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La chute du domestique déséquilibra la répartition du poids, surprenant Sadie qui compensa instinctivement, un peu trop vite, un peu trop fort ; et la malle percuta le sol plus violemment que prévu. Heureusement, le pauvre homme était trop occupé à geindre par terre pour réaliser quoi que ce soit.

« Ca va ? »

Il offrit son avant-bras au domestique pour l'aider à se relever avant de se pencher vers le coffre pour le remettre d'aplomb, jetant un coup d'oeil à la fine ouverture et à l'éclat qu'il y avait aperçu.

Sadie écouta d'une oreille distraite, parcourant le contenu de la malle du regard. Il passa rapidement sur les rouleaux et remarqua une sorte de pendentif perdu en lors sein. D'un geste délicat, il attrapa l'objet, le faisant basculer de-ci de-là sous la lumière de la torche qu'il récupéra de sa main libre. Le scintillement était légèrement passé, éteint. Comme peut l'être le métal après des décennies d'oubli. Il tâcha de ne pas faire attention à la sensation de familiarité que lui rappelait le motif, chassant les souvenirs d'un hochement de tête.

« C'est très aimable de votre part. »

Il glissa le pendentif dans l'une de ses poches et faillit en reste là. Cependant, une idée lui vint et il éclaira le domestique.

« Si ça ne vous ennuie pas, pouvez-vous porter les papiers à l'étable et les mettre dans l'un de mes sacs de selle ? Ceux de la jument grise, avec le crin noir. Elle a une plume natté près de l'oreille gauche, vous ne pourrez pas vous tromper. »

S'il avait pu exercer son français en parlant seul lors du voyage aller, il voyait ici l'occasion parfaite de profiter du voyage retour pour améliorer sa lecture, encore bien trop hasardeuse à son goût.

Sadie se pencha vers la malle et passa une main rapide dans les rouleaux.

« Vous pouvez prendre ces liasses, là. Elles paraissent encore lisibles, » dit-il en se redressant. Il offrit un sourire aimable au jeune homme. « Le reste fera une flambée excellente pour allumer votre feu. »

Sur ces paroles, il salua le domestique et reprit sa ronde en direction des bois.

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Le craquement des branches claqua dans l'air, sec. Le silence qui suivit resta suspendu le temps d'un souffle. Les pas du lycan s'arrêtèrent nets, couteau de chasse glissé hors de son fourreau dans un chuintement discret. Sadie leva la torche et se mit en garde, bras plié devant son torse et lame en avant, lorsque les flammes accrochèrent un regard jaune. Les yeux luisirent d'un éclat vif et disparurent aussi vite qu'ils étaient apparus.

Le sang de Sadie chanta en chœur avec les longues foulées s'éloignant vers l'étendue d'eau. L'appelant à poursuivre la chasse, la chasse, la chasse.

Mais si une bête rôdait par ici, rien ne l'assurait qu'elle était seule, ni même qu'il s'agissait d'une simple bête. Il était bien placé pour le savoir. Ne préférant risquer ni sa vie, ni celles des chevaux, ni celles, Dieu les préservent, de ses compagnons de route, Sadie resta immobile encore quelques instants avant de rebrousser chemin vers l’orée du bois, direction l'étable.
En sortant du bosquet, il se fit la réflexion qu'il lui faudrait probablement prévenir le domestique et lui intimer d'attendre le matin pour continuer son travail. Histoire que le garçon ne se fasse pas attaquer, ou pire, durant la nuit.

La nuit se prolongea jusqu'à disparaître dans la brume du petit matin. Une fois le frugal  petit-déjeuner englouti, Sadie inspecta ses affaires - on n'est jamais trop prudent - et remarqua avec plaisir que les rouleaux découverts la veille avaient été placés dans l'une de ses sacoches. Il y glissa également le pendentif, dans une petite poche rembourrée, et laissa un sou à destination du domestique auprès du tenancier de l'auberge.

La routine de la veille recommença. Se détourner lorsque les passagers embarquèrent dans la calèche, ce parfum léger et fleuri, délicat, puis monter en selle et reprendre la route.

Sadie cala l'allure de sa monture à celle de Gaspard, lui jetant un coup d'oeil.

« Rien à signaler, non, à part une bête dans le bois mais elle n'est pas restée bien longtemps. »

Avec un haussement d'épaule, Sadie reprit son inspection des environs, l'air songeur.

« Un loup peut-être, ou un sanglier. » Même si son odorat n'avait semblé reconnaître ni l'un ni l'autre, à cause de l'humidité. « Je n'ai vu que le reflet de ses yeux avant qu'elle ne déguerpisse et elle n'a plus donné signe. Si elle est revenue près de l'auberge ensuite ce n'était plus pendant ma garde. Mais, » ajouta-t-il, « un domestique était dehors au début de la nuit, à déplacer des bagages et faire de la place dans la cave. Peut-être le bruit entendu par la clientèle ? »

Sadie se garda bien de tout commentaire. Les hommes lui semblaient bien contradictoires, souvent. Prêts à croire en un Dieu tout puissant et aux démons du Malin, aux sorcières et à la magie noire, mais leurs crédulités s'arrêtaient aux monstres pouvant rôder dans les ombres. Si le Malin était, ainsi que Dieu, pourquoi ses engeances ne seraient-elles pas tout aussi réelles que le salut de leurs âmes ?

*

Les mots finirent par lui échapper tandis qu'il chevauchait en tête avec le mercenaire pour une nouvelle étape de leur escorte.

« Gaspard, vous connaissez bien ces routes. Vous m'avez confirmé à plusieurs reprises que les attaques n'étaient pas rares une fois le lac du premier jour laissé derrière nous. »

La chose avait commencé à le déranger après la première semaine de voyage. Depuis, elle rôdait à l'arrière de ses pensées, menace invisible familière que les siècles lui il avait appris à ne jamais ignorer.

« Nous n'avons croisé personne. Cela ne vous parait pas étrange ? »

On pourrait croire, à l'entendre, qu'il souhaitait que quelque chose se produise. Et peut-être était-ce le cas. Les hypothèses qui permettraient d'expliquer ce calme étrange ne pouvaient être autre chose que désastreuses. Sadie doutait fortement que la milice soit parvenue à écrouer les bandits de grand chemin de la France entière ; il doutait plus fortement encore que les bandits soient refroidis par l'allure de leur petite troupe au point de les laisser en paix.

Sadie ne prit pas ombrage de la remarque outre mesure, même si la tactique du mercenaire de les tenir tous dans l'ignorance l'agaça légèrement. A n'être ainsi pas prévenu, il aurait pu s'en prendre aux renforts en les voyant sur la route et s'occuper de poser les questions ensuite. Ils auraient eu l'air fin.

Il mit pied à terre à la suite des autres gardes et de Gaspard, tendant l'oreille, regard glissant sur les alentours. Ne laisser qu'un seul homme pour défendre la calèche lui semblait être une erreur grotesque, un risque inconsidéré pour une recherche possiblement vaine. Sadie avait appris à apprécier ses compagnons de route mais il ne leur faisait pas confiance pour autant, certainement pas à Gaspard. Les éloigner de la calèche aussi ouvertement alors qu'un autre groupe d'homme était potentiellement disparus dans les alentours ne lui disait rien qui vaille.

Cependant, il n'en dit rien, autre qu'un air désapprobateur. Car, pour l'instant, Gaspard n'avait rien fait méritant que ses ordres soient contredits de front. Le lycan se contenterait de garder l'oreille alerte et reviendrait à la moindre suspicion, et tant pis si on lui faisait remarquer qu'il courrait quand même sacrément vite.
Il laissa Gaspard partir au Nord, Jean à l'Est, Emile au Sud. Couteau de chasse sorti de son fourreau, il s'engagea sur le chemin menant vers l'Ouest.

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