et à l’instant où il s’apprête à en descendre, elle rejoint un sol plus stable… Le chemin est à présent poncé par les passages des charrettes, tractées par un équidé ou les travailleurs eux-mêmes.
De part et d’autres, sont creusées des cavités plus ou moins profondes dont l’intérieur est drapé d’obscurité. Aimable ralentit l’allure et tend l’oreille, il observe autour d’eux. Ils sont encore éloignés de la zone d’intérêt… A condition qu’ils parviennent à la rejoindre.
Quelques personnes se sont installées ici. Faisant de ces mines des bâtisses dangereuses et improvisées. Ils se sont réunis là, trouvant un abri inespéré à proximité de Paris, sans avoir à se ruiner. Oubliant ou ne souhaitant penser au risque que leur toit risque, un moment ou à un autre, de s’écrouler. D’écraser ces familles qu’ils ont souhaité protéger. Des regards inquiets ou méfiants leur sont jetés et Aimable, en réponse, les salue de la tête. Ces regards, il les voit partout. Même dans la Cour.
Puis les premières mines laissent place à d’autres, encore actives. Des artisans ont fait des carrières leur atelier. Des carriers, des tailleurs de pierre, aussi, un forgeron qui vient acheter de la matière première… La jument d’Aimable avance presque au pas. Il y a plus de monde ici. Et la possibilité d’avoir davantage d’information sur le Sud de ces mines. Il tend instinctivement l’oreille, écoutant les discussions entre les différents artisans. Certains les saluent et les encouragent même à s’approcher : à la vue de leur monture, on les considère comme des Nobles possiblement intéressés par leur travail.
Aimable finit par poser pied à terre et retient les rênes de sa monture d’une main ferme. Il attend qu’Amaury arrive à sa hauteur pour lui murmurer.
_ Comment préférez-vous vous y prendre ? J’ai pensé à nous séparer, le temps de chercher des informations. Notamment sur l'accès à la partie Sud, sur ces... activités nocturnes. D’ailleurs, ce sera l’occasion de voir si ces terres appartiennent toujours à un Seigneur. D'autres informations vous paraissent pertinentes à chercher ?
Le chevalier, humble ou timide, les deux à la fois, baisse la tête et hausse négligemment les épaules. Il glisse, le long de sa nuque, une de ses mains épaisses couvertes de cuir dans une petite moue. De nature solitaire, il est vrai qu’il lui est arrivé de s’entraîner à la lecture : les De Bayard apprennent à maîtriser les armes avant la plume. Et Paris offre de nombreuses occasions de s’instruire.
Il n’a toujours pas trouvé de réponses aux questions qu’il se pose. Et bien qu’on le qualifie de rustique ou de sauvage, Aimable n’en reste pas moins un homme qui apprécie la culture. Il ne comprend rien à l’art, il est trop maladroit pour l’artisanat, la rhétorique est une arme qu’il ne sait pas manier… Pour autant, il reste sensible à ces expressions. Au travers des plumes d’hommes plus savants que lui, il essaye, tant bien que mal, de comprendre le monde qui tourne autour de lui.
Sans grande réussite. Il a beau chercher la logique de cette horloge inarrêtable, ses rouages et leurs interactions sont des plus complexes. La réponse d’Amaury l’appuie dans cette constatation et un faible sourire lui échappe, avant qu’il ne le dissimule en détournant les yeux.
_ Si le loup dévore la biche, les corbeaux se contentent des restes, murmure songeusement Aimable, caressant tendrement la crinière de sa jument, la débarrassant d’une feuille sèche prise dans ses crins. Paisible, elle se laisse faire et Aimable flatte son encolure d’un tapotement.
La réponse d’Amaury capture toute son attention. Il tourne les yeux vers lui quelques secondes et le temps qu’il développe sa réponse, son cœur est en suspens. Avant de reprendre des battements plus rapides. Plus paisibles. Soulagé, il en relâcherait presque ses épaules. Un groupe d’hommes… Juste… D’hommes.
Mais ses inquiétudes reviennent au galop. Sont-ils plusieurs ? Armés ? Que font-ils ? Du ressel, sont-ils des bandits ou des marchands qui y dissimuleraient leur richesse ? L’idée d’un combat le préoccupe, ils ne sont que 2, certes, Chevaliers, mais contre une groupe… ont-ils une chance ? Habitué à envisager le pire, son esprit sacrifie quelques minutes de réflexion et de son énergie à élaborer les scénarii les plus tragiques (tous deux grièvement blessés au fond des mines, prisonniers d’un groupe de brigands).
Il gratte le coin de sa mâchoire. Il a le souvenir de ce dernier rendez-vous avec le maréchal. Il a dû se justifier pour la mort d’une poignée d’hommes à l’orée d’un bois de Paris. Légitime défense, a expliqué June. Une excuse qu’Aimable n’a ni discuté, ni approuvé. En réalité, il ignore bien ce qu’il s’était passé. Il y avait cette mère et cette enfant, victimes d’un vol. Ces types qui s’étaient enfuis avec leur butin. Il avait suivi leurs traces. Pour se réveiller… quelques temps plus tard. Ailleurs. Plus loin. Le goût du sang dans la bouche, ses vêtements glissés en boule dans le tronc d’un arbre, avec sa croix. Sa croix…
Aimable l’effleure du bout des doigts.
Le Maréchal craint-il qu’il ne réitère son acte ? L’a-t-il fait accompagner pour le surveiller ? Préoccupé, Aimable baisse les yeux.
Comment pourrait-il lui en vouloir ? A sa place, il se méfierait. Il espérait que cette patrouille se déroulerait au mieux. Chaque moment passé avec un autre, un autre que lui et Elle, est une situation inconfortable. Aimable redoute le pire et le pire peut arriver. Malgré ses efforts, ses progrès, il arrive que l’Ouroboros ne lui échappe. Un regard, un geste, quand la Voix n’obscurcit pas sa vue.
Mais Amaury est humain. Leurs ennemis seront humains – si ennemis il y a ! Peut-être n’y aura-t-il personne. Ou que leur simple passage suffira à chasser les plus lâches d’entre eux. Cette pensée l’apaise assez pour qu’il revienne au présent.
Peut-être que tout se passera bien, assure la voix d’Eleanor dans sa tête. Souvenir ou vision ? Il ne sait pas toujours. Le monde autour de lui est un entremêlas de mensonges où percent les dards de la réalité : combien de fois a-t-il lacéré ses mains sur ses épines acérées ? Ainsi, sous ses mots rassurants, il sent la menace latente.
Mais La Voix apparaît paisible aujourd’hui. Bien qu’Ennuyée par la patrouille, elle rôde dans sa tête, grince parfois des dents, elle s’étire et griffe malicieusement l’intérieur de ses chairs, les douleurs sont rapides, si légères qu’il les oublie d’un battement de paupières. Être dehors… Est déjà un soulagement. Loin des hauts murs de Paris, de cette prison faite de pierres taillées, d’une civilisation qui étouffe tout ce qu’il est.
De longues minutes s’installent avant qu’Aimable ne sorte de ses pensées, adressant un regard à Amaury du coin des paupières.
_ J’y suis allé quelques fois, en effet. Il y a de cela un peu plus d’une poignée d’années. J’étais encore jeune. Mon frère était avec moi.
Il n’a pourtant qu’une trentaine d’années. Mais l’usure a creusé ses traits. Ses soucis et le temps ont mordu sa chair à pleines dents, des rides s’étirent sur son front, au coin de ses yeux, de ses lèvres, comme si la Voix elle-même labourait tant et si bien son corps qu’Elle réussissait à l’en marquer. Ses cheveux conservent quelques mèches grisées, dans lesquelles une brise s’engouffre.
_ Mais je crains que les années et le travail des mineurs n’aient changé le peu de souvenirs que j’ai de cet endroit. Nous devrons probablement demander notre chemin ou tenter de nous fier à ce que nous voyons.
Ils approchent des carrières, d’ailleurs. Les pierres s’arrachent d’une terre rongée, l’ossature d’un monde tué depuis longtemps à coups de pioches et de pelles, le corps creusé jusqu’à la moëlle.
A ses yeux, les carrières sont si tristes. Emplis de misères et d’ombres. D’usure et de sang. Il n’y voit aucune richesse, en tous cas, pas une qui ne lui plaît – VrrrAiment ? Sussure la Voix, malicieuse.
N’aime-t-il pas le sang ? N’aime-t-il pas le silence des lieux ? Les endroits où se tapir, quand la nuit tombe, où les morts sont enfouis sous les pierres ? Les corps qu’on trouve par hasard, au contraire des ruelles ?
Aimable fronce légèrement les sourcils. Non. Il n’aime pas ça. Pas comme Elle.
_ Avons-nous une idée du nombre d’hommes qui agissent ? A quand remonte la dernière trace d’activités ?
Selon leur nombre, ils devront opter pour la prudence. A cette pensée, Aimable vérifie qu’il a bien dissimulé le blason de son Bouclier et effleure son épée du bout des doigts.
_ Notre passage pourrait suffire à les effrayer ou attiser leur colère. S’ils sont malins, ils se contenteront de déplacer leur activité ailleurs ou effaceront toutes les pistes. Sinon… Ils chercheront l’affrontement.
De nombreux charognards, galvanisés par l’effet de groupe ou par la faim qui leur ronge le ventre, sont prêts à se battre pour défendre le peu qu’ils ont. Ils n’ont ni la puissance du lion, ni un royaume de vivres comme les herbivores qui n’ont qu’à se baisser pour se nourrir.
Et il existe certains qui n’ont soif que de sang. De combats. Les parasites qui rongent leur hôte.
_ Peut-être devrions-nous en attraper quelques-uns pour les interroger. En savoir plus sur leurs activités, sur leur nombre ou leur identité. Qu’en pensez-vous ?
Ces Hommes auraient l’avantage du terrain, comparés à eux.
La chasse… n’en sera que meillEurRe ! Gronde la Voix.
Finalement, tu prends goût aux patrouilles ? Lui glisse le Chevalier.
L’Ouroboros montre les crocs. Sourire ou menace ? Le Chevalier ne sait pas. Il ne bronche pas.
Leur monture commencent à descendre un chemin creusé entre deux pans de roches blanches. Du simple calcaire, crayonneux, qu’Aimable effleure du regard avant d’observer la route sinueuse. Il s’inquiète des pierres qui glissent sous les sabots de sa jument et à l’instant où il s’apprête à en descendre, elle rejoint un sol plus stable… Le chemin est à présent poncé par les passages des charrettes, tractées par un équidé ou les travailleurs eux-mêmes.
De part et d’autres, sont creusées des cavités plus ou moins profondes dont l’intérieur est drapé d’obscurité. Aimable ralentit l’allure et tend l’oreille, il observe autour d’eux. Ils sont encore éloignés de la zone d’intérêt… A condition qu’ils parviennent à la rejoindre.
Quelques personnes se sont installées ici. Faisant de ces mines des bâtisses dangereuses et improvisées. Ils se sont réunis là, trouvant un abri inespéré à proximité de Paris, sans avoir à se ruiner. Oubliant ou ne souhaitant penser au risque que leur toit risque, un moment ou à un autre, de s’écrouler. D’écraser ces familles qu’ils ont souhaité protéger. Des regards inquiets ou méfiants leur sont jetés et Aimable, en réponse, les salue de la tête. Ces regards, il les voit partout. Même dans la Cour.
Puis les premières mines laissent place à d’autres, encore actives. Des artisans ont fait des carrières leur atelier. Des carriers, des tailleurs de pierre, aussi, un forgeron qui vient acheter de la matière première… La jument d’Aimable avance presque au pas. Il y a plus de monde ici. Et la possibilité d’avoir davantage d’information sur le Sud de ces mines. Il tend instinctivement l’oreille, écoutant les discussions entre les différents artisans. Certains les saluent et les encouragent même à s’approcher : à la vue de leur monture, on les considère comme des Nobles possiblement intéressés par leur travail.
Aimable finit par poser pied à terre et retient les rênes de sa monture d’une main ferme. Il attend qu’Amaury arrive à sa hauteur pour lui murmurer.
_ Comment préférez-vous vous y prendre ? J’ai pensé à nous séparer, le temps de chercher des informations. Notamment sur l'accès à la partie Sud, sur ces... activités nocturnes. D’ailleurs, ce sera l’occasion de voir si ces terres appartiennent toujours à un Seigneur. D'autres informations vous paraissent pertinentes à chercher ?
Lun 20 Déc - 0:57
À ses côtés, l’autre chevalier impose un temps de silence. Avec un bref regard en sa direction, Amaury constate que l’homme est plongé dans ses réflexions, mesurant certainement la portée des faibles indications qu’il vient d’apporter. Il n’a pas reçu beaucoup plus de précisions et ce qu’il sait et qu’il partage soulève bien des interrogations. Les deux chevaliers ne peuvent pas simplement se permettre de débarquer les mains dans les poches. Faute de savoir précision à quoi ils vont avoir à faire (les affaires de ce groupe, leur nombre et leur champ d’action), ils se doivent d’être prudents et d’envisager des portes de sortie. Cela dépendra de ce à quoi ils ont à faire, et du cadre dans lequel ils évolueront.
En vérité ils ne savent pas grand-chose est c’est certainement ce qui préoccupe Aimable, le long de leur chevauchée. Le brun n’est pas forcément plus tranquille, il a lui-même son lot de questions mais se doute que son compagnon de route n’en saura pas plus. Alors il l’interroge sur ce qui peut le concerner. Si le De Bayard a déjà foulé ces carrières, propriétés de la couronne, cela les aidera toujours une fois celles-ci en vue. Par chance – au moins ça, l’homme répond par l’affirmative. Le visage tournée vers lui, Amaury l’écoute tandis qu’il évoque des temps passés. Ainsi donc, les De Bayard sont nombreux.
« Le souvenir que vous en avez nous sera peut-être utile. Nous verrons bien. » D’un ton de voix ferme, il essaie de se conforter dans l’idée que le Maréchal ne les enverrait pas gratuitement à la mort. S’ils tombent sur ces hommes incriminés dans des manigances non déterminées, il est certain qu’ils devront trouver des solutions pour s’en sortir. En attendant, imaginons qu’ils partent en simple mission de patrouille, voir la teneur des événements… Que des soldats demandent leur chemin risque de paraitre particulièrement cocasse au premier paysan venu et le de Bray espère sincèrement qu’ils trouveront sans ça.
Le décor autour d’eux se pare de gris, de roches, et il est facile de comprendre qu’ils atteignent progressivement leur but. La terre y est sèche, l’air lourd, le paysage… presque hostile. Ce n’est pas le genre d’endroit dans lequel on s’imagine passer sa vie, et encore moins la finir. Le chevalier n’ose imaginer le quotidien de ceux qui en foulent chaque jour le sol, pour rompre la roche à coups de pioches. Ils participent à la richesse de la couronne, au développement des villes et du progrès. A quel prix ?
Une nouvelle question murmurée par l’autre chevalier et Amaury secoue la tête. « Pour leur nombre, vous m’en demandez trop, De Bayard. Je crois que le Maréchal n’en sait rien lui-même. C’est certainement pour cette raison qu’il nous a missionné en ces lieux. Quant aux activités… je crois qu’un rassemblement a été signalé en fin de semaine dernière. Cela fait quatre jours, donc. »
Aimable continue d’essayer d’anticiper les choses. C’est tout à son honneur. « Parleront-ils pour autant ? Ce n’est pas dit. » A moins qu’ils ne décident d’en capturer un pour l’emprisonner ? « Selon ce qui se passe, en capturer un pour le confronter aux geôles et à la justice reste aussi envisageable. »
Ils continuent d’avancer sur le seul véritable chemin qui sillonne et descend en contrebas. D’impressionnantes cavités dessinent des formes curieuses tout autour d’eux. Cette zone dans laquelle ils arrivent montre encore des signes d’occupation. Ça et là des cahutes en bois, et quelques travailleurs en tenue grise, le visage noir de poudre de roche. Amaury n’est pas suffisamment expert pour déterminer au premier coup d’œil la teneur des roches et des filons qu’ils en extraient. Quelle importance ? Ils ne sont pas là pour s’assurer de la productivité des rares carrières encore en activité. S’il capte des regards noirs en leur direction, il maintient un visage aussi neutre que possible.
C’est tout un monde qui vivote ici. Ceux qui cognent la roche, ceux qui la transportent, ceux qui la façonnent et la transforment… Ce n’est sans doute pas ici que le groupe en question doit agir. Cette population-là semble installée depuis un moment, comme une petite bourgade improvisée auprès de la seule et unique activité du coin.
Aimable prend l’initiative de descendre de cheval et Amaury en fait de même. Leur venue fait déjà parler et, juchés sur leurs montures, ils ne sont pas particulièrement discrets. Le plus petit des deux continuent de jeter des regards circulaires tout en entendant la voix murmurée de l’autre chevalier.
« A priori, ce n’est pas le cas. De ce que j’ai compris ce sont des terres de la couronne, le précédent Seigneur est mort sans qu’elles ne soient léguées. » C’est sans doute l’une des rares informations qu’il possède déjà. « Mais cela ne change pas grand-chose, en un tel lieu et au-delà, les hommes sont souvent doués pour dissimuler leurs agissements. » Il acquiesce cependant de la tête. « Séparons-nous, oui. J’espère que vous avez pensé à prendre une bourse remplie avec vous, à moins d’avoir de la chance, je doute que ces pauvres bougres ne parlent facilement. »
Il ne lui fera pas l'affront de lui conseiller de rester sur ses gardes, c'est une évidence. Reste à savoir vers qui se tourner. « Il nous faut apprendre vers où se situent la carrière en question, et glaner toutes les informations possibles sur les hommes ou les agissement qui s’y tiennent. » Cela semble si simple, dit ainsi.
____________________
Lancer de dé :
0 à 50 : Amaury va vers les cahutes, essayer de s’approcher de quelques travailleurs ou des rares femmes qui s’y trouvent.
51 à 100 : Amaury va vers les artisans (tailleur de pierre, forgeron…).
Selon mon lancer je te laisse t’adapter en conséquence.
En vérité ils ne savent pas grand-chose est c’est certainement ce qui préoccupe Aimable, le long de leur chevauchée. Le brun n’est pas forcément plus tranquille, il a lui-même son lot de questions mais se doute que son compagnon de route n’en saura pas plus. Alors il l’interroge sur ce qui peut le concerner. Si le De Bayard a déjà foulé ces carrières, propriétés de la couronne, cela les aidera toujours une fois celles-ci en vue. Par chance – au moins ça, l’homme répond par l’affirmative. Le visage tournée vers lui, Amaury l’écoute tandis qu’il évoque des temps passés. Ainsi donc, les De Bayard sont nombreux.
« Le souvenir que vous en avez nous sera peut-être utile. Nous verrons bien. » D’un ton de voix ferme, il essaie de se conforter dans l’idée que le Maréchal ne les enverrait pas gratuitement à la mort. S’ils tombent sur ces hommes incriminés dans des manigances non déterminées, il est certain qu’ils devront trouver des solutions pour s’en sortir. En attendant, imaginons qu’ils partent en simple mission de patrouille, voir la teneur des événements… Que des soldats demandent leur chemin risque de paraitre particulièrement cocasse au premier paysan venu et le de Bray espère sincèrement qu’ils trouveront sans ça.
Le décor autour d’eux se pare de gris, de roches, et il est facile de comprendre qu’ils atteignent progressivement leur but. La terre y est sèche, l’air lourd, le paysage… presque hostile. Ce n’est pas le genre d’endroit dans lequel on s’imagine passer sa vie, et encore moins la finir. Le chevalier n’ose imaginer le quotidien de ceux qui en foulent chaque jour le sol, pour rompre la roche à coups de pioches. Ils participent à la richesse de la couronne, au développement des villes et du progrès. A quel prix ?
Une nouvelle question murmurée par l’autre chevalier et Amaury secoue la tête. « Pour leur nombre, vous m’en demandez trop, De Bayard. Je crois que le Maréchal n’en sait rien lui-même. C’est certainement pour cette raison qu’il nous a missionné en ces lieux. Quant aux activités… je crois qu’un rassemblement a été signalé en fin de semaine dernière. Cela fait quatre jours, donc. »
Aimable continue d’essayer d’anticiper les choses. C’est tout à son honneur. « Parleront-ils pour autant ? Ce n’est pas dit. » A moins qu’ils ne décident d’en capturer un pour l’emprisonner ? « Selon ce qui se passe, en capturer un pour le confronter aux geôles et à la justice reste aussi envisageable. »
Ils continuent d’avancer sur le seul véritable chemin qui sillonne et descend en contrebas. D’impressionnantes cavités dessinent des formes curieuses tout autour d’eux. Cette zone dans laquelle ils arrivent montre encore des signes d’occupation. Ça et là des cahutes en bois, et quelques travailleurs en tenue grise, le visage noir de poudre de roche. Amaury n’est pas suffisamment expert pour déterminer au premier coup d’œil la teneur des roches et des filons qu’ils en extraient. Quelle importance ? Ils ne sont pas là pour s’assurer de la productivité des rares carrières encore en activité. S’il capte des regards noirs en leur direction, il maintient un visage aussi neutre que possible.
C’est tout un monde qui vivote ici. Ceux qui cognent la roche, ceux qui la transportent, ceux qui la façonnent et la transforment… Ce n’est sans doute pas ici que le groupe en question doit agir. Cette population-là semble installée depuis un moment, comme une petite bourgade improvisée auprès de la seule et unique activité du coin.
Aimable prend l’initiative de descendre de cheval et Amaury en fait de même. Leur venue fait déjà parler et, juchés sur leurs montures, ils ne sont pas particulièrement discrets. Le plus petit des deux continuent de jeter des regards circulaires tout en entendant la voix murmurée de l’autre chevalier.
« A priori, ce n’est pas le cas. De ce que j’ai compris ce sont des terres de la couronne, le précédent Seigneur est mort sans qu’elles ne soient léguées. » C’est sans doute l’une des rares informations qu’il possède déjà. « Mais cela ne change pas grand-chose, en un tel lieu et au-delà, les hommes sont souvent doués pour dissimuler leurs agissements. » Il acquiesce cependant de la tête. « Séparons-nous, oui. J’espère que vous avez pensé à prendre une bourse remplie avec vous, à moins d’avoir de la chance, je doute que ces pauvres bougres ne parlent facilement. »
Il ne lui fera pas l'affront de lui conseiller de rester sur ses gardes, c'est une évidence. Reste à savoir vers qui se tourner. « Il nous faut apprendre vers où se situent la carrière en question, et glaner toutes les informations possibles sur les hommes ou les agissement qui s’y tiennent. » Cela semble si simple, dit ainsi.
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Lancer de dé :
0 à 50 : Amaury va vers les cahutes, essayer de s’approcher de quelques travailleurs ou des rares femmes qui s’y trouvent.
51 à 100 : Amaury va vers les artisans (tailleur de pierre, forgeron…).
Selon mon lancer je te laisse t’adapter en conséquence.
fin juillet 1590
Lun 20 Déc - 0:57
Le membre 'Amaury de Bray' a effectué l'action suivante : Combats
'L'oeil a statué sur ' : 41
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Jeu 20 Jan - 9:22
Le membre 'Aimable E. De Bayard' a effectué l'action suivante : Combats
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Jeu 27 Jan - 9:57
Le Chevalier n’est guère à l’aise entre ces murs de pierre et les ombres qu’ils renferment.
L’odeur de la poussière lui vient au nez. La terre est éviscérée, ses os fracturés émergent, dévoilant des chairs creusées, dévorées par cette humanité insatiable. Aimable ne voit aucune richesse, non, il n’y voit que la décrépitude d’un peuple désespéré, l’avidité, l’agonie d’une nature pourtant bien généreuse. Il pense à ses montagnes, à ces pics qu’il a aimés grimper, à cette liberté lorsqu’il parvenait au sommet ! Les arbres où s’égarer, obscurité où se réfugier, la vie qui grouille tout autour de lui. Les rires de ses enfants au loin, un son qu’il surprend dans une allée tortueuse où émergent victorieusement deux gamins armés d’épées.
Attendri, le Chevalier les suit du regard et esquisserait presque un sourire. Dans ses veines, la Bête gronde – ces lieux, elle ne les aime PAS, la PIErre Racle la ChaiR, elle fait Mal quand elle se CoGne, mais il y a des caChhEttes, des TAnièRres, se tapir, Attendre, BONDIR ! Traîner la PrRroIe dans l’OmbRE et la D E V O
Aimable masse ses paupières. Il ne veut pas voir, il ne veut pas sentir, le souvenir émerge d’une conscience autre que la sienne. Il sent l’étrange satisfaction germer dans ses entrailles, quand il croit entendre un cri de surprise qui s’étoufferait entre ses mâchoires – non, pas les siennes, celles de l’Autre. La vision, les sensations, le submergent d’une nausée qu’il retient au mieux, inspirant profondément pour emplir ses poumons d’air chargé de particules.
Ces souvenirs, il ne sait pas s’ils sont vrais et à dire vrai, ne veut pas le savoir. C’est un des nombreux sujets qu’il tente tant bien que mal d’enterrer. Mais ce cimetière est trop plein : les cauchemars s’en extirpent. Leurs doigts labourent la terre, leurs os saillants déchirent sa conscience, leurs miasmes remontent jusqu’à ses sens.
Les yeux d’Aimable s’élèvent vers le ciel en un geste discret de prière. Songeusement, sa main extirpe la croix d’argent qu’il garde toujours autour du cou. Une croix épaisse, dont chaque extrémité est armée d’un pic acéré. La pulpe de son pouce parcourt la surface déjà polie par les années.
_ En capturer un… Nous apporterait au mieux des informations. Et dans le pire des cas, assumera la responsabilité de ses crimes devant la justice.
Répond Aimable, pragmatique. Durant ces quelques mois, ses supérieurs n’ont eu cesse de répéter ce genre de discours… Le Chevalier s’efforce de se les approprier. Il souhaite se mêler à la masse, s’effacer, non plus se distinguer. Mais son étrangeté continue d’alimenter les rumeurs. Silencieux, parfois « bizarre », jugé de rustre ou de sauvage… Si ces rumeurs ne se contentent que d’être ça, le Chevalier s’en contenterait.
Savoir que ces terres n’appartiennent pas à un Seigneur les libère de certaines responsabilités. Si l’ordre eut été donné par le Maréchal, Sa Majesté a probablement donné son accord, elle aussi. En ce cas, ils sont libres d’agir.
_ N’allez pas passer tout votre salaire, glisse le Chevalier, neutre en apparence, bien qu’un léger éclat de malice étincelle dans ses pupilles. Pupilles qu’il rétracte immédiatement, s’éloignant d’un pas lent.
Toute son existence, il l’a vouée à la discrétion. A marcher dans l’ombre de son frère, la nuque courbée et les yeux baissés. Ses lèvres, toujours scellées. Malgré toutes ces précautions, Aimable a remarqué qu’il attirait les regards. Qu’on s’écartait naturellement sur son passage.
Il n’est pas spécialement grand, il se considère pataud. Mais sous ses vêtements, une musculature épaisse soutient son ossature. Sa démarche est tantôt lente, gauche, avant qu’elle ne gagne en souplesse. En furtivité. Il devient alors la silhouette qu’on saisit du coin du regard. Il s’est rendu compte, avec les années, de la mauvaise impression qu’il dégageait. De la crainte, de cette méfiance instinctive, qu’on lui accordait. Il n’avait pas besoin d’être prudent, à dire vrai, rares étaient ceux qui étaient venus le menacer ou le défier.
Sont-ce ses traits taillés à la serpe, la dureté de ses pommettes, ses joues creusées, la barbe de quelques jours, les cicatrices ? Son air toujours grave, les épaules et la nuque tirées par un fardeau qu’il ne pourra jamais partager ? Ses yeux d’un bleu céleste, tapis au fin fond de ses orbites creusées, ou toutes ces choses qui grouillent sous la surface de ses pupilles ? Ces vices, ce monstre, cette rage ancrée jusqu’au plus profond de ses viscères, rôdant aux côtés de la moindre pensée ?
Plus la Bête veut l’attirer dans ses abysses, plus le Chevalier s’accroche à sa lumière et son humanité, quitte à se contraindre à faire preuve de bonté, de patience, de bienveillance. D’amour pour ce monde qu’une part en lui déteste. La présence d’Amaury est un soutien pour Aimable : discuter, avoir un contact et une présence humains, l’aident à garder pieds. La Voix, d’ailleurs, tend moins à se manifester : Elle se contente d’observer au travers de ses yeux, d’humer l’air, parfois. Et de ressasser ses souvenirs, inlassablement. Est-ce pour l’aider ? Ou se contente-t-Elle de savourer l’ivresse de cette chasse à mener ?
Parfois, Aimable croit reconnaître une des allées tortueuses, une aspérité. Il a le souvenir de s’y être… Accroché ? Sentir la pierre contre sa paume, son tranchant acéré contre sa chair palpitante, le cœur qui battait lentement, la gueule ouverte, à mordre l’air chargé d’humidité. A écouter les bruits lointains, les rumeurs dans les cabanons, les aboiements lointains d’un chien, la chute de quelques roches.
Amaury semble avoir fait le bon choix. Son approche créée moins de réticences que si c’eut été Aimable qui les avait approchés. Certains travailleurs continuent leur tâche, poussant des brouettes emplies de pierres. Certaines femmes préparent déjà le repas, nettoyant quelques pommes de terre qu’elles déposent dans de grandes casseroles. C’est un mineur, assis à même le sol, qui finit par accoster le Chevalier.
_ J’peux vous aider ?
Un front probablement roué de coups reste bosselé, sous les mèches brunes du garçon. Il a la tête d’un type qui a grandi trop vite, pas physiquement, non. Son nez tordu, ses mâchoires écrasées, abritent tant bien que mal la bouille d’un adolescent dont les yeux sont frileusement logés sous ses cils qu’il a l’habitude de s’arracher, par petits gestes. Quand ce ne sont pas ses cils, ce sont ses sourcils ou les cheveux sur ses tempes. Le jeune homme a l’air nerveux, inquiet, et c’est presque surprenant qu’il trouve le courage de s’adresser à Amaury. Peut-être que la petite taille du Chevalier joue – mais aussi, l’épée dont il est armé.
En effet, le garçon adresse une discrète œillade à son épée, dévisage sa tenue. Il comprend aussi qu’il a de l’argent. Et ça, ça l’intéresse.
_ Si vous êtes perdu, j’peux vous guider M’sieur seigneur, propose-t-il dans un sourire en coin, adressant une œillade à certains travailleurs, plus loin. Ses yeux reviennent sur Amaury. Bien que personne d’autre ne s’adresse à lui, quelques paires d’yeux surveillent de temps en temps le jeune Chevalier.
Aimable, quant à lui, s’est approché des artisans. Pour une fois, sa venue est à peine remarquée. Il faut dire que tous sont occupés à leurs tâches – et que la majorité possède un physique peu avenant. Le Chevalier s’intéresse, d’ailleurs, au moins rassurant du lot. Un homme énorme, à la musculature développée, occupé à marteler une hache – pas une arme, probablement, l’outil d’un bûcheron. Pas très loin de lui, se trouve un jeune apprenti qui observe les mouvements de son maître.
Aimable s’approche, jusqu’à n’être qu’à quelques pas. Le silence – enfin, si l’on peut appeler silence le bruit de l’acier martelé – s’éternise quelques minutes. Jusqu’à ce que le forgeron pousse un râle ennuyé et repose son travail. Il finit par croiser ses bras épais sur son torse et se contente de fixer Aimable, du haut de son bon mètre 90.
Aimable baisse docilement la nuque, observant la hache qu’il est en train de confectionner.
_ C’est du bon travail.
Le forgeron pouffe, hausse ses épaules et plisse les yeux.
_ Qu’es’ que vous en savez ?
Aimable cligne des paupières. Il n’a pas tord. Il n’y connaît rien. Il masse sa nuque en un geste gêné, comme pour se libérer des tensions qui étirent ses muscles.
_ Euh…
_ Qu’es’ce que vous voulez ? J’me doute bien qu’vous êtes pas v’nu vous balader.
Aimable soupire. Décidément, la discrétion n’est pas son fort.
_ Est-ce que vous avez remarqué des choses étranges, récemment ?
Le forgeron penche la tête sur le côté.
_ Y’en a plein. Toujours, dans ces endroits.
Le forgeron adresse une œillade vers Amaury, au loin.
_ Vous devriez pas vous éterniser. Des gens comme vous, ça fait pas long feu.
Aimable suit son regard, puis tourne les prunelles vers le forgeron. Une part en lui sourit. Au fond de ses veines. Il sent les crocs chatouiller l’arrière de ses mâchoires, la Bête rit. Le Chevalier, lui, sent ses inquiétudes chatouiller son ventre. Il ne se sent pas à l'aise.
_ Nous partirons dès que nous aurons trouvé ce que nous cherchons.
Le forgeron soupire.
_ Au moins, j’me sentirai pas coupable si on trouve votre cadavre dans un coin.
_ Où est-ce que je ne devrais pas aller ?
Le forgeron semble hésiter. Il a une moue, crache par terre et fixe longuement Aimable en fronçant les sourcils. Aimable hésite mais finit par confier quelques pièces, une quinzaine, qu’il pose près du forgeron. L’homme s’en empare, regarde les pièces avant de les glisser dans sa poche.
_ J’comprends pas bien ce que vous cherchez à faire… Mais y’a deux trois endroits où vous devriez pas mettre le nez. Au Sud, vers la forêt, et celle vers la plaine… C’est instable, le terrain s’effondre pour un rien… Y’a aussi vers le fleuve, un peu plus au Nord… Terrain pourri, y’a d’l’eau dans tous les recoins.
_ Merci.
Aimable soupire et se redresse.
_ Puis on dit qu'des bêtes rôdent dans l'coin.
Aimable sent son coeur se figer dans sa cage thoracique. Ca ne dure que quelques secondes. Quelques secondes, avant que son coeur ne s'accélère et que, malgré lui, il adresse un regard au forgeron. Plus pâle. L'homme se contente d'un sourire, sans joie, sans mépris, d'un sourire sans saveur. Une résignation terrible. Celle d'un homme sans espoir, qui sait que chaque jour gagné est, en soit, une victoire.
D'un homme qui a conscience de sa mortalité. Dans ces lieux où il y est sans cesse confronté.
_ Si j’fais du bon boulot, j’espère que vous r’viendrez.
Le forgeron adresse un mouvement de tête à l’épée qu’Aimable a à sa ceinture.
_ Ca fait un p’tit moment que j’ai pas travaillé sur du chevalier.
Se moque-t-il de lui ? A dire vrai, Aimable ne parvient pas à savoir si l’homme veut réellement l’aider ou s’il ne se joue pas de lui. Ayant attiré l’attention sur lui, il préfère flâner entre les étales, faisant mine de s’intéresser aux artisans. L'esprit plongé dans ses pensées, il essaye de réfléchir aux informations qui lui ont été données. Il lui arrive d'interroger quelques personnes, mais les réponses qui lui parviennent sont insatisfaisantes ou rejoignent les quelques pistes qu'on lui a données.
L’odeur de la poussière lui vient au nez. La terre est éviscérée, ses os fracturés émergent, dévoilant des chairs creusées, dévorées par cette humanité insatiable. Aimable ne voit aucune richesse, non, il n’y voit que la décrépitude d’un peuple désespéré, l’avidité, l’agonie d’une nature pourtant bien généreuse. Il pense à ses montagnes, à ces pics qu’il a aimés grimper, à cette liberté lorsqu’il parvenait au sommet ! Les arbres où s’égarer, obscurité où se réfugier, la vie qui grouille tout autour de lui. Les rires de ses enfants au loin, un son qu’il surprend dans une allée tortueuse où émergent victorieusement deux gamins armés d’épées.
Attendri, le Chevalier les suit du regard et esquisserait presque un sourire. Dans ses veines, la Bête gronde – ces lieux, elle ne les aime PAS, la PIErre Racle la ChaiR, elle fait Mal quand elle se CoGne, mais il y a des caChhEttes, des TAnièRres, se tapir, Attendre, BONDIR ! Traîner la PrRroIe dans l’OmbRE et la D E V O
Aimable masse ses paupières. Il ne veut pas voir, il ne veut pas sentir, le souvenir émerge d’une conscience autre que la sienne. Il sent l’étrange satisfaction germer dans ses entrailles, quand il croit entendre un cri de surprise qui s’étoufferait entre ses mâchoires – non, pas les siennes, celles de l’Autre. La vision, les sensations, le submergent d’une nausée qu’il retient au mieux, inspirant profondément pour emplir ses poumons d’air chargé de particules.
Ces souvenirs, il ne sait pas s’ils sont vrais et à dire vrai, ne veut pas le savoir. C’est un des nombreux sujets qu’il tente tant bien que mal d’enterrer. Mais ce cimetière est trop plein : les cauchemars s’en extirpent. Leurs doigts labourent la terre, leurs os saillants déchirent sa conscience, leurs miasmes remontent jusqu’à ses sens.
Les yeux d’Aimable s’élèvent vers le ciel en un geste discret de prière. Songeusement, sa main extirpe la croix d’argent qu’il garde toujours autour du cou. Une croix épaisse, dont chaque extrémité est armée d’un pic acéré. La pulpe de son pouce parcourt la surface déjà polie par les années.
_ En capturer un… Nous apporterait au mieux des informations. Et dans le pire des cas, assumera la responsabilité de ses crimes devant la justice.
Répond Aimable, pragmatique. Durant ces quelques mois, ses supérieurs n’ont eu cesse de répéter ce genre de discours… Le Chevalier s’efforce de se les approprier. Il souhaite se mêler à la masse, s’effacer, non plus se distinguer. Mais son étrangeté continue d’alimenter les rumeurs. Silencieux, parfois « bizarre », jugé de rustre ou de sauvage… Si ces rumeurs ne se contentent que d’être ça, le Chevalier s’en contenterait.
Savoir que ces terres n’appartiennent pas à un Seigneur les libère de certaines responsabilités. Si l’ordre eut été donné par le Maréchal, Sa Majesté a probablement donné son accord, elle aussi. En ce cas, ils sont libres d’agir.
_ N’allez pas passer tout votre salaire, glisse le Chevalier, neutre en apparence, bien qu’un léger éclat de malice étincelle dans ses pupilles. Pupilles qu’il rétracte immédiatement, s’éloignant d’un pas lent.
Toute son existence, il l’a vouée à la discrétion. A marcher dans l’ombre de son frère, la nuque courbée et les yeux baissés. Ses lèvres, toujours scellées. Malgré toutes ces précautions, Aimable a remarqué qu’il attirait les regards. Qu’on s’écartait naturellement sur son passage.
Il n’est pas spécialement grand, il se considère pataud. Mais sous ses vêtements, une musculature épaisse soutient son ossature. Sa démarche est tantôt lente, gauche, avant qu’elle ne gagne en souplesse. En furtivité. Il devient alors la silhouette qu’on saisit du coin du regard. Il s’est rendu compte, avec les années, de la mauvaise impression qu’il dégageait. De la crainte, de cette méfiance instinctive, qu’on lui accordait. Il n’avait pas besoin d’être prudent, à dire vrai, rares étaient ceux qui étaient venus le menacer ou le défier.
Sont-ce ses traits taillés à la serpe, la dureté de ses pommettes, ses joues creusées, la barbe de quelques jours, les cicatrices ? Son air toujours grave, les épaules et la nuque tirées par un fardeau qu’il ne pourra jamais partager ? Ses yeux d’un bleu céleste, tapis au fin fond de ses orbites creusées, ou toutes ces choses qui grouillent sous la surface de ses pupilles ? Ces vices, ce monstre, cette rage ancrée jusqu’au plus profond de ses viscères, rôdant aux côtés de la moindre pensée ?
Plus la Bête veut l’attirer dans ses abysses, plus le Chevalier s’accroche à sa lumière et son humanité, quitte à se contraindre à faire preuve de bonté, de patience, de bienveillance. D’amour pour ce monde qu’une part en lui déteste. La présence d’Amaury est un soutien pour Aimable : discuter, avoir un contact et une présence humains, l’aident à garder pieds. La Voix, d’ailleurs, tend moins à se manifester : Elle se contente d’observer au travers de ses yeux, d’humer l’air, parfois. Et de ressasser ses souvenirs, inlassablement. Est-ce pour l’aider ? Ou se contente-t-Elle de savourer l’ivresse de cette chasse à mener ?
Parfois, Aimable croit reconnaître une des allées tortueuses, une aspérité. Il a le souvenir de s’y être… Accroché ? Sentir la pierre contre sa paume, son tranchant acéré contre sa chair palpitante, le cœur qui battait lentement, la gueule ouverte, à mordre l’air chargé d’humidité. A écouter les bruits lointains, les rumeurs dans les cabanons, les aboiements lointains d’un chien, la chute de quelques roches.
Amaury semble avoir fait le bon choix. Son approche créée moins de réticences que si c’eut été Aimable qui les avait approchés. Certains travailleurs continuent leur tâche, poussant des brouettes emplies de pierres. Certaines femmes préparent déjà le repas, nettoyant quelques pommes de terre qu’elles déposent dans de grandes casseroles. C’est un mineur, assis à même le sol, qui finit par accoster le Chevalier.
_ J’peux vous aider ?
Un front probablement roué de coups reste bosselé, sous les mèches brunes du garçon. Il a la tête d’un type qui a grandi trop vite, pas physiquement, non. Son nez tordu, ses mâchoires écrasées, abritent tant bien que mal la bouille d’un adolescent dont les yeux sont frileusement logés sous ses cils qu’il a l’habitude de s’arracher, par petits gestes. Quand ce ne sont pas ses cils, ce sont ses sourcils ou les cheveux sur ses tempes. Le jeune homme a l’air nerveux, inquiet, et c’est presque surprenant qu’il trouve le courage de s’adresser à Amaury. Peut-être que la petite taille du Chevalier joue – mais aussi, l’épée dont il est armé.
En effet, le garçon adresse une discrète œillade à son épée, dévisage sa tenue. Il comprend aussi qu’il a de l’argent. Et ça, ça l’intéresse.
_ Si vous êtes perdu, j’peux vous guider M’sieur seigneur, propose-t-il dans un sourire en coin, adressant une œillade à certains travailleurs, plus loin. Ses yeux reviennent sur Amaury. Bien que personne d’autre ne s’adresse à lui, quelques paires d’yeux surveillent de temps en temps le jeune Chevalier.
Aimable, quant à lui, s’est approché des artisans. Pour une fois, sa venue est à peine remarquée. Il faut dire que tous sont occupés à leurs tâches – et que la majorité possède un physique peu avenant. Le Chevalier s’intéresse, d’ailleurs, au moins rassurant du lot. Un homme énorme, à la musculature développée, occupé à marteler une hache – pas une arme, probablement, l’outil d’un bûcheron. Pas très loin de lui, se trouve un jeune apprenti qui observe les mouvements de son maître.
Aimable s’approche, jusqu’à n’être qu’à quelques pas. Le silence – enfin, si l’on peut appeler silence le bruit de l’acier martelé – s’éternise quelques minutes. Jusqu’à ce que le forgeron pousse un râle ennuyé et repose son travail. Il finit par croiser ses bras épais sur son torse et se contente de fixer Aimable, du haut de son bon mètre 90.
Aimable baisse docilement la nuque, observant la hache qu’il est en train de confectionner.
_ C’est du bon travail.
Le forgeron pouffe, hausse ses épaules et plisse les yeux.
_ Qu’es’ que vous en savez ?
Aimable cligne des paupières. Il n’a pas tord. Il n’y connaît rien. Il masse sa nuque en un geste gêné, comme pour se libérer des tensions qui étirent ses muscles.
_ Euh…
_ Qu’es’ce que vous voulez ? J’me doute bien qu’vous êtes pas v’nu vous balader.
Aimable soupire. Décidément, la discrétion n’est pas son fort.
_ Est-ce que vous avez remarqué des choses étranges, récemment ?
Le forgeron penche la tête sur le côté.
_ Y’en a plein. Toujours, dans ces endroits.
Le forgeron adresse une œillade vers Amaury, au loin.
_ Vous devriez pas vous éterniser. Des gens comme vous, ça fait pas long feu.
Aimable suit son regard, puis tourne les prunelles vers le forgeron. Une part en lui sourit. Au fond de ses veines. Il sent les crocs chatouiller l’arrière de ses mâchoires, la Bête rit. Le Chevalier, lui, sent ses inquiétudes chatouiller son ventre. Il ne se sent pas à l'aise.
_ Nous partirons dès que nous aurons trouvé ce que nous cherchons.
Le forgeron soupire.
_ Au moins, j’me sentirai pas coupable si on trouve votre cadavre dans un coin.
_ Où est-ce que je ne devrais pas aller ?
Le forgeron semble hésiter. Il a une moue, crache par terre et fixe longuement Aimable en fronçant les sourcils. Aimable hésite mais finit par confier quelques pièces, une quinzaine, qu’il pose près du forgeron. L’homme s’en empare, regarde les pièces avant de les glisser dans sa poche.
_ J’comprends pas bien ce que vous cherchez à faire… Mais y’a deux trois endroits où vous devriez pas mettre le nez. Au Sud, vers la forêt, et celle vers la plaine… C’est instable, le terrain s’effondre pour un rien… Y’a aussi vers le fleuve, un peu plus au Nord… Terrain pourri, y’a d’l’eau dans tous les recoins.
_ Merci.
Aimable soupire et se redresse.
_ Puis on dit qu'des bêtes rôdent dans l'coin.
Aimable sent son coeur se figer dans sa cage thoracique. Ca ne dure que quelques secondes. Quelques secondes, avant que son coeur ne s'accélère et que, malgré lui, il adresse un regard au forgeron. Plus pâle. L'homme se contente d'un sourire, sans joie, sans mépris, d'un sourire sans saveur. Une résignation terrible. Celle d'un homme sans espoir, qui sait que chaque jour gagné est, en soit, une victoire.
D'un homme qui a conscience de sa mortalité. Dans ces lieux où il y est sans cesse confronté.
_ Si j’fais du bon boulot, j’espère que vous r’viendrez.
Le forgeron adresse un mouvement de tête à l’épée qu’Aimable a à sa ceinture.
_ Ca fait un p’tit moment que j’ai pas travaillé sur du chevalier.
Se moque-t-il de lui ? A dire vrai, Aimable ne parvient pas à savoir si l’homme veut réellement l’aider ou s’il ne se joue pas de lui. Ayant attiré l’attention sur lui, il préfère flâner entre les étales, faisant mine de s’intéresser aux artisans. L'esprit plongé dans ses pensées, il essaye de réfléchir aux informations qui lui ont été données. Il lui arrive d'interroger quelques personnes, mais les réponses qui lui parviennent sont insatisfaisantes ou rejoignent les quelques pistes qu'on lui a données.